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                             La violence dans l’écriture.

         Une lecture de quelques écrits révélateurs

                                     Kozias EKILA BOSAWA*

Résumé

   Il est question dans cet article de démontrer que  la littérature peut être une émanation des actes de violence. Les auteurs, peu importe leur tribu ou leur pays ou encore leur continent, évoquent dans leurs écrits le souvenir parfois douloureux des atrocités soit de guerre, soit de catastrophe naturelle, soit encore des injustices subies par leurs contemporains, etc. L’Afrique, depuis les temps immémoriaux jusqu’aujourd’hui, est le théâtre de la violence de toutes sortes. D’où le foisonnement littéraire  autour des œuvres  évoquant la violence.

Mots clés : violence, littérature, guerre, viol, catastrophe, atrocité

Introduction

   La République Démocratique du Congo, plus que les autres pays du continent africain, est en proie à la violence dans toutes ses formes, et ce depuis environ trois décennies. En effet, suite à la convoitise que manifestent des grandes puissances mondiales envers les richesses dont regorgent le sol et le sous-sol congolais, doublée de la cupidité des dirigeants congolais, laquelle les pousse à sacrifier le peuple au profit des intérêts personnels et ou tribaux, la RDC est redevenue (après les atrocités de la période de traite des esclaves, des explorations et de la colonisation, etc.) le théâtre des affrontements militaires parfois même des pays étrangers (le cas des Ougandais et des Rwandais dans la ville de Kisangani), des groupes armés, des milices, des rebelles qui pratiquent diverses violations telles que le viol, des tueries, des assassinats… surtout dans sa partie Est.

   Notre motivation dans cet article est celle de savoir si les écrivains congolais et/ou africains se préoccupent de dénoncer dans leurs écrits la violence qui sévit autour d’eux. Autrement dit, nous nous demandons si on retrouve les traces de la violence dans les œuvres des écrivains congolais et/ou africain.    

 

1.-Violence : définition

   Il nous semble important de définir la violence en nous appuyant sur certains auteurs qui se sont donné la peine d’en parler. La violence est un mot qui renvoie à des manifestations (acte, geste, manière, attitude, propos, etc.) ; cependant nous devons reconnaître qu’il s’agit là d’un phénomène complexe au point que beaucoup d’observateurs dudit phénomène se trouvent dans l’embarras de le définir. Dans l’encyclopédie, par exemple, il est dit  que : « la violence est aussi difficile à définir qu’elle est aisée à identifier». On note toutefois que les dictionnaires définissent la violence comme :

 « force brutale, abus ou déchaînement de la force, mais les médias, les statistiques de la justice, les spécialistes de politique nationale ou internationale parlent d’agression et de criminalité, de guerre, de terrorisme, de torture ou de formes d’oppression plus discrètes mais tout aussi – sinon plus- dommageables comme l’exploitation économique. » (Le Petit Robert, 1993, p. 2679)

   Même lorsqu’on tient compte du point de vue conceptuel, la violence reste indéfinissable au même titre que les  notions telles que le chaos, le désordre, la transgression, etc. La violence peut être vue comme un écart ou comme une infraction par rapport aux normes ou aux règles c’est-à-dire aux principes de vie qui définissent les situations considérées comme naturelles, normales ou légales.

   On peut aussi noter dans l’idée de la violence une sorte de perturbation ou d’un dérèglement plus ou moins momentané ou durable de l’ordre des choses, étant donné que l’idée de violence est chargée des valeurs positives ou négatives qu’on attache à la rupture, à la destruction de l’ordre.

   Vue dans cette optique, la violence devient une notion fortement performative en ce qu’elle exprime des évaluations favorables ou défavorables qui, en retour, pèsent sur les situations ainsi appréhendées et les actions menées. 

   De ce qui précède, l’appréhension de la violence dépendrait alors largement des critères qui sont en vigueur dans un groupe ou dans l’autre pour caractériser ce qui est normal ou anormal. De façon générale, on peut dire de la violence qu’elle est l’atteinte à l’ordre des choses ou encore une sorte d’oppression.

   Encyclopedia Universalis  en citant Y. Michaud, dit de la violence qu’elle est :

 « Une action directe ou indirecte, massée ou distribuée, destinée à porter atteinte à une personne ou à la détruire, soit dans son intégrité physique, soit dans ses possessions, soit dans ses participations symboliques »(Encyclopedia Universalis, 1990, pp. 669-673.)

