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    Didactique du texte littéraire dans la formation

        des formateurs en R D Congo. I : La Poésie  

           André Nyembwe Ntita* et Bertin Makolo Muswaswa**

                                    nyembweandre@yahoo.fr

                                muswaswamakolo@gmail.com 

 

Résumé

Pour expliquer un texte poétique, l’apprenant doit connaître d’abord la structure du langage poétique ; ensuite il doit être à même de reconnaître et de relever dans le texte les ressources de la face phonique et celles de la face sémantique ; enfin, il doit relier les impressions d’ensemble produites par le texte aux moyens d’expressions qu’il contient et ce, dans un mouvement d’aller et retour des impressions aux moyens d’expression et inversement.

 

Mots clés : quatrain, pentasyllabe, heptasyllabe, synecdoque, métaphore, absurde.

 

Introduction

0.1 Au IVè Congrès de l’Association des Professeurs  de français en Afrique (A.P.F.A.) de Lomé en 1990 consacré à la formation des formateurs et des enseignants de français en Afrique, nous avons fait une communication sur cette formation au niveau universitaire dans notre pays.

 

   Nous indiquions que l’enseignement du français était  confronté aux principaux problèmes suivants : le problème du statut du français enseigné, le problème de méthodes d’enseignement/apprentissage, le problème des moyens didactiques et enfin le problème de la qualité des formateurs.

 

0.2 La qualité des formateurs est fonction du savoir scientifique reçu et du savoir-faire d’enseignant acquis. Le savoir scientifique en français que le Département de Langue et littérature françaises1 de l’Université de Kinshasa fait acquérir comporte deux volets : l’un linguistique et l’autre littéraire.

 

   La composante « littéraire » est assurée grâce à un ensemble constitué de différents enseignements tels que « analyse ou explication de textes », « critique littéraire », « littérature française », « littérature négro-africaine », « littératures étrangères », « littérature comparée », « séminaire de lecture ou d’interprétation de textes ».

 

   L’étude du texte littéraire se fait principalement à travers le cours d’Analyse de textes dont l’objectif final est d’amener l’apprenant à découvrir la littérarité d’un texte. Il s’agit, pour l’enseignant, d’arriver à répondre à la double question : « qu’est-ce qui fait la littérarité d’un texte et comment sentir un texte comme objet d’esthétique ».

 

0.3 L’approche typologique du texte littéraire est une des premières étapes dans la recherche de la littérarité d’un texte. La connaissance des spécificités du texte littéraire selon qu’il est narratif, théâtral ou poétique doit rendre les étudiants conscients des éléments qui concourent à la différence de littérarité entre ces différents types de textes.

 

   Les difficultés d’enseigner le texte littéraire en général et le texte poétique en particulier s’expliquent surtout par le fait que les enseignants eux-mêmes n’ont pas été formés dans l’optique de découvrir ce qui fait l’esthétique d’un texte, c’est-à-dire ce qui fait sa littérarité1.

 

0.4 L’objet de cet article n’est pas tant de faire le point sur l’enseignement du texte littéraire dans la formation des formateurs que de faire partager une expérience de didactique du texte littéraire au sein du Départe ment de Lettres et civilisation françaises de l’Université de Kinshasa.

 

 

1.-Option didactique du texte littéraire

1.1 Avant d’expliquer l’option didactique du texte littéraire adoptée au sein du Département, il n’est peut-être pas inutile de rappeler l’économie générale du cours d’analyse de textes dans le cursus de l’étudiant en Lettres et civilisation françaises. Le cours d’Analyse de textes est inscrit au programme de chacune des 3 années d’études du 1er cycle. Il comprend 2 parties, l’une théorique et l’autre pratique.

 

   En première année du 1er cycle, la partie théorique porte sur l’étude de la structure du langage poétique et la partie pratique sur l’analyse de quelques poèmes et de la prose poétique. En 2è année, le cours porte sur le texte théâtral et enfin en 3è année l’analyse de textes concerne le texte narratif romanesque.

