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De la dénomination des maisons de commerce et

lieux de culte en français de Kinshasa

THOA TSAMBU Gisèle[1]                                   

thoatsambu@gmail.com

Résumé

Dans cette analyse, nous comparons les définitions que le Kinois lambda attribue aux lieux de culte chrétien ainsi qu’aux maisons de commerce avec celles que donnent les dictionnaires Larousse 1998, Le Petit Robert 2015 et le Robert Mobile. La conclusion en est que, dans bien des cas, ces définitions ne se recoupent pas. De l’analyse sémique de ces dénominations : pour les lieux de culte, il en ressort deux sèmes (la religion et Dieu ou Jésus-Christ) et pour les maisons de commerce, le sème commun n’est que la vente.

 

Mots clés : Dénomination – définition – maisons de commerce – lieux de culte – analyse sémique.

 

Introduction

Le but poursuivi par cet article est de ressortir les définitions que le Kinois lambda attribue aux maisons de commerce disséminées à travers la ville ainsi qu’aux différents lieux de culte que l’on rencontre çà et là à Kinshasa. Les sémantismes de ces noms se réfèrent le plus souvent à l’activité qui y est exercée (pour les officines de commerce), voire pour les lieux de culte, ils traduisent les pratiques religieuses qui s’y rapportent. Dans cette analyse, il est question de la comparaison des définitions des dénominations des lieux de culte et de celles des officines de commerce dans les dictionnaires usuels avec les définitions du Kinois lambda.

Nous avons recouru au dictionnaire encyclopédique Larousse de 1998, Le Petit Robert 2015 et le Robert Dixel Mobile pour définir les différents noms de ces lieux de culte et ces officines de commerce.

Notre recherche s’emploie à rapprocher les définitions du locuteur francophone kinois de celles de ces trois dictionnaires de la langue française.

 

 
  1. Le paradigme « nom » en français kinois

Les choses existantes ne peuvent pas être connues, utilisées ou exploitées, voire manipulées sans être nommées oralement ou mentalement. On ne saurait informer son interlocuteur sur quoi que ce soit sans prêter un nom au concept, à l’idée, à la chose reprise dans le propos.

Il n’est pas non plus possible de penser à un objet ou une idée sans au préalable le nommer. Par conséquent, il n’existe pas un concept ou un nom qui ne renvoie pas à quelque chose qui existe, connu ou non.

« La dénomination consiste à traduire par un nom (simple, dérivé ou composé) un objet réel. » (Dubois Jean et alii, 2012 : 134)

Pour Alain Rey (1970 :  30) « (…) les mots sont des sons distincts et articulés, dont les hommes ont fait des signes pour marquer ce qui se passe dans leur esprit (…) Les objets de nos pensées étant (…) ou des choses, ou des manières des choses : Les mots destinés à signifier tant les choses que les manières s’appellent Noms. »

Tout nom renvoie à un objet soit concret, soit abstrait. Du point de vue linguistique, le nom renvoie à l’une des catégories grammaticales du signe linguistique.

Denis Apothéloz (2002 : 4) affirme « que Saussure a établi que le signe linguistique est constitué d’un signifiant et d’un signifié. Le terme « signifiant » désigne la face sensible du signe : si on considère la réalité langagière orale, le signifiant est donc la séquence acoustique par laquelle nous percevons le signe. Le terme « signifié » désigne quant à lui la face intelligible du signe, son contenu (…) Le signifiant lui-même, en tant que fait de langue, (par opposition à un fait de parole), est l’empreinte mémorielle d’une séquence acoustique »

En Grammaire du français contemporain, il existe plusieurs sortes des noms : nom commun, nom propre, nom concret, nom abstrait. Le nom ou substantif est le mot qui sert à désigner les êtres animés et les choses, parmi ces dernières, on range, en grammaire, non seulement les objets, mais encore les actions, les sentiments, les qualités, les idées, les abstractions, les phénomènes, etc. Du point de vue de leur extension logique, on subdivise les noms en noms communs et noms propres… L’étude va porter sur l’analyse en compréhension des noms communs des lieux de culte et de ceux des maisons de commerce.

