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Maryse Condé et la dénonciation des indépendances africaines dans Heremakhonon

(En attendant le bonheur)

Raphael Numbi Kyose°         

raphaelnumbi44@gmail.com

Résumé

   Maryse Condé s’excipe de la pérégrination de Veronica en quête effrénée de son identité pour fustiger véhémentement les excentricités

Du pouvoir despotique de Mwalimwana, le tyran-épigone du pouvoir colonial, qui s’abreuve du sang du peuple sur lequel il est établi. Certes, au travers de cette fresque, Maryse Condé s’évertue à dénoncer les indépendances africaines en général, d’autant plus que les similitudes sont indubitables.

 

Mots clés : Dénonciation-Postcolonialité-Indépendance-Afrique-Despotisme éclairé.

 

 

O. Introduction       

   La fascination que le continent africain a exercée sur moult écrivains antillais de la première génération, notamment Aimé Césaire, Frantz Fanon, Léon-Gontran Damas, Jacques Roumain, etc., va se poursuivre chez leurs successeurs Maryse Condé, Jacques Stephen-Alexis, André et Simone Schwartz. Bart, etc., mais à un degré moindre, avant de s’estomper sous la récente vague des apôtres de l’Antillanité et de la Créolité comme Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Edouard Glissant, Suzanne Dracius, etc.

   C'est avec l'avènement des indépendances de la quasi-totalité des Etats en 1960, que l'histoire africaine a connu  une rupture, mais également, un nouveau rebondissement. Le bilan de cette période s'est avéré  mitigé, mais également incitatif. D'où le regard critique de l'élite d'antan, va-t-il  s'orienter vers d'autres cibles. Celles-ci sont dorénavant incarnées par le pouvoir néo-colonial bâti sur le despotisme, le bâillonnement des consciences, la déshumanisation des concitoyens.

   La question ultime qui sous-tend cette étude se focalise sur la vision de Maryse Condé sur la politique africaine des Etats indépendants. A la recension du corpus constitué de Heremakhonon, nous pouvons, sans aucun doute, arguer que la vision que porte Maryse Condé sur la politique africaine des Eta[1]ts indépendants est marqué  par un pessimisme immodéré. Elle l’a reconnu elle-même dans une confidence à Françoise Pfaff en lui confessant qu’elle avait un penchant pour la controverse.

   Il importe de citer l’actuelle Guinée-Conakry comme partie intégrante de ce vaste ensemble. Les différences entre cette Guinée et la Guinée mythique de l’âme caribéenne restent à préciser. De la flopée romanesque  de Maryse nous avons à dessein retenu ce roman correspondant au cycle africain de la Guadeloupéenne Condé, à savoir, Heremakhonon ou en attendant le bonheur (1976). Un examen minutieux du corpus littéraire  en étude révèle que la vision de Maryse Condé sur la politique africaine des Etats indépendants est pessimiste.   

   Pour étayer nos allégations sur cette vision de Maryse, nous relevons en épilogue de Heremakhonon, cette assertion du protagoniste, qui cristallise la vision condéenne: « Je me suis trompée, trompée d'aïeux/ voilà tout. J'ai cherché mon salut là où il ne le fallait pas. Parmi les assassins ». (Here p.214)

   L'œuvre romanesque de Maryse est hantée. Inspiré par les tragiques événements de 1962, dans la Guinée de Sékou Touré (révolte des enseignants et des élèves, sauvage répression policière, brutalités de tous genres, événements qui traumatisèrent, de manière pérenne, Maryse Condé. Ces événements ont constitué la veine sous l'emprise de laquelle Maryse Condé se consacra sans complaisance à la dénonciation des indépendances africaines, cliché pour lequel elle avait reçu moult critiques acerbes des critiques patentés de la littérature négro-africaine.

