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DE L’ELOQUENCE A LA RHETORIQUE. POUR UNE THEORIE DU DISCOURS POLITIQUE
ELECTORAL
FROM ELOQUENCE TO RHETORIC. FOR A THEORY OF ELECTORAL POLITICAL DISCOURSE

Alain ISHAMALANGENGE NYIMILONGO*
alain.isha@gmail.com
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Université de Kinshasa
ORCID : 0000-0002-0852-8876

Résumé

Notre étude se veut une proposition d’une théorie pour les hommes politiques lors de la conquête du pouvoir par le biais de la campagne électorale. La trilogie silence, raréfaction et bilan nécessite une observation des leaders politiques. Partant de son mode opératoire, le candidat ou le politique se contente d’opter pour l’un de ces trois concepts sus évoqués. Le silence ne signifie pas la lâcheté de la part de son observateur, encore moins un manque à dire, par contre, une stratégie mûrie par son initiateur pour une fin quelconque. Cependant, la raréfaction de la parole est une stratégie langagière qui caractérise le flou car son observateur met les gens dans une situation difficile, pourquoi pas compliquée. Or, la présentation du bilan reste le seul moyen sans doute le plus admiré par la population ou les électeurs.

Mots-clés : Discours politique, campagne électorale, silence, raréfaction, bilan.
Reçu le : 25 septembre 2023
Accepté le : 7 octobre 2023

Abstrat

The aim of our study is to propose a theory for politicians in their quest for power through election campaigns. The trilogy of silence, rarefaction and balance requires observation of political leaders. Depending on his or her modus operandi, the candidate or politician simply opts for one of these three concepts. Silence does not mean cowardice on the part of the observer, still less a failure to speak out; on the contrary, it is a strategy matured by its initiator for some purpose. However, the rarefaction of speech is a language strategy that characterizes vagueness, because its observer puts people in a difficult, why not complicated, situation. And yet, the presentation of the balance sheet remains the only means that is undoubtedly the most admired by the population or the electorate.

Keywords: Political discourse, election campaign, silence, rarefaction, balance sheet.
Received: September 25, 2023
Accepted: Décember 7, 2023

Introduction

De J. Kasa-vubu à F.A. Tshisekedi et de P.E. Lumumba à J.M. Sama Lukonde, la RD Congo a connu et connaîtra toujours des politiciens de haute facture. Parmi eux, certains sont connus pour leur patriotisme avéré et dévoué, d’autres par contre, sont connus du public congolais comme des guignols. Depuis son indépendance, le pays est à la 3ème République et il a connu cinq présidents dont deux décédés, deux vivants et un assassiné. L’assassinat énigmatique dont les seuls vrais assassins sont connus par les commanditaires. La vérité reste mystère, mais le mobile était connu de tous.
Après les élections triplées de 2018, présidentielle, législatives nationale et provinciale, l’année 2023 est déclarée une « année électorale », le pays en sera à sa 4ème législature de la 3ème République. Une année des enjeux où tout le monde veut se positionner sur le plan politique. Parmi les anciens dirigeants, certains veulent revenir aux affaires, d’autres ne comptent que sur leur notoriété pour avoir bien travaillé. Entre les deux, des nouvelles têtes étouffées veulent sortir de leurs volières. Et l’arbitre suprême de cette situation est le peuple congolais qui peut et doit départager les intérêts des uns et des autres. Alors, l’adversaire n’est pas connu, le combat sur le terrain devient musculeux à tel point que chacun doit s’armer pour battre l’adversaire et gagner un siège dans l’une des chambres de Palais du Peuple ou alors être parmi les fréquentés de la Cité de l’Union africaine ou du Palais de la Nation.

Dans cet article, nous prônons pour une théorie d’un discours à tenir lors de la campagne électorale laquelle théorie doit se baser sur trois concepts (principes) : le silence, l’évitement et le bilan. Ainsi, chaque candidat est censé observer les trois directives pour pouvoir tenir un discours devant ses électeurs, au besoin, choisir quelle attitude adopter ou observer à l’annonce de l’année électorale.
Dans une campagne électorale, le discours du candidat est ouvert à tout le monde. D’ailleurs, N. Lahiani (2016 : 423) précise que le discours de l’homme politique n’est pas nécessairement destiné à l’interlocuteur direct qui peut être dans certains cas le journaliste ou un adversaire politique. Il est principalement adressé au « tiers » qui est le réel auditoire auquel l’homme politique s’adresse et qu’il veut amener à souscrire à sa thèse et à y adhérer.

