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La pratique du français en milieu estudiantin

de l’Université de Kinshasa : défis et perspectives

Gabriel SUMAILI NGAYE-LUSSA*

gabalise@gmail.com

Résumé

L’embarras de la plupart des étudiants dans leur expression tant orale qu’écrite en français, langue pourtant censée être maîtrisée à la fin de la scolarité secondaire, handicape leur compréhension des matières enseignées. Certaines pistes de solution se trouvent ici esquissées, destinées à outiller l’étudiant dans la gestion quotidienne de sa situation de diglossies enchâssées (cf. Calvet, 1987 : 47) français-langues nationales et langues nationales-langues vernaculaires. 

Mots-clés : pratique, français, étudiants, université, RDC.

Introduction

   A l’occasion de cette Journée de la Francophonie1, nous avons l’honneur et non moins le plaisir d’apporter notre modeste contribution devant un aréopage d’auditeurs select et, nous le présumons, férus de la pratique de la langue française dans l’environnement de nos langues nationales et de nos langues vernaculaires.

 

   L’exposé de ce jour est axé sur « La pratique du français en milieu estudiantin de l’Université de Kinshasa : défis et perspectives ». Il s’ouvre sur l’observation faite par de très nombreux linguistes et hommes de culture, parmi lesquels Ngalasso Mwata Musanji (2008 : 32), Professeur à l’Université Bordeaux III Michel Montaigne, qui a observé l’attitude ambiguë des locuteurs, faite d’attirance à la fois et de désaffection, face au français, langue qui pourtant se présente « comme un facteur possible d’unification nationale » et qui, de surcroît, « pour beaucoup, constitue le moyen le plus sûr d’accès au savoir et au pouvoir, donc d’ascension sociale ».

 

   André Nyembwe Ntita (2010), ancien Directeur Général du Centre de linguistique théorique et appliquée (CELTA), a déploré, quant à lui, que l’usage des langues nationales à l’Université détrône celui du français. S’interrogeant ensuite sur le devenir du français en République Démocratique du Congo, A. Nyembwe et S. Matabishi (2012 :109) ont relevé que « la jeunesse en avait changé la perception et que cette jeunesse le pratiquait de moins en moins et de plus en plus mal. » 

 

    Pour sa part, Sim Kilosho Kabale de l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (IFASIC), en quête de pistes de solution pour gérer le multilinguisme et le plurilinguisme dans les universités des Grands Lacs et de l’Afrique centrale, affirmait récemment : « Les enseignants se lamentent à propos de la baisse du niveau en français, ce qui donne une idée sur le type d’étudiants admis dans les Universités en RDCongo » (Kilosho Kabale, 2013 : 37).

 

   En ce qui nous concerne personnellement, nous avons eu l’occasion de souligner cet embarras qu’éprouvent les étudiants : 

« Il a été maintes fois constaté que l’échec lors des examens, interrogations, travaux pratiques et travaux dirigés provenait, pour l’essentiel, des défaillances graves dont les étudiants font malheureusement montre : leurs copies sont émaillées de tant d’insuffisances » (Sumaili Ngaye-Lussa, 2016 : 59).

 

   Ces difficultés qui transparaissent aisément à l’écrit, sont aggravées par un désintérêt manifeste pour ce qui est de communiquer oralement, alors que l’expression orale est primordiale dans la maîtrise d’une langue vivante, et que l’usage d’une langue est déterminé tant par la nature des relations qui existent entre inter-actants que par la situation de communication qui les réunit. Pourquoi donc un universitaire, sur le site de l’Université, ne s’adresserait-il pas à son interlocuteur universitaire selon leur rang d’universitaires, conformément aux principes qu’énonce D. Baril (2008 : 120) et qui exigent au locuteur d’adapter son langage au destinataire ?