   De façon tonitruante, l’auteure a littéralement affirmé  que les Africains ont une part de responsabilité dans la traite ou l'esclavage qu'ils ont connus : « La traite est la résultante d’une collusion entre les souverains Nègres et les Blancs dont le souci commun est le profit et ce, au détriment du peuple. »[2]

   Ses convictions ont été confrontées, quand elle est partie pour l'Afrique. C'est là qu'elle a connu son désenchantement, qui remettait en question les prémisses sur lesquelles était fondée la Négritude, à savoir  que les Noirs, de par leur commune origine géographique, sont tous semblables et solidaires. Or Maryse Condé avait surtout découvert une Afrique qui vivait très mal son indépendance. Elle ne s'était pas gênée de tracer des portraits cinglants des nouveaux dirigeants dans ses deux romans, Heremakhonon et Une saison à Rihata, ainsi que dans les propos qu'elle tenait en public : «Balayé le grand rêve panafricain» (Notre Librairie, juillet-septembre 1996).

 

  1. Brève biographie de Maryse Con

 

   Maryse Condé est née en Gouadeloupe le 11 février 1937 à Pointe-à-Pitre où sa scolarité secondaire s’est déroulée avant qu’elle ne vienne à Paris étudier les Lettres Classiques à la Sorbonne.En 1960, elle se marie au comédien Mamadou Condé et part pour la Guinée où elle affronte les problèmes inhérents aux Etats indépendants. Après son divorce, elle continue avec ses quatre enfants de séjourner en Afrique, notamment  en Guinée, au Sénégal, en Cote-d’Ivoire et aux Etats-Unis. Les deux volumes de son best-seller Ségou ont rencontré un public considérable. Avec Moi, Tituba, sorcière… Noire de Salem elle reçoit le grand prix littéraire de la Femmme, le prix Anais Nin de l’Académie française, en 1988. En 1993, elle a été la première femme à reçevoir, pour l’ensemble de son œuvre le prix Puterbaugh décerné aux Etats-Unis à un écrivain de langue française ou espagnole.Après avoir enseigné à Harvard elle est actuellement professeur à l’Université de Columbia à New York. Somme toute, sa carrière foisonnante est auréolée d’une flopée de prix et distinctions littéraires, dont nous avons récencé 18 prix littéraires et, le plus récent Prix de la Nouvelle Académie (le Nobel alternatif 2018), lui avait été décerné  en 2018 (à 82 ans) pour l’ensemble de son œuvre.En sus, nous avons pu répertorier chez Maryse, écrivain prolifique, 17 romans touffus, 4 récits, 8 pièces théâtrales,7 anthologies,24 essais ainsi que 8 Nouvelles.

 

2. Condensé  de  Heremakhonon

   Dès ce premier roman, Maryse Condé se révèle une grande conteuse de l’Afrique et des Antilles, romancière de l’épopée et du mythe. Ecrit il y a treize ans, Heremakhonon ; expression malinké signifiant « Attends le bonheur » n’a rien de militant et se trouve aux antipodes de l’idéologie de l’époque.  Lucide, cynique, d’un désenchantement peu commun au beau milieu des années soixante dix. Précurseur. Il fallait oser écrire :

« J’ai cherché mon salut parmi les assassins » (Here p.214)

    S’agissant de la quête d’identité d’une Guadelou-péenne Guadeloupéenne en Afrique! Veronica, la narratrice :

«  partie  sur la crête de la négritude, à l’appel de ses hérauts pour découvrir selon ses propres termes,  ’ce qu’il y avait avant, c’est-à-dire le passé africain’, s’aperçoit que le passé ne sert de rien quand le présent a nom malnutrition, dictature incarnée dans cette intrigue par le père de la nation qu’est Mwalimwana… qui veut dire Notre père, bourgeoisies corrompues et parasitaires. Ses démêlés sentimentaux avec son ‘‘ Nègre avec aïeux’’ » (Here p.43)

   Cette  assertion  matérialise  la distance aujourd’hui mesurée entre l’Afrique et ce qu’il est convenu d’appeler sa diaspora et éclaire l’absurdité qui consiste, en plein XXème siècle, à parler du « monde noir ».Il fallait de la témérité et de la verve, de la rage et de l’indignation aussi pour gagner le pari d’un tel premier livre. Maryse Condé passe l’épreuve avec une force bouleversante.La diaspora  et  l’Afrique renouent tout en signalant leurs trajectoires spécifiques. Le voyage en Afrique est un pèlerinage aux sources. Le rêve de retrouver le paradis perdu guide les pas de Véronica dans Heremakhonon.

