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« L’image de l’Européen et de l’Africain dans « Chérie Basso » de Zamenga Batukezanga »

Par

Blaise BULELE KWAKOMBE*

b.bulele@yahoo.fr

Résumé

Cet article essaie de prélever, catégoriser et qualifier les images sécrétées par Zamenga Batukezanga dans « Chérie Basso » où il peint, d’un côté, le tableau de l’Afrique et du Zaïre (de la R.D. Congo) et, de l’autre côté, le tableau de l’Europe afin d’établir une comparaison dans différents aspects de la vie, à savoir la politique, la culture, l’éducation, la religion, etc.  

 

Mots-Clés : Imagologie, image, stéréotype, littérature comparée, Européen, Africain.

 

  1. Introduction

 

L’objectif de cet article qui porte sur l’Imagologie est de présenter, comparativement, l’image des Européens et celle des Africains, telles que secrétées dans « Chérie Basso », un récit de voyage de Zamenga Batukezanga, publié en 1983. Plus précisément, nous nous proposons d’exploiter les deux principaux axes de l’Imagologie, à savoir  les images extracontinentales (extranationales), c’est-à-dire les images des autres et les images intracontinentales (intranationales), c’est-à-dire les images du milieu de l’écrivain dans ledit récit.

 

Dans le cadre de la Littérature Comparée, l’« aventure » comparatiste implique une attitude d’ouverture à l’Autre et aux manifestations culturelles qui lui sont propres.

 

En effet, le récit de voyage, en tant que matière première des études imagologiques, tel que l’affirme S.M. Carvalheiro Cabete (2010 : 9) constitue un domaine très important. En effet, il s’impose comme espace littéraire, par excellence, qui permet l’émergence de l’espace étranger, en donnant visibilité à un « jeu » d’observation entre celui qui observe et celui qui est observé, observation multiforme – physique, psychologique et culturelle –, ce qui nous permet de saisir toute une idéologie qui lui est sous-jacente et qui s’insère dans un cadre plus complexe, celui des rapports culturels entre différents pays. C’est donc la logique de l’image «en soi» qui constitue la préoccupation dominante de l’Imagologie. (Ibid. : 9).

 

Ainsi, pour élaborer une image de l’étranger, l’auteur ne copie pas le réel. Par contre, il sélectionne un certain nombre de traits jugés pertinents pour la représentation de l’altérité. Sur ce, l’Imagologie a pour tâche de décrire ces éléments, de les rapprocher des cadres historiques, sociaux et culturels qui en forment le contexte, et de déterminer ce qui appartient, en propre, à la création de l’écrivain.

 

Pour cette étude, commençons par définir quelques concepts clés avant de proposer un résumé de l’œuvre sous examen, pour bien saisir le contenu épistolaire de Zamenga Batukezanga. Puis nous présenterons l’inventaire des expressions et des phrases à caractère descriptif recensées dans ce récit de voyage. Enfin, nous tâcherons de catégoriser, de qualifier et de décrire les images prélevées dans cette œuvre.

 

  1. Définition des concepts

Dans ce premier point, nous préciserons le sens des vocables suivants : Imagologie, image et stéréotype pour leur meilleure compréhension.

 

    1. Imagologie

 

L’imagologie est l’une des orientations de la littérature comparée. Bien des spécialistes estiment qu’elle nécessite une démarche pluridisciplinaire. C’est un rapproche-ment de la littérature et des orientations d’ordre social ou culturel. Pour S.M. Carvalheiro Cabete (2010 : 7), l’Imagologie s’intéresse à un domaine fondamental de la Littérature Comparée: « Les relations entre les écrivains et les pays étrangers telles qu’elles se traduisent dans les œuvres littéraires ».

 

Nous pouvons cependant retenir, à la suite de S.M. Carvalheiro Cabete, (Ibid. : 9) que « l’étude imagologique favorise l’examen par une culture du système de valeurs qui gouverne son appréhension de l’altérité. C’est sans doute l’intérêt de cette dimension critique, au sens kantien du terme, qui a mené, dans la seconde moitié de ce siècle, au développement remarquable de ce domaine au sein de la Littérature Comparée.»

 

De l’avis de J.M. Moura (1999 : 188), « l’Imagologie éveille, depuis des années, un intérêt toujours croissant chez les chercheurs et elle permet d’établir des liens évidents avec d’autres domaines émergents des Etudes Littéraires et de la Littérature Comparée ».