1. Tous les loups ont retrouvé le chemin de la tanière

Depuis le lancement des opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs le 24 décembre 2022, les compétiteurs et compétitrices au parlement congolais (tant au niveau national que provincial) sont connus par ce public. La mobilisation est tous azimuts. Çà et là, les affiches ou les panneaux publicitaires qui appellent à l’enrôlement massif des Congolais pour élire les hommes et les femmes qu’il faut pour la représentation nationale. Les agents de la centrale électorale ont du pain sur la planche. Les opérations ont été lancées à l’ouest dans les provinces ci-après : Kongo-Central, Kinshasa, Kwango, Kwilu, Mai-Ndombe, Equateur, Mongala, Nord-Ubangi, Sud-Ubangi et Tshuapa. Puis, elles se sont poursuivies dans le centre du pays et pour finir, dans la partie Est.

Désormais, les appétissants politiques ou les prétendants candidats aux élections sont connus. Ils doivent déjà poser des jalons pour le jour du scrutin. Tout d’un coup, les téléphones portables sont joignables, les adresses domiciliaires sont connues et les portails des villas sont accessibles et ouverts à tout celui qui (y) frappe. Bref, tout le monde est le bienvenu au domicile de l’honorable. Il accueille, écoute et vient en aide à son interlocuteur, qui n’est rien d’autre que le futur électeur. L’ambition est grande et il faut élargir le champ d’électeurs. Il est temps de reconquérir les électeurs par toutes les voies : les associations et les clubs, les églises dont les sièges sont situés dans la circonscription électorale, les familles élargies et les belles familles, les amis et connaissances du quartier, de la commune, du village, etc. tel est l’arsenal qui constitue le champ que le candidat doit exploiter, puis convaincre en deux temps, d’abord, se faire enrôler, puis l’élire.
Cependant, la plupart des élus de précédentes législatures ne fréquentent pas leurs bases électorales après la proclamation des résultats définitifs par la Cour Constitutionnelle. Ils coupent le cordon avec les électeurs et n’attendent qu’à la fin de la mandature pour ressurgir. Les petites actions commencent et vont dans tous les sens. Le loup devient l’agneau. Il négocie et prend pitié de sa proie. Devant cette foule, quel discours tiennent les candidats pendant l’année électorale ? Pourquoi opter pour telle ou telle autre posture ? Faut-il se taire si la gestion est négative, alarmante ou catastrophique ? Pourquoi éviter de parler aux électeurs ? Enfin, si le bilan est positif, quoi dire aux électeurs ? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons de réfléchir et de répondre dans les lignes qui suivent.

2. Discours politique électoral congolais

Dans chaque communauté, les candidats aux différentes élections disposent d’un langage politique qui ressemble à ce que nous qualifions de : Discours Electoral Réussi (DER), Discours Electoral Raté (DERa), et Discours Electoral Séduisant (DES).
Le premier est possible lorsqu’il est plurilingue, voire son environnement matériel. Quant au second, il est monolingue et son environnement matériel est unilingue. Enfin, le troisième est bilingue + environnement bilingue. A partir de ces dispositions définitionnelles, nous pouvons rendre explicite les trois types de discours annoncés.
Il faut savoir que personne ne va aux élections pour les perdre. Toute personne qui s’engage aux élections s’attend à une victoire, à moins que l’on soit formaliste. Le candidat doit toujours opter pour un discours électoral réussi d’autant plus qu’il s’arme, se prépare et s’attend aux élections qu’il sera gagnera.

3. Un politicien pendant l’année électorale : boucle sa bouche ou démissionne

Dans l’art de mentir en politique, P. Charaudeau (2014 : 1) note que « Tout homme politique sait qu’il lui est impossible de dire tout, à tout moment, et de dire les choses exactement comme il les pense ou les réalise, car il ne faut pas que ses paroles entravent son action. Il lui faut jouer de stratégies discursives pour ne pas perdre sa crédibilité. L’homme politique ne peut faillir de ce point de vue : en toutes circonstances, rester crédible ». Cette pensée de l’auteur nous pousse à demander aux acteurs politiques de se taire ou de démissionner en lieu et place de se plaindre. Et comme la démission n’est pas la culture des Congolais, de grâce, il faudrait observer cette trilogie que nous proposons : silence-raréfaction-bilan.