 

 
  1. Les lieux de culte chrétien

Les lieux de culte chrétien sont divers et diversifiés. Il y a le culte catholique, orthodoxe, protestant, et les derniers issus de protestantisme, les églises de réveil spirituel. Contrairement aux autres regroupements cités, les églises de réveil ont généralement la particularité d’appartenir au pasteur qui en est l’initiateur responsable. C’est le plus souvent lui qui donne l’orientation de son regroupement. Quand bien même ces dernières années il y aurait des tentatives de regroupement sous forme des Assemblées de dieu ou des communautés évangéliques, il reste tout de même une autonomie pour chacune d’elle. Ces regroupements des lieux de culte ont diverses appellations : église, assemblée chrétienne, ministère, centre évangélique, église évangélique, communauté évangélique, mission, mission évangélique, communauté, …

Comme dit ci-dessus, ces regroupements portent leurs appellations selon le bon vouloir du pasteur ou évangéliste qui se trouve à sa tête. Aussi, nous a-t-il été judicieux de nous référer à l’un d’eux[2], qui a contacté ses pairs pour donner des explications conformes à leur entendement.

2.1. Définitions des lieux de culte

Assemblée chrétienne : regroupement des enfants de Dieu qui suivent la vie du Christ.

Assemblée de Dieu : communauté entière de ceux qui croient en Christ et qui appartiennent à Dieu (ou au Christ). La communauté de ceux qui croient en Christ et qui habitent une ville particulière et qui se réunissent régulièrement au nom du Christ. La communauté ou l’assemblée de ceux qui suivent Christ, que Dieu a appelés et réunis pour former le peuple de la nouvelle alliance. Une réunion ou un rassemblement des personnes qui croient en Christ (synonyme de Communauté).  

Centre évangélique présente les mêmes aspects que l’Eglise évangélique, mais le Centre a en outre mission de former le peuple de Dieu avec les cours de Bible, les affermissements.

Communauté évangélique est celle qui tient à se soumettre au Christ en affirmant que la Bible est la parole de Dieu. La Bible : le code de conduite de notre vie, la révélation de Dieu à l’homme.

Eglise : est l’ensemble des hommes qui ont quitté la vie du monde, les pratiques du monde pour se tourner vers le Christ qui est devenu leur Seigneur et Sauveur personnel.

Eglise évangélique, il y a des églises non Evangéliques où la tradition, les philosophies, la sagesse humaine sont mises au même titre que la parole de Dieu. Eglise qui est fondée sur l’Evangile, qui tire ses enseignements de l’Evangile.

Ministère est une charge, une fonction, un service. Le ministère est un service de ceux qui répondent au besoin des autres.

Ministère chrétien, c’est aussi un service qu’un (e) croyant (e) accomplit selon un appel particulier de Dieu pour l’Eglise et la mission.

Mission évangélique, une mission est toute entreprise ayant pour but de propager la bonne nouvelle de Jésus-Christ en répondant à l’appel lancé par Jésus-Christ dans Matthieu 28, 19-20. 

 

2.2. Définitions des dictionnaires

Noms

Le Robert Dixel mobile

Larousse 1998

Le Robert 2015

Assemblée chrétienne

Assemblée : personnes réunies en un même lieu, réunion des membres d’un corps constitué ou d’un groupe de personnes, régulièrement convoqués pour délibérer en commun d’affaires déterminées.

 

 

 

Chrétien : qui professe la foi en Jésus-Christ

Réunion des personnes dans un même lieu. Ensemble institutionnel ou statutaire de personnes formant un corps constitué, une société.

 

 

 

 

Qui appartient au Christianisme

Personnes réunies en même lieu pour un motif commun.

Réunion des membres d’un corps constitué ou d’un groupe de personnes, régulièrement convoqués pour délibérer en commun d’affaires déterminées. 

 

Qui professe la foi en Jésus-Christ.

Assemblée de Dieu

Assemblée : personnes réunies en un même lieu, réunion des membres d’un corps constitué ou d’un groupe de personnes, régulièrement convoqués pour délibérer en commun d’affaires déterminées.

 

 

 

(de) Dieu : Être éternel, unique, créateur et juge

Réunion des personnes dans u même lieu. Ensemble institutionnel ou statutaire de personnes formant un corps constitué, une société.

 

 

 

 

Être suprême, créateur de toutes choses, principe de salut pour l’humanité, dans les religions monothéistes

Personnes réunies en même lieu pour un motif commun.

Réunion des membres d’un corps constitué ou d’un groupe de personnes, régulièrement convoqués pour délibérer en commun d’affaires déterminées. 

 

Être éternel, unique, créateur et juge.

Eglise

Ensemble des chrétiens, ensemble des fidèles unis dans une communauté particulière.

 Société religieuse fondé par Jésus-Christ. Communauté chrétienne

Ensemble des chrétiens. Ensemble des fidèles (chrétiens) unis dans une communion particulière.

Eglise évangélique

Eglise : Ensemble des chrétiens, ensemble des fidèles unis dans une communauté particulière.

