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Compte rendu : J.J. Bola, Nulle part où poser sa tête, roman, tra-duit de l’anglais par A. Bargel, Mercure de France, 2022, 318 p., Collection « Bibliothèque étrangère »

ISBN : 978-2-7152-5698-9

(Titre original : Joujou Oseki Bola, No place to Call Home, 2017).
La lecture des 38 chapitres de ce roman, discrètement répartis en deux volets (I : chapitre 1er-chapitre 24, pp.9-198 ; chapitre 25-chapitre 38, pp.199-314) ne saurait guère laisser indifférent. Tellement ce roman distille une incertitude des plus poignantes et vous plonge, de la première à la dernière page, dans une angoisse existentielle.

Roman de la violence ambiante, plutôt des efforts pour se maintenir et tenter de survivre dans l’ambiance violente, où que l’on se tourne -dans un monde qui vous rejette, vous reniant le droit à l’existence pai-sible.
L’auteur, un jeune congolais vivant à Londres, poète, romancier, éducateur et depuis 2018 ambassadeur du Haut- Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, a bien saisi et présenté ici le pro-blème de l’immigration en général, mais plus particulièrement sous son aspect de l’intégration, laquelle intégration comporte, à la fois, la facette de l’insertion (des immigrés) dans un univers socio-économico-culturel différent et de l’acceptation (de ces « corps étran-gers ») dans ledit univers.

J.J. Bola a su camper le conflit vécu par les personnages : autour d’une divergence de perception d’un acte simple, celui de travailler. Travailler pour la scolarité des enfants, travailler pour venir en aide aux membres de famille restés au pays :
« Papa travaillait, travaillait, travaillait. C’était son devoir, à ses yeux. Il aurait, si possible, travaillé toutes les heures de chaque jour, renonçant au sommeil… Rien d’autre n’occupait papa que son travail et sa fa-mille » p.16).

Travailler ? C’est précisément ce que le juge d’instruction va lui opposer comme un crime :
« Vous êtes tenu de rembourser la somme totale des impôts non payés pour votre deuxième emploi que vous n’avez pas déclaré. En outre, en raison de votre statut d’immigré, un contrôleur judiciaire vous sera as-signé, lequel sera responsable de l’évaluation de votre cas et de son is-sue » (p.295).

Dans ce climat d’incertitude du lendemain, le même contrôleur ju-diciaire va jusqu’à prononcer, sans détour ni ménagement, le mot fati-dique :
« Vous réalisez qu’à cause de cela, je dois prendre une décision et que cela pourrait avoir un effet non seulement sur vous, mais aussi sur votre famille. Vous pourriez voir votre demande de statut rejetée, ce qui si-gnifie que vous seriez expulsé. » (p.296).

Et dire que le père a, de tout temps, caché à ses deux enfants (Jean et Marie) la précarité de la situation où se trouve la famille :
« Je voulais vous protéger, pour que vous n’ayez pas à vous inquiéter comme nous. Pour que vous n’ayez pas à ressentir la peur, à chaque ins-tant, comme nous. » (p.311).

Cet aveu poignant survient lorsque Jean, enfant dissipé, a changé de comportement : de turbulent qu’il était, il a quitté le groupe des cancres de sa classe, les mauvaises fréquentations du collège, les élèves turbulents et indisciplinés. Au prix d’énormes efforts, l’enfant fait désormais partie du groupe des condisciples cool. Joie et fierté se mêlent au sentiment d’exister, chez ce garçon. Ayant réussi brillam-ment aux examens de la fin de l’année scolaire, il est récompensé, pour la première fois de sa vie ! Et devant sa jeune soeur, il brandit triomphalement l’enveloppe reçue du collège : « C’est l’invitation à faire le voyage scolaire en France. C’est une récompense. »

Mais ce déplacement à Boulogne, Jean, lui seul parmi tous ses ca-marades, ne peut pas l’effectuer. Pourquoi donc ? Son père a de l’embarras à lui avouer pourquoi ce voyage est impossible.
« Je peux faire ce voyage, papa ? Papa mit du temps à répondre, il se dé-plaça sur le canapé, puis se redressa. Tout son comportement avait changé en l’espace de quelques secondes ; il était passé d’un sourire complet, avec les dents de devant aussi droites que jamais, à un visage sérieux et des sourcils froncés. Sa voix était maintenant plus grave. Non. Tu ne peux y aller parce que…nous n’avons pas de passeports. Non. Aucun de nous n’en a ; moi, ta mère, Marie…nous ne pouvons al-ler nulle part. Nous sommes des réfugiés, mon fils. Qu’est-ce que c’est, un réfugié ? Un réfugié, c’est simplement quelqu’un qui essaie de se trouver un chez soi. » (p.196-198).

Et où, en vérité, un Africain peut-il trouver un « chez soi », ailleurs que sur le continent africain ? C’est ce qui transparaît à travers cette expression d’angoisse à la fois et de désespoir : « Au fond de notre coeur, nous sommes tous à la recherche d’un endroit que nous pou-vons appeler chez nous. » (p.279). Comble d’ironie, papa est ébahi qu’ailleurs, principalement en Occident, « les Noirs soient si bien ac-ceptés dans le sport, la musique, mais pas dans la société ».
Certaines oeuvres littéraires ont la capacité de vous bouleverser, d’étreindre votre âme jusqu’à vous marquer de leur empreinte indélé-bile, comme les oeuvres de Rabindranath Tagore, de Charles Baude-laire ou de Jean Joseph Rabearivelo.

Nous ne pouvons toutefois pas manquer de faire observer ce qui est dit de Bakanja (p.106) « qui avait farouchement résisté à la tentative du missionnaire de le convertir au christianisme et avait persisté fer-mement dans ses traditions ancestrales jusqu’au moment où on l’avait tué. »

N’est-ce pas plutôt l’inverse ? Nous croyons plus proche de la véri-té d’affirmer que Bakanja a résisté aux tentatives de lui faire abjurer sa religion, le christianisme. Bakanja, converti au christianisme, devant faire face à son patron blanc, un incroyant, un athée impitoyable qui l’a fait fouetter à mort.
Pour terminer, nous souhaitons une fructueuse carrière à JJ Bola, dont le talent est manifeste et qui a réussi à mettre en pratique, à bon escient, sa riche formation à la création littéraire acquise à l’université de Birkbeck.

Gabriel Sumaili Ngaye-Lussa
 

Par Sumaili Ngaye-Lussa Gabriel , dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024