 

   Notre exposé évoluera autour de trois points, à savoir : partant du constat sur les difficultés de la pratique de la langue française, il s’attachera ensuite à scruter les défis ou pesanteurs qui s’avèrent être à la base de cet état des choses, pour enfin déboucher sur une esquisse de pistes de solution.

 

I.-Le français à l’Université : véhicule des connaissances  

1.1 L’Université de Kinshasa

       L’Université de Kinshasa, créée sous l’appellation d’Université Lovanium2, a ouvert ses portes en 1954, en tant que première institution universitaire congolaise, avec des étudiants inscrits en année préparatoire. Mais c’est l’arrêté du 03 février 1956 qui a donné légalement à Lovanium le titre d’Université (Ndaywel, 1998 : 506).

 

   Depuis lors, le parcours universitaire a connu, au Congo, deux réformes : celle de 1971, centralisatrice, qui a procédé à la création de l’Université nationale du Zaïre (UNAZA) et celle de 1981 qui a redonné l’autonomie aux Universités et Instituts supérieurs.

 

1.2 Le Département des Lettres et civilisation françaises

       A l’Université de Kinshasa, le Département des Lettres et civilisation françaises est l’une des cellules de base de la Faculté des Lettres et sciences humaines. Si son fonctionnement ne remonte qu’à la reconstitution de la Faculté des Lettres opérée à Kinshasa en 1993-1994, cependant l’existence même de la Philologie romane se confond avec celle de la création de l’Université Lovanium en 1954.

 

   En effet, au sein de la Faculté de Philosophie et Lettres, c’est la Philologie romane qui fut créée en tout premier lieu, démarrant avec, d’une part, le Baccalauréat préparatoire au grade de Docteur en droit et, d’autre part, les Candidatures conduisant au grade de Licencié en philologie romane (Sumaili, 2017 : 8).

 

   Il importe de noter que l’Université s’est fixé, comme idéal, d’évoluer dans l’étroite ligne de l’exigence tracée par ses fondateurs, avec un enseignement et une formation guidés par la créativité et l’innovation, bref : l’excellence. Cette exigence imposait, notamment, l’admission en Philologie romane des seuls étudiants ayant soit suivi la section littéraire aux humanités, soit appris le latin antérieurement, id est : en Propédeutique3.

 

   L’objectif principal du Département des Lettres et civilisation françaises consiste « à construire un fondement épistémologique autour de la littérature et de la linguistique françaises, donc de former des spécialistes en français » (Mbuyamba, 2005 : 1).

 

   C’est pourquoi le Département apporte de manière spécifique un programme de formation et d’encadrement dans la maîtrise de la langue, outil de communication, et dans l’analyse et/ou la production des œuvres littéraires.

 

   Ainsi, dans le domaine des compétences culturelles au sens large (linguistiques, littéraires, etc.), le Département vise concrètement à former des cadres au profil épanoui, des cadres à même de transcender l’apparente fraction de l’enracinement face à l’ouverture au monde (Sumaili, 2017 : 8).

 

1.3 Le français, langue de transmission des connaissances

   Dans le cadre de son statut de langue officielle en République Démocratique du Congo, le français est véhicule de l’enseignement universitaire. Cette fonction recouvre deux versants distincts, l’un aussi vital que l’autre, mais généralement non perceptibles, à savoir :

a) la compréhension correcte des matières enseignées, et la prise de notes conformes ;

b) la restitution correcte des matières enseignées, lors des examens (et des interrogations qui les précèdent), examens qui sont des épreuves légales liées aux titres académiques à décerner.            

 

   De ce point de vue, Bamba Ntongo (2007 : 9) n’a pas eu tort lorsqu’il évoque la « difficulté d’expression française [qui] handicape la compréhension de la matière enseignée et cause de nombreux échecs. » Le rapport de cause à effet entre déficiences d’une langue et échecs scolaires n’a-t-il pas déjà été établi par le linguiste B. Bernstein (1975) ?

