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Dictionnaire des œuvres théâtrales congolaises de langue françaises des origines à nos jours, tome I

 

[2018], Alphonse Mbuyamba Kankolongo, Kinshasa, Centre de promotion de l’Art, 166 pages.

  Œuvre posthume, ce Dictionnaire des œuvres théâtrales de la République démocratique du Congo, que viennent de publier les Editions CEPROLA, a été porté sur les fonts baptismaux au printemps 2018, soit deux ans après la disparition de l’auteur.

  On connaissait le professeur Alphonse Mbuyamba Kankolongo critique littéraire passionné, par les quatre ouvrages ci-après :

-Guide de littérature zaïroise de langue française (1974-1992), Préface de Bertin Makolo Muswaswa, Kinshasa, Editions Universitaires Africaines, 1993.

-Profils d’auteurs congolais, Ontario (Canada), Editions Glopro, 2004.

-De l’aube au crépuscule. Manuel de littérature et de civilisation congolaises, Préface de Mukala Kadima-Nzuji, Kinshasa, Afrique-Editions/CEDILIC, [2007].

-(collectif) Pour un nouvel Ordre africain de la Connaissance. Hommage à V.Y.Mudimbe, Paris, Editions Paari, 2011.

84 œuvres recensées

    A travers cette œuvre, l’ancien Chef de Département des Lettres et civilisation françaises (de 2002 à 2010) se propose d’offrir « le premier inventaire des œuvres théâtrales  de langue française de la République Démocratique du Congo » (p.5). A cet effet, l’auteur recense pas moins de 84 pièces, par ordre alphabétique des titres, des origines à nos jours, soit une production d’une cinquantaine d’années : une véritable mine de renseignements.

  Laissons la parole à l’auteur, qui nous apporte cette précision dans l’Avant-propos :

« L’objectif visé par ce Dictionnaire est de donner sur les œuvres recensées une approche analytique indispensable qui permet une meilleure compréhension (références de l’édition originale et/ou des rééditions subséquentes, division structurale, résumé de l’histoire, aperçu thématique, réceptions critiques auxquelles elles ont donné lieu, représentations scéniques, etc.)

  Après l’Avant-propos, l’auteur présente un Aperçu historique du théâtre congolais moderne (pp.9-20), occasion de passer en revue le diptyque Théâtre congolais durant la période coloniale et Théâtre congolais durant la période postcoloniale.

  C’est au cours de cette dernière période que le théâtre prend un « élan nouveau » (p.15), évolution expliquée par plusieurs facteurs, à savoir : le contexte socio-politique du pays, l’évolution des mass-médias grâce à laquelle le théâtre a désormais un public et des idoles, le mouvement du recours à l’authenticité, et enfin la recherche en art dramatique qui débouche sur le professionnalisme. 

  Avant les deux Index qui clôturent l’ouvrage : l’Index des œuvres théâtrales (pp.163-164) et l’Index alphabétique des auteurs présentés (pp.165-166), le Dictionnaire proprement dit (pp.21-162) s’avère être, littéralement, une mine inépuisable d’informations précieuses relatives aux dramaturges et acteurs ; aux metteurs en scènes et troupes théâtrales ; aux œuvres primées lors de concours littéraires (nationaux, internationaux) ; à la thématique exploitée : historique, politique, sociale… ; aux pièces mises en scène mais demeurées inédites, etc.

Dramaturges, acteurs, metteurs en scène, troupes théâtrales

  Tout lecteur du Dictionnaire a ainsi l’opportunité de retrouver les célèbres hommes de théâtre que connaît ou qu’a connus la RDC : dramaturges, acteurs et metteurs en scène. Des noms connus de la dramaturgie congolaise se côtoient :

  Albert Mongita Likeke, auteur de Mangengenge qui, déjà en 1956, évoquait le rituel des passagers de bateaux à l’approche du site en amont de Kinshasa (pratique remise au goût du jour par les églises de réveil) et Ngombe (1964), œuvre qui tire son origine d’une légende bien connue de la Mongala.