    Vue sous cet angle, la violence serait cette prise de conscience qui concerne un ensemble hétéroclite et assez flou de faits sociaux et politiques dont les répercussions seraient aussi bien pratiques qu’idéologiques.

   Evelyne Bertin qui, dans son ouvrage, consacre à cet aspect tout un chapitre intitulé « Le problème de la définition de la violence », dit : 

« Si l’on se réfère à Freud, la violence peut se définir comme une force qui prend son origine dans l’énergie qui émane du corps. Cette énergie joue un rôle dans le fonctionnement de l’appareil psychique. C’est donc un concept à la fois somatique et psychique. » (Evelyne BERTIN, 2005,p. 36)

   Le même auteur d’ajouter :

 « Il n’y a pas de définition claire de la violence car la violence ne se limite pas à ses manifestations spectaculaires, visibles ou légalisées… la pensée de la violence, sa dimension inhérente à l’être humain est indispensable. Pour penser l’humain, il faut accepter la part d’inhumain qu’il y a dans l’humain et la part d’humain qu’il y a dans l’inhumain. » (Evelyne BERTIN, 2005, p. 36)

    Evelyne Bertin appuie l’idée selon laquelle :

 «La violence indique l’imperfection de l’humanité et de ce fait elle nous oblige à considérer la société comme imparfaite. » (Evelyne BERTIN, 2005, p. 36) 

   Pour définir la violence Evelyne Bertin reste brève mais avec des mots d’une forte densité sémantique. Elle use de la précision et de la concision en démontrant ce qui n’est pas la violence avant de donner la caractéristique mentale de toute forme de violence:

 « La violence, c’est plus que des coups et des cris : c’est un hors-pensée, un hors-contrôle du moi. » (Evelyne BERTIN, 2005, p. 36) 

   Du point de vue historique, la violence n’est pas l’apanage d’un peuple, ni d’un pays, ni même d’un continent ou encore moins de l’homme. Elle est présente et aussi agissante partout où vit l’homme et même où passe simplement ce dernier. Elle est l’action de l’homme envers l’homme (dans cette catégorie on peut noter les actes tels que les vols, les viols, les pillages, les empoisonnements, les emprisonnements, les extorsions, les expropriations, les assassinats, les génocides, les tueries, les tortures, les injures, les insultes, les calomnies, les injustices, les tapages diurnes et nocturnes, etc.) ou encore l’action de l’homme envers la nature (les pillages des ressources naturelles, les pollutions, les déforestations sous toutes ses formes, les dépeuplements de fleuves et de rivières de leurs contenus en poissons et fruits de mer, les exploitations démesurées de produits du sol et du sous-sol, les mauvaises gestions de déchets tels que les eaux de ménage, les immondices, les constructions anarchiques, etc.). Et quelquefois, l’action de la nature sur l’homme, tels que les catastrophes naturelles (les séismes, les avalanches, les éboulements, les crues, les tsunamis, les érosions, les irruptions volcaniques, les désertifications, les canicules, les pluies diluviennes, les orages, les tempêtes, etc.).

 

2.-Violence et littérature dans l’Antiquité    

   Sans crainte d’être contredit, on peut dire de la violence qu’elle est vieille en littérature. On la retrouve dans la littérature de la Grèce antique chez Sophocle dans Antigone et Iphigénie. Dans la première œuvre, Antigone prend la courageuse décision d’ensevelir son père tué qui n’avait pas droit aux sépultures. Il s’agit en fait de l’expression du dilemme entre la raison d’Etat et le devoir moral, à l’issue duquel la  dernière force l’emporte sur la première. La seconde œuvre Iphigénie met en scène un roi sacrifié pour apaiser la colère des dieux. Dans cette œuvre c’est la raison d’Etat qui prédomine.

   Au 17è siècle, Jean Racine reprendra toutes ces œuvres de l’Antiquité grecque, avec ce thème de la violence. En Europe, on note, dans l’histoire littéraire, une présence permanente de la violence qui, tantôt servait à favoriser le foisonnement littéraire par des entremises des polémiques, le cas de la guerre entre les protestants et les catholique ; tantôt pour fustiger les us et coutumes, tantôt encore pour dénoncer les monarchies, les oligarchies, les dictatures, les tyrannies, etc.