 

  1. Les excentricités des indépendances africaines dans Heremakhonon.

Ahuri des apparats des épigones du pouvoir colonial, Veronica s’écria:

« Ils sont marrants, ces gamins ! Est-ce qu’ils veulent que Mwalimwana s’en aille à bicyclette comme les souverains du Danemark ? Les souverains du Danemark  n’ont plus rien à prouver. Lui, Mwalimwana, au contraire. Un berger devenu père de la nation doit s’entourer de faste. Ces enfants ont-ils entendu parler de l’ancien esclave Christophe? »[3](Here p.35)

   Et de sa cour? Il lui fallait prouver, toujours prouver qu’il était civilisé:

« […] Et pourtant, Mwalimwana, ils ne sont pas contents. Cela je m’en suis déjà rendu compte. Ils comptent vos Mercedes et s’indignent des parures de vos femmes. Ils disent qu’une oligarchie avide a pris la relève de l’Europe. Au lieu du Coran, ils psalmodient Fanon. Hier ils ont voulu m’entrainer dans une discussion  des Damnés  que je n’ai pas lus. Mea culpa ! mea maxima culpa ! » (Here p.35)

 

    Et plus loin encore dans un autre diptyque qu’est Une Saison à Rihata :

Etaient-ils aveugles, ces enfants? Aveugles et sourds? Ils se plaisaient à brailler des slogans. Ils allaient présenter une pièce en six tableaux qui exaltait les événements de ce 28 décembre où Toumany avait pris le pouvoir. […] le pays était un vaste corps souffrant qui ne pouvait plus cacher ses plaies. Elles offusquaient tous les regards. »[4](Here p.89)

   Les œuvres de Condé de l’ère postcoloniale se sont enlisées surtout dans le contexte des indépendances africaines des années 1960, et c’est là qu’il faudrait situer sa venue à l’écriture, et établir des similitudes qui consacrent la convergence thématique avec les œuvres d’Ahmadou Kourouma dans Les Soleils des Indépendances, dont ces passages:

« La colonisation, les commandants, les réquisitions, les épidémies, les sécheresses, les indépendances,  le parti unique et la révolution sont exactement des enfants de la même couche, des étrangers au Hadarougou, des sortes de malédictions inventées par le diable. »[5]

   Thème à la mode dans les années 1960, actualité politique oblige, les Indépendances ont fait l’objet d’une interprétation dynamique par cet écrivain, l’élevant à une dimension nouvelle. Pour s’en convaincre, il suffira de citer les premières lignes d’Heremakhonon de Condé :

« Franchement on pourrait croire que j’obéis à la mode. L’Afrique se fait beaucoup en ce moment. On écrit des masses à son sujet, des Européens et d’autres … Or c’est faux. Je n’obéis pas à la mode. »[6] (Here p.88)

 

   Il s’agit donc de mettre en exergue la vision de Maryse Condé sur l’Afrique des indépendances à travers Heremakhonon.Le point nodal de cette approche s’articule autour de la vision que secrète l’œuvre condéenne sur les indépendances africaines. Véronica – la « névrosée de la diaspora », est en quête acharnée de son identité selon ses propres termes, « Pour essayer de voir ce qu’il y avait avant »[7](Here p.31), c’est-à-dire le passé africain, dont elle s’aperçoit que le passé qui la hante ne sert à rien quand le présent a pour nom malnutrition, dictature, bourgeoisies corrompues  et parasitaires. 

   En effet, dans sa pérégrination, en vue de recouvrer son identité originelle, la fille du marabout mandingue s’aperçoit que les pays africains vivent très mal leurs indépendances, Mwalimwana, le tyran-épigone du pouvoir colonial instaure un pouvoir despotique qui s’abreuve du sang du peuple sur lequel il est établi:« lui ? Lui? Sa famille n’a jamais fait que s’engraisser du sang du peuple … » (Here p.104).  

