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Rôle social de la littérature. L’exemple français

Jean Norbert LULENGE WUTA[1]

Résumé

     L’échange des idées a contribué, contribue et contribuera, à coup sûr, à l’évolution du monde. Et la littérature s’avère être, certainement, l’un des domaines féconds et appropriés. L’étude du rôle social tenu par la littérature françaises depuis le Moyen-Age jusqu’au XVIIIè s, au travers d’un certain nombre de faits spécifiques que nous passons en revue ici, n’est-il pas là pour nous le démontrer ?

Mots clés : littérature, métissage, idées, améliorer, mentalités, progrès, vie sociale.

Introduction

          De nos jours, il existe plusieurs manières d’éduquer le monde sur le plan moral, philosophique, politique ou autres afin de nous aider à changer des mentalités et à améliorer notre façon de vivre. Parmi ces moyens, nous citons les différentes littératures du monde.

          Le monde évolue par le métissage des idées de plusieurs domaines et chercheurs. Et la littérature est donc un des domaines appropriés dans laquelle les idées sont véritablement en vogue. Cette science permet aux hommes ou mieux à la société d’apporter des innovations dans la façon d’agir, de se comporter, de diriger, de commander, de savoir-vivre, de savoir-faire, de savoir- être.

          Pour nous rendre compte de cette évidence ou mieux de ce rôle social de la littérature, nous avons choisi d’étudier la littérature française du moyen-âge au XVIIIe siècle. En d’autres termes, au moyen de cette littérature, nous allons tenter d’en relever quelques faits littéraires qui illustrent mieux ce rôle social de la littérature.

Ainsi, dans le cadre de cet article, nous nous posons les questions ci-après :

  • La littérature française du moyen-âge au XVIIIes joue-t-elle aussi le rôle social ?
  • Au moyen de quels faits littéraires ce rôle social est-il illustré ?

          Quant aux méthodes et techniques utilisées, nous avons eu recours à la méthode historique afin de retracer certains faits littéraires tels qu’ils s’étaient déroulés au passé avant de démonter leur utilité dans la vie présente ; à la méthode structurale : grâce à laquelle nous avons résumé certaines œuvres et étudié le rôle de certains personnages ; à la technique documentaire pour la constitution des données théoriques. Ainsi, le présent article compte deux grands points, le premier parle brièvement de la fonction sociale de la littérature de manière générale et le second montre ce rôle social au moyen des faits concrets de la littérature française du moyen-âge au XVIIIe siècle.

1. La fonction sociale de la littérature

          L'étude de la littérature comme phénomène social remonte à Montesquieu avec De l’Esprit des lois (1748) et à Madame de Staël avec De la littérature considérée dans son prisme avec les institutions sociales (1800). Hyppolite Taine a mis en œuvre le programme dans son Histoire de la littérature anglaise (1885). Etudiant le fait littéraire comme fait social, la sociologie de la littérature s'interroge doublement sur la littérature comme phénomène social avec plusieurs acteurs (institutions, individus producteurs, consommateurs ou critiques) mais aussi sur l'inscription des représentations d'une époque et des enjeux sociaux en leur sein [2].

          Tout texte littéraire est appelé à jouer un rôle donné dans la société et c'est en cela, exactement que réside la notion des fonctions de la littérature. Greimas parle de Sémantique structurale (1966) de la littérature et de ses effets qu'il nomme « fonctions ». Alphonse Mbuyamba Kankolongo (2001) axe ses réflexions autour de l'interrogation suivante : l'écrivain a-t-il un rôle déterminé dans la société ? En guise de réponse, l'auteur pense que le « rôle existe et peut se résumer en quatre points : En premier lieu, les écrivains tiennent lieu de mémoire collective. Ils constituent cette bibliothèque de la culture qui conserve le patrimoine commun. Le deuxième point, c'est que l'écrivain assure des fonctions de Virgile. Pour éviter les écoutas et les abus, il observe la société et indique dans quel sens il faut améliorer telle ou telle chose. Troisième point : l'écrivain est le miroir de la société. C'est par lui que celle-ci se regarde. Enfin, l'écrivain est un voyageur d'avenir. Il perçoit le sens dans lequel la société va évoluer[3]».