   On peut noter ces longs passages des origines littéraires  qui stipulent ce qui suit : 

« Sur les ruines du monde antique, un type d’homme s’est alors constitué, caractérisé par son esprit pratique, une soumission confiante aux lois universelle, et un certain mépris de l’individu. Hypersensible au surnaturel, le tempérament est excessif : l’imagination, primesautière ; le sens du vraisemblable, inexistant. La foi chrétienne la plus vive s’associe avec un goût prononcé de la violence, mais aussi avec un goût de la farce, un gros besoin de rire. Le niveau de vie reste jusqu’au XIIème siècle extrêmement bas, surtout pour la masse de la population paysanne, mais l’existence de la plupart des seigneurs ne diffère guère de celle des « vilains » que par la pratique de la guerre. Toutefois, au cours du XIème siècle, se forma lentement une conscience de classe militaire : cette évolution aboutira, au XIIème siècle, à la formation d’une noblesse proprement dite. » (A. ADAM, G. LEMINIER, E. MOROT-SIR, 1967, p. 2.)

   Dans la même optique, on peut souligner qu’en ses débuts, la poésie s’était nourrie des événements touchant à la violence. Cette présence se remarque dans les extraits tels que : 

« Il est généralement admis aujourd’hui qu’une poésie épique était en formation, dans certains terroirs français, au cours de la première moitié du XIème siècle… Sans revenir à la théorie, dépassée, des « cantilènes », il est difficile aujourd’hui de nier entièrement l’existence de quelque tradition poétique, de transmission orale, nourrie pour une part de souvenirs légendaires – chansons de combat, éloges de chefs – qui, par la suite, put jouer un rôle dans la genèse de l’épopée. La Vita sancti Faronis, de  Hildegaire, au milieu du IXème siècle, cite, en latin barbare, le début et la fin d’une chanson sur une guerre du roi Lothaire… On a invoqué dans ces discussions les quelques épopées latines que nous ont léguées les Xème et XIème siècles : ainsi, peut-être le poème sur Roland dont A. Burger a supposé l’existence ; et surtout l’œuvre dont le Fragment de La Haye, de 980-1030, nous a conservé une mise en prose. Mais tout au plus ces poèmes indiquent-ils un certain penchant des hommes de cette époque pour les récits héroïques. Au XIème-XIIème siècle, une espèce d’homme nouvelle émerge, qu’on appellera bientôt le « bourgeois », vivant de vente et d’achat, prudent, réalité, hostile aux puissants, mais sans pitié pour les faibles. Les différences sociales s’accusent, mais sans solidarité particulière lie désormais ceux des seigneurs qui ont su tirer avantage de cette évolution. Quoique les guerres privées se raréfient, la fonction militaire est, depuis la fin du XIème siècle, exaltée dans la cérémonie de l’«adoubement », (…) attachée à un idéal particulier de droiture, de fidélité et de courage : idéal qui jouera un rôle culturel éminent, plus du reste à titre de fiction que de réalité vivante.  » (A. ADAM, G. LEMINIER, E. MOROT-SIR, 1967, pp. 4-5)

 

3.-La violence à travers la littérature française

   Les violences en littérature française, on les trouve aussi à la Renaissance à cause  des remous politiques qui ont affecté le monde littéraire avant la paix de Vervins.  La lecture de ce long extrait peut aider à appréhender cette situation on  ne peut plus catastrophique dans laquelle on retrouve plusieurs formes de violence :

« La France, qui avait possédé sous François 1er la plus brillante cour de l’Europe et qui avait pu tenir tête à Charles Quint, présente, dans les quarante dernières années du siècle, un spectacle affligeant. Les « fumées d’Italie » se sont dissipées ; mais la mort brutale d’Henri II ouvre une ère de troubles et de guerres civiles qui, malgré des paix précaires, aboutiront, à la fin du règne d’Henri III, à une complète anarchie. Dans ces guerres civiles les passions religieuses s’exaspèrent. Mais l’ambition, l’avidité, les haines particulières mettent à profit ces troubles pour s’assouvir.

   En 1592, du Vair s’écriera : « Ce serait horreur de raconter combien de voleries, de violements, d’insectes, de sacrilèges se commettent tous les jours.» La vie d’un châtelain de province dépendait du passage d’une bande armée (…)  Tandis que les fils d’Henri II meurent misérablement, par la maladie ou par le poignard, beaucoup de personnages notables périssent ou sont blessés sur les champs de bataille, s’entretuent dans les duels, sont emprisonnés ou assassinés. Quant aux souffrances des paysans et des bourgeois assiégés et massacrés par la soldatesque, elles ont été décrites avec un émouvant réalisme par un d’Aubigné, un Robert Garnier et bien d’autres. A ces troubles et à cette perversion morale s’ajoutent les épidémies de « peste ». (…) Cette crise politique, religieuse, morale et économique appauvrit, ruine la France. (…) Entre deux guerres, la reine mère et ses fils président à des carrousels, des entrées ; les poètes, les artistes, les musiciens y collaborent. Les poètes de cour prêtent leur plume aux grands pour rimer des [1]vers d’amour : cette tradition se prolongera au début du XVIIème siècle » (A. ADAM, G. LEMINIER, E. MOROT-SIR, 1967, p. 129)