 

Evangélique : relatif ou conforme à l’Evangile. Qui est de la religion protestante, fondée sur les Evangiles

Société religieuse fondé par Jésus-Christ. Communauté chrétienne

 

Relatif à l’Evangile ; contenu dans l’Evangile, conforme aux préceptes de l’Evangile.

Ensemble des chrétiens. Ensemble des fidèles (chrétiens) unis dans une communion particulière.

 

Relatif ou conforme à l’Evangile. Qui est de la religion protestante, fondé sur les Evangiles.

Centre évangélique

Centre : lieu caractérisé par l’importance de ses activités, de son influence.

 

Evangélique : relatif ou conforme à l’Evangile. Qui est de la religion protestante, fondée sur les Evangiles

Lieu où sont rassemblées des personnes.

 

Relatif à l’Evangile ; contenu dans l’Evangile, conforme aux préceptes de l’Evangile.

Lieu caractérisé par l’importance de ses activités, de son influence.

Relatif ou conforme à l’Evangile. Qui est de la religion protestante, fondé sur les Evangiles.

Communauté

Groupe social dont les membres vivent ensemble, ou ont des biens, des intérêts communs. Groupe de religieux vivant ensemble. 

Ensemble de personnes unies par des liens politiques, économiques ou par une culture commune. Société de religieux soumis à une règle commune.

Groupe social dont les membres vivent ensemble, ou ont des biens

, des intérêts communs. Groupe de religieux vivant ensemble.

Communauté évangélique

Communauté : Groupe social dont les membres vivent ensemble, ou ont des biens, des intérêts communs. Groupe de religieux vivant ensemble.

 

 

 

Evangélique : relatif ou conforme à l’Evangile. Qui est de la religion protestante, fondée sur les Evangiles

Ensemble de personnes unies par des liens politiques, économiques ou par une culture commune. Société de religieux soumis à une règle commune.

 

Relatif à l’Evangile ; contenu dans l’Evangile, conforme aux préceptes de l’Evangile.

Groupe social dont les membres vivent ensemble, ou ont des biens

, des intérêts communs. Groupe de religieux vivant ensemble.

 

 

Relatif ou conforme à l’Evangile. Qui est de la religion protestante, fondé sur les Evangiles.

Ministère

 

Charge remplie par le prêtre, le pasteur.

Fonctions, charge que l’on exerce, notamment en parlant du sacerdoce.

Charge remplie par le prêtre, le pasteur. Sacerdoce.

Ministère chrétien

Ministère : Charge remplie par le prêtre, le pasteur.

 

 

 

Chrétien : qui professe la foi en Jésus-Christ

 

Fonctions, charge que l’on exerce, notamment en parlant du sacerdoce.

 

Qui appartient au Christianisme

Charge remplie par le prêtre, le pasteur. Sacerdoce.

 

 

Qui professe la foi en Jésus-Christ.

Mission

 

Charge de propager une religion ; prédications et œuvres accomplies à cet effet.

Organisation visant à la propagation de la foi, établissement de missionnaires.

Charge de propager une religion ; prédications et œuvres accomplies à cet effet.

Mission évangélique

 

Mission : Charge de propager une religion ; prédications et œuvres accomplies à cet effet.

 

 

Evangélique : relatif ou conforme à l’Evangile. Qui est de la religion protestante, fondée sur les Evangiles.

Organisation visant à la propagation de la foi, établissement de missionnaires.

 

 

Relatif à l’Evangile ; contenu dans l’Evangile, conforme aux préceptes de l’Evangile.

Charge de propager une religion ; prédications et œuvres accomplies à cet effet.

 

 

Relatif ou conforme à l’Evangile. Qui est de la religion protestante, fondé sur les Evangiles.

 

2.3. Analyse sémique des lieux de culte

« Le sème est l’unité minimale de signification, non susceptible de réalisation indépendante, et donc toujours réalisée à l’intérieur d’une configuration sémantique. Par exemple, l’analyse sémique rend compte de l’opposition chaise vs fauteuil par l’adjonction, au sémème de chaise (composé des sèmes S1, S2 ; S3, S4 ; « avec dossier », « sur pieds », pour une seule personne », « pour s’asseoir »), du sème « avec bras », absent du sémème de chaise et présent dans le sémème de fauteuil. » (Dubois, Jean et alii, 2012 : 134)

Il ressort des recherches sur les noms de ces lieux de culte que les dictionnaires ont une autre approche quant à leur contenu sémique. Ils ne définissent que les noms simples, aucun des dictionnaires ne définit les lexies composées telles que Communauté évangélique, Mission évangélique, Ministère chrétien, etc.  alors même qu’ils y définissent Communauté internationale, commission rogatoire, centre de gravité, … Ces composés sont dits « endocentriques » parce que « la présence d’un élément subordonné à l’autre ne change pas les rapports de celui-ci avec le reste de l’énoncé… » (Mitterrand, Henri, 2000 : 48)    

L’élément commun entre toutes ces définitions s’avère être la religion (Mission évangélique, Communauté évangélique). Un autre sème qui les caractérise, mais qui ne se laisse pas trop transparaitre, c’est Dieu ou Jésus-Christ (Centre chrétien, Eglise, Ministère chrétien).

