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Regard sur l’histoire linguistique de la République démocratique du Congo  

Alain Ishamalangenge Nyimilongo[1]

alain.isha@gmail.com 

 

  1. Introduction

   La République Démocratique du Congo est un très vaste territoire aux dimensions de pays-continent (grand comme l’Europe de l’Ouest), soit quatre fois la superficie de la France et quatre-vingt fois celle de la Belgique. Elle est située au cœur du continent africain et, avec ses 2.345.410 km², elle occupe en termes de superficie la deuxième place, derrière l’Algérie (2.384.000 km²)[2]. Le pays est entouré de 9 Etats : Angola, Congo Brazzaville, Centrafrique, Soudan du Sud, Ouganda, Rwanda, Burundi, Tanzanie et Zambie avec lesquels il partage  des frontières longues de 10.744 km..

   Certaines de ces frontières sont naturelles, tandis que d’autres ont été conventionnellement délimitées lors de la colonisation. La RD Congo fait partie des pays de la Région de l’Afrique Centrale (Cameroun, République Centrafricaine, Congo, RD Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Sao Tome & Principe et Tchad).

   Dans la Charte créant l’Union Africaine, il existe tout un dispositif linguistique, qui peut se résumer en ces termes :

     « Les langues officielles, c’est-à-dire langues de travail ou de communication de la charte sont : l’anglais, l’arabe, le français, l’espagnol, le portugais et le (ki)swahili ». Toutes ces langues sont celles des colonisateurs, à l’exception du swahili  qui est la seule langue africaine. Quant aux organisations sous-régionales dont la RD Congo fait partie, les langues de travail sont le français et l’anglais, exception faite pour la SADC qui vient d’ajouter le swahili comme langue de travail.

   Dans les lignes qui suivent, nous déterminons l’usage, la place et l’importance de chacun des trois paliers linguistiques, tels que classés par la Constitution de la RDCongo, à savoir : langue officielle (le français), les quatre langues nationales, et les « autres langues » (langues ethniques/locales), tout en jetant un regard sur l’influence de l’anglais, qui prend de l’ampleur depuis les invasions de l’Est du pays par des groupes rebelles, et l’installation d’un nombre important des organisations internationales ou non gouvernementales, pour qui la connaissance de l’anglais est un atout, pour pouvoir y prester.  

1. Cadre légal de la genèse du plurilinguisme congolais

   Pendant la colonisation, les explorateurs ou colons atterrissaient avec leurs langues. Et d’office, les peuples colonisés devraient alors se soumettre à ces réalités linguistiques, qu’ils finissaient par absorber selon les principes et les besoins des colonisateurs.

   Ainsi, au Congo-belge, comme ailleurs, au Rwanda et au Burundi, si les fonctionnaires belges importants étaient généralement francophones, les postes subalternes étaient tenus par des néerlandophones, parlant peu le français. La plupart des missionnaires affectés dans les colonies étaient néerlandophones, alors que leurs supérieurs étaient francophones. Or, les missionnaires avaient pour principal objectif d’évangéliser les Africains, non de diffuser la langue du colonisateur, qui dans le cas de la Belgique était ambiguë. Dans les colonies belges, comme d'ailleurs en Belgique à cette époque, le statut du français et celui du néerlandais n'étaient guère équitables ; ce qui s'est reflété au Congo-belge, au Rwanda et au Burundi.

   Seules des pratiques administratives régirent le statut des langues au Congo-belge. Le français et le néerlandais furent les deux langues officielles de la colonie, à l'exemple de la Belgique. Il y a même eu des projets de partage du Congo-belge en deux zones : une «zone francophone» et une «zone flamande». Le 18 octobre 1908, le Parlement belge promulguait la Charte coloniale, ou loi sur le gouvernement du Congo, qui reconnaissait l’égalité entre les deux langues officielles belges. En réalité, le français restera la seule langue officielle de la colonie, même si l'égalité juridique était sauvée.

   Sans être explicite, en ce qui concerne les langues congolaises, la Charte coloniale en réglementait l’emploi, dans la sphère privée. L'article 5 imposait au Gouverneur général de veiller «à la conservation des populations indigènes et à l'amélioration de leurs conditions morales et matérielles d'existence». La circulaire du 24 mai 1912 exigea aux fonctionnaires belges dans la colonie de connaître «les dialectes indigènes», afin de s’adapter aux réalités du pays.