Par ailleurs, nous pouvons donc nous poser la question de savoir ce que c’est une image et quand est-ce qu’elle devient un stéréotype. Ceci nous permettra de comprendre les types d’image dont il est question dans ce travail.

    1.  Image

P. Brunel et Y. Chevrel (1963 : 138) commencent par admettre que l’image est un mot passe-partout dont le contenu n’est pas très clair. Toutefois, ils tentent de la considérer comme une représentation, c’est-à-dire comme « quelque chose qui tient lieu, pour quelqu’un, de quelque chose, … de quelque chose d’autre ». Explicitement, ces derniers expliquent la représentation comme « mélange de sentiments et d’idées dont il importe de saisir les résonnances affectives et idéologiques » (Ibid. :136). C’est aussi l’avis de Pageaux (1994 :62) qui estime que « l’image reste un mot flou, passe-partout, faussement commode. »

D’après P. Brunel, Cl. Pichois, A.M. Rousseau (1983 :64) l’image peut être définie comme « une représentation individuelle ou collective où entre des éléments à la fois intellectuels et affectifs, objectifs et subjectifs ». 

À cet effet, l’image littéraire suppose un ensemble d’idées sur l’étranger déclenchant une analyse de deux ou plusieurs cultures mises en confrontation, où l’émergence de l’Autre est filtrée par le regard d’un sujet, historiquement situé à la lumière d’un schéma mental et une matrice culturelle qui lui sont propres. (S.M. Carvalheiro Cabete, (Op.cit. : 6).

D’après J.M. Moura et dans le contexte des études imagologiques, l’image littéraire possède une triple dimension: elle est à la fois une image d’un espace étranger, une image qui provient d’une nation ou d’une culture (d’un imaginaire socio-culturel) et une image créée par la sensibilité particulière d’un écrivain et, par conséquent, elle ne peut pas être évaluée par son degré de conformité avec le réel, mais par sa fonctionnalité et valeur esthétiques. (J.M. Moura, 1998 : 43).

    1.  Stéréotype

Le stéréotype, par contre, apparaît comme une « croyance, une opinion, une représentation concernant un groupe et ses membres. » (Amossy et Herschberg, 2005 : 34). Mais il est aussi présenté par des images réduites. Ces mêmes auteurs insistent sur le caractère réductionniste du stéréotype surtout par les traits grossiers d’autrui.

Il faut reconnaître, comme bien d’autres chercheurs, que le stéréotype est un terme difficile à définir. Pour B. Namvar Motlagh (1), l’une des raisons provient de son caractère interdisciplinaire.  Malgré ces différences, il y a toujours des caractères communs par lesquels le stéréotype préserve, en quelque sorte, son unité sémantique. Cet auteur essaye de relever certains de ces caractères communs tout en spécifiant les caractères propres à la littérature comparée. Selon lui, en effet, chaque stéréotype se définit par certaines spécificités :

- il se caractérise par la répétition. Le stéréotype devient par cette répétition une image figée ;

- il se définit également par le «déjà dit», le «déjà entendu» ou même le «déjà vu». On ne peut pas préciser les premiers emplois ou les origines des stéréotypes ;

- il s’inscrit à la production et ensuite à la mémoire collective. Il n’est pas une invention personnelle ;

- en ce qui concerne l’aspect épistémologique, il aide la cognition commune. En conséquence, il réalise l’hégémonie cognitive et sociale ;

- le stéréotype représente un type de réductionnisme, car avec ses images figées il réduit les images de l’autre.

En ce qui concerne la Littérature ComparéeB. Namvar Motlagh, (Ibid. :64) ajoute les caractères suivants :

- les stéréotypes intégrés dans l’œuvre littéraire constituent le corpus de la littérature comparée. Par-là, une grande partie des stéréotypes ne s’est pas considérée comme l’objet des études de l’imagologie. Ceci est un caractère commun pour toute la littérature ;

- il faut également que les stéréotypes soient interculturels ; autrement dit les stéréotypes intraculturels n’appartiennent pas à la littérature comparée. Il s’agit d’un caractère réservé à la littérature comparée et non pas à toute la littérature. Le stéréotype imagologique doit donc avoir tous ces caractères cités et il est donc plus restreint, plus limité.

Comme toute image, affirme J. Nsonsa Vinda (1997 : 25), le stéréotype peut être mélioratif ou péjoratif. Mais l’idéal de l’imagologie littéraire est « l’abandon des préjugés à l’égard des nations étrangères afin d’instaurer un climat de compréhension internationale et favoriser l’entente et la paix ».