         Au XVIIe siècle, la littérature reflète l’opinion des élites avec un but profondément moralisateur, la littérature des Lumières change la donne, puisqu’elle commence à réfléchir sur son rôle en tant que facteur social. Les écrivains se détachent petit à petit des classes dirigeantes et leurs travaux deviennent des symboles de la lutte contre l’oppression des gouverneurs. Au XVIIIe siècle les écrivains ont pris conscience du rôle des « belles-lettres » en tant qu’objet social et facteur de culture.

          Maurice Amuri Mpala-Lutebele affirme que : « La littérature est langage, porteuse de l'imaginaire collectif d'un groupe social. Aussi est-elle appelée à engendrer des mutations sociales. Elle a donc une fonction sociale à remplir ». Pour insister sur le rôle prépondérant de la littérature dans la société, le même auteur, évoquant Paul Ricœur, renchérit : « C'est par la lecture que le texte se fait œuvre, s'accomplit, sort de la virtualité pour devenir chez son lecteur source d'action (...) la littérature est reçue quand elle engendre des mutations sociales[4]». Cette double position de l’art a été aussi mieux défendue par les auteurs modernes au sein de l’Académie française lors de la querelle qui les opposait aux Anciens auteurs de la littérature française au XVIIe siècle sur la supériorité littéraire d’une période par rapport à l’autre. Les Anciens auteurs, dans la continuation de l’humanisme, croient en la supériorité de l’antiquité gréco-latine sur le XVIIe siècle. Par contre, les Modernes soutiennent que « L’art ne doit être pas seulement soumis à l’exaltation d’une beauté intemporelle ; il doit tendre plutôt à l’utilité conformément au principe de la raison[5]».

          Dès lors, la littérature dépasse sa fonction esthétique, pour se transformer en miroir du social. C’est de cette utilité sociale de la littérature qu’il sera question dans cet article. Et pour déterminer ce rôle social, nous nous servons des exemples concrets de la littérature française allant du       moyen-âge au  XVIIIe siècle.

2. Le rôle social de la littérature française du Moyen-Age au XVIIIè siècle

          Dans ce dernier point, nous relevons les faits concrets de la littérature française qui illustrent mieux le rôle social  de cette littérature.  La procédure consiste donc à les relever, à les expliquer et à démontrer leurs implications dans la vie réelle. Pour ce faire, nous avons donc retenu neuf faits ou notions littéraires parmi tant d’autres.                                         

2.1 La Chanson de Roland

          « La chanson de Roland » est un des exemples de la chanson de geste (poème du Moyen-âge qui valorise les actions de hommes forts ou des guerriers ainsi que de leurs familles, c’est donc un poème épique ou guerrier) développé au moyen français par les poètes-chantres appelés Trouvères et Troubadours.  

          Dans cette œuvre, le personnage « Charlemagne a conquis toute l’Europe sauf Saragosse où règne le roi Marsile, le sarrasin. Celui-ci promet de se soumettre et de devenir chrétien. Le personnage Ganelon, beau-père de Roland, est envoyé en ambassade à Saragosse. Mais celui-ci croit que par cette mission, il est condamné à un grand danger, et il se venge en trahissant le jeune Roland auprès de Marsile. Comme la retraite de l’armée française avait commencé, l’arrière-garde commandée par Roland sera écrasé par 4000 sarrasins »[6]. Roland à qui le Roi Charlemagne avait demandé de sonner le cor pour appeler le renfort en cas de danger, le fera trop tard étant fier de lui-même. Il voulait d’abord combattre afin de montrer aux autres de quoi il était capable. Il faut rappeler que c’était à l’époque où régnait la loi de la force. La force d’un pouvoir se confirmait par le nombre des batailles ou des conquêtes remportées. En d’autres termes, le moyen privilégié pour cette période d’accéder au trône était la guerre. Celle-ci permettait de découvrir la force d’un héros, d’un chevalier ou d’un roi.   

          Cependant, lorsque Roland « accepte enfin de souffler dans son cor, il est trop tard, il ne lui reste qu’à mourir en brave au milieu de ses compagnons. Charlemagne le vengera en écrasant Marsile et en châtiant Ganelon»[7].

          L’extrait de ce texte le confirme : 

«Roland sent que son temps est fini.

Il est sur un sommet aigu, le visage tourné vers l’Espagne,

D’une main il se frappe la poitrine :

Dieu, mea culpa à l’adresse de tes vertus,»[8].