En effet, certains hommes politiques pensent que le silence dans la carrière politique renvoie à la culpabilité. Raison pour laquelle, ils prennent la parole à temps et à contre temps pour se justifier et faire valoir leur opinion. Ils communiquent à tout moment. Par contre, d’autres jugent que « se taire » serait une meilleure communication lorsque les détracteurs politiques veulent à tout prix (vous) nuire. Pour D. Barbet et J.-P. Honoré (2013 : 20) le silence est tantôt indice, tantôt signal, tantôt signe au sens le plus strict et relève pleinement d’une sémiologie.
Dans l’opinion politique et/ou publique congolaise, les gens estiment, d’une part, que F. Tshisekedi, M. Fayulu, A. Matata, etc. sont toujours prêts à réagir aux provocations, attaques et critiques de leurs adversaires politiques. Le plus souvent, ils recourent aux médias et surtout à l’ère du numérique, ils communiquent via leurs comptes privés et personnels dans les médias sociaux. D’autre part, il y a J.M. Sama Lukonde et J. Kabila parmi tant d’autres qui ne parlent que lorsqu’ils sont convaincus de prendre la parole. Pendant la crise politique de l’alliance FCC-CACH, tout le monde attendait la réaction du leader du FCC, mais l’homme s’est tu jusqu’à l’explosion finale de cette alliance. Donc, avant-pendant-après la crise FCC-CACH, le président honoraire n’a dit mot, c’est-à-dire il ne s’est jamais prononcé quant à ce.
L’éloquence, c’est l’art de bien parler. Pour C. Viktorovitch (2021 : 38) l’éloquence est l’art « de séduire son auditoire, de flatter ses oreilles par un vocabulaire singulier, des phrases ciselées, une prononciation inspirée. C’est l’art de s’exprimer avec style et virtuosité ». Les candidats doivent comprendre et surtout savoir les règles de l’art. Ils doivent se poser des questions, celles de savoir, si nécessaire, prendre la parole et quand faudra-t-il prendre cette parole lors d’une campagne électorale…!

3.1. Pourquoi « se taire » ou le silence rhétorique

Depuis l’origine du monde, au-delà de nos conceptions religieuse scientifique ou mythologique, les hommes ont toujours exprimé le besoin de communiquer. Cette communication devient par conséquent un besoin commun. Ainsi, lorsqu’on n’a pas à dire, l’idéal serait de se taire.
Pour D. Barbet et J.-P. Honoré (2013 : 7), « le silence n’est pas nécessairement dépourvu de sens ». Cette théorie de silence est d’autant plus vraie que réelle pour un candidat car le silence aussi est une communication. Bien qu’ambiguë, le silence doit être un recours stratégique du candidat. Certains candidats ou politiciens se transforment en partie défenderesse là où tout est clair qu’il s’agit d’un échec patent, d’une démagogie politicienne, etc. Ils veulent se justifier et prendre la défense pourtant il ne s’agit pas d’une restriction de la liberté d’expression. Par contre, d’autres jettent leurs échecs sur les autres, c’est-à-dire à leurs partenaires politiques. E.g., si j’ai échoué ou si je n’avais pas réalisé telle promesse, c’est la faute de telle et telle autre personne.

Nous admettons avec C. Viktorovitch (2021 : 44) que « la rhétorique n’est ni l’art de bien parler, ni d’ornementer son discours, ni de négocier, ni de manipuler. Mais bien de convaincre ». Lorsqu’un candidat n’a pas de discours à tenir devant ses électeurs, de grâce, il est appelé se taire ou à garder silence, c’est aussi un art. Le fait de prendre la parole pour justifier son échec politique ou son échec d’une mandature, le candidat s’attire soit l’énervement de ses électeurs, soit leur désaveu.
La plupart des élus d’une législature ne viennent qu’à la dernière année de leur mandat pour solidifier avec leurs bases électorales ou renouer et renouveler leur affiliation en posant quelques actions caritative et humanitaire. Les électeurs qui constituent le corps électoral ne sont plus dupes. Ils savent distinguer les vrais interlocuteurs de faux qui siègent à l’hémicycle du Palais du Peuple. Ainsi, pour des raisons de crédibilité et d’honneur, les candidats qui n’ont pas contribué au développement de leurs bases peuvent se taire et laisser leur place aux autres, c’est-à-dire les nouveaux aspirants politiques. Par conséquent, ces candidats peuvent s’aligner sur l’une ou l’autre expression du silence.
Nous pourrions dire que la langue française dispose de tout un arsenal d’expression pour désigner ou attester le silence de la part d’un interlocuteur. Il s’agit notamment de : « silence complice », « silence coupable », « silence radio », « passer sous silence », « garder silence », « silence des morts », etc. En tant que candidat, il est nécessaire d’opter pour telle ou telle autre expression de silence qui convient à sa carrure politique. « La parole est d’argent, le silence est d’or », dit-on.
Si les silences sont multiformes et polysémiques, silence et parole restent organiquement tissés l’un à l’autre, inséparables comme les deux faces d’une même pièce de monnaie, ajoutent D. Barbet et J.-P. Honoré (2013 : 10). Dans ce cas, l’homme, au besoin, le candidat, ne dispose que de deux activités dont il doit choisir l’une: se taire et/ou parler.