   Le domaine de l’enseignement relevant des missions catholiques et protestantes, les religieux et les administrateurs ne voulurent guère favoriser l'apprentissage du français ni du néerlandais par les «indigènes». En 1929, une brochure du gouvernement colonial précisait même que la « langue indigène enseignée » dans les écoles primaires était l'une des quatre langues nationales (swahili, kikongo, lingala et ciluba) ; dans le but avoué de «ne pas déraciner les indigènes». Le rôle de ces langues semble même avoir été prépondérant par rapport au français ou au flamand (néerlandais), notamment dans les domaines de l'éducation et des communications destinées à la population. Dès lors, les deux langues officielles de la colonie demeuraient hors de portée, pour la plupart des Congolais. L’enseignant belge laissait croire aux « petits Congolais » que leur langue était « une créature de Dieu » et qu’à ce titre elle devait être respectée.

   Dans les faits, seul le français restait la langue de l'administration coloniale ainsi que des écoles secondaires. Or, étant donné que le français n’était pratiquement pas accessible aux Congolais, la colonisation belge ne suscita pas l’émergence d’élites administratives et politiques locales; la coexistence entre les Blancs et les Noirs ressemblait à une sorte d’apartheid, celle-ci étant tempérée quelque peu par la présence des missions chrétiennes. Au Congo belge, le souci de former des élites africaines fut plus tardif que dans les colonies françaises, l’État belge ne s'impliquant  que très tardivement dans le domaine de l’éducation auprès des populations africaines. En effet, ce fut uniquement au cours de la décennie de 1950, juste avant l'indépendance de la colonie, que l'État belge a entrepris de former des élites locales et de leur inculquer l'apprentissage du français. 

   C’est pourquoi les Congolais instruits3 jugèrent cette politique «rétrograde» et revendiquèrent un enseignement généralisé du français sur tout le territoire national.

 

  1. Paysage sociolinguistique congolais : tendances actuelles

   La constitution du pays trace un paysage linguistique congolais, même si celui-ci n’explicite pas les langues congolaises, hormis les quatre langues nationales.   

2.1 Le français     

 

   C’est déjà à la suite de conférence de Berlin en 1885 que la langue française s’est aussitôt imposée, se voyant implantée dans le pays qui deviendra le Congo-belge. Le peuple congolais est entré donc en contact avec le français, pour la première fois, pendant la colonisation. Actuellement, le français n’est plus totalement une langue étrangère, mais plutôt une langue de communication avec les étrangers.

   La RD Congo est le pays francophone le plus peuplé du monde, devant la France. En 2016, 37 millions de Congolais, soit 51 % de la population du pays, étaient capables de lire et d'écrire le français.[3]

   Nyembwe Ntita (2010 : 10)  note ceci à ce propos :

 « le français dans notre pays n’est pas une langue totalement étrangère même si de nombreux enfants surtout dans les milieux ruraux n’ont de contact avec le français  qu’à partir de l’école primaire. Mais le français n’est pas non plus une langue maternelle des enfants congolais même si, (…) de nombreux jeunes enfants dans les centres urbains l’acquièrent comme première langue de communication dès le jeune âge en famille ».

   De par son statut de langue officielle de la RD Congo, le français tire son pouvoir, outre de la Charte coloniale du gouvernement belge, de la Résolution n° 6 relative à l’organisation du parlement congolais prise le 20 février 1960 à Bruxelles à l’issue de la Table ronde, et de toutes les Constitutions du pays : depuis celle de 1960 jusqu’à l’actuelle du 18 février 2006, en passant par celle de Luluabourg et celle du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR)  à travers toutes ses multiples modifications. La Constitution accorde au français de nombreuses  fonctions : c’est la langue officielle, langue de travail ou d’administration, de médias, de justice, de la diplomatie  et d’enseignement. Ce qui lui confère un pouvoir dominant sur les autres langues.

   Certes, le français est confronté au plurilinguisme qui caractérise  la société congolaise. Mais, son usage se réfère à trois principaux paramètres : le statut du locuteur ; le statut social de l’interlocuteur ; la double casquette du contexte : d’une part, la localisation de la conversation entre les locuteurs, de l’autre, le sujet / thème de cette conversation. La problématique des niveaux de langues obligerait le locuteur de choisir tel ou tel niveau pour passer sa communication.