  Norbert Mikanza Mobyem, spécialiste des « tableaux réalistes, sombres et durs » (p.17), auteur notamment de Pas de feu pour les antilopes (avec Paul Mushiete Mahamwe, 1970), Monnaie d’échange (1979), Biso (1982), Notre sang (1991), Tu es sa  femme (1993). Mikanza est « le dramaturge qui a donné à cette tendance ses lettres de noblesse avec Procès à Makala. C’est l’un des plus beaux, mais aussi des plus tragiques témoignages » (pp.17-18).

  André Yoka Lye Mudaba, dont deux œuvres sont répertoriées. D’abord Kimpwanza, la liberté, poème dramatique où sont tracées les lignes de force des événements qui ont conduit les Congolais à s’affranchir du joug colonial ; cette pièce, présentée pour la première fois en 1973, au Théâtre de la verdure avec les étudiants de l’Institut National des Arts (Ina), remportera le troisième prix du Concours théâtral interafricain RFI en 1977.

  Ensuite La Foire des Pharaons, carnaval d’une durée de sept jours, moment de réjouissances populaires dont le rituel sacré exige l’élection d’un « roi »  du carnaval ; le choix est porté par les jeunes sur le bouffon du roi, « l’amuseur public de la cour, le seul citoyen qui, par sa profession, peut librement rire de tout, dire tout, critiquer tout le monde » (p.103). Ce choix, bien sûr, déplaît au roi, un tyran, qui tente en vain d’arrêter le carnaval. A l’issue des sept jours, « la foule, ivre de joie et de liberté, réélit le bouffon-roi pour sept saisons éternelles. Le roi déchu devient le roi des fous ou le fou des rois. » (p.103). Ecrite en 1991, cette pièce a été jouée en janvier 1992 dans la Salle culturelle Le Zoo, par le Théâtre national, dans une mise en scène de Mukoko Kizubanata. « Une seule représentation, et voilà la pièce interdite par l’autorité… » (p.104).

  Katende Katsh M’Bika, auteur prolifique (plus de 46 pièces de théâtre), à la fois acteur, metteur en scène, directeur de troupes (d’abord à Likasi, actuellement à Kinshasa) et éditeur (Centre d’éditions et de diffusion pour la promotion du théâtre), lauréat en 1986 du prix Augustin Ngongo décerné par le Centre culturel français de Lubumbashi pour récompenser la meilleure œuvre littéraire de l’année. Les titres parlent d’eux-mêmes : A la croisée des chemins (1984), Ton combat, femme noire (1985), L’arbre tombe…du côté où il penche (1986), Demain, un autre jour [ou De quoi souffre-t-elle ?] (1987), Le sang ou Le passé est-il mort ? (1987), Mon prochain est un miroir (2004), Lève-toi et marche, La joue droite, etc.

  Pierre Mumbere Mjomba, dramaturge rendu célèbre par Le philosophe (pièce qui, en son temps, fustigeait déjà la corruption en milieu scolaire) : La dernière enveloppe, créée au Théâtre du Zoo le 28 juillet 1989, dans le cadre du Prix Nemis [Pablo Neruda et Gabriela Mistral, les deux Prix Nobel de littérature du Chili], dans une mise en scène de Ndundu Kivwila et Tawite Vusayiro de l’Ina. « Cette farce, écrit Mbuyamba, est pour Mumbere l’occasion de dénoncer les injustices sociales, les rapacités des politiciens, l’immoralité généralisée… » (p.79).

