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Lecture des Mots d’amour pour Galatée, recueil de poèmes    

       de Bertin Makolo Muswaswa et Alex Tshimanga  

Mutombu Yembelang Dieudonné*  

dieudomut9@gmail.com

Résumé

Cette lecture, essentiellement explicative, est centrée sur la thématique du recueil. Elle en relève les points de convergence et ceux de divergence dans l’écriture des deux auteurs.

Mots clés : thématique, amour, écriture, femme

 

Introduction

   Ce propos explicatif s’adresse principalement aux amis du livre, à ceux qu’attirent les rayons peu fréquentés des bibliothèques à la recherche des perles rares que la paresse du public ou son inattention ont injustement jetées dans les oubliettes. Nous avons cru opportun de partager avec eux notre lecture du sujet abordé par Les Mots d’amour pour Galatée1 afin de les amener à découvrir ce recueil de poèmes congolais  publié, de concert, il y a près de deux décennies, par Alex Tshimanga et Bertin Makolo Muswaswa.

   A la parution de cette œuvre en 2000, Alex Tshimanga, qui s’appelait Tshimanga Membu Dikenia à l’époque de l’« authenticité zaïroise », en était à son troisième recueil après Fleurs de cuivre (1973) et Vin d’ombre (1974). Quant à Bertin Makolo, dont la dernière œuvre connue, intitulée La Devineresse(2001), est une pièce de théâtre, il avait fait ses premiers pas en poésie avec son recueil écrit en ciluba , Kanyi Kalambo (1979), avant de se confirmer sur l’échiquier  national en publiant coup sur coup Glacis (1987), Viatique (1987) et Munanga wanyi (1990), traduit en français sous le titre de Mon Bien-aimé  par Mukash Kalel et Kashala Mwepu. La particularité de cet écrivain est qu’il versifie aussi aisément en français que dans sa langue maternelle, le ciluba.

Le mythe de Galatée

   Le titre du recueil qui nous occupe aujourd’hui évoque une figure de la mythologie grecque. Selon l’éditeur, Galatée,

« Fille de Nérée et de Doris, est une divinité maritime dont le Cyclope Polyphème était amoureux. Mais la laideur du Cyclope était d’une telle horreur que Galatée prenait la fuite à son approche ; elle lui préférait Acis, le jeune berger, pour qui son cœur battait. (…)Galatée, c’est aussi le nom de la statue de jeune fille que Pygmalion, le roi légendaire de Chypre et artiste réputé, avait sculptée et sur laquelle il avait reporté son amour frustré. » (p.3)

   La même note  de l’éditeur précise le sens que les auteurs ont donné au titre de leur recueil. Pour ces derniers, Galatée représente

« la femme idéale, ou si l’on veut la femme vertueuse, celle qui est, selon les saintes écritures, la couronne de son mari. C’est à cette femme, dans sa matérialisation originale et infinie, que l’un et l’autre offrent des mots d’amour comme deux bouquets de fleurs au parfum suave… » (p.3)

   Reproduits en manière d’épigraphe après la note de l’éditeur, des vers pittoresques de Paul Verlaine expliquent le commerce laborieux que les auteurs entretiennent avec les Muses et leur assiduité dans la production littéraire de la R.D. Congo.

   En effet, à la période critique  où ce pays avait du mal à sortir de la transition, il fallait beaucoup de détermination et d’abnégation, une discipline proche de l’ascèse pour créer une œuvre d’esprit digne d’être retenue par la postérité.

   L’ossature du recueil est constituée de trois parties intitulées : « Les braises ardentes et la cendre », « Le baiser de lumière » et « Post-scriptum ».

Du poète Bertin Makolo

   La première partie, écrite par Bertin Makolo, compte douze poèmes dont le premier joue le rôle de prélude et le dernier celui de postlude. Nous lisons dans le titre de cette partie la métaphore de l’amour ardent opposée à celle de l’amour frustré, brisé par les épreuves de la vie ou par d’autres éléments corrosifs du temps.

   Le thème central de cette partie est l’amour conjugal.  Le  chant n’est pas une apologie des sens à la manière des adolescents, mais l’expression d’un sentiment élevé partagé par deux êtres qui ont longtemps cheminé ensemble et qui  se sont réalisés l’un grâce à l’autre, fondus dans le même creuset, pour s’accomplir en Dieu, la finalité de leur pèlerinage.