 

1.2 La principale caractéristique de l’option didactique du texte littéraire est double : d’une part, elle consiste dans l’explication du texte poétique comme texte d’initiation au fait littéraire et d’autre part, elle consiste dans la théâtralisation du texte poétique comme un des moyens d’accroître l’intérêt des apprenants pour la poésie.

 

   La démarche pédagogique classique la plus indiquée est de commencer par le plus simple vers le plus complexe. L’opinion générale admet, en effet, que le texte poétique est plus complexe sur le plan du style qu’un texte de prose tiré d’un roman ou d’une pièce de théâtre. Cette manière de voir n’est fondée qu’en apparence ; en réalité, « les lois qui gouvernent le style portent aussi bien sur l’arrangement et la composition de l’ensemble de l’ouvrage que sur le choix de mots » (Makolo M., 1994 :1).

 

   Bien plus, « la composition d’un poème paraît moins complexe que celle d’un roman ou d’une pièce de théâtre tandis que les mots choisis par le poète sont généralement moins transparents que ceux de la prose. Par rapport à l’arrangement et à la composition, aller du poème au roman et à la pièce de théâtre, c’est aller du simple au complexe » (Makolo M., 1994 : 1)1.

   Si l’on considère la dimension moins transparente des mots utilisés dans le texte poétique, notre conviction est qu’un étudiant qui parvient à comprendre, à interpréter et à apprécier un texte poétique sera en mesure de comprendre, d’interpréter et d’apprécier tout texte littéraire. Autant donc commencer l’approche du texte littéraire par ce que les apprenants et les enseignants considèrent comme le plus hermétique, le plus complexe et peut-être le plus difficile, pour terminer par le moins difficile, par les textes narratif, romanesque et théâtral. C’est pourquoi on analyse en 1ère année le texte poétique, en 2è le texte narratif romanesque et en 3è le texte théâtral.

 

2.-Expliquer le texte poétique

 

2.1 Deux conceptions de la poésie ont dominé l’histoire littéraire : une conception religieuse selon laquelle la poésie est d’origine divine, le poème ou texte poétique est une illumination, le poète un inspiré par la muse ou l’esprit des anciens. Le caractère sacré du poème est mis en exergue. L’autre conception est que la poésie est le fruit d’une activité minutieuse, assidue, le poème est une fabrication soit de vers soit de langage de particularités (Monnet, 1995 :20).

 

   Quoiqu’il en soit, le texte poétique a des spécificités qui en font un texte différent des autres (narratif ou théâtral). La fonction poétique a été définie par Jakobson comme « visée du message en tant que tel », c’est-à-dire le discours en tant que discours. Parmi les spécificités du texte poétique, on peut évoquer :

  • L’abondance des phénomènes de réécriture manifestés par la strophe, la répétition, la redondance
  • La priorité à l’image poétique ou manière de penser par analogie ou métaphorisation
  • La prédominance des phénomènes rythmiques et musicaux.

 

La question qui préoccupe l’enseignant est de savoir comment enseigner le texte poétique, c’est-à-dire inculquer à l’étudiant, futur formateur, la culture de la sensibilité poétique par le contact avec le texte.

 

   Pour ce faire, il importe de définir la poésie sans remonter forcément à l’antiquité gréco-romaine ni tomber dans le piège des querelles d’écoles qui jalonnent l’histoire de la littérature française et, singulièrement, celle e la poésie.

 

   Une définition comme celle qu’en donne Le Robert peut suffire à cause de sa simplicité. La poésie, selon ce dictionnaire, est l’art du langage qui vise à exprimer quelque chose par le vers, l’harmonie et l’image. Apparaissent clairement dans cette définition les deux faces qui caractérisent le langage poétique, à savoir : la face phonique et la face sémantique, ainsi que le rapport harmonieux entre elles.