 Bertin Makolo Muswaswa : La devineresse. Ce drame en trois tableaux, édité en 2004 (Editions Universitaires Africaines) et Arc-en-ciel) a bénéficié de la postface de Rombaut Mimbu Ngayel ; sa première représentation a eu lieu en 1976 par la troupe théâtrale de l’ISP/Kananga. Deux thèmes majeurs se dégagent de cette œuvre : amour et fidélité, à côté desquels gravitent des sous-thèmes s’érigeant en valeurs : la patience, l’hospitalité, le travail, l’honnêteté, ou en antivaleurs : le parasitisme, le commérage, la gourmandise…

Thématique exploitée

  Passant en revue les différents thèmes abordés, A. Mbuyamba souligne l’abondante création des œuvres, tant historiques que politiques et sociales.

  En effet, dans le domaine historique, de très nombreuses pièces évoquent des personnages du passé. En 1978, Mvumbi Mvindu a présenté au 9ème concours théâtral interafricain de RFI, Affonso 1er ou la sève empoisonnée, pièce qui nous ramène à Mbanza Kongo, capitale du royaume kongo. Charles Nghenzi Lonta a situé à la même époque Njinji ou une fille ngola sauvera le peuple ngola. Par ailleurs, deux œuvres représentent le drame de Simon Kimbangu : d’une part Kimbangu ou le Messie noir d’Elebe Lisembe, d’autre part Affaire Kimbangu, le procès d’un homme-Dieu de Luemba lu Mansanga (2001).

  Kimpa Vita, Béatrice du Congo est l’œuvre de Sébastien Meno Kikokula, créée par la Troupe Les Masques terribles de l’Ina, en 1995, dans laquelle l’auteur montre la double lutte (spirituelle et terrestre) de réhabiliter l’homme noir en le libérant de toute forme d’asservissement étranger.

  D’autres héros historiques ont été mis à l’honneur par le théâtre congolais : Geneviève, martyre d’Idiofa de Dieudonné Bolamba (Prix de la Littérature et des Arts du Ministère de la Culture en 1967), Le roi Msiri de Tshitenge N’Sana, Le roi Mbala de Nganga, le roi des Bakuba de Djogo, L’empereur Ntambo wa Tubonge de Kiluba Mwika Mulanda (pièce représentée en  novembre 1982 à l’Institut Tutazamie de Likasi) et Les fils de la mer (1969) d’Antoine Zola ni Vunda, deuxième prix du concours littéraire Léopold Sédar Senghor, texte publié dans l’Anthologie des écrivains congolais.

  Il convient d’y ajouter L’empire de la savane, pièce inédite de Jean Abemba Bulaimu, qui a reçu une mention lors du Concours littéraire Léopold Sédar Senghor en 1969, et qui évoque la figure de Ngongo Lutete qui, à la fin du 19ème siècle, a réalisé l’unité des peuples du Maniema, mais dut payer de sa vie, écartelé « entre ses ambitions personnelles et le bien-être de ses sujets, entre les colonisateurs blancs et les esclavagistes arabes » (p.88).

  Le théâtre politique n’est point absent. Plusieurs auteurs ont choisi ce créneau, comme Massaka Yoko Lundu avec La colère du lac, œuvre inédite représentée par les élèves de l’Institut Lwiro, le 14 mai 1975, à l’IRSAC, près de Bukavu ; comme Wembo Ossako, avec Néron noir (pièce présélectionnée au Concours théâtral interafricain de RFI en 1976 et jouée par la troupe de l’Uthaf dans une mise en scène de Longa Fo Eya Woto ; comme encore Bonaventure de Saafi Ndaka (Concours théâtral interafricain de RFI en 1976), dont le héros éponyme, à peine installé au pouvoir, se proclame « Bonaventure Ier » (p.47).

  Comme aussi Pius Ngandu Nkashama, avec La délivrance d’Ilunga (1977), Bonjour, Monsieur le Ministre sous le pseudonyme d’Elimane Bakel (1983), et L’empire des ombres vivantes (1991) ; Buabua wa Kayembe avec Les flammes de Soweto (1979) ; Cheik Fita-Fita Dibwe (auteur déjà célèbre grâce à Moins homme, œuvre qui, remettant en question l’inégalité raciale, a remporté en 1977 le Concours théâtral interafricain de RFI) avec Le Héros, pièce présentée au Concours théâtral interafricain de RFI en 1982 ; Nono Bakwa avec Enfer et paradis (1992), drame de la lutte armée contre la violation des droits de l’homme, représentée le 11 décembre 1992 par Urafiki Création.