3.2. Il faut à tout prix « éviter » ou « raréfier » la parole : Stratégie du flou

« Ce qui est rare coûte cher ». « Il y a un temps pour se taire, comme il y a un temps pour parler », dit-on. Cette stratégie discursive d’évitement ou de raréfaction permet aux candidats de mesurer la teneur de leur discours. Ici, nous recommandons aux candidats soit d’éviter de prendre la parole devant une base électorale délaissée, oubliée ou sacrifiée pendant toute une mandature, soit de raréfier la parole pour ne pas trop exposer les failles politiques, au besoin, les échecs politiques observables.
Partant de la conception de D. Barbet et J.-P. Honoré (2013 : 14) qui définissent le silence politique comme « celui d’un homme prudent, qui se ménage, se conduit avec circonspection, qui ne s’ouvre point toujours, qui ne dit pas tout ce qu’il pense, qui n’explique pas toujours sa conduite et ses desseins ; qui sans trahir les droits de la vérité, ne répond pas toujours clairement, pour ne point se laisser découvrir », à notre avis, l’ensemble de ces éléments tels que épinglés par les auteurs nous conduisent à une stratégie de flou. Lorsqu’un candidat ne dit pas tout ce qu’il pense et ne répond pas clairement aux interrogations de sa base électorale, c’est le flou qui reste le maître permanent.
Dans la vie sociale, un citoyen qui ne veut pas s’attirer des ennuis évite de parler trop dans son entourage. Il conjugue l’effort de ne pas trop entrer en communication intersubjective avec tiers. Ce principe vaut également pour les hommes politiques. Lorsqu’on est conscient du non-respect de ses promesses électorales, il est important de raréfier sa parole pour ne pas verser dans les verbiages. D. Barbet et J.-P. Honoré (2013 : 12) poursuivent en disant que « pour ce qu’il est convenu d’appeler les dérapages verbaux, tous les silences des locuteurs politiques ne sont pas volontaires ni contrôlés, et ils peuvent toujours faire l’objet d’interprétations variées ou contradictoires ».

Dans nos sociétés contemporaines, il existe des femmes et hommes dans chaque coin ou contrée du pays dont la notoriété n’est plus à démontrer. Ce qui pousse les habitants de ces contrées à les appeler, nommer et/ou qualifier de leaders. Et ils sont comptés par des dizaines dans nos contrées, au besoin, au Congo profond. Dans leurs sorties publiques, ils réclament le leadership. Pourtant, un politique est soit un leader populaire, soit un leader populiste. Le leader populaire est celui qui a la confiance de la population. Par contre, le leader populiste est celui qui se cache derrière ses échecs en pointant les autres ou prend pour discours les victimes d’un régime.
En effet, G. Couffignal (2016 : 27) considère le discours populiste comme celui qui cherche à conquérir et à conserver le soutien des déclassés en recherchant les mouvements fusionnels. Faisant principalement appel aux ressorts de l’émotion, il n’hésite pas à flatter les sentiments parfois refoulés de son auditoire.