 

   Avant de dire un mot sur le contenu de chaque face poétique, il y a lieu de noter que la définition que nous avons retenue appelle trois questions essentielles pour expliquer un texte poétique : que dit-il ? comment le dit-il ? quel rapport y a-t-il entre ce qui est dit et la manière de le dire ? L’étude attentive de ce rapport permet de comprendre et de ressentir le sens profond du texte, tout en ne perdant pas de vue le fait que, comme toute œuvre littéraire, le texte poétique est susceptible d’une multiplicité d’interprétation.

2.2 Le contenu de la face phonique et de la face sémantique

 

   La première comprend toutes les ressources sonores du poème, c’est-à-dire le vers et les trois éléments dont dépend sa musicalité : la mesure, le rythme et la rime. A ces éléments l’on peut ajouter l’assonance, l’allitération et l’harmonie imitative.

 

   La face sémantique comprend les figures de style dont principalement les figures de comparaison. Un accent particulier est mis sur la métaphore qui constitue la caractéristique fondamentale du langage poétique. Ne dit-on pas « la poésie est une métaphore généralisée » ?

 

   L’étude des composantes de la face phonique débouche sur une série d’exercices qui portent sur la dénomination des vers, la détermination du nombre de strophes et la déduction de leur nom, le découpage de syllabes dans un vers, en repérant éventuellement les e muets, les diérèses et les synérèses, la musique et la disposition des rimes, la musique des sonorités, les accents rythmiques, les coupes et les césures, les enjambements internes et externes, les rejets et les contre-rejets, l’intérêt stylistique de ces enjambements.

 

   Il en est ainsi de l’étude de la face sémantique : son analyse débouche également sur des exercices qui consistent dans un premier temps à reconnaître et à relever dans un poème les différentes figures de de comparaison (similitudes et contrastes) et les figures de construction.

 

   En étudiant la face sémantique avec les apprenants, le formateur leur montre comment le langage poétique se construit dans une large mesure par écart et opposition au langage normal. Comment le poète encode le message et comment le lecteur averti peut le décoder. Autrement dit, comment on peut réduire l’écart entre le langage poétique et le langage ordinaire.

 

   L’identification des composantes de la face phonique et de la face sémantique est une première étape de l’explication ou de l’interprétation d’un poème. Elle se fait au brouillon. C’est là aussi que se fait le décodage. C’est à ce niveau que l’on décompose les éléments constitutifs d’un poème : les vers, les idées, les sentiments, les mots, les  faits, les tournures de phrase, les figures de pensée, de style, de grammaire, etc. Ces éléments sont multiples et variables selon les textes. Il importe de noter que pris ensemble, ces éléments produisent sur le lecteur une impression d’ensemble.

 

   Ainsi un texte peut paraître beau ou laid, intéressant ou ennuyeux, admirable ou pitoyable, émouvant ou banal, pittoresque ou terne, vraisemblable ou fantastique, persuasif ou discutable, moral ou immoral, etc.

 

   C’est cette impression d’ensemble qu’il faut préciser, exprimer, tenter de justifier par des détails puisés dans le texte. Quand on a compris parfaitement, on peut l’apprécier et la faire apprécier. Bref, expliquer un texte, c’est montrer comment il signifie, comment il fait sentir, agir, rêver… » (Bruno Hongre : 2005).

 

   En voici un exemple ; il porte sur un poème de Maurice Maeterlinck, intitulé : « J’ai trente ans… » et extrait de Douze chansons2.

 

   C’est par rapport à la face phonique que la déclamation et la mise en espace du poème acquiert tout son intérêt pédagogique. Il ne s’agit pas d’identifier et d’énumérer les composantes de la face phonique, mais de les mettre en rapport avec le sens du poème dont ils sont aussi le support.

 

2.3 Voici un cas concret que nous allons examiner grâce au poème de Maeterlinck intitulé « J’ai marché… ».

 

          J’ai cherché trente ans, mes sœurs,

                       où s’est-il caché ?

          J’ai marché trente ans, mes sœurs,

                       sans m’en approcher.

          J’ai cherché trente ans, mes sœurs,    

                       Et mes pieds sont las

          Il était partout, mes sœurs

                       Et n’existe pas.