 

          L’impact de cette œuvre dans la vie sociale, politique, familiale et professionnelle, nous le tirons dans le personnage de Roland. Celui-ci reste le symbole de bravoure. Il est orgueilleux mais courageux et dévoué. La plupart de gens dans la société veulent toujours être soutenus par d’autres pendant qu’ils ont la force et le moyen de résoudre certains problèmes de la vie. Ils sont souvent victimes de la peur et de l’ignorance. Mais au travers de l’œuvre sous-examen, l’auteur nous apprend via le personnage de Roland qu’on doit d’abord se battre soi-même face à une difficulté, à une embûche, à un blocage, à un torrent, à un dilemme avant d’appeler n’importe quel secours ou renfort. Ne soyons pas des enfants devant de nombreuses difficultés qui surgissent dans notre vie quotidienne.

2.2 Le Roman de la Rose

          « Le roman de la rose », chef-d’œuvre sibyllin, a été commencé vers 1230 par Guillaume de Lorris et ne fut achevé que vers 1280 par Jean de Meung.              

          Il faut ici retracer le contexte dans lequel est née cette œuvre. Nous sommes au moyen français, période pendant laquelle la littérature française est dominée par la chanson de geste. Guillaume de Lorris et Jean de Meung choisissent ce moment pour tourner en dérision la chanson des gestes. C’est donc une œuvre satirique ayant pour but non de vénérer les exploits des héros comme le cas pour la chanson des gestes mais plutôt de critiquer ces héros tout en leur montrant que la force pour réaliser ces prouesses tant vantées par les trouvères et troubadours n’est qu’éphémère. Les auteurs établissent donc un parallélisme entre l’état de la rose qui fleurit le matin revigorée par la fraîcheur et fane le soir brûlée par le soleil. En d’autres termes, les auteurs veulent dire que devant la fraîcheur, synonyme des êtres faibles, nous pouvons vaincre mais en face du soleil, êtres plus puissants, nous perdons. Même si  nous sommes vénérés aujourd’hui à cause de nos exploits, demain nous ne serons pas en mesure de produire les mêmes exploits à cause du temps et de la vieillesse. C’est donc là le caractère éphémère de tout pouvoir humain, si puissant soit-il.

          Par ce parallélisme ou cette métaphore, la littérature française nous apprend à vivre humblement lorsque nous accédons aux postes les plus élevés. Hier, ce n’était pas nous, aujourd’hui, c’est nous et demain, ça ne sera pas nous. D’où préparons le futur à partir du présent. Lorsque le temps et la vieillesse que nous ne pouvons éviter nous arriveront, nous pourrions ainsi bénéficier de ce que nous avions fait au passé comme dit un proverbe congolais « On se réchauffe dans la vieillesse avec les bois qu’on a amassés dans sa jeunesse» Ça ne sert à rien de faire souffrir les autres aujourd’hui puisque nous sommes puissants et forts. Cet héroïsme ne peut résister à la notion du temps qui casse tout et à la vieillesse qui finit par nous réduire à néant. Même si nous brillons aujourd’hui, demain nous finirons par flétrir, altérer et pourrir comme le témoigne l’extrait ci-après du roman de la rose : « Ensuite vieillesse était représentée ; elle était rapetissée d’un bon pied de ce qu’elle avait jadis. A peine pouvait-elle se nourrir tant elle était vieille et faible d’esprit ; elle avait perdu sa beauté, elle est devenue très laide, elle avait la tête toute blanche, comme si elle était fleurie. (..) Son visage, jadis lisse et uni, était maintenant tout flétri et sillonné des rides, elle avait les oreilles ratatinées, elle avait perdu toutes ses dents( …) Le temps qui marche nuit et jour, sans repos, sans arrêt, et qui s’éloigne de nous et s’enfuit si furtivement qu’il nous semble qu’il soit toujours immobile (…) Le temps à qui rien ne résiste, ni fer, ni chose si dure soit-elle, car le temps détruit et mange tout ;   le temps qui transforme toute chose, qui fait tout croitre et nourrit tout, et qui use tout et pourrit tout.   Le temps qui est en train de vieillir nos pères, qui vieillit les rois et les empereurs et qui nous vieillira tous, à moins que la mort nous prenne avant [9]»

2.3 Le Roman de Renart   

          Un autre exemple de fabliaux ou de littérature satirique qui a tourné en dérision la chanson des gestes est « Le roman de Renart ». Il était écrit de XIIe-XIVe s. il est un vaste cycle satirique et une œuvre de différents poètes du Moyen-âge.