 

 

  1. Résumé de l’œuvre « Chérie Basso »     

Chérie Basso est une collection de correspondances intimes que l’auteur adresse à son épouse restée à Kinshasa, pendant ses longs séjours à l’étranger. C’est, en réalité, une demande formulée par sa chère épouse qui se plaint de n’être pas suffisamment informée de ses précédents voyages. L’auteur l’a, d’ailleurs, précisé en ces termes : « Je tiens cette fois-ci à te faire revivre, dans leurs moindres détails, tous les événements, et, dans la mesure du possible, à te faire part de mes impressions.» (p. 13-14).

La première correspondance à sa femme est celle écrite depuis Bruxelles où il vente le progrès industriel du pays sur tous les plans de la vie. Pour lui, ce progrès aurait comme conséquence la fainéantise, ou mieux,  la paresse juvénile.

Globalement, dans toutes ces correspondances adressées à sa chère épouse, Zamenga établit une comparaison entre la vie des Européens et celle des Africains, avec tous les détails possibles. C’est pour dire que les échanges d’expérience avec les autres sont au centre d’intérêt de l’auteur.

Pendant son voyage, Zamenga a rencontré ses compatriotes, ses collègues écrivains africains, parfois qu’il n’avait jamais vus auparavant, mais avec qui il aurait partagé son expérience personnelle au sujet de la prise en charge des handicapés de son Centre Kikesa lors de multiples colloques internationaux où il avait été invité.

Dans sa dernière correspondance écrite depuis Pforzheim (Allemagne), l’auteur exprime sa joie d’être le modérateur d’une cérémonie de mariage, un acte qu’il a accompli avec enthousiasme.

En conclusion, nous retenons que tous les thèmes sociologiques ont été traités par Zamenga. Parmi ces différents thèmes qu’il a développés dans Chérie Basso, nous pouvons donc citer la politique, les mœurs, la religion, la formation, etc.

  1. Inventaire des énoncés à caractère descriptif

 

Voici les expressions et les phrases contenant des images que nous avons pu prélever dans Chérie Basso en vue d’une analyse imagologique.  

C.B.1. « Cependant, servis par ces facilités, les Européens deviennent de plus en plus paresseux : ils sont de plus en plus incapables d’effectuer une centaine de mètres à pieds ». p. 15.

C.B.2. « Les canadiens mangent beaucoup, presque pour rien». p. 41.

C.B.3. « En apprenant toutes les péripéties de mon séjour à Winnipeg, Athanase Gakwaya (Rwandais) dit sans ambages aux autres frères africains : "Il faut être Zaïrois (Congolais) pour réussir ce coup."  Explicitant sa thèse, il affirma : "Les Sénégalais et surtout les Zaïrois (Congolais) sont deux peuples africains qui ont une extraordinaire facilité d’adaptation. Ils se débrouillent ingénieusement. Lorsqu’ils arrivent dans un pays, même pour la première fois, et même sans avoir de sous ou quelque chose d’autre, ils parviennent en peu de temps à nouer des amitiés avec les autochtones et à mener la vie comme s’ils avaient toujours vécu dans ce pays. C’est ainsi qu’en trois jours, ce Zaïrois (Congolais) vous connaît Winnipeg comme sa  poche ». pp.42-43.

C.B.4. « Tout ce qui est grand et luxueux effraie de plus en plus les Européens ». p. 76.

C.B.5. « En européen on ne pouvait jamais imaginer que Kadima est d’origine luba et moi Kongo. Phénomène rassurant parce que certains Européens et certains Africains nous font entendre que les liens de fraternité africaine diminuent et se transmuent  plutôt en individualisme ». p. 84.

C.B.6. Chérie, les cafés ont ici un but et une signification tout à fait différents. Chez nous, un bar ou un café est plutôt un lieu de gens de vie légère : des prostituées, des ivrognes, des malfaiteurs, des exaltés… Ici, un café est aussi apparemment un lieu public de détente et de divertissement. Mais les cafés servent surtout de cadres de rencontre entre personnes de mêmes idéaux, de même doctrine idéologique ou philosophique. Beaucoup de savants et d’écrivains ont élaboré leurs théories scientifiques ou écrit leurs œuvres les plus célèbres dans des cafés.