          L’heure est triste enfin, mes sœurs

                       Ôtez mes sandales

          Le soir meurt aussi, mes sœurs

                       Et mon âme a mal

 

          Vous avez seize ans, mes sœurs

                       Allez loin d’ici

          Prenez mon bourdon, mes sœurs

                       Et cherchez aussi.

   N’ayant pas eu en mains le recueil d’où est tiré le texte que nous allons expliquer, nous ne saurons le situer dans le recueil susmentionné ni parler des poèmes qui ‘ont précédé ni de ceux qui le suivent.

 

La quête d’un objet dont le nom est tu

« J’ai marché trente ans… » comprend quatre quatrains construits chacun avec des vers hétérométriques où l’heptasyllabe alterne avec le pentasyllabe.

 

   Dans chaque quatrain, les vers de sept syllabes occupent la première et la troisième position ; tandis que ceux de cinq syllabes occupent la deuxième position. Leurs rimes sont croisés avec dominance des voyelles claires : [oe], [e], [a], [i]i. La voyelle [oe] est répétée huit fois.

 

   Sur le plan rythmique, les heptasyllabes sont marquées par une pause avant les deux dernières syllabes qui les met ainsi en évidence ; tandis que les pentasyllabes se disent d’un rait. La pause de l’heptasyllabe est valable même dans le premier vers de la troisième strophe où la virgule n’apparaît pas après la cinquième syllabe.

 

   Ces caractéristiques rythmiques donnent la sensation d’un rythme de l’ensemble du recueil d’où est tiré le texte que nous expliquons, Michel Joiret et Marie-Ange Bernard disent simplement qu’il est envoûtant (1999 :49).

 

   Ce rythme suggère l’effort que des verbes de mouvement chercher (répété quatre fois), se rapprocher, marcher et aller loin intensifient et rendent plus concret. Il en est ainsi des substantifs pieds, sandales et bourdons qui sont respectivement une synecdoque de partie et deux métonymies du signe qui attirent l’attention sur le poète ?orateur et renforcent l’idée de déplacement.

 

   Les images ainsi que les verbes de mouvement expriment et soutiennent l’idée d’une quête qui ne s’arrête pas avec l’expérience de l’orateur/poète, mais qui continue avec ses auditrices.

 

De l’illusion juvénile à la désillusion sénile

   C’est cette quête, dont la durée indiquée couvre toute la période de la vie active, qui fait l’objet de l’énonciation, mieux du discours, tant il est vrai que le  locuteur est un orateur qui s’adresse directement à des auditrices, à un public déterminé, c’est-à-dire des personnes féminines jeunes avec lesquelles il a un lien de parenté : « mes sœurs ». Leur âge n’apparaît avec précision que dans le dernier quatrain.

 

   Le vers qui exprime cette quête est en réalité une phrase assertive ; sa répétition, dans le premier quatrain et au début du deuxième, la rend pathétique. Elle l’est d’autant plus que son objet est introuvable et sans nom. Cette caractéristique rend la quête absurd.

 

   Autant la quête est absurde, autant ce silence suggestif autour de l’objet de la quête le rend précieux, tel qu’on peut en rêver quand on est jeune, adolescent ; et tel qu’on peut l’interroger et s’interroger au soi d’une existence humaine.

 

   Le discours de l’orateur/poète apparaît comme un rapport, comme in bilan, comme une séance de présentation du résultat de la quête. Ce résultat est d’autant plus troublant que la quête apparaît finalement comme une vaine entreprise. D’où la phrase assertive qui constitue le premier vers du premier quatrain et la phrase interrogative qui constitue le deuxième vers. Bien qu’adressée à un public précis, cette question est rhétorique : elle n’appelle la réponse des auditrices, du public, mais elle prépare les aveux qui viennent graduellement : d’abord l’usure du corps, la conscience de la finitude, en recourant à la synecdoque de la partie ; ensuite le paradoxe, en affirmant une chose et son contraire. Deux temps de verbe mettent en évidence l’illusion du temps de la jeunesse et la désillusion au moment de la présentation du résultat de la quête.