 

   Concomitamment à cette fonction de véhicule de l’enseignement dans le système éducatif, il n’est pas sans intérêt d’évoquer ici, avec A. Nyembwe et S. Matabishi (2012 : 110) les créneaux porteurs attachés à son statut de langue officielle et qui assurent au français sa place prépondérante : le fait d’être langue de communication internationale, et d’être la langue de l’administration, son acquisition préscolaire de plus en plus répandue dans de nombreuses familles de Congolais scolarisés, son importance dans les médias audio-visuels et dans la presse écrite, le bain linguistique francophone de l’environnement congolais et enfin le fait que les Congolais donnent l’impression d’aimer cette langue, tant ils aiment y recourir dans leurs propos4.

 

   Ce sont ces créneaux qu’a mis en évidence Manduku Sasa (1996 : 113) qui préconisait, en raison des impératifs du développement, « le maintien du français, voie d’accès au monde international, à l’information scientifique et technique, à la culture d’autres hommes et d’autres peuples et moyen d’insertion dans les circuits économiques mondiaux ».

 

II.-Les défis  et pesanteurs

   Il est temps de nous interroger sur ces pesanteurs. En d’autres termes, d’où proviennent ces malaises dans le maniement de la langue française ? Quels sont ces défis qui se présentent à l’étudiant ? Sous quelle forme se présentent ces difficultés d’expression, alors que de tout temps, les hôtes de la « Colline inspirée » se distinguaient par le verbe ?

   Ces écueils à surmonter sont d’ordre psycho-socio-culturel. Ils peuvent être schématisés en trous groupes :

-Les zones d’ombre ou lacunes accumulées tout au long du cycle secondaire,

-Le complexe du milieu, qui provoque l’abdication du statut d’étudiant,

-La perception erronée de la langue française.

 

2.1 Les zones d’ombre ou lacunes accumulées

   Avant qu’ils ne soient admis à l’Université, les étudiants sont censés maîtriser le français, tant il est vrai que ce n’est guère au niveau de cette institution que l’on fait l’apprentissage de cette langue. Or,

 « bon nombre de jeunes ont traversé leur cycle de formation secondaire sans maîtrise des exercices d’écriture du français, sans aisance dans le maniement oral de la langue, ni accès par la lecture à des textes écrits. » (Sumaili, 2016 : 9).

 

   Ces lacunes, dont l’ampleur varie bien sûr d’un jeune à l’autre, selon la qualité des écoles fréquentées, proviennent notamment de facteurs ci-après :

-le non-respect des programmes d’enseignement, la plupart des promoteurs d’école mettant davantage l’accent sur leur gain financier ;

-l’inaccessibilité aux manuels et autres matériels scolaires, les parents étant incapables de munir leurs enfants de ces supports didactiques (lesquels existent pourtant bel et bien) ;

-l’absence de bibliothèques scolaires et, là où existe une bibliothèque, le désintérêt des élèves ;

-la situation précaire des maîtres, démotivés par leurs conditions salariales ;

-la sous-qualification des maîtres qui dispensent l’enseignement du français.

    A ce sujet, trois auteurs, O. Manisa, C. Ngiengo et P. Detienne (1999 : 3-4) esquissent un diagnostic judicieux :

« La faiblesse du français de la plupart des élèves et étudiants du Congo vient, en partie, du manque de connaissances (…) : ils entendent une phrase, en comprennent tous les mots mais ils ne comprennent pas le sens de la phrase ou, ce qui est plus grave, ils croient l’avoir compris… mais ce n’est point le sens de ce qui a été dit. »

 

2.2 Le complexe du milieu de vie

   Par complexe du milieu de vie, nous entendons le fait que, par la loi du moindre effort, l’étudiant abdique son statut d’universitaire pour s’aligner à son entourage.