 

Mwalimwana, assurément, est le prototype de tous ceux qui ont hérité des colons le pouvoir politique:

« Ne disait-on pas qu’ils s’étaient précipités sur les voitures et dans les villas luxueuses que les Blancs avaient abandonnés ?. Que c’était d’ailleurs pour cela qu’ils avaient pris leur indépendance ? Avoir les biens matériels des Blancs (le colonisé est un envieux, c’est Fanon qui l’a dit) et leurs femmes, blondes. La femme blonde, c’est connu, c’est le rêve du Noir »[8].(Here p.45)

 

   A en croire notre romancière, les indépendances octroyées à la plupart des pays africains, étaient  mutilées et vidées de leur sève. En effet, tout semble avoir été conçu pour que les futurs dirigeants africains soient dociles aux anciens maîtres. Pour ce faire, les volontés populaires sont bâillonnées, les élections tripatouillées pendant que l’on observe des antagonismes entre les différents partis ou syndicats rivaux, qui aspirant au pouvoir, antagonismes insidieusement encouragés et attisés par les forces occidentales:

« Il faut que tu fasses tout pour voir Saliou. Pour toi, ça ne sera pas difficile, n’est-ce pas ? Cette question me fouette plus qu’un reproche.  Dis-lui que les copains et lui ne perdent pas espoir. Nous allons ameuter l’opinion internationale »[9]. (Here p.229)

 

   Le but des puissances coloniales est  de rendre le train-train quotidien de la vie des Africains rude, en entretenant la répression sauvage du peuple et la terreur constante, de sorte que l’arbitrage de la puissance coloniale s’impose comme un facteur imparable au rétablissement de la stabilité.

   La puissance coloniale, cependant, persuadée de l’inéluctabilité de l’indépendance, avait décidé d’œuvrer pour garantir ses intérêts à venir. Or, pour réaliser ce dessein, une alternative s’imposait : soit la puissance coloniale devait procéder au placement systématique d’hommes entièrement  dévoués, par le biais desquels elle devait s’assurer de la pérennisation de son hégémonie, soit un cartel d’hommes qui régnerait  sans gouverner, c’est-à-dire qui devaient se résigner à jouer l’exécrable rôle de marionnette docile. Tel est le profil recherché par les anciennes puissances coloniales, chez les nouveaux maîtres de l’Afrique « indépendante ». Dans cette ornière, Maryse  Condé ne s’était pas gênée de tracer des portraits cinglants des nouveaux dirigeants dans ses deux romains, Heremakhonon, dont Mwalimwana, et Une Saison à Rihata, dont Toumany récemment promu,Timonier suprême Président à vie :

« Un vacarme à nouveau, mais cette fois, des coups de sifflet, des hurlements de sirène, des toits scintillants  de voitures lancées à toute  allure. Le Président et son escorte… De quoi est-ce qu’il rit, ce Birama III ? Vous savez le nom que notre président s’est donné ? Mwalimwana… qui veut dire Notre Père. »[10]. (Here p.28)

  

   Il sied de souligner que l’on peut décrypter à travers cette dénomination les indices de la mégalomanie des dictateurs qui prennent le soin d’allonger leurs noms et titres dès leur accession au pouvoir.  Bien des despotes sont convaincus que cette pratique sert à immortaliser  l’homme. Mwalimwana, essaie  quant à lui d’asseoir de son vivant les jalons de son éternisation dans la mémoire des générations futures. Le tyran, en effet, s’arroge les attributs divins qui lui confèrent une légitimité sempiternelle. Les exemples sont légion où cette mégalomanie obsédante s’illustre.

 

   Pour faire un parallèle, en RD.du Congo, nous avions connu des présidents comme Mobutu Sese Seko kuku Ngwendo wa Zabanga, Sisa Bidimbu, etc. Pour sûr, il y a une propension implacable à la déification que la nomenclature nomme « érotomanie divine »[11]. Cette pratique incite le dictateur à se doter, de façon inconsciente, de qualités divines dans ses gestes et paroles lors d’une allocation et / ou une harangue politique. Dans Perpétue de Mongo Beti, le président Baba Toura est surnommé « Excellence Grandissime et très magnanime Monsieur le président très affectionné Baba Toura »[12].