                   Dans cette œuvre, les animaux présentent tous des caractères bien tranchés, souvent soulignés par leur nom. Il en est ainsi par exemple pour Noble, le lion ou pour Couart, le lièvre. On retrouve dans la communauté qu’ils forment toutes les structures des institutions humaines. Reflet de la société médiévale, le monde des animaux en fait ainsi une satire violente.

          En définitive, « Le Roman de Renart » met en scène la lutte entre le loup et le renart appelé goupil. En quelque sorte, la société médiévale est relevée à partir de ces deux animaux. En effet le loup représente la bêtise et la force brutale tandis que le renart goupil symbolise la malice et l’esprit vicieux qui triomphe de tous les obstacles. Le « Renart trouve dans le loup Ysengrin un adversaire aussi rustre et stupide qu’il se montre, pour sa part subtil rusé.»[10] Dans les extraits de cette œuvre, le renart a roulé et a trompé tout le monde y compris le roi et les hommes.                                                                              

          Dans la vie sociale, politique, familiale et professionnelle, la littérature française, au moyen du roman de renart, nous apprend une leçon très capitale, celle de savoir que dans la gestion des gens et des affaires, seule la force (représentée dans l’œuvre par le loup) ne suffit pas pour la réussir, il faut également associer l’intelligence et la sagesse (prônée par le renart). C’est le cas dans la bible pour le roi Salomon qui lorsqu’il fallait départager deux femmes qui se disputaient un fils, il eut recours à la sagesse et non à la force. Voila pourquoi dans la vie, il ne faut pas toujours appliquer la force lorsque l’on veut résoudre un problème ou gérer les hommes, il faut de fois faire recours à la sagesse et à l’intelligence, deux manières opposées mais complémentaires.  

2.4 Aucassin et Nicolette

          « Aucassin et Nicolette » est l’un des romans d’aventure le plus célèbre du XIIIes. D’auteur inconnu, cette chantefable se compose d’une alternance régulière de vingt et une parties en vers et vingt parties en prose, les unes chantées, les autres récitées. Les parties en vers sont des laisses ou strophes assonancées d’heptasyllabes.

          « L’intrigue, très romanesque, se situe d’abord dans le sud de la France, à Beaucaire, où deux jeunes s’aiment : Aucassin est le fils du seigneur local et Nicolette une jeune esclave achetée aux sarrasins. Le mariage est évidement combattu par les parents d’Aucassin. Nicolette doit se cacher, fuir, mais parvient finalement à se rapprocher de l’élu de son cœur. A la mort des parents d’Aucassin, et après la révélation de la naissance illustre de Nicolette [qui n’était pas sarrasine mais plutôt française], il ne restera plus qu’aux deux amants à se marier et à vivre heureux[11]

          Mais auparavant, pour éviter le contact physique entre Aucassin et Nicolette, les parents d’Aucassin ont jeté leur fils en prison et Nicolette, d’autre part, était enfermée dans sa chambre, dans une maison en étage.  

          Une nuit où Nicolette était dans son lit, elle vit la lune luire clair par une fenêtre et entendit le rossignol chanter dans le jardin, et elle se souvint d’Aucassin son ami qu’elle aimait tant. Elle se mit à songer à son beau-père qui le haïssait à  mort, elle pensa qu’elle ne devait plus rester là sinon son beau-père viendrait la tuer. Lorsqu’elle aperçut que la vieille, qui était avec elle, dormait, elle se leva, revêtit une tunique de soie qu’elle avait, et fort bonne, prit les draps de lit et les serviettes, les noua ensemble, en fit une corde aussi longue qu’elle put et l’attacha au pilier de la fenêtre ; elle se laissa glisser jusque dans le jardin ; prit son vêtement d’une main par devant et de l’autre par derrière, elle s’en alla au bout du jardin, ouvrit le portillon et s’en alla dans les rues de Beaucaire. Arrivée à la tour où son amant était enfermé, Nicolette escalada un des piliers, s’enveloppant de son manteau passa la tête dans une crevasse de la tour et entendit Aucassin qui pleurait à l’intérieur et se lamentait beaucoup, regrettant sa chère amie Nicolette qu’elle aimait tant.