  De même Je vous nomme Premier Ministre (1988) de Luzayamo Mankete, L’indépendance à tout prix (1993) de Kadiebwe Muzembe, Double face (1995) de Faustin Khang’Mathe Akir’Ni, Mal…de remaniement (1997) et Crasse politique (1999), deux pièces de Luemba lu Mansanga et, de Willy Mudiandambu Djunga, La folie de l’ouragan ou Le procès de Mfumu Zulu (1999), qui se termine par « un ordre divin » rappelant le dictateur sanguinaire « dans l’au-delà où, après un jugement, il est condamné à l’errance » (p.106).

  Le domaine social nous montre un éventail éclaté de thèmes : le rejet des enfants albinos, dans Bamina (1984) d’Isidore Tekele Ndala Wakilukidi (mise en scène de Nono Bakwa) ; l’enfant de la rue avec Le Wayambard (1993) de Kiluba Mwika Mulanda ; l’enfant sorcier à travers Les larmes d’Amina (1999) de Belembe Bossa Lele ; la sorcellerie, dans Echec aux cannibales de Tawita Madingo (14è Concours théâtral interafricain de RFI).

  Sont aussi exploités, les thèmes ci-après : l’inceste, dans L’ironie de la vie (1978) de Buabua wa Kayembe et l’anarchie dans la gestion d’une entreprise d’Etat, dans Le Délégué général du même auteur ; l’héritage au sein d’une société matriarcale, dans L’héritage de Kembila de Muaka Mata Siku (Concours théâtral interafricain de RFI, s. a.) ; la cupidité, la jalousie, la sorcellerie, dans Les jours sombres de Mpongo (1983) de Ngalamulume Bululu ; la vengeance, dans Kandeta. La vendetta africaine (1999) d’Henri Mova Sakanyi.

  D’autres thèmes sont : le mariage entre un Africain et une Européenne dans Quand les Afriques s’affrontent de Tandundu Bisikisi, tout comme l’antagonisme entre la médecine moderne et les soins traditionnels, dans L’Anti-sorcier et la science de Kadiebwe Muzembe Nyunyu, représenté à Kinshasa en 1983 par la Compagnie du Théâtre National dans une mise en scène de Viminde Segbia. La Question de Jean-Robert Kasele Watuta Laisi évoque le drame des intellectuels africains frappés par la folie à cause de leur incapacité à surmonter l’occidentalité.

  Les grandes questions de société sont soulevées dans A quand la procès ? (1994) de Lukonzola Munyungwa Kabula (avec la Préface de Bertin Makolo Muswaswa et la Lecture de Fidèle Petelo Nginamau), et, particulièrement, les tares de la société africaine, dans Otages du destin de Salumu wa Kyota, pièce présentée au Concours théâtral interafricain de RFI en 1985 : « A peine nommé ministre, Kumalo est envahi par une meute de parasites : on boit, on danse, on mange à satiété ; un tel cherche un emploi, un tel autre quémande une aide financière… » (p.147). Otage de ce parasitisme au nom de la solidarité africaine, Kumalo est également otage de sa véritable identité (révélée par sa mère).

  Le « gender » est abordé par Ally Ntumba Beya dans Gender I (1999) ; par Odia Kanku Kadima-Nzuji dans deux pièces : Le Refuge (texte ronéotypé) et Une figure de paille, comédie en trois actes, dont le nœud du problème est : Malla, l’épouse, a « rempli la maison d’un nombre trop élevé de filles » (p.97) ; et surtout par Lubala Mwana-wa-Bene avec O femme ! O liberté ! Ou la femme juge, œuvre parue aux Editions Universelles Bangalu (1988) avec une Note introductive de Bethy Mweya Tol’Ande, qui met en scène « deux conceptions diamétralement opposées du rôle de la femme dans la société et en particulier dans le ménage » (p.144).