   Le dictateur dont il s’agit dans Heremakhonon se couvre de traits fins, se prétend démocrate et affiche de façon ostentatoire et fate ses intentions, ses volontés voire il s’évertue à mobiliser l’admiration du peuple sur ses actions ostentatoires que Mamadou K. qualifie de « névrosé narcissique »[13]. Celle-ci consiste en une surévaluation de soi doublée d’une profonde admiration pour sa propre personne. Le profil de Mwalimwana répond pertinemment à celui d’un névrosé narcissique:

« A 14h30, Mwalimwana et les membres de son bureau politique apparaissent sur l’estrade, pavoisée aux couleurs nationales. Mwalimwana porte un costume mao. Son langage est simple et direct. - Mes enfants, avions-nous des routes du temps des Blancs ? Des hôpitaux, des écoles, des cités H.L.M pour abriter vos parents, des magasins d’Etat pour acheter le riz et l’huile et la sauce tomate? Avant, les Libanais et les Maures insultaient vos pères et mères pour 10 francs de crédit. Mes enfants, qu’est-ce que vous reprochez à votre Père ? Si un de vous a un reproche à lui faire, qu’il se lève et n’ait pas peur. Qu’il n’ait pas peur surtout : si un enfant lave ses mains, il peut manger avec ses aînés. Je vous écoute » [14](Here p.77) 

 

   L’on peut déduire de cette assertion que Mwalimwana s’extasie en « névrosé narcissique » à travers son allocution, dans une constante sublimation de son moi, à telles enseignes qu’il paraît, à ses yeux, non seulement comme le summum de la beauté physique,  mais aussi, comme le modèle typique de la grandeur spirituelle.

   Comme il est aisé de s’en apercevoir, la mégalomanie constitue un trait fondamental de la personnalité d’un dictateur.  Dans un ancrage sémantique, on peut retenir que la mégalomanie est « un comportement pathologique caractérisé par le désir excessif de gloire, de puissance »[15]. Le sujet mégalomane est donc victime d’une folie de grandeurs qui se manifeste tant dans ses rapports avec les autres que dans ses actes personnels et intimes.

 

 

3.1. Défis et dérapages des animateurs du pouvoir postcolonial

   Mwalimwana, le tyran mythomane avait été incarcéré par les Blancs pour avoir organisé avec d’autres cheminots la première grève nationale qui a paralysé tout transport de marchandises à travers le pays. A proprement parler, Mwalimwana n’est guère le protagoniste du roman, néanmoins il est mis en exergue, parce qu’il incarne le pouvoir mégalomaniaque dont Maryse fustige les excentricités du pouvoir politique, qui serait pire que celui auquel ils ont succédé ; à savoir le pouvoir colonial :

« Evidemment les Blancs l’emprisonnèrent lui et quelques autres. Alors le peuple se souleva, marcha jusqu’à la prison et on dut libérer ces hommes dont on avait maladroitement fait des héros. Hélas ! Ces compagnons de Mwalimwana, ceux qui avaient été emprisonnés avec lui (le nouveau directeur hoche tristement la tête, n’étaient que des démagogues avides de remplacer un pouvoir par un autre ; c’est ce qu’ils prouvèrent sitôt l’indépendance acquise. Deux s’exilèrent dans un pays ennemi d’où ils calomnient le régime.  Un troisième mourut de maladie, que la terre lui soit légère ! Le quatrième, ah ! le quatrième ! il avait formé un parti d’opposition que Mwalimwana toléra longtemps dans sa grande bonté, puis il dut interdire. »[16] (Here p.177)

 