C.B.7. «… car dans nos pays il s’est créé une mentalité qui reflète notre sous-développement : celui qui termine l’école primaire ou secondaire méprise le paysan, et l’étudiant universitaire, une fois ses études terminées, croit que le peuple lui doit des villas et un grand parc des Mercédès, celui qui obtient un doctorat  exige qu’on le considère comme un «   Seigneur ». p. 94.

C.B.8. « …Paris, une ville qui, à elle seule, constitue le trésor, non pas seulement de la France, mais aussi du monde. Paris est à la fois un foyer culturel, un berceau de l’humanisme, espoir de la liberté et de la démocratie… ». p.98.

C.B.9. « En Afrique on dit que le temps est élastique : c’est le temps qui doit être au service de l’homme et non l’homme au service du temps ».  p. 106.

C.B.10. « Ce n’est pas demain que l’Européen cessera d’identifier le Noir, surtout l’Africain, à l’incapacité, au désordre, à la fraude ». p. 112.

C.B.11. « Les rites ne semblent évoluer ici : la messe à laquelle j’ai participé était dite en latin. Je pense que l’Afrique fait plus dans la modernisation de l’Eglise. Elle se soucie, de loin bien plus que l’Europe, de la participation du peuple de Dieu au culte. Ici c’est toujours le célébrant qu’on voit  et qu’on entend ». p. 117.

C.B.12. « C’est maintenant seulement que je commence à comprendre le constat si amer d’un observateur averti : " L’Africain qui fait ses études chez lui et qui n’est jamais sorti de son pays possède à peine le niveau culturel d’un jeune américain ou européen qui sort de l’école primaire" ». p. 123.

C.B.13. « A entendre les jeunes d’aujourd’hui, j’ai l’impression qu’ils sont tiers-mondistes. Ils semblent  refuser l’héritage que veulent leur léguer leurs parents, estimant que c’est un héritage-poison, honteux, car ce serait le fruit de la domination de la race blanche, de l’Europe, sur les autres races et continents. Et ils rejettent cette civilisation de consommation non pas seulement parce qu’elle consomme les produits mais plus grave, elle consomme l’homme ». p. 157.

 

  1. Catégorisation, qualification et description des images prélevées

Dans ce point, nous distinguerons, en premier lieu, les images neutres, c’est-à-dire objectives des images subjectives, c’est-à-dire celles dans lesquelles entrent les éléments affectifs. En deuxième lieu, il sera question de qualifier ces images, c’est-à-dire voir si ces représentations sont positives ou négatives. En troisième lieu, enfin, nous tenterons de décrire ces images, c’est-à-dire dégager les vraies (images) et les stéréotypes. Il y a lieu de préciser ici que notre attention portera plus sur les images négatives que d’autres parce que ce sont elles qui intéressent principalement les études imagologiques.

Pour ce faire, nous utiliserons l’abréviation C.B. pour désigner Chérie Basso, et nous associerons à cette abréviation un chiffre correspondant à l’une des phrases inventoriées au deuxième point de notre étude au lieu de reprendre ces phrases en intégralement. 

D’après les images que nous avons relevées dans Chérie Basso, Zamenga exploite surtout les représentations subjectives (dans lesquelles entrent les éléments affectifs) que les images objectives, (secrétées dans leur neutralité intellectuelle).

La première subjectivité apparaît clairement dans C.B.1. Il y a ici une sorte de complexe de supériorité et de confiance en soi, parce que Zamenga (l’Africain) s’estime encore capable d’user de sa force naturelle pour travailler, alors que l’Européen serait devenu moins travailleur du fait d’être soutenu chaque fois par la force de la machine. Cette image négative que Zamenga sécrète de l’Européen est vraiment un stéréotype.

Dans C.B.2 Zamenga veut bien marquer sa différence culturelle en prenant pour illustration le régime alimentaire et même la quantité de nourriture consommée par repas. C’est une généralisation abusive, donc un stéréotype qui, d’ailleurs est négatif. 

A notre avis, Zamenga fait mention d’une image objective sécrétée par Athanase Gakwaya (un écrivain rwandais) dans C.B.3. Les propos de cet écrivain pourraient être justifiés par le fait que le Sénégal et le Zaïre (Congo) sont comptés parmi les pays hospitaliers en Afrique. C’est pour cette raison, parfois que les Sénégalais et surtout les Zaïrois (Congolais) ont la facilité d’intégration, quel que soit l’endroit où ils peuvent se trouver. C’est donc une image positive.