   Le degré de l’utilisation du français (en rapport avec la langue maternelle utilisée surtout en dehors de l’école) contribue à façonner la personnalité du Congolais. C’est la langue de prestige pour ses locuteurs. L’usage du français est plus fréquent dans les milieux urbains que dans les milieux ruraux. Un habitant de la banlieue qui a pour langue de communication français avec sa famille, serait taxé par son entourage de clientélisme, de prétention. Le français est aussi la langue d’accès aux domaines scientifiques et techniques, c’est la langue d’ouverture sur d’autres cultures, d’autres civilisations.[4] 

   Cependant, le français, langue officielle, reste une langue seconde pour ceux qui la parlent (sauf pour une frange de locuteurs : ceux qui l’ont comme langue maternelle). La compétence des locuteurs du français reste très inégale, et varie principalement en fonction des milieux urbains et ruraux. C’est ainsi, que Sesep N’sial (1993) et Nyembwe Ntita (1994) se sont posé la question de savoir « s’il faut parler d’un français congolais ».[5] D’une manière générale, nous sommes d’avis qu’il existe un français congolais de par sa coloration régionale qui est liée, de facto, aux réalités culturelles congolaises. Cette coloration est distincte du français de l’hexagone ou d’ailleurs. Cependant, il faut noter que ce cas de coloration du français n’est pas commun à tous les Congolais, nombreux sont ceux qui pratiquent un français métissé/entremêlé de langues congolaises, des mélanges morphosyntaxiques complexes, très récurrents très récurrents  notamment dans le discours politique des Congolais, où des verbes français tels que soutenir, voter, changer… deviennent dans leur conjugaison avec les langues congolaises : kosoutenir, bosoutenaki ; kovoter, bivotavota ; kochanger, tochangeaner…  

   C’est cette coloration congolaise qui ferait de ce français, celui des RD Congolais. C’est ainsi que Langue Française dans le Monde 2018 certifie que :

« 59% des locuteurs quotidiens du français se trouvent désormais sur le continent africain. Les différents paramètres pertinents qui comptent de la vitalité de la langue française, de la réalité de ses usages dans les contextes plurilingues au sein desquels elle évolue très majoritairement aujourd’hui et des défis qui conditionnent son éventuel essor sont donc particulièrement à étudier pour plusieurs pays d’Afrique subsaharienne ». (Rapport de la Langue Française dans le Monde 2018, 2019 : 6).

 

 

    1. L’anglais

 

   Classé 2ème langue  du monde derrière le chinois,6 l’anglais et ses locuteurs

 

   Classé 2ème langue du monde derrière le chinois,[6] l’anglais et ses locuteurs jouissent d’un privilège sur les plans scientifique, diplomatique, technique et culturel. S’exprimer en anglais séduit plus d’un locuteur francophone en République démocratique du Congo. Parler l’anglais au Congo-Kinshasa apparaît comme un atout, pour intégrer le monde professionnel constitué par les ONGs étrangères, un outil adéquat pour tisser des relations avec les étrangers anglophones, surtout depuis l’installation de la MONUC devenue MONUSCO.

 

   Kasoro Tumbwe (1999) a tenté une esquisse de l’usage de l’anglais en RD Congo. Pour cet auteur, l’anglais, introduit au niveau secondaire de l’enseignement en 1960 aux dépens du néerlandais, n’est parlé que par une infime minorité de citoyens et ne sert guère en réalité qu’en des circonstances extraordinaires. Il bénéficie cependant d’un certain engouement, qui se manifestait déjà sous le régime du Président Mobutu.[7]

   A en croire certaines sources, c’est dans les écoles de langues, appelées communément centres d’apprentissage de langues, que prédomine l’enseignement de l’anglais. Nyembwe Ntita et Matabishi S. (2012 : 110) présentent l’avancée de l’anglais dans le pays partant des groupes de rébellion de l’Est du pays alimentés depuis 1997par le Rwanda et l’Ouganda, pays anglophones. Dès lors que ces groupes de rebelles entrent en contact avec la population congolaise, l’usage et le recours de la langue de l’étranger deviennent un besoin pour les habitants. C’est ainsi qu’en RD Congo, beaucoup de jeunes de la partie Est en sont venus à pratiquer l’anglais ; quant aux autres jeunes du pays, c’est dans les agglomérations urbaines que l’attraction d’apprentissage est ressentie. 