   On peut deceler de cet extrait que le phénomène d’obsession du pouvoir est indissociable de la mégalomanie dont il n’est qu’un aboutissement. Mwalimwana dans son carcan imprenable se désolidarise de tous ceux qui l’ont hissé au mât du pouvoir politique, il s’accapare le pouvoir dont la conservation devient une préoccupation hypocondriaque. Il s‘entoure alors de collaborateurs fanatiques et frénétiques: «Entouré d’hommes sanguinaires, corrompus, prêts à tout pour garder le pouvoir. Le pire de tous Ibrahima Sory… » (Here p.47)

 

   Birama III, abrégeons. Parle-moi seulement de cet Oromoko, de son vrai nom Ibrahima Sory. El Hadj, car il est allé à la Mecque. Birama III s’excite davantage : « C’est le ministre de la Défense et de l’Intérieur. Un assassin. Les mains rouges du sang du peuple ! … »[17] (Here p.58)

 

   Là, nous avons le profil authentique de confidents de dictateurs, qui s’organisent en système opportuniste, tout juste adapté à la circonstance. Ainsi, celui qui arrive au pouvoir avec le zèle de redresser des torts est indexé et devient, par la force des choses, un oppresseur sadique. Souvent, cet entourage du dictateur s’érige en faction opaque où le tyran est davantage dans une cloison isolationniste à  Heremakhonon, et gouverne au travers de ses collaborateurs. Généralement, ces Etats africains sont des Etats policiers où règnent l’arbitraire, les emprisonnements sans cause, les tortures -, les vengeances assouvies sous le travesti de la loi:

« Vous savez combien de prisonniers politiques il y a dans les camps de ce pays ? Combien de pères  de familles sont arrêtés chaque jour pour des « délits d’opinion » ? … Vous refusez de comprendre ! Ah ! Pardon, j’ai pasrfaitement compris.  Il y a des prisonniers, voire des morts qui n’en valent pas le coup. La révolution n’en vaut pas pour son fumier… »[18]. (Here p.104)

 

   Pour sûr, les dictatures que les indépendances africaines ont engendrées sont toutes quasiment jalonnées de supplices, d’exactions perpétrées contre les siens, de violences odieuses, de répressions cautionnées par ceux qui détiennent le pouvoir. Mwalimwana, le héros atypique  de Maryse, revêt la stature requise d’un dictateur. D’ailleurs, tous les ingrédients d’un régime totalitaire sont réunis à travers cette affabulation, où Mwalimwana dans sa cruauté pour l’enracinement de son pouvoir s’arroge tous les moyens de communication d’Etat, interdit vigoureusement toute association politique, qu’il traite de subversive, instaure un parti unique, rempart d’un pouvoir individualisé et exclusif. En effet, ce pouvoir est individualisé, parce qu’e l’essentiel du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire est concentré entre les mains d’un seul individu qui est le président.  Mwalimwana est « l’archétype de la personnalité mana »[19](Here p.113)qui inculque à certains hommes non seulement le désir ardent de vaincre, de triompher de toutes les épreuves, mais aussi, celui d’être l’objet d’admiration :

 « Ah, après tout ce que Mwalimwana a fait pour eux ! Gâtés, gâtés ! S’ils avaient grandi du temps des Blancs ! Quand avoir son certificat d’études était une performance ! Mwalimwana est un saint que sa bonté même perdra  … »[20]. (Here p.15)

Cette assertion  démontre le tempérament insatiable d’un dictateur, malgré tous les pouvoirs qu’il détient, qui réprime vigoureusement tout ce qui constitue une menace au maintient de son pouvoir. Pour accomplir ses desseins, il s’appuie fondamentalement sur des institutions taillées sur mesure : le parti unique et la milice.

 

Conclusion

  

   Véronica, l’héroïne de Heremakhonon résume l’objet de son voyage africain en ces mots : « Ni commerçante. Ni missionnaire. Ni touriste. Touriste peut-être. Mais d’une espèce particulière à la découverte de soi-même. »[21] (Here p.15)

 

   Le retour à cette source méconnue se présente à elle comme la condition sine qua non de  la vraie connaissance de soi. C&r

Par Raphael NUMBI KYOSE, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024