  Le thème de l’amour est abondamment exploité. Charles Ngenzhi Lonta y a consacré, indirectement, La fille du forgeron (1969), et directement La tentation de Sœur Hélène (1977). On doit à Sangu Sonsa La Dérive ou la chute des points cardinaux (1973), et à Wembo Osako Amour et préjugés, joué en 1974 par l’Union théâtrale africaine dans la Salle Mongita.

  L’infidélité, quant à elle, a été fustigée dans de nombreuses pièces, dont trois œuvres inédites : Ces plaisirs impurs de Suraki Kuatum, créée par Galaxie Théâtre au Goethe Institut de l’ambassade de l’Allemagne, en mars 1990 ; Rions plus, rions moins de Nono Bakwa, jouée en février 1991 au Jardin Moto na Moto abongisa de Bandalungwa, par les acteurs de l’Ecurie Maloba, dans une mise en scène de Jean Shaka Tshipamba et Cadavres en fuite de Pathos Lutumba, jouée en 1992 par le Théâtre Mondenge à la Pension Doukay à Bumbu et Selembao.

  Dans le registre de l’amour interdit, mentionnons Zaïna, de Diur N’Tumb, qui a remporté en 1983 le premier prix du Concours théâtral interafricain de RFI. Doivent être signalées, aussi, des œuvres telles que Le Tatouage sacré (1987) de Kiluba Mwika Mulanda, L’épée de Damoclès (2002) de Willy Mudiandambu Djunga, portée sur scène le 26 février 2002 par la troupe scolaire Les Nouvelles Etoiles du Lycée Bosangani.

  De même Amazone (1988), pièce inédite de Kissitha N’Kodia, créée par la troupe théâtrale Les Chérubins, à Kinshasa : en mission de service dans un pays lointain, Chris se lie d’amitié avec Amazone, puis regagne son pays. Or, Amazone est restée enceinte ; désavouée par sa famille, elle doit subvenir seule aux  besoins de son fils. Bien des années plus tard, Chris revient dans le cadre d’une autre mission ; va-t-il retrouver celle qu’il a aimée, juste quand Amazone s’apprête à célébrer le mariage avec un fiancé que sa famille lui a choisi ?

  Encore des œuvres à succès

  Immense sera, à coup sûr, le plaisir de retrouver des œuvres bien connues ci-après et qui, drainant des foules, ont fait les délices d’un public avide de représentations :

  L’Etudiant (1974) de Mambambu Madenda, où la grossesse d’un homme riche est attribuée faussement par la jeune fille (à l’instigation de sa famille qui attend des avantages matériels de l’homme d’affaires) à un étudiant ; accusé et condamné, ce dernier, « non content du jugement rendu, et pour prouver son innocence, se suicide d’un coup de revolver » (p.94). L’on connaît les passions soulevées, dans plusieurs milieux, par cette pièce inédite, jouée par la troupe Les Malaïka dans une mise en scène de Mutombo Buitshi, lors du Premier Festival de théâtre universitaire.

  Lucifer, pièce de Mbuyi Kalema, créée en 1992 et plusieurs fois jouée notamment au Ciné Mfuti du Quartier 7 à Ndjili, avec un succès toujours confirmé ; c’est « le procès du Diable », devant un tribunal d’exception. Prévention retenue à sa charge : « l’incitation des populations humaines au mal, depuis des milliers d’années » (p.132). Satan plaide non coupable : c’est sa mission reçue de Dieu…, ce sont les hommes eux-mêmes…

  Cœur et sang (1986), œuvre en 14 tableaux, de Cheik Fita-Fita Dibwe, « est la transposition sur scène du réel quotidien » (p.59) : les parents, irresponsables, confrontés à la pauvreté et à la misère, décident d’abandonner dans la brousse leurs deux enfants ; ceux-ci, recueillis par un couple sans enfants, sont bien éduqués et deviennent riches. Voyant cela, les parents biologiques se rapprochent d’eux pour faire valoir le sang !...