   Autour du thème de l’amour, gravitent des sous-thèmes, notamment la fuite du temps, la mort, les épreuves de la vie et la foi en Dieu. Le temps qui coule  nous enseigne  la leçon de notre finitude. Chaque jour qui passe nous emporte un peu « de notre verdeur et de notre gaieté juvénile ». Mais le poète sait que la rose de  leur amour, même entourée de ronces, sait braver le temps pour se déployer en Dieu dont elle est la glorification :

« Notre amour est un acte de foi

qui croit en Christ vit

                                                          Même s’il meurt.

 

La terre reprendra la chair

Et Christ l’amour

qui, en nous, est de Dieu. » (p.18)

 

   La femme est simplement cette foi du poète rendue visible. En effet, c’est sa vie vertueuse qui a permis à ce dernier de rencontrer Dieu et d’expérimenter  sa miséricorde infinie. C’est elle qui lui a appris le don de soi, la ferveur religieuse ainsi que la dévotion à la Vierge Marie, cette autre représentation de la Femme par excellence.

« Prosterné comme un pêcheur repentant

Mains jointes comme un premier communiant

je redirai avec toi :

‘je vous salue, Marie, pleine de grâce

Le Seigneur est avec vous’

Le disant nous nous vêtirons ensemble

De couleurs des messagers de Dieu. » (p.16)

 

Du poète Alex Tshimanga  

   La deuxième partie, de la plume d’Alex Tshimanga, est composée de quatorze poèmes, tous titrés et datés, qui feraient autant de morceaux choisis d’une bonne anthologie. Quatorze comme  les quatorze stations du chemin de la croix ? Cela n’est pas certain. Pourtant, ici aussi, le chant d’amour est essentiellement voyage :

« Je m’en vais

Car c’est pour moi l’heure du grand voyage

Je m’en vais embarqué sur la pirogue

de ton sein

Mais un jour je reviendrai

-----------------------------------------------------------

Je reviendrai baiser la peau noire de tes pieds

à l’heure de ton réveil

qui me dira si tu n’as pas changé

après moi » (pp.31-32)

 

   C’est bien là un voyage au bout de la douleur car si, chronologiquement, le chant décolle au moment de la séparation, il traverse, le moment de planer, les affres de la solitude pour se poser, sans crier gare, dans le désert de la frustration :

« Oui, je t’ai aimée, vraiment,

Mais, maintenant

---------------------------------------

Il est trop tard

Pour ressusciter un amour » (pp.32-33)

 

   Ici également, le thème principal est l’amour, l’amour conjugal pris dans le sens de la triade  homme  - femme – enfant. Mais les êtres aimés sont perçus essentiellement comme un manque et une absence. Leur souvenir consume le poète au lieu de l’édifier. Il le déchoit au lieu de l’élever :

« Loin de moi le chant des fleurs

Donnez-moi s’il vous plaît

ma part de honte et de mépris

qui répond à mon angoisse d’être

Voici l’appel venu du fond

du bourbier

qui s’adresse à ma nature

de charogne et d’asticot » (pp.27-28)

 

   Aucune issue n’est laissée  ici à une possible transcendance. L’amant supplicié est irrémédiablement condamné  à ruminer son chagrin, embarqué sans son consentement dans la galère d’une vie sentie comme une « prison » (p.30) voire comme « l’internationale des bagnards » (p.25).

   Le voile du pessimisme recouvre la quasi-totalité de ces poèmes, dans lesquels on lit un autre thème majeur, l’inquiétude existentielle, avec ses sous-multiples comme la solitude, l’incertitude, l’angoisse, la nausée de vivre et même l’appel du néant évident dans ce poème intitulé « Narcisse » :

« C’est un homme foudroyé

un homme devenu fou

qui a lu le message porté

par ton regard

 

L’homme n’est jamais prêt pour

le pire

qui pourtant finit toujours

par arriver

 

Je me regarderai dans le miroir

Liquide

et pour échapper à la laideur

de mon image aquatique

 

Je me jetterai à l’eau

pour diluer ce témoin gênant

de ma déchéance présente

qu’est moi-même » (pp.28-29)

 

 

La 3ème partie du recueil

 

   La troisième partie du recueil est constituée de trois poèmes de Bertin Makolo qui portent, cette fois, des titres. Le dernier, probablement postérieur dans la chronologie, est un chant d’adieu en mémoire de son frère Scout. Les deux premiers situent le poète en Europe, loin de son terroir natal.