 

   En effet, une enquête menée en 2005-2006 a, en conclusion,  attribué cet état des choses à ce complexe du milieu de vie : « Le fait d’entendre tout le monde pratiquer la forme populaire d’une langue africaine, sans souci de l’aspect écrit, crée un complexe qui entraîne au nivellement par le bas… Les étudiants, quant à eux, n’ont pas compris qu’il existe une différence entre la cité et le milieu universitaire » (Enquête, G2 Sciences de l’Information et de la Communication5).

 

   Où réside, en réalité, le problème de ce second défi ? C’est lors du passage, à l’oral, de la forme populaire d’une langue africaine à la forme standard du français, lorsque l’on sait que le locuteur s’exprimant en français, langue écrite, est inconsciemment amené à visualiser les formes graphiques et morphologiques, tandis qu’en lingala, par exemple, langue essentiellement orale, cette préoccupation est absente.

 

   C’est dans cet état d’esprit que la langue française apparaît à d’aucuns de plus en plus difficile à maîtriser ; par voie de conséquence, ils la pratiquent de moins en moins, gênés qu’ils sont par leur sentiment d’insécurité linguistique (cf Calvet et Moreau, 1998). A quoi bon, se disent-ils, fournir un effort quelconque, à quoi bon chercher à se mesurer à ce qui paraît comme un obstacle infranchissable ?

2.3 La perception erronée de la langue française

   La République Démocratique du Congo est, sans conteste, un pays multilingue et multiculturel à la fois. Voilà pourquoi le phénomène de perte de repères est observé chez maints étudiants, qui ne parviennent guère à gérer le colinguisme français-langues nationales dans leur vécu quotidien.

 

   Langue d’implantation coloniale, le français en République Démocratique du Congo s’est retrouvé, de fait, langue officielle administrative et judiciaire, en vertu de l’ordonnance signée le 14 mai 1886 par l’Administrateur Général de l’Etat Indépendant du Congo (EIC). Mais, de cette réalité tirant sa genèse de la présence belge (EIC jusqu’en 1908, Colonie jusqu’en 1960), qu’est-il advenu depuis l’accession du pays à sa souveraineté le 30 juin 1960 ?

 

   Sans entrer dans les détails (Loi fondamentale du 19 mai 1960, Constitution du 1er août 1964 dite Constitution de Luluabourg, Constitution de 1967 ainsi que ses principales modifications, Projet de Constitution de la Conférence Nationale Souveraine de 1992, etc.) notons que la langue française (cf Matumele Maliya, 2002) a gardé jusqu’à ce jour, en République Démocratique du Congo, son statut de langue officielle : la Constitution actuelle (adoptée par référendum en décembre 2005 et promulguée le 18 février 2006) stipule en son article 1er, alinéa 7 : « Le français est sa langue officielle ».

 

   Ce qui précède ne pourrait guère se comprendre si l’on ne prend en compte les politiques linguistiques menées en République Démocratique du Congo dans le choix des langues d’enseignement, choix que nous pouvons synthétiser comme suit (cf Nyembwe Ntita, 1981) :

-dès 1962, l’intensification de l’enseignement en français à tous les niveaux,

-de 1975 à nos jours, l’enseignement dans la langue nationale de l’aire linguistique concernée est instauré, plutôt réinstauré, dans les deux premières années du primaire, c’est-à-dire au degré élémentaire.

   Notons d’emblée trois faits, par rapport au jeune locuteur congolais :

  1. le rôle primordial de la scolarisation, dans son acquisition, fait du français une langue acquise à l’école ;
  2. schématiquement, si le contexte de l’écrit privilégie à coup sûr l’emploi du français, en revanche, dans la conversation ordinaire, le locuteur moyen recourt aux langues nationales, s’agissant surtout d’échanges sur la musique, le théâtre populaire, le sport et aussi le domaine religieux. C’est que la situation sociolinguistique de la République Démocratique du Congo se caractérise par des diglossies enchâssées : français-langues nationales et langues nationales-langues vernaculaires ;
  3. à partir de l’année 1990, pendant que l’amorce de la démocratisation suscite une  efflorescence de journaux en français et que la détérioration des conditions d’enseignement amenuise la maîtrise du français chez les élèves, un nombre de plus en plus croissant des enfants acquiert le français en famille, préalablement à l’école maternelle, en milieu urbain et dans les familles de parents lettrés, amplifiant ainsi la tendance que Ngalasso Mwatha Musanji (1985) avait indiquée ; ces enfants ont, dès lors, le français comme langue maternelle.