  

   Tout porte à croire que l’attirance de l’anglais au Congo-Kinshasa est généré par trois facteurs : facteur professionnel, facteur sociologique et facteur éducatif.

  • Le facteur éducatif : l’éducation bilingue était déjà instaurée depuis les années 1960. Le français étant langue d’enseignement, le néerlandais a été remplacé par l’anglais. Ce fut le déclencheur des tentatives vers l’apprentissage de l’anglais. Au Congo-Kinshasa, l’enseignement maternel, primaire et secondaire est proposé par certains promoteurs d’écoles privées en français - anglais, et beaucoup de parents y font inscrire leurs enfants. Ces élèves de la maternelle, du primaire et du secondaire, même s’ils n’arrivent pas à s’exprimer correctement en anglais, font des récitations et déclament des poèmes mémorisés, lors des journées culturelles ou au moment de la proclamation des résultats, en présence des parents. C’est un sentiment de satisfaction pour certains parents, de voir leurs enfants esquisser l’anglais. En outre, au secondaire, l’anglais est une matière enseignée au même titre que le français ; il en est de même dans les universités, quand bien même ces deux langues restent toujours la bête noire pour bon nombre d’apprenants. Il faut aussi mentionner qu’il existe dans les universités et instituts supérieurs pédagogiques des filières ou orientations consacrées à l’anglais. Une instruction de 2012[8] ajoute l’obligation de connaître l’anglais à tous les niveaux de l’enseignement supérieur, pour des raisons d’ouverture au monde et d’adaptation au progrès et à la recherche.

 

  • Facteur professionnel : beaucoup de jeunes estiment que l’usage de l’anglais est source d’une bonne insertion professionnelle. Depuis les sombres périodes d’agression du pays, l’installation de la MONUSCO en 1999 et surtout des ONGs et organismes internationaux au Congo[9], les locuteurs de l’anglais trouvent bons offices dans leurs missions de traducteurs-interprètes. Car l’anglais est la langue de travail au sein de ces organisations. Dans la plupart d’entreprises (banques, ONGs,  etc.) dont les activités sont menées à partir de Kinshasa ou de chefs-lieux de provinces, la maitrise de l’anglais est un atout pour s’insérer utilement du point de vue professionnel et y faire carrière.

Interviewé par la RFI sur l’usage de l’anglais au sein de leur organisation, Omar Kavota[10] déclare ceci :

 « … Même les Français qui nous arrivent ici […] parlent presque tous l'anglais. Pourquoi resterions-nous seuls avec la langue française alors que ses propriétaires[11] l'abandonnent discrètement ? ».[12]

 

  • Le facteur sociologique : la migration depuis un certain temps au travers la DV Lottery initiée par les gouvernements américain et canadien pour entrer USA, au Canada et même en Asie, impose l’apprentissage de l’anglais aux détenteurs des visas vers ces pays. Ce qui est à la base de la création de plusieurs centres d’apprentissage des langues, notamment l’anglais, dans le pays. Les encadreurs dans ces centres proposent le cours d’anglais en 2 variantes : une américaine, que sont censés connaître les immigrants de l’Amérique, et une britannique, parlée en Europe, destinée aux immigrants de l’Europe et de certains pays d’Asie..

2.3 Les langues nationales : lingala, swahili, ciluba, kikongo

 

   Les quatre langues nationales scindent le pays en 4 aires linguistiques différentes, et chaque aire porte le nom d’une langue nationale. Celles-ci connaissaient déjà une grande expansion  avant la colonisation, et se sont imposées comme de véritables véhiculaires régionaux.

                 

  • Le lingala : le lingala est la langue maternelle des millions de locuteurs et de sept millions d'autres qui l'utilisent comme langue seconde. C'est la deuxième langue d'importance dans le pays, pratiquée dans les provinces de l'Équateur, du Nord et du Sud Ubangi, de la Mongala, de la Tshuapa, du Mai-ndombe ainsi qu’au nord-ouest du Bas-Uele et de la Tshopo. En plus,  la capitale congolaise, Kinshasa, attribue une très large place à cette langue. C’est le super véhiculaire de la capitale, langue de communication de masse de Kinshasa, ville province, siège des Institutions du pays. Même s’il n’est pas possible de se faire comprendre dans tout le pays avec le lingala, il reste la langue véhiculaire orale de l'Armée nationale.[13] Dans les écoles ou centres de formation militaire (voire des policiers), c’est le lingala qui est la langue des troupes en uniforme.  