 

 
  1. Dénominations des officines de commerce

Avant les années 90, la plupart des Kinois s’approvisionnaient en denrées alimentaires dans les « wenze »[3], « zando »[4]. Pour ce qui est des petits achats[5] (savons, biscuit, lait de beauté, …) ils s’effectuaient dans les « ligablos »[6] du coin de la rue. Avec le temps, il y a eu l’avènement des alimentations où étaient vendues des denrées importées (boites de lait, conserve, vin, whisky, …), réservées plus ou moins à une certaine classe sociale. Ces alimentations avaient belle allure. Contrairement au ligablo[7], c’était des officines très soignées, bien éclairées (avec lumière électrique). Le commun de Kinois qui se lançait dans le commerce plus ou moins reconnu dans le registre de commerce de la zone, l’exerçait soit dans un « établissement » (Ets en sigle, ex. Ets Talo malamu), soit dans une boutique (ex. Boutique Lebon). Ces deux officines vendaient, à quelques exceptions près, les mêmes produits ; la différence résidait dans leur taille. Les Ets étaient plus grands et les boutiques étaient de dimension plus petite.

La plupart des alimentations de la cité ont muté soit en « Alimentation &vivres frais », soit en « Vivres frais ». Les « Alimentations » proprement dites ont disparu face à la concurrence des Supers marchés des Asiatiques. La classe moyenne de la population se fie plus à ces Supermarchés quant à la variété des produits qu’ils proposent qui vont des babioles aux produits haut de gamme.

De fil en aiguille, nous assistons au foisonnement d’autres officines telles que Mson, dépôt, shop, salon de coiffure, staff, espace, boutique d’habillement, quincaillerie, pharmacie, terrasse, restaurant, etc.

A quoi se réfèrent ces différentes appellations ?

3.1. Définitions des maisons de commerce en langage kinois

Boutique d’habillement représente généralement une maison de vente des habits importés, de la maroquinerie, des produits de beauté et des bijoux, aussi peut-on y trouver des perruques et des tissages appelés communément « plantes ». Elle est synonyme de Maison d’habillement.

Mson est un sigle qui renvoie à Maison. C’est une enseigne fourre-tout : on y vend à manger, de l’habillement, des matériels informatiques, etc. On peut y trouver aussi des cartes prépayées à vendre. En cela, il se confondrait avec Shop.

Le Shop (mot anglais) est une maison de vente des cartes prépayées en gros et en détail. On y vend aussi des téléphones portables, des périphériques d’ordinateurs. En somme, l’activité principale d’un shop est la vente des matériels de communication et leurs satellites. La vente des cigarettes, des liqueurs et autres produits en quantité limitée n’est que complémentaire. 

Maison de couture, comme le nom l’indique, c’est une officine de confection des habits. La vente étant de mise actuellement dans la mentalité kinoise, la majorité d’entre ces maisons ne se limitent plus à la couture, mais bien plus, elles vendent aussi des habits soit confectionnés sur place soit importés.  

Dépôt ciment. Il est le lieu de vente des sacs de ciments en gros comme en détail. Il a la particularité, contrairement aux autres officines, de ne vendre qu’un seul produit : le ciment.

Dépôt boissons fait office de lieu de vente des boissons alcoolisées et boissons sucrées en grande quantité. Il s’approvisionne directement auprès des entreprises brassicoles. Il fait le relais entre la brasserie et les bars voire les consommateurs[8]. Il arrive que le dépôt vende en détail : il se confond avec le Staff ou la Terrasse. Il y a aussi des dépôts boissons qui jouent tous ces rôles, c’est-à-dire qu’il est à la fois Dépôt-Terrasse-Staff-Espace. 

Dépôt relais, lieu de transaction des entreprises de panification où sont servis les vendeurs des pains en détail. Ces vendeurs prennent des pains en grande quantité pour le revendre aux consommateurs. Ce sont eux les clients principaux des boulangeries, qui, moyennant une rémunération mensuelle, revendent aux consommateurs (clients) kinois.

Par THOA TSAMBU Gisele, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024