          Au travers de ce récit de la littérature française du Moyen-âge, nous retenons que dans la vie aussi bien familiale, sociale, professionnelle, politique et autre, il y aura de sérieux problèmes qui peuvent survenir. Certains d’entre eux peuvent nous réduire à néant ou nous clouer. Mais face à cela, nous devons nous comporter comme Nicolette qui incarne dans le récit la ruse, la force, l’intelligence, la détermination En d’autres termes, Nicolette ne s’est pas laissée faire malgré le blocage. Elle a cherché par tous les moyens à sortir de la chambre en étage où elle était enfermée en créant une corde au moyen de ses draps et serviettes. Cette intelligence remarquable lui permit de se rapprocher de son amant.

          Par ailleurs, le récit nous apprend aussi qu’il ne faut pas être comme Aucassin devant le problème. Aucassin est un type d’hommes dans la société qui est davantage apte à se lamenter sur son sort qu’à le changer. Pleurer et se lamenter ne font pas disparaitre les problèmes puisqu’après avoir pleuré et après s’être lamenté, vous trouverez les problèmes intacts. Mais chercher à les affronter par son intelligence et sa force, c’est ce à quoi Nicolette nous recommande.    

2.6 La Farce de Maître Pathelin

          « L’histoire raconte l’aventure du maitre Pathelin Pierre, un avocat sans cause, presqu’appauvri et qui gagne sa vie ou qui se débrouille grâce à sa ruse. Il retire chez un drapier, Guillaume, des tissus sans payer, et quand le marchand viendra chercher son argent à domicile, l’avocat se fait passer pour un moribond qui dénie qu’il n’aurait jamais été cherché des draps nulle part. Mais plus tard, Pathelin sera avocat d’Agnelet, accusé par  Guillaume d’avoir volé ses moutons. Au jugement, Pathelin conseille à Agnelet de ne répondre au cours du procès que par des bêlements. Guillaume qui reconnait l’avocat escroc oublie les moutons qui font l’objet du procès et réclame les draps. Et le juge de s’exclamer : Suz, revenez à ces moutons ! Le berger Agnelet passe pour un idiot et se verra acquitté. Et lorsqu’après le jugement,  le maître Pathelin réclame ses honoraires à son client Agnelet, celui-ci continue à répondre par bée jusqu’à ce que Pathelin était fatigué et il finit par quitter son client sans pour autant recevoir quelque chose de lui alors qu’il avait aidé à gagner le procès »[12].

          La littérature française au moyen de la pièce théâtrale intitulée « La farce de maitre Pathelin » veut nous apprendre qu’ « à malin, malin et demi ». Même si l’homme  roule,  trompe les autres afin de gagner sa vie, un jour arrivera où il sera lui-même trompé ou dupé. La malhonnêteté ne paie pas. Même si durant un certain temps, il procure le bonheur, cependant elle finira par trahir son initiateur. C’est comme qui dirait : « qui croyait prendre, finira par être pris un jour ». Car chaque chose a son temps et chaque action bonne ou mauvaise finira toujours par trouver sa récompense. La littérature par cette histoire nous recommande de vivre dignement, honnêtement afin qu’un jour nous soyons récompensés de nos bonnes œuvres. Nous ne devons pas apprendre à nos enfants, à nos disciples ou à nos proches de mauvaises choses ou techniques pour nuire aux autres puisque demain, ces mêmes armes retourneront contre nous et seront surtout utilisées par les mêmes personnes que nous avons initiées. « L’homme ne récoltera que ce qui l’aura semé »[13].

2.8 Retour de la Pléiade et du Classicisme vers l’Antiquité

          Le Moyen-âge français a détruit la forme des genres littéraires par rapport à ce qui se faisait pendant l’Antiquité. Il faut rappeler ici que les genres littéraires commencent avec cette première période de l’histoire qu’est l’antiquité. Durant cette période, chaque genre littéraire possédait sa propre écriture. C’est ainsi que le roman était caractérisé par la prose, le poème par les vers, le théâtre par les actes et les scènes, le dialogue ou la conversation par les tirets ou la présence des lettres différentes ou des noms des personnages pour montrer l’alternance des paroles. Dans la littérature française du moyen-âge produite à partir des XIe et XIIe siècles, la forme ou mieux l’écriture des genres littéraires n’était pas respectée. La plupart d’œuvres étaient écrites en vers. Même ce qu’on peut aujourd’hui qualifier de genre romanesque et dramatique, tout était écrit en vers poétique. Voilà pourquoi le roman était appelé au moyen-âge poésie narrative, le théâtre, poésie dramatique. 