 

   La confirmation de cette tendance vient donc perturber l’entendement de « langue maternelle » qui n’est plus, nécessairement, une quelconque langue ethnique du Congo.

 

III.-Les pistes de solution

    Aux trois défis sus-évoqués (les zones d’ombre, le complexe du milieu, la perception erronée du français), qui freinent la pratique du français en milieu estudiantin, qu’il nous soit permis, à présent, de suggérer un certain nombre de remèdes, au titre de voies de sortie.

 

   Ces propositions s’adressent bien sûr, en premier lieu, aux étudiants qui sont les principaux concernés. Nous formulons ensuite différentes recommandations aux responsables de la formation du cycle secondaire, suivies de celles destinées aux encadreurs du niveau universitaire. Nous terminerons par des suggestions adressées à l’Etat congolais.

 

3.1 Du côté de l’étudiant

   Le premier faisceau des recommandations a pour cible l’étudiant. Il lui appartient de faire le premier pas, en faisant siennes ces propositions dont l’application strictement volontaire lui  apportera, tant bien que mal, les premières solutions.

 

3.1.1 La trilogie lire-parler-écrire

   Lire : sait-on que, par exemple, bon nombre d’étudiants ne lisent même pas les syllabus des cours qu’ils se sont procurés, l’essentiel étant de passer en année supérieure au motif que l’on a acheté le syllabus !

Parler : non seulement l’insécurité linguistique inhibe les étudiants qui, de peur de moquerie, n’osent s’exprimer en français (cf Zombe Ezaba, 2018), mais aussi un indéfinissable besoin de s’identifier idéologiquement comme véritable kinois (habitant de Kinshasa la capitale, par opposition à quiconque provient de l’intérieur) incite au rejet de l’expression en français.

Ecrire : c’est lors des dictées que se manifeste premièrement le malaise, lequel s’érige en barrière lorsqu’il est question de rédiger le mémoire de licence ; de sorte que malgré l’allongement officiel du délai de dépôt en février de l’année suivante, nombreux sont ceux qui n’en profitent pas.

 

   Il s’agit de combler ces lacunes profondes, condition sine qua non de réussite à l’Université. Mais ceci n’est réalisable, bien sûr,  que par un acte de volonté de l’étudiant lui-même, une décision librement consentie. 

 

   Au nombre de conseils prodigués par Nathalie Porte (2015) pour améliorer l’expression, notons :

1. Parlez régulièrement quel que soit votre niveau.

2. Entraînez-vous seul(e) et écoutez-vous.

3. Ecoutez du français tous les jours, comprenez et répétez.

4. Cherchez des interlocuteurs francophones.

5. Ne soyez pas trop pressé(e) ni exigeant(e).

 

   L’étudiant est donc appelé à prendre conscience de ces exigences ; à se sentir interpellé par ses propres lacunes ; à intérioriser le fait que dans son propre intérêt, il est tenu de mettre à profit les trois années de son premier cycle universitaire (le Graduat) pour y parvenir.

 

   Il y a là une alternative : ou opérer en soi une reconversion de mentalité, ou garder le statu quo suicidaire. Celui ou celle qui aura souscrit au premier choix, peut être assuré de sa réussite. Car cette impulsion l’entraînera et le confortera quotidiennement dans la production d’énoncés oraux et dans la lecture individuelle de textes écrits en français.