   Même après la paix de Vervins et l’édit de Nantes en 1598, la violence a persisté en France sous toutes ses formes. La lecture de ce passage peut le confirmer : 

« Henri IV pacifie la France, et les poètes célébreront les bienfaits de la paix qu’il y a enfin ramenée. La sage administration de Sully rétablit, avec une rapidité qui étonne les étrangers, la prospérité. Après l’assassinat du roi, la situation politique est troublée par les révoltes ou les complots des nobles et par quelques soulèvements des protestants ; mais le couteau de Ravaillac a évité la guerre européenne à laquelle Henri IV songeait, et pour les Français les guerres civiles ne sont plus qu’un mauvais et lointain souvenir. Renonçant, sauf à certains moments, à s’entretuer, protestants et catholiques échangent des traités de controverse. » (A. ADAM, G. LEMINIER, E. MOROT-SIR, 1967, p. 130)

   Toutes ces violences qui se succèdent génèrent une production littéraire importante qui dévoile les méfaits et les cicatrices laissées par celle-ci. Les auteurs, témoins de cette violence, s’en servent dans leurs imaginaires pour laisser les traces dans les œuvres qu’ils produisent : « Aux guerres de religions, Aubigné a consacré deux œuvres : une Histoire universelle en prose et le poème des Tragiques. » (A. ADAM, G. LEMINIER, E. MOROT-SIR, 1967, p. 131)

   Dans cette dernière œuvre Agrippa d’Aubigné intitulée : Tragiques, le sujet traité par l’auteur  est la reprise des actes violents qu’il vit dans la société dont il est lui-même le porte-parole : « Mais le sujet qu’il traite dans les Tragiques suscite surtout des images lugubres : le rouge du sang, le noir, la maladie, la peste, le poison, le meurtre, la mort. » (A. ADAM, G. LEMINIER, E. MOROT-SIR, 1967, p. 132)

   La violence se remarque dans toute forme d’écriture. Le cas de la prose polémique qui est à la base d’une foisonnante  littérature en Europe : 

« Les guerres civiles ont suscité, à Paris, en province, à Genève, d’innombrables pamphlets en prose ou en vers. Beaucoup sont dénués de valeur littéraire ; ils se ressemblent, surtout chez les ligueurs, par la partialité, la grossièreté et la haine. Mais on ne peut dénier à bon nombre d’entre eux la vigueur, la verve, l’émotion sincère, et leurs auteurs s’essaient à discuter sur les idées, à recourir à l’allégorie (…), à manier le discours, le dialogue, l’ironie.» (A. ADAM, G. LEMINIER, E. MOROT-SIR, 1967, p. 133)

 

4.-La violence dans les œuvres littéraires africaines

   Si l’Afrique précoloniale nous est généralement présentée comme une oasis de paix et une terre paradisiaque, elle est louée et magnifiée par Jean Ikellé-Matiba (cette Afrique-là), mais aussi par Senghor et Césaire. Cependant Yambo Ouologuem la trouve toute aussi violente. 

   Dans son œuvre,  Il démontre comment les chefs des clans vendaient leurs sujets aux esclavagistes pour une pincée de sel et de sucre, de même les femmes adultères étaient brimées en subissant des purges vaginales avec du piment et des insectes, exposées elles-mêmes longtemps au soleil.

   Dans Doguicimi par exemple, Joseph Zobel du Dahomey (actuellement Bénin) nous décrit comment les rois décédés furent inhumés avec leurs dames et esclaves, d’autant plus que leur mort fut considérée comme une traversée de la rivière ; ils devaient passer dans l’autre monde avec ces femmes et esclaves appelés à les y servir.