   Le séjour à l’étranger, qui ressemble à un exil, lui donne l’impression ambiguë que « l’Europe est un rite de circoncision » (p.38), c’est-à-dire à la fois une épreuve et une initiation.

   Il éprouve la nostalgie de sa terre natale où il a passé « une jeunesse étoilée » (p.40) et l’amertume  de « toutes les hontes bues » (p.40) sur la terre d’accueil, mais il s’émerveille devant la féerie de la nature et la découverte de la leçon qu’enseigne tout voyage. Voyager, c’est mourir un peu, comme on dit. Mais voyager, c’est aussi renaître, c’est s’enrichir des expériences variées qu’offrent les rencontres2 :

« Quel faisceau de lumière

sur le sentier circulaire

qui mène à soi et aux autres.

 

Aux autres par soi

et à soi par les autres. » (p. 39)

  

Pour conclure

   Les trois parties du recueil pourraient donc bien correspondre aux différents mouvements de sa lecture. Les deux premières répondraient aux mouvements ascendant et descendant des itinéraires respectifs des poètes. La troisième, qui épouse un rythme décroissant, offrirait à l’auditeur la pause, au pied de la montagne, propice à digérer les chants entendus.

   Les deux voix qui se relayent dans le recueil se rejoignent en ce qu’elles clament leur amour pour la compagne de vie. Mais leur expérience de cet amour les oppose à plus d’un point. La première voix est comblée par la présence de l’être aimé. Le don de soi mutuel élève le couple vers Dieu en qui il espère s’accomplir. La deuxième voix, par contre, est rongée par l’absence des êtres chers. La séparation et l’angoisse laissent l’amant en proie à la déréliction, à la déchéance et à la frustration.

   L’œuvre littéraire serait-elle, dans ce dernier cas, la bouée de sauvetage pour le poète, la « Galatée » de Pygmalion sculptée pour compenser l’amour déçu ? Nous n’avons pas fouillé dans la vie intime d’Alex Tshimanga, lui-même psychologue clinicien, pour répondre à cette question. Somme toute, tous les sens du titre du recueil dégagés par l’éditeur s’appliquent mutatis mutandis aux différentes voix qui modulent ce chant.

 

Notes

1. MAKOLO Muswaswa Bertin et TSHIMANGA Alex, Les Mots d’amour pour Galatée,       Kinshasa, Editions Arc-en-ciel, 2000, 44p. Les extraits du recueil cités dans cet article sont de cette édition.

  2. Dans son article « L’espace dans la littérature de voyages », Sylvie Requemora, citant Dominique de Courcelles, désigne plus heureusement la fonction didactique du voyage quand elle dit : « Traverser l’espace revient donc à prendre conscience de soi et de la relativité des coutumes : le voyage apprend à voir et à se voir, il est ‘ce détour par autrui qui fait revenir à soi’. », in Etudes littéraires(espaces classiques), sur  https//www.erudit.org  revues etudlitt/2002 du 14/08/2019.

 

 Œuvres de création des deux auteurs

MAKOLO Muswaswa Bertin 

- Kanyi kalambo, Kananga, Editions ISP, 1979.

- Glacis, Paris, Editions Saint-Germain-des-Prés, 1987, 30p.

- Viatique, Paris, Editions Saint-Germain-des-Prés, 1987, 61p.

- Munanga wanyi, Kinshasa, Editions Mwanza Nkongolo, 1990, 34p.

- La Devineresse, Kinshasa, Les Editions universitaires et Arc- en-ciel, 2004,125p.

TSHIMANGA Membu Dikenia Alex

- Fleurs de cuivre, Kinshasa, Centre Africain de Littérature, 1973, 31p.

- Vin d’ombre, Kinshasa, Chez l’auteur, 1974, 31p.

Par Mutombu Yembelang Dieudonne, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024