 

   Le temps de l’illusion, dans une phrase assertive, est à l’imparfait. Il rend sensible la durée de la quête et son appartenance au passé ; et celui de la désillusion, elle aussi dans une phrase également assertive, mais négative, est au présent. Il rend sensible le malaise douloureux que secrètent la désillusion et la conscience de la finitude.

 

   Quant au paradoxe, il suggère deux questions fondamentales : celle de savoir si la vie vaut la peine d’être vécue, et celle de savoir pourquoi présenter un tel paradoxe à de jeunes auditrices.

 

Face à la certitude de l’illusion : le choix absurde

   Au sujet du sens de la vie, Albert Camus écrit dans Le Mythe de Sisyphe : « Juger que la vie vaut ou ne  vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie » (1981 :15). La quête que l’orateur/poète avait entreprise débouche implicitement sur ce  jugement. Il ne renonce pas à la quête ; il est plutôt contraint de l’arrêter à cause de l’usure du corps, de la vieillesse et de la mort qu’elle annonce. A propos de cette usure du corps, Albert Camus écrit : « Dans cette course qui nous précipite tous les jours un peu plus vers la mort, le corps garde cette avance irréparable » (1981 :21).

 

   Le premier vers de la troisième strophe exprime la prise de conscience de ce moment et le malaise douloureux qu’il exprime. Ce sentiment et le moment précis de cette prise de conscience rappellent le troisième vers de la deuxième strophe de « Chanson d’Automne » de Paul Verlaine : « Sonne l’heure ». Il s’agit du moment de passage de la vie à la mort symbolisé dans le poème de Verlaine par le passage de l’automne à l’hiver. L’adverbe (enfin) en indique le terme dans le poème de M. Maeterlinck.

 

   Le comportement que les auditrices et partant le lecteur attendent logiquement après le premier et le troisième vers de la troisième strophe, est que l’orateur / le poète mette fin à ses jours, qu’il se suicide étant donné la certitude de la vanité de la quête. Mais il ne se suicide pas. Bien au contraire, il lègue à ses auditrices, c’est-à-dire  ces jeunes sœurs, les signes les plus expressifs de sa quête : les sandales et le bourdon. Aussi les invite-t-il à deux gestes importants : le premier consiste à ôter les sandales de l’orateur/poète et le second à prendre le bourdon qu’il leur donne. Les deux gestes sont à continuer malgré tout leur âge, la quête étant propice à cette entreprise. D’où le passage de phrases assertives et interrogatives aux phrases impératives : ôtez […]. Allez […] et [cherchez aussi…]. L’adverbe aussi renforce l’idée d’appropriation de cette expérience, dont on sait pourtant qu’elle se solde par un malaise douloureux.

 

   Il établit une équation d’égalité entre la quête de l’orateur/poète et celle à laquelle il invite et exhorte ses auditeurs, son public. Cette invitation et cette exhortation suggèrent le choix de l’orateur/poète : entre le suicide et l’espoir, qu’Albert Camus appelle « l’esquive mortelle », il choisit le défi. C’est-à-dire le refus du suicide et de l’abdication. C’est à ce défi qu’il invite et exhorte ses jeunes auditrices.

   Il les invite et les exhorte à « tout épuiser » et à « s’épuiser ». C’est le sort de l’homme absurde. A ce sujet, A. Camus écrit : « L’homme absurde ne peut que tout épuiser, et s’épuiser. » (1981 :78).

 

   La répétition du premier vers exprime cet épuisement et l’adjectif (las), l’épuisement de l’orateur/poète. A propos de la lassitude, A. Camus écrit : « La lassitude est à la fin des actes d’une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle s’éveille et elle provoque la suite. La suite, c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif.

 

   C’est à cet éveil transmissible qu’il les invite et les exhorte. Il y a dans cette invitation, cette exhortation, un sentiment de révolte au sens où Camus l’entend.