    A la lecture de Notre librairie, on peut affirmer que :

 « Les littératures du sud sont, elles aussi, convoquées par cette question majeure que représente la violence. Comment pouvait-il en être autrement ? Beaucoup d’entre elles sont nées dans la tourmente de l’ère coloniale, dans la lutte contre le racisme et pour un accès à la dignité humaine. » (Notre Libraire, 2002, p. 3)

   C’est dans ce contexte qu’on pourrait situer les œuvres telles que : Le vieux nègre et la médaille où le vieux Meka a combattu longtemps pour la France et n’obtiendra en guise de toute récompense qu’une petite médaille et sa mort fut qualifiée de glorieuse pour avoir combattu un bon combat pour les Européens, les Français notamment ; Un piège sans fin où les Noirs prisonniers de Gâmmé subissaient des traitements inhumains et indignes, tandis que les Blancs se pavanaient en prison, courtisant des négresses dans des cabines spéciales qui leur furent réservées pour leur race supérieure, celle des colonisateurs ;

   René Maran dans Batouala véritable roman noir où les Noirs furent obligés de vendre leurs femmes pour payer l’impôt de capitation ;

   Ken SARO-WIWA dans Lemona qui se présente comme la longue confession mélodramatique d’une prisonnière qui, reconnue coupable de meurtre, va être pendue le lendemain matin à l’aube. On peut noter dans ce roman la présence de la violence qui se dessine à travers les actes suivants : «le meurtre, l’emprisonnement, la condamnation à mort, la pendaison, la pauvreté, l’exode rural, la maltraitance, le viol, la révocation, la prostitution, la sexualité, la colonisation, l’Indépendance, la séparation, l’agression, l’assassinat, l’usure de temps, la jalousie, la rivalité, la crise identitaire, la souffrance, etc. » ;

   Moussa KONATE dans L’Assassin du Banconi, met en scène le commissaire Habib et son équipe qui s’affairent à dénouer l’énigme de trois crimes en série qui ont eu lieu dans le Banconi en l’espace de deux jours. Ce roman retrace la violence parce qu’il se construit autour des thèmes tels que : «le crime, la profanation, la polygamie, l’empoison-nement, l’assassinat, etc. » ;

   Moussa KONATE dans L’Honneur des Kéita présente un récit dont l’intrigue est celle qui se tisse avec le personnage d’Adama Bagayogo. Originaire du village de Nagadji, gardien de nuit en ville et connu comme marabout, féticheur et magicien, il sera retrouvé mort, tué de plusieurs coups de hache, de coupe-coupe ou de couteau. On peut dénombrer dans ce roman les thèmes liés à la violence tels que : «la mort, l’agression, la mutilation, le déshonneur, le suicide, l’indigénisme, la bravoure, etc. » ;

   Toni CADE BAMBARA dans Ce cadavre n’est pas mon enfant, construit un roman autour de l’histoire d’une famille noire. Il parle d’une mère qui élève seule ses trois enfants et qui n’a plus de nouvelles de son fils aîné du nom de Sonny Malzala, dit le plus souvent Zala, a la fibre politique d’autant plus exacerbée qu’elle milite dans l’organisation STOP qui mène une enquête parallèle à celle de l’unité spéciale créée par le maire Maynard Jackson. A défaut de traquer les criminels, la police culpabilise les parents d’enfants ; pire, elle met les disparitions sur le compte des mésententes familiales. Les thèmes tels que : « l’assassinat, le racisme, le meurtre, la tuerie, la ségrégation, le lynchage, les émeutes, etc. » ont aidé à la conduite de l’action de ce roman ;

   Eugène EBODE dans La Transmission, met à jour le conflit de génération et aussi l’évocation de l’inceste comme couronnement de cette opposition père/fils autour du sexe ou mieux autour de la mère prise ici comme la cible permettant cette dualité. Proche de La Répudiation de Boudjedra, ce roman contient les thèmes tels que : «la répudiation, la macération, le combat, la guerre, les tueries, le conflit de génération, etc. » ;

   Louis-Jean CALVET dans Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie où l’auteur réfutant l’idée couramment admise que la langue est d’abord un instrument de communication, démontre, en s’inspirant des modèles d’analyse et des concepts du matérialisme dialectique marxiste, que les langues, loin d’être des instruments neutres indépendants des situations historiques, économiques et sociales dans lesquelles elles apparaissent, s’inscrivent toujours dans des rapports de force entre langue dominante et langue dominée. Il est question de rapport qui va au-delà du point de vue politique et économique. Il s’agit d’une vision sous-tendue par une visée idéologique ;