3.1.2 Un sursaut d’universitaire

   Le Manuel de cours d’expression orale et écrite (2013) à l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) reconnaît que même les fonctionnaires éprouvent, dans l’exécution de leurs tâches administratives, des difficultés d’expression en français ; et, pour améliorer l’usage du français parlé et écrit, l’ENA préconise les comportements suivants qui constituent les conditions favorables à la bonne expression :

-Aimer la lecture des ouvrages (…) pour s’habituer autant avec la diction qu’avec l’orthographe des mots (français).

-Assister à des conférences, aux exposés, bref à des séances culturelles organisées en français (théâtre classique, dramatisation, débat, discussion, émission télévisée, radiodiffusée, etc.).

-Avoir des connaissances générales dans des disciplines qui ont des rapports avec la langue française et qui obligent, à ce titre, le locuteur francophone à s’exprimer en public, à communiquer un message donné. 

 

   A quoi l’étudiant consacre-t-il les quatre heures perdues d’un cours raté (en cas d’absence du titulaire ou d’indisponibilité d’un local) ? Pour la quasi-totalité des étudiantes et étudiants, avons-nous observé, à des discussions oiseuses. Sur quels sujets ? A propos des équipes de football, des musiciens, des partis politiques, etc. Au lieu de passer ces heures précieuses dans le recueillement d’une bibliothèque au travers de la lecture de quelque ouvrage scientifique.

 

   Le sursaut que nous préconisons, en tant que « réaction par laquelle on se dresse ou on se redresse brusquement » (Le Petit Robert de la Langue française, 2016), est destiné à réveiller l’étudiant inscrit dans cette prestigieuse Alma Mater, étudiant héritier d’une image de marque certes quelque peu ternie, mais qu’il a justement l’obligation de redorer.

 

   Ce sursaut amènera les étudiants à revaloriser leurs capacités langagières, à raviver en eux le goût de lire, parler et écrire le français, bref, pour ne point abdiquer leur statut d’« universitaire », à se mesurer avec les difficultés de la langue française.

 

3.1.3 Une motivation suffisante : le français de la future profession      

  La loi-cadre n°14/004 du 11 février 2014 de l’Enseignement national est explicite quant aux langues d’enseignement qui font l’objet, au chapitre IV, de la section 6 où l’article 195 dispose :

« le français est la langue d’enseignement. Les langues nationales ou les langues du milieu sont utilisées comme médium d’enseignement et d’apprentissage ainsi que comme discipline. Leur utilisation dans les différents niveaux et cycles de l’enseignement national est fixée par voie réglementaire. Les langues étrangères les plus importantes au regard de nos relations économiques, politiques et diplomatiques sont instituées comme langues d’apprentissage et de discipline. »

 

   Il est question, à ce stade, de susciter une nouvelle perception, celle de l’usage utilitaire du français, langue de l’exercice de la future profession, langue aussi d’ouverture à la mondialisation.

 

   Car la seule connaissance d’un français théorique ne suffit plus ; il conduit au chômage. D’où la nécessité vitale d’y allier un français de profession, allant de pair avec la maîtrise de la profession et de son langage. Notre cours d’Initiation à la recherche scientifique, en effet, insiste pour que l’étudiant, à l’occasion de ses deux stages académiques (de Graduat et de Licence), s’immerge pendant deux mois, avec zèle et esprit d’initiative, dans un milieu où s’exerce la même activité. Là, croyons-nous, réside l’utilité que la société peut tirer en sa faveur des connaissances acquises par les étudiants sur les bancs de l’université.

 

   Dans cette optique, l’étudiant est invité à prendre soin d’acquérir les mécanismes de la langue française afin d’être en mesure, au plan personnel, d’éprouver joie et fierté légitimes à travers son expression.