  Cas de conscience (1974), d’Edy Angulu Mabengi est, en fait, un double, voire un triple cas de conscience : le dilemme de l’élève Mbingu, devant choisir entre un enseignant (pauvre, et qu’elle aime) et un riche médecin. Le dilemme, ensuite, de l’enseignant : faut-il, malgré sa stérilité, épouser Mbingu ? Le dilemme, enfin, de ce médecin, refoulé par Mbingu, qui a découvert que son patient, stérile, n’est autre que son heureux rival, l’enseignant : va-t-il le soigner ?

  Ce tome I du Dictionnaire des œuvres théâtrales congolaises… s’avère, tout compte fait, d’une richesse que seuls pourront découvrir ceux qui se le procureront ou le liront. L’ouvrage ne saurait guère laisser indifférent quiconque s’intéresse à la littérature congolaise, et plus précisément, quiconque s’attache à analyser soit l’idéologie, soit les thèmes des œuvres théâtrales de la République Démocratique du Congo.

  Au demeurant, Mbuyamba, devant d’énormes difficultés à réunir « de façon exhaustive les pièces du théâtre congolais existantes » (p.6), a émis le vœu de voir d’autres s’atteler à ce « travail qui s’annonce abondant et exaltant ! » (p.19). Face à cette vitalité du théâtre, à propos de laquelle l’auteur a affirmé : « Nier son dynamisme, c’est nier le destin même de l’homme congolais » (p.19), nous ne saurions qu’inviter les chercheurs à emboîter le pas à l’auteur.

  Le tome II viendrait, ainsi, en complément heureux, accueillir les œuvres qui n’ont pas pu figurer dans le tome I, entre autres :

Tamouré, le Seigneur de Gareganze de Valérien Mutombo-Diba (1967) pièce présentée au Concours de l’Office de Coopération radiophonique (OCORA) de Paris ; La calebasse de millet (1970) de Fumwatu-Nathu, troisième prix de théâtre au Concours national ; Moins homme de Cheik Fita-Fita Dibwe ; Muzang, l’investi par Letel-a-Letel le Tout-Puissant, de la mission sacrée de conduire les hommes (1977) d’Alexis Mwamb’a Musas Mangol ; Nyimi ne meurt pas seul (1977) de Ngombo Mwinyi Mbangala ; Motema, le cœur (1987) de Kiluba Mwika Mulanda ; Tatum de Kazadi Ngeleka (1988) ; Les coupables, pièce de Ngwezi Katot End Nau, présentée au Concours théâtral interafricain de 1988.

  On prendra soin de ne pas omettre Le sorcier africain (1987) et La sentence des opprimés (1995) de Kadiebwe Muzembe Nyunyu, Piège de l’ignorance (1991) de Nzey van Musala, Misère (1994) de Thierry Nlandu Mayamba, ainsi que Le Point (2009) de Félicien Saidiya Feleza-Lusangi, drame des foyers congolais exilés en Europe, préfacé par Emile Bongeli Ya Ato, Mikoshi (2012) divertissement en douze tableaux de Charles Djungu Simba Kamatenda et Le jour du massacre, de Sinzo Aanza, pièce qui évoque la sanglante actualité de l’insécurité régnant à l’Est du Congo.

  On le voit, des pans entiers de la littérature congolaise, tous genres confondus, demeuraient encore peu connus. Le domaine du théâtre vient d’être défriché. A quand les autres genres ?

 

                        Gabriel SUMAILI NGAYE-LUSSA

     Chef du Département des Lettres et civilisation françaises

                                à l’Université de Kinshasa.

Par Sumaili Ngaye-Lussa Gabriel , dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024