L’auteur s’aperçoit du processus de miniaturisation et simplification qui caractérise la société occidentale dans C.B.4. Nous constatons Zamenga sécrète un stéréotype intermédiaire qui repose sur l’évolution des mentalités engagée dans le tournant de Nouvelles Technologies. L’homme blanc tant vers un rapport très décomplexé envers les technologies en dépit de leur extrême complexité, à la fois sur le plan de la manipulation, de l’efficacité, de la disponibilité, etc.

S’agissant de l’énoncé C.B.5, Zamenga fait allusion à la fraternité, à l’hospitalité et à la solidarité africaine comme valeurs caractéristiques de l’âme nègre, et donc, presqu’inconnues des Européens. Il se révèle clairement que l’écrivain, étant Africain, il se ressource dans la mémoire collective de la société à laquelle il appartient. Cette image a pour but de démentir des idées figées véhiculées par des écrivains étrangers qui la qualifient de « générosité instinctive » (2).

Dans C.B.6, Zamenga secrète une image comparative. Il y a, certes, dans cette vision de l’auteur, une différenciation des approches africaine et occidentale de certains milieux comme des cafés, des hôtels, etc. Il peut être vrai que les terrasses, les cafés soient effectivement des lieux qui inspirent des écrivains, des artistes, etc. Cependant, de là affirmer que beaucoup  de savants et d’écrivains ont élaboré leurs théories scientifiques ou écrit leurs œuvres, rien n’est moins évident. C’est donc un stéréotype.

L’auteur secrète cette fois-ci une image intra-africaine dans C.B.7. Il décrit donc l’évolution négative de la culture africaine, en indiquant le fossé qui se crée entre les évolués et les « autres ». En fait, les intellectuels sont, en Afrique, des « mindele ndombe » dont les rapports sociaux sont calqués sur le modèle colons-colonisés

En effet, nous remarquons, à la fois, la subjectivité et l’objectivité de l’auteur dans C.B.8. Il n’est pas vrai que Paris soit le trésor de la France et du monde. Ceci est un stéréotype qui dénote une extrapolation. L’auteur, de culture francophone, trouve dans la capitale de la France « le centre » du monde, sur le plan culturel et politique. Toutefois, c’est l’opinion la plus répandue fondée sur les faits. C’est la capitale la plus visitée pour différentes raison dont les monuments, la culture. C’est le pays des droits de l’homme, puisque la devise de la France est : « Justice, égalité, fraternité ».

A notre avis, c’est dans C.B.9 qu’apparaît l’objectivité de l’auteur. Au regard de la vie sociale, politique, culturelle, religieuse, etc., nous disons oui, l’Africain prend tout son temps ou croit avoir toujours le temps. En revanche, l’Européen se soumet au temps. L’Européen va vite, alors que l’Africain prend son temps, même pour lever son pied et marcher. Toutefois, c’est un stéréotype qui s’inscrit dans la mémoire collective.

Considérant l’énoncé C.B.10, il se révèle que l’auteur est en train de généraliser une situation relevant d’une expérience particulière. Même s’il faut admettre que tous les Noirs ont subi une expérience historique très fâcheuse. C’est donc un stéréotype, c’est-à-dire une généralisation abusive.

Sur le plan religieux, Zamenga établit une comparaison entre l’Afrique et l’Europe dans C.B.11. L’Européen apparait, aux yeux de cet écrivain, moins préoccupé du sens religieux. Mais cela peut se justifier par la conjoncture générale d’une société fortement marquée par l’économie et ses exigences : travail, production, consommation, échange, etc. L’Europe a bâti sa civilisation sur une certaine vision de la modernité. Or, la modernité exige une religiosité responsable orientée vers la moralisation publique et l’assomption de la réalité sociale et non l’évasion vers des fantasmes charmés et surexcités.

L’auteur secrète l’image réductionniste dans C.B.12. Nous pouvons comprendre que le niveau éducatif des Européens ou Américains soit plus développé que dans nos pays. Mais de là, dire, de manière dégradante, que le niveau d’un universitaire africain est à peine équivalent au niveau d’un garçonnet blanc, n’est pas vrai. Quel drôle de complexe et de stéréotype !!

Il secrète, finalement, une représentation intra-culturelle dans C.B.13. Il est démontrable que les jeunes d’aujourd’hui sont, d’une certaine façon, opposés aux vieux d’autres générations. Mais ce n’est pas forcément pour réagir contre la culture occidentale, une culture de consommation.