3.2 En amont : au cycle des études secondaires

3.2.1 La qualification des enseignants et le respect du programme

   Babudaa Malibato (2004 : 5), Secrétaire général honoraire de l’Education nationale, explicite comme suit les objectifs globaux de l’expression orale française : 

« Le programme national de français en 5e et 6e années secondaires, toutes sections et options d’études, demande de perfectionner l’expression orale (…) Les particularités linguistiques du français langue étrangère d’une part, les interférences de la langue maternelle et de la langue vernaculaire de l’élève d’autre part, exigent de ce dernier un effort continu pour maîtriser toujours d’avantage l’expression orale française correcte. »

   Toutefois, Babudaa s’empresse de reconnaître une réalité, à savoir :

« Le manuel rappelle, de l’expression orale française, les principes théoriques déjà appris les années d’études antérieures, principes dont la fixation, la consolidation et surtout l’automatisme dans l’application spontanée demeurent, dans le fait, longtemps problématiques. »

   On le voit, la solution ici passe nécessairement par la maîtrise tant des principes que de leur application pour une expression aisée en français, maîtrise qui, effectivement, ne cesse de poser un problème aigu. Il convient donc d’insister sur les efforts incessants que doivent déployer les enseignants de l’école secondaire, dans chacune des leçons de français.

   Or, l’atteinte des objectifs pédagogiques opérationnels, en termes de résultats attendus de ces activités, appelle de la part des enseignants (maîtres), des capacités spécifiques pour transmettre à leurs élèves une production et une pratique correcte de la parole en langue française (Babudaa, 2004 : 6). C’est là que le bât blesse… Dans la mesure où bon nombre de maîtres (engagés pour enseigner le français grâce aux affinités ethno-politiques avec le chef d’établissement ou le promoteur de l’école) ne sont ni licenciés ni gradués en français.    

   Qu’à cela ne tienne ! A défaut de la qualification lors de l’embauche, les responsables de l’école doivent se soucier du renforcement des capacités de ces enseignants du français, en finançant soit leur mise à niveau, soit leur formation permanente. Ils devraient, en outre, se préoccuper du respect strict du programme d’études, car nul n’ignore que, particulièrement depuis les années tumultueuses de la Transition de 1990, le système éducatif a subi les contrecoups notamment des villes mortes, des années blanches, du non-paiement des salaires des enseignants et des parents fonctionnaires, sans oublier les pillages de triste mémoire entraînant la destruction du tissu économique qui a engendré le chômage.

3.2.2 L’utilisation effective des manuels scolaires

   Le rôle de la scolarisation pour l’acquisition du français au Congo demeure primordial. D’autre part, les ouvrages didactiques et les manuels scolaires paraissent quasi exclusivement en langue française ; ils sont publiés par les maisons d’éditions du Ministère de l’enseignement primaire et secondaire (Edideps, Rénapi), ou par des privés : Centre de recherches pédagogiques (CRP). C’est dire que les manuels scolaires du français sont généralement disponibles au pays. Mais, les élèves se les procurent-ils ? Les maîtres insistent-ils pour que chaque apprenant en dispose ? Loin de là.

   L’expérience montre que c’est plutôt par des résumés (de plus ou moins 7 lignes au tableau noir)  à transcrire dans le cahier, que les maîtres procèdent. Et que deviennent ces cahiers d’élèves après les examens de fin d’année ? Ils se retrouvent au marché, en feuilles volantes, vendus aux marchandes d’arachides !

   Nous préconisons l’utilisation effective d’une documentation disponible en permanence : les manuels scolaires et autres ouvrages tels que la grammaire française, le dictionnaire du français, le tableau des conjugaisons, etc. Les élèves y auront recours à tout moment de leur formation scolaire, jusque dans leur vie professionnelle.

3.2.3 Les bibliothèques scolaires

   La promotion de la culture du livre et de la lecture s’effectue dès l’école, à défaut de commencer en famille. C’est pourquoi les participants au Séminaire-atelier des opérateurs du secteur du livre pour Faciliter l’accès au livre en RDCongo (2010 :103) ont adressé la recommandation ci-après à l’autorité compétente :

Par Sumaili Ngaye-Lussa Gabriel , dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024