 

   Après cette explication, deux tâches attendent encore l’enseignant. La première est nécessaire et même obligatoire, et la seconde facultative. La tâche obligatoire consiste à étudier grâce au texte analysé quelques aspects de la grammaire. Le poème de M. Maeterlinck permet d’étudier :

     1. les modalités de phrases,

     2. les adverbes,

     3. les signes de ponctuation,

     4. les figures de style.

 

   La tâche facultative concerne la théâtralisation du texte analysé.

            

La théâtralisation

   L’enseignant  peut demander aux apprenants de faire une lecture expressive du texte analysé ; ensuite, le texte peut être mémorisé et déclamé.

 

   Si un texte court comme le poème de M. Maeterlinck analysé peut être dit par les apprenants l’un après l’autre, un texte long comme « L’isolement » ou « Le Lac » de Lamartine peut être divisé en deux ou trois parties, que les apprenants diraient alternativement. Ils peuvent même donner l’impression qu’ils dialoguent comme deux ou trois acteurs sur une scène de théâtre ou s’adresser directement aux autres apprenants considérés comme un public de théâtre.

 

   La déclamation aide incontestablement à améliorer l’expression verbale des apprenants, elle suscite en même temps un intérêt pour le texte poétique.

 

Conclusion

 

   Expliquer un texte poétique, c’est montrer comment les ressources de la face phonique s’allient et celles de la face sémantique s’allient pour produire un sens.

 

   L’apprenant est appelé à les ressortir à la lecture et à es recenser pour les relier. Ces trois temps constituent ce que Bruno Hongré appelle pertinemment le « véritable triangle d’or de l’explication du texte » (2005 :27) :

 

                     Je ressens    — — —  Je recense

                                                            /                  

                                                         /            

                                                         /              

                                            Je relie

 

   Les douze vers du poème de M. Maeterlinck apparaissent comme un discours condensé qui peut relever du genre de l’augmentation indirecte.

 

   En effet, l’orateur/poète ne présente pas directement sa thèse ; son public est appelé à la comprendre en interrogeant aussi bien la face.

 

   En alternant les vers de sept syllabes et ceux de cinq syllabes, l’orateur/poète  a réussi à poser de façon persuasive le problème du sens de l’existence en recourant successivement à des phrases assertives, interrogatives et impératives et aux figures de style, dont la métaphore et la synecdoque sur une tonalité où le pessimisme ne perce pas comme peuvent l’attester les voyelles claires dont quelques unes sont répétées : [oe] et [ᾶ] et le rythme entrainant du poème. La thèse qu’il défend ne découle pas logiquement de vers précédents (des prémices), on la déduit de l’invitation et l’exhortation contenu dans le dernier quatrain. Cette thèse est celle de l’absurde au sens Camusien du terme, avec l’idée de la révolte qui sous-tend.

 

 

 

Notes

  1. Au moment où l’article paraît, la dénomination du Départe-ment est : Lettres et civilisation françaises.
  2. Différentes études montrent que la plupart de ceux qui enseignent le français, au premier comme au second cycle, n’ont pas étudié la langue ou la littérature française au niveau de l’enseignement supérieur ou universitaire. Ils sont généralement Licenciés en Droit ou en Sciences Sociales, Politiques et Administratives. Parmi eux, certains n’ont même pas fait les humanités littéraires. Il arrive même que certains n’aient que le diplôme d’Etat.           

             

  1. Poète et dramaturge belge. Les Douze chansons de 1896 seront rééditées et portées à quinze en 1900.

 

 

Bibliographie

 

I.-Ouvrages

CAMUS, A., Le Mythe de Sisyphe. Essai sur l’absurde, Paris, Gallinacée, 1981

HONGRE, B., L’Intelligence de l’explication de texte, 30 modèles de commentaires, 40 clefs pour aller au cœur du texte, Paris, Ellipses Edition Marketing S.A., 2005

JOIRET, M.. et BERNARD, M.-H., Littérature belge de langue françaises, Paris, Didier Hatier, 1999

NATUREL, M., Pour la littérature. De l’extrait à l’œuvre, Paris, Clé International, 1995

NAYROLLES, F., Pour &e

Par

Andre NYEMBWE NTITA

, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024