Conclusion

Dans cette étude, il a été question de prélever les images secrétées par Zamenga dans son récit de voyage, intitulé « Chérie Basso ». Comme nous l’avons dit ci-haut, ce récit est constitué, dans son ensemble, d’une série de lettres intimes que Zamenga avait adressées à son épouse Basso. Il a donc peint deux tableaux pour établir la comparaison dans différents aspects de la vie, notamment l’aspect politique, culturel, éducatif, religieux, etc. D’un côté, le tableau de l’Afrique et du Zaïre (de la R.D. Congo). De l’autre côté, le tableau de l’Europe.

Nous soulignons ici que la plupart des images secrétées par Zamenga sont des stéréotypes, c’est-à-dire des généralisations abusives. Nous notons, par ailleurs, que les images des Africains ou des Zaïrois (Congolais), telles que présentées par cet écrivain ont un caractère réductionniste, donc négatif, contrairement à celles des Européens, dans leur majorité. Ceci pourrait être justifié par le fait que Zamenga, comme tout Noir ayant subi la relation de rôle « Colon-Colonisé », a un complexe d’infériorité vis-à-vis des occidentaux.

Nous pouvons terminer en disant que nous avons tous besoin les uns des autres, personne ne peut se suffire à lui-même. Tel est le principe de la Littérature Comparée. Les inégalités, les injustices de tout genre apparaissent au moment où certains exploitent ce qu’ils croient être les faiblesses des autres et surtout lorsqu’ils croient que le rôle qu’ils exercent, les responsabilités qu’ils assument doivent obligatoirement leur conférer des privilèges. Ces éléments, à notre avis, seraient à la base des stéréotypes. C’est pour cette raisons que la Littérature Comparée exige du chercheur un mouvement de décentration de soi-même vers les littératures et cultures-autres, ce qui, paradoxalement, permet d’avoir une perception plus aiguë de sa propre réalité et de sa propre culture, (S.M. Carvalheiro Cabete (2010 :2).

BIBLIOGRAPHIE

  1. AMOSSY, R. et HERSCHERG PIERROT, A., (2005), Stéréotypes et Clichés, Paris, Armand Colin.
  2. BRUNEL, P et CHEVREL, Y., (1963), Précis de la littérature comparée, Paris, PUF.
  3. BRUNEL, P., PICHOIS, CL., ROUSSEAU, A.M., (1983), Qu’est-ce que la littérature comparée, Paris, Armand Colin.
  4. CARVALHEIRO CABETE, S.M., (2010), Le récit de voyage au Portugal au XIXème siècle: altérité et identité nationale, Thèse de doctorat, Université Sorbonne Nouvelle – Paris III.
  5. MOURA, J.M., (1999), « L’Imagologie littéraire: tendances actuelles », in Perspectives comparatistes (Études réunies par Jean Bessière et Daniel–Henri Pageaux), Paris, Honore Champion.
  6. MOURA, J.M., (1998), L’Europe littéraire et l’ailleurs (sic), Paris, PUF.
  7. NAMVAR MOTLAGH, B., « Les stéréotypes à travers le prisme de l’imagologie », in Recherches en langue et Littérature Françaises, Revue de la Faculté des Lettres, Année 5, N° 7, Université de Shahid Beheshti, le 23 juin 2013, pp. 61-81.
  8. NSONSA VINDA, J., (1997), « Qu’est-ce que l’imagologie ? », in Racines et croissance. Revue des Lettres et Sciences Humaines de l’Université du Bas-Zaïre, Vol.1, n°1 janvier-juin 1997, Presses Universitaires Kongo, pp. 25-36.  
  9. PAGEAUX, D.H., (1994), La littérature générale et comparée, Paris, Armand Colin.
  10. ZAMENGA BATUKEZANGA, (1983), Chérie Basso, Kinshasa, Médiaspaul, Réimprimé en 2009.  

Notes

  1. Lire à ce sujet, B. Namvar Matlagh, « Les stéréotypes à travers le prisme de l’imagologie », in Recherches en langue et Littérature Françaises, Revue de la Faculté des Lettres, Année 5, N° 7, Université de Shahid Beheshti, le 23 juin 2013, p.63-64.
  2. « Générosité instinctive », c’est le qualificatif attribué à la solidarité africaine par  CARS, Guy des, (1963), Sang d’Afrique. 2 L’amoureuse, Paris, Flammarion.
 

* Doctorant en Lettres et Civilisation Françaises, Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Kinshasa (République Démocratique du Congo).

Par Bulele Kwakombe Blaise, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024