          Au XVIe siècle avec l’arrivée des auteurs de la pléiade à l’instar de Pierre de RONSARD et Joachim Du BELLAY et au XVIIe siècle avec l’avènement du classicisme, tout semble revenir en ordre. Les auteurs de ces deux siècles ont prôné le retour vers les sources anciennes sur le plan littéraire notamment vers l’antiquité gréco-latine. Au lieu d’imiter la littérature  produite par leurs écrivains du moyen-âge, les auteurs français de XVIe et XVIIe siècles se sont mis à  écrire leurs œuvres littéraires sous les modèles de l’antiquité gréco-romaine, qualifiée comme période de perfection sur le plan littéraire.

          Que retenir de cette imitation ?

          Dans la vie quotidienne, nous ne pouvons pas toujours être fanatiques. Etant scientifiques, nous devons être objectifs dans l’appréciation de choses. Senghor a dit que « Toute vraie culture est métissage ». Ce n’est pas parce qu’un homme n’appartient pas à notre village, à notre territoire, à notre contrée, à notre pays que nous ne pouvons pas l’imiter ou le valoriser quand bien même il produit de bonnes œuvres dignes de louanges. Par contre ceux qui sont de nôtres, lorsqu’ils se caractérisent par de mauvaises choses, nous les encourageons et les valorisons. C’est le fanatisme. Les auteurs des XVIe et XVIIe siècles ayant constaté que leurs propres auteurs ne respectaient pas la forme de genres littéraires, ont imité l’antiquité qui le faisait bien. Voilà l’attitude que doit adopter un homme scientifique. Nous devons apprécier ou réfuter les gens par rapport aux bonnes ou mauvaises choses qu’ils font réellement et non par rapport à leur appartenance dans notre pays, contrée, village ou autre.

2.9 Siècle de la Raison et du Rationalisme  

          Le siècle de la raison ou de rationalisme était également appelé « siècle de lumière ». C’est donc le XVIIIe s de la littérature française. Cet esprit a été énoncé par les Modernes dans la querelle des anciens et de modernes au sein de l’académie française.

          Selon les auteurs de ce siècle, « Le savoir est un devoir »pour tout être humain. Aussi, les auteurs français déclaraient « Ne plus rien abandonner à l’autorité des anciens mais tout soumettre à l’examen de la raison critique»[14]. Voila ce à quoi aspire un siècle obsédé par la raison humaine au point de lui vouer un culte. C’est ainsi qu’il était appelé siècle du rationalisme.

          En d’autres termes, l’esprit philosophique du XVIIIe s est un esprit révolutionnaire caractérisé par la confiance en la raison humaine, capable de résoudre tous les problèmes et par une foi optimiste vers le progrès.

          Dans la vie humaine, nous devons savoir que l’homme est au dessus de tout comme l’affirmaient les humanistes de la renaissance. La raison que Dieu a mise en l’homme différencie celui-ci de toutes les autres créatures de Dieu. Avec cet esprit du XVIIIes,          « Le magister dixit » ou « Le maître a dit » semble être modifié. Chez les Bayaka, il est clairement dit qu’on peut sauter un arbre et non la parole prononcée par un défunt ou un ancêtre ou un grand-père de son vivant. Mais la littérature française du XVIIIes nous apprend que nous ne devons pas tout accepter même si ces paroles ont été prononcées par un ancêtre. Etant donné que nous possédons la raison, il nous est demandé de juger, de réexaminer les choses établies afin de prouver leur validité ou non sur notre temps. Ceux qui les ont établies sont des hommes et ceux qui sont censés les changer sont toujours des hommes. Il peut arriver aussi que ceux qui ont établi ces choses dans le passé se soient trompés, soit emportés par la colère, soit par la joie, voilà pourquoi ; il convient à l’homme actuel qui possède aussi la raison comme ceux-là de procéder à la redéfinition de ces mêmes choses afin de prouver leur raison d’être ou leur inutilité au temps présent. Accepter sans juger est synonyme d’un homme qui n’arrive pas à exercer sa raison.  