3.3. Présentation du « bilan » : tremplin des futurs (ré) élus

Le candidat doit disposer des arguments ensorceleurs s’il veut être écouté et atteindre son auditoire qui est, d’une part, sa base électorale, d’autre part, ses électeurs. Lorsqu’un candidat a un bilan (largement) positif à présenter devant les électeurs, il détient la clé de son élection ou de sa réélection.
Il faut noter que les discours tenus pendant la campagne électorale renferment non seulement les promesses, mais aussi des décisions futures. Cependant, tous les candidats n’ont pas le pouvoir décisionnel après leurs élections. Par exemple, un député ne dispose que de deux missions qui lui sont reconnues par la constitution, le pouvoir de légiférer et celui de contrôler les actions du gouvernement. Mais lorsque ce dernier fait des promesses à ses électeurs, il doit tenir compte de la limitation de ses actions humanitaires. Raison pour laquelle, P. Charaudeau (2013 : 8) pense que la parole qui se déploie en temps de conquête du pouvoir est une parole de promesse, en temps d’exercice du pouvoir elle est de décision.
Il y a des politiciens qui sont toujours très proches de leurs bases. Ils posent des gestes socio-humanitaires et surtout caritatifs. Cette catégorie d’élus est la bienvenue lors des prochaines échéances électorales.

La population bénéficiaire de ses actions s’approprie sa candidature et elle est prête à battre campagne en faveur d’un tel candidat. Ce dernier n’a pas de longs discours à tenir car ses actions sont tellement éloquentes et valent deux fois plus que sa parole. Ceci est visible sur les outils de marketing politique qu’utilisent nos candidats. Les affiches électorales sont imprimées avec les actions réalisées par le candidat. Il met à la place publique les actions concrètes réalisées lors de sa mandature. Cette stratégie met en exergue la visibilité du candidat.
En conséquence, le candidat ne parlera plus beaucoup aux électeurs. Ses actions socio-humanitaires sont d’une grande utilité et joueront en sa faveur. P. Charaudeau (2013 : 17) souligne que « les mots seuls ne signifient pas en soi. Les mots seuls ne disent que ce qu’ils disent, pas ce qu’ils signifient ». Dans ce contexte, les actes promissifs des candidats ne suffisent pas pour convaincre les électeurs. C’est en ce moment que l’arsenal des actions concrètes du candidat mérite son pesant d’or. D’ailleurs, certains électeurs lancent des cris lors des rassemblements politique ou électoral qu’ils ne mangeront pas de papiers encore moins de promesses. D’autres estiment qu’il faut garantir l’élection en posant un geste caritatif dans la société où vivent les électeurs. C. Viktorovitch (2021 : 265) note qu’une situation est davantage susceptible de nous toucher dès lors qu’elle nous paraît proche, familière ou matérialisée. Un politicien qui érige une fontaine ou un forage d’eau, par exemple, reste plus proche de cette population que celui qui n’a rien réalisé pour cette dernière.
Lorsqu’un candidat passe son quinquennat aux côtés de la population électrice, sa campagne a réussi d’avance et parfois, ce candidat reçoit lors de ses discours des claptraps comme dans la rhétorique anglo-saxonne.

4. Entre objectivité et subjectivité politique : la falsification du discours

Dans la suite de la trilogie que nous venons d’exposer ci-dessus, il existe un moment politiquement fort et indiscutable, celui de la falsification du discours par les politiciens. Au début de la 3ème législature de la 3ème République, nous avons assisté à la transhumance exponentielle dans l’espace politique congolais. Ceux qui étaient avec le régime sortant, ont rejoint le régime entrant. Dans ce contexte, il se pose une question celle de savoir : est-ce l’homme politique congolais subjectif ou objectif ? La réponse à cette question nous amène à la compréhension d’un discours falsifié pour des raisons de positionnement politique.
L’analyse des marques de l’objectivité et de la subjectivité est celle du discours oratoire des candidats aux élections, des dépositaires incontestables des marques de la subjectivité lors de leurs prises de parole en public, bref devant leurs électeurs. Les candidats ne sont pas toujours sincères dans tout ce qu’ils disent. Ils créent des situations inédites dans le seul but de conquérir ou de conserver le pouvoir. Pourtant, la loi de sincérité selon D. Maingueneau (2012 : 15), concerne l’engagement de l’énonciateur dans l’acte de discours qu’il accomplit. Lorsqu’un politicien se déclare tshisekediste, kabiliste, fayuliste, bembiste, mobutiste, lumumbiste, etc., il doit l’assumer jusqu’au bout. C’est une question de conviction politique. Et la population sait qu’un tel appartient à telle idéologie (courant) politique. Parfois, nous assistons à la transhumance politique, laquelle laisse les électeurs sans mots. Surtout, cette stratégie de nos politiciens crée une cacophonie au sein de la société.