 

   Pour S. LEFORT, 99 % des habitants de Kinshasa parlent le lingala contre 68 % le français.[14] Le lingala est aussi la langue de musique congolaise. Comme on le sait, la rumba congolaise occupe une place de choix en Afrique et dans le monde. En effet,  la rumba est véhiculée en lingala par ses chanteurs dont certains se produisent dans les grandes salles de spectacle en Occident, par exemple, à Paris : le Zénith, l’Olympia, Bercy, etc. En dehors du pays, à l’époque du Maréchal Mobutu, ce fut la langue de  l’identification culturelle, cherchant à placer le lingala au-dessus des autres langues nationales. 

 

  • Le swahili : le swahili est parlé, soit comme première langue, soit comme langue seconde, par environ 40 % de la population congolaise, ce qui en fait la langue la plus parlée du pays.[15]  Le swahili est parlé dans toute la partie Est du pays : les provinces du Bas et du Haut Uélé, de l’Ituri et de la Tshopo ; les provinces du Maniema, du Nord et du Sud-Kivu ; les provinces du Tanganika, du Haut-Katanga, du Lualaba et du Hhaut-Lomami. Son usage dans l’armée depuis les invasions de 1997 reste stratégique parmi des hommes en uniformes. C’était  la langue d’accession au grade dans la hiérarchie militaire. Etant la langue des grands officiers militaires, connaitre le kiswahili ou sa pratique ouvre des voies à ses locuteurs.

 

Il existe plusieurs variantes du swahili, notamment dans l’ancienne Province Orientale, le Maniema, les Nord et Sud Kivu, le Katanga et le Nord du Kasaï.

 

  • Le ciluba : le ciluba ou le tshiluba est pratiqué par quelque 6,3 millions de locuteurs dans quatre provinces issues du Kasaï : Kasaï, Kasaï central, Kasaï oriental et Lomami.[16]  Elles sont situées au centre sud de la République Démocratique du Congo,  Nous pouvons distinguer deux variantes dialectales du ciluba : celle de l'Est représentée par le peuple Luba et celle de l'Ouest par le peuple Lulua. Cette langue bantoue de la famille nigéro-congolaise bénéficie du statut de langue nationale et d'une orthographe standardisée qui est l’objet d’études par des linguistes africanistes, particulièrement ceux qui la pratiquent.

 

  • Le kikongo : le kikongo, avec ses millions de locuteurs, est utilisé principalement dans les provinces du Kongo-central, du Kwilu, du Kwango et du Mai-ndombe. Il existe aussi un kikongo dit « commercial », appelé « mono kutuba », normalement utilisé par l'administration dans les quatre premières provinces précitées. Ce dernier est dit « kikongo ya l’Etat ». Ce sont là les deux variantes du kikongo et au sein de chaque variante, il existe encore une régionalisation du kikongo. Celui parlé au Kongo-central est différent de celui parlé dans les provinces de Maï-ndombe, Kwilu et Kwango. 

 

   Parmi ces langues nationales, il faut noter que la pratique et / ou usage de trois d’entre elles (kikongo, swahili et lingala) débordent les frontières nationales de la RD Congo. Le lingala est également parlé au Congo-Brazzaville et en République centrafricaine. Le kikongo est parlé aussi au Congo-Brazzaville et en Angola. Le swahili est largement en usage dans tous les pays frontaliers de l’Est de la RD Congo, notamment l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Kenya, la Tanzanie, la Zambie, ainsi qu’au Malawi et au nord du Mozambique. Quant au ciluba, langue nationale qui n’est en usage qu’à l’intérieur du pays, c’est donc une langue véhiculaire, et aussi une langue vernaculaire.  

 

2.4 Les autres langues congolaises (locales / ethniques)

 

   Depuis l’accession du pays à l’indépendance, aucune mesure linguistique n’est prise en faveur de toute une panoplie des langues congolaises, exceptées les quatre langues nationales, qui s’étaient déjà imposées dès avant l’indépendance.

 

   C’est pourquoi, le français et les langues nationales congolaises sont légiférés dans la Constitution et sont cités nommément, ce qui n’est pas le cas des autres langues du pays. La nouvelle constitution de 2005, en vigueur depuis le 18 février 2006, a repris les dispositions linguistiques suivantes en son article premier qui stipule : « …sa langue officielle est le français, ses langues nationales sont le kikongo, le lingala, le kiswahili et le ciluba. L’Etat en assure la promotion sans discrimination. Les autres langues du pays font partie du patrimoine culturel congolais dont l’Etat assure la protection ».