2.10 Elaboration de l’Encyclopédie par Denis Diderot et d’Alembert  

          L’encyclopédie est un ouvrage de 17 volumes de textes et de 11 volumes de planches. Pour son élaboration, les auteurs ont mis plus de vingt ans. Il s’agit donc d’un dictionnaire.

          « Ce dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers prétend établir la synthèse de toutes les connaissances de l’époque, dans tous les domaines de l’activité humaine. Il s’agit donc de réunir le savoir théorique, en pleine expansion au XVIIIe S et les applications pratiques qui peuvent en découler; d’où la grande place faite aux techniques, aux planches consacrées à la mécanique, aux sciences naturelles, à l’industrie et à l’architecture »[15]. Avant d’élaborer cet instrument, les auteurs ont soumis toutes ces connaissances à l’examen critique de la raison. Cet ouvrage avait pour but « de rassembler les connaissances  éparses sur la surface de la terre, d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons et transmettre aux hommes qui viendront après nous, afin que les travaux des sciences passées n’aient été des travaux inutiles pour les siècles qui succèderont, que nos neveux, devenus plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux et nous ne mourrions pas sans avoir mérité du genre humain.»[16] 

          Comme on le voit, l’élaboration de l’encyclopédie est une victoire sur la spéculation, sur les sentiments. Dans ce cas, l’esprit encyclopédique est un esprit généreux, créatif confiant à l’homme et à sa raison. Ceci rappelle l’esprit de la renaissance connu au XVIe S qui mettait l’homme au centre de tout. Les auteurs de l’encyclopédie ont tout simplement appliqué ce principe. C’est donc un exemple de la capacité de l’homme à tout mettre en œuvre.  Comme disait Marsile Ficin, l’humaniste italien  « Aucune frontière ne suffit à l’homme ». Donc la raison humaine est capable de tout faire quelques soient les obstacles. Réunir toutes les connaissances du monde dans un livre n’est pas une mince affaire, l’homme l’a fait pour prouver qu’il est capable de tout. Ce qui revient à dire même dans notre temps, il n’ ya pas un domaine qui peut nous sembler impossible. Même s’il est difficile, avec la raison donnée par Dieu à l’homme, ce problème finira par trouver solution. L’homme mesure le ciel et la terre. Il étudie aussi le sous-sol. Même l’eau est étudiée. Donc la littérature nous apprend de ne pas nous négliger puisque Dieu nous a dotés de cette faculté qu’est la raison, laquelle nous permet de tout faire. La raison humaine est donc capable de tout, nous devons l’utiliser en cas de conflits, des difficultés, des problèmes pour les résoudre.

          Tout au long de ce chapitre, nous nous sommes mis à relever dans la littérature française du Moyen-âge au XVIIIe s, quelques faits littéraires qui illustrent mieux le rôle social de cette littérature. Ces faits, bien que littéraires, sont des vraies leçons morales et d’éducation. Ils participent alors à la création d’un monde nouveau et d’une société nouvelle. Aussi, ils favorisent chez l’être humain le savoir-vivre, le savoir-faire et le savoir-être.  

Conclusion

          Au terme de notre étude portant sur « Le rôle social de la littérature. Exemple français», nous venons de répondre aux deux questions principales que nous nous sommes posé au début à savoir :

  • La littérature française du moyen-âge au XVIIIeS joue-t-elle aussi le rôle social ?
  • Au moyen de quels faits littéraires ce rôle social est-il illustré ?

A l’issue de notre deuxième chapitre, nous venons de voir que la littérature française du moyen-âge au XVIIIes, comme toute autre littérature, joue aussi le rôle social. Et celui-ci est mieux illustré par les neuf faits littéraires que nous avons relevés, expliqués et démontrés leurs implications dans la vie sociale. 

          En définitive, étudier la littérature en général et la littérature française en particulier n’est un passe-temps. Car, au-delà des faits littéraires, elle joue aussi le rôle social. Les écrits de la littérature française créent en l’homme le savoir-vivre, le savoir-faire et le savoir-être, vertus nécessaires et appropriées pour le développement humain et de la société.

Bibliographie

  • Mbuyamba Kankolongo, Alphonse, 1977, « Les fonctions

    Par Jean Norbert LULENGE WUTA , dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024