En conséquence, l’espace politique devient polémique, un territoire où personne ne renonce pas à polémiquer contre son adversaire, mais, au contraire, on poursuit la polémique afin de déstabiliser l’autorité possible de l’adversaire, autorité gagnée par le discours. La polémique naît de la contradiction, du conflit d’intérêts des diverses personnes ou groupes qui visent à acquérir le pouvoir. Ayant en vue les particularités de la communication politique et du discours performé à l’intérieur de celle-ci, les marques de la subjectivité reçoivent une valeur perlocutionnaire.
La législature passée, il y a des élus ou des candidats qui avaient battu campagne pour tel ou tel autre candidat à la présidentielle, mais au cours de la même législature, ils ont changé de camps politique sous prétexte de s’aligner du bon côté de l’histoire politique du pays.
Cependant, les électeurs fondent leur espoir dans un sauveur, leur prédisposition à rêver et leur naïveté ont donné aux politiciens et aux leaders, en général, la possibilité d’utiliser avec succès le mythe de « l’homme solution, Papa solution, Sauveur, molobeli ya (…), l’espoir ya bana ya (…), etc. » en obtenant des effets persuasifs incontestables sur l’électorat. R. Amossy (2010 : 186) estime que « Les énoncés qui ne renvoient explicitement à aucun « je » trouvent néanmoins en lui leur origine, qu’ils peuvent manifester des traces de subjectivité plus ou moins discrètes ». Dans le contexte de l’action, la manifestation de la subjectivité du locuteur devient une forme d’action, c’est-à-dire, d’influence.
 

Conclusion

Dans cet article, nous voudrions théoriser le discours pré- et pendant la campagne électorale. Etant dans une année électorale, notre propos s’adresse non seulement aux différents candidats, mais aussi à tous les hommes qui souhaiteraient briguer ou obtenir un mandat du peuple.
Ainsi, la trilogie silence, raréfaction et bilan nécessite une observation des leaders politiques. Partant de son mode opératoire, le candidat ou le politique se contente d’opter pour l’un de ces trois concepts sus-évoqués. Le silence ne signifie pas la lâcheté de la part de son observateur, encore moins un manque à dire, par contre, une stratégie mûrie par son initiateur pour une fin quelconque. Cependant, la raréfaction de la parole est une stratégie langagière qui caractérise le flou car son observateur met les gens dans une situation difficile, compliquée. Or, la présentation du bilan reste le seul moyen sans doute le plus admiré par la population ou les électeurs.

Dans notre quotidien, il est souhaitable que l’homme soit objectif dans ce qu’il entreprend en lieu et place d’être subjectif surtout pour amadouer les autres. Les belles paroles et les beaux discours qui touchent les électeurs n’ont rien à voir avec leurs matérialisations. Dans la théorie du bilan, ce sont les actions qui parlent plus et au nom de leur réalisateur.
Avec l’évolution de mentalité et surtout avec l’éveil de conscience, le politicien ne doit plus se contenter de son discours démagogique pour bénéficier de la confiance des électeurs. La réussite à une élection se prépare par rapport aux ambitions du candidat.

Bibliographie

- Amossy, R. (2010), La présentation de soi. Ethos et identité verbale, Paris, PUF.
- Barbet, D. et Honoré, J.P. (2013), « Ce que se taire veut dire. Expressions et usages politiques du silence », Mots. Les langages du politique, n°103, pp. 7-21. - Charaudeau, P. (2014), « L’art de mentir en politique », Revue Sciences Humaines n° 256, rubrique « Focus », février 2014, consulté le 2 octobre 2023 sur le site de Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications.
- Charaudeau, P. (2013), La conquête du pouvoir. Opinion, persuasion, valeur. Les discours d’une nouvelle donne politique, Paris, L’Harmattan.
- Couffignal, G. (2016), « Le discours populiste. Ressource incontournable du leadership politique contemporain ? » in Donot, M. et al. (sous la dir), Leaders et leaderships dans les démocraties contemporaines, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, pp. 23-32.
- Lahiani, N. (2016), « La place de l’éthos dans les stratégies des discours politiques », in Fidel Corcuera, J. et al., Les discours politiques. Regards croisés, Paris, L’Harmattan, pp. 422-434.
- Maingueneau, D. (2012), Analyser les textes de communication, Paris, Armand Colin.
- Viktorovitch, C. (2021), Le pouvoir rhétorique. Apprendre à convaincre et à décrypter les discours, Paris, Seuil.

Par Alain ISHAMALANGENGE NYIMILONGO, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024