  

   Le nombre exact des langues congolaises varie selon les études : déjà en 1967, P. Alexandre (1967 :9) indiquait que : 

«  des estimations sont cependant possibles, qui vont de 200 ou 250 à plus ». Il poursuit, « les raisons de cette incertitude sont multiples. Théoriques d’abord : les spécialistes ne s’accordent pas encore sur les critères généraux de distinction entre langue et dialecte, ni sur leur application aux différents parlers observés sur le terrain. (…) raisons pratiques ensuite, jusqu’à ces toutes dernières années, la grande majorité des études sur les langues africaines ont été le fait d’amateurs, peu nombreux, et souvent sans formation appropriée ».

 

   Pour Ngalasso M.M. (1986 : 8-9), plusieurs facteurs expliquent l’incertitude sur le nombre des langues au Congo, comme dans beaucoup d’autres pays africains. Il y a d’abord le fait que pendant longtemps aucun inventaire systématique n’a été effectué, malgré les nombreuses recommandations des linguistes demandant lors des recensements généraux des populations, l’insertion des questions linguistiques. Une autre raison d’incertitude est la fluidité de la notion de « langue » et l’imprécision des critères de distinction entre langue et dialecte, de sorte que plusieurs dialectes d’une même langue ont pu être inventoriés comme des langues à part entière.

 

   Premier inventaire scientifique, l’Atlas Linguistique du Congo, (ALC, 1998) faisait état d’environ 212 langues. Quant à R. Rénard (2000 : 71), il indique que « (…) la R.D Congo ne compte pas moins de 250 langues », nombre repris dans l’article de l’Office National de Tourisme paru dans la revue « Regards sur Kinshasa », n°3, Avril 2005 : environ 250 langues parlées au Congo. Pour Kilanga M. (2009), « Les politiques linguistiques en Afrique », donne les informations suivantes : (…) 60 millions de personnes en République démocratique du Congo utilisent 206 langues (…). Enfin, l’Atlas linguistique de l’Afrique centrale révisé en 2005 ((ALAC) vient de montrer que la RDCongo compte 234 langues.

 

Conclusion ?

                                                    

   La langue demeure un réservoir des stratégies langagières pour les locuteurs congolais. En RD Congo, pays complexe du point de vue linguistique, ces langues constituent une richesse culturelle pour ce peuple. Dans cet article, notre mission était de passer en revue la situation  linguistique du Congo. Cette analyse nous a permis de nous acquérir des conditions de la place qu’occupent les langues. Certes, trouvant écho dans les textes légaux, le multilinguisme congolais est facteur de la dynamique culturelle. Chaque langue joue pleinement sa ou ses fonction (s) dans les conversations et surtout dans l’usage de communication intersubjective.

 

Bibliographie

Alexandre, Pierre (1967), Langues et langages en Afrique Noire, Paris, Payot.                          

Boshab Mabudj, E. (2001), République Démocratique du Congo : entre les colombes et les faucons, où vont les partis politiques, Kinshasa, Presse Universitaire du Congo.

De Villers, Gauthier, « Identifications et mobilisations politiques au Congo-Kinshasa », Cahiers africaines, CEDAF, Tervuren, n°27-28-29, Septembre 1998, pp. 81-97. Disponible sur : http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/072081.pdf.

De Villers, Gauthier et J. Omasombo (1998),  Zaïre. La transition manquée (1990-1997), Cahiers Africains, Bruxelles ; Institut africain  CEDAF, Paris, l’Harmattan.

Duverger, M. (1965), Les partis politiques, Paris, Ed, A.Colin.

Kasoro Tumbwe, R. (1999), « Position de l'anglais en République Démocratique du Congo », DiversCité Langues.  En ligne. Vol. IV. Disponible à http://www.teluq.uquebec.ca/diverscite

Ngalasso M.M. (1986), « Etat des langues et langues de l’Etat au Zaïre », in Politique africaine, n°23, septembre 1986, pp.7-28. Disponible sur : http://41.204.94.197/index.php?lvl=notice_display&id=47447

Nyembwe Ntita (1994), « Le français du Zaï

Par Alain ISHAMALANGENGE NYIMILONGO, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024