   Albert LONDRES dans Terre d’ébène relate son long séjour dans les colonies françaises d’Afrique noire. Commencé à Dakar, capitale de l’AOF (Afrique Occidentale française) le récit s’achève à Brazzaville, capitale de l’AEF (Afrique Equatoriale française). Avec les thèmes violents tels que : « la captivité, la libération, la traite des noirs, la crise identitaire, l’esclavage, le dépeuplement, etc. » ;

   Alice CHERKI dans, Frantz FANON, Portrait, présente la désolation qu’entraîne la nature même des rapports entre colonisateurs et colonisés, des rapports légitimés strictement par le « regard brûlant et humiliant du maître ». C’est autour des thèmes tels que : la souffrance de l’autre, la guerre, la violence, la colonisation, la domination, la résistance, les études, la violence de l’autre, la violence faite à la langue, etc. » qu’elle construit l’action de son roman.  

   Sous la direction de Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Gilles BOETSCH, Eric DEROO, Sandrine LEMAIRE présentent Zoos humains, de la vénus hottentote aux reality shows. Cet ouvrage de plus de cinquante textes qui ont tous comme thème la dénonciation des effets pervers de la (pré)colonisation et de l’hégémonie des occidentaux sur le reste du monde, est le témoin historique du développement de rapport entre les autres (le tiers monde) et l’occident (le monde développé). La lecture des textes contenus dans cet ouvrage révèlent le coup de force de l’occident qui s’est autoproclamé supérieur à l’homme du Sud simplement parce que ce dernier est incompris à cause de ses « mœurs bizarres » et aux « rites effrayants » ; 

   Paul FARMER dans Sida en Haïti : la victime accusée, fait un plaidoyer de cette maladie qui ravage le monde et qui fait de tout le monde sa potentielle victime. Il procède par un exposé clair de ce qu’il connaît de ladite maladie afin de fournir le moyen de défense à tous. C’est par des thèmes tels que : « la maladie, la misère, la souffrance, la pauvreté, la tragédie, etc. » qu’il fait passer le message de prévention contre le Sida.

   Gary VICTOR, dans le roman La Piste des sortilèges, expose une quête qui consiste à remonter le temps en vue de trouver un homme juste. Mais cette quête est faite des bouleversements naturels et même sociaux. Pour arriver à ses fins, l’auteur visitera les thèmes tels que : « l’injustice, la quête de justice, la mort, l’assassinat, la haine, l’amitié, l’enterrement, la résurrection, etc. » ;

   Ekwé MISIPO dans Métissages contemporains. Il s’agit d’une œuvre autobiographique dans lequel l’auteur relate l’histoire d’une famille africaine en vadrouille en Europe. Les thèmes tels que : « l’enfance, le voyage, le métissage, le mariage, la colonisation, l’Indépendance, la comparaison, etc. » contribuent à l’accomplissement de l’action du roman ;

   Lewis NKOSI : Le Sable des blancs. Cet ouvrage au titre évocateur de la ségrégation raciale ou de l’opposition blanc/noir dans la relation dominant/dominé ou encore le rapport de force du plus fort au plus faible, se présente comme une dénonciation du préjugé dans tous ses états. Le narrateur profite des thèmes tels que «la mort, événement malheureux qu’on annonce au début du récit à la manière du roman de Gabriel Garcia Marquez, Chronique d’une mort annoncée, les tueries, le viol, la contrainte exercée sur la pensée, la rébellion, le racisme, la prostitution, la sexualité, l’emprisonnement, etc. ».

 

5.-La colonisation sur fonds de violence

   Henri WESSELING dans Le Partage de l’Afrique : 1880-1914, permet au lecteur de ce livre de suivre fidèlement le déroulement du partage de l’Afrique en y joignant une grille géographique et en s’autorisant quelques digressions thématiques, s’attache en première partie à traiter la question d’Orient entre 1881 et 1882. Il se remarque que l’auteur s’est préoccupé à analyser l’impérialisme français, puis anglais, avant de retracer l’occupation de la Tunisie et de l’Egypte.

   Dans la deuxième partie du livre qui va de 1882 à 1885, il traite de la création de l’Etat indépendant du Congo. Dans la troisième partie, il s’occupe de rapports entre l’Allemagne et l’Angleterre en Afrique orientale  dans la période qui va de 1885 à 1890, avec comme préalable l’occupation de Madagascar par la France. 

   Dans la quatrième partie, l’auteur passe en revue les luttes sourdes entre la France et l’Angleterre au Soudan et sur le bassin du fleuve Niger durant la dernière décennie du siècle. 

   Ensuite, il y a la longue marche vers Fachoda dans l’intervalle situé entre 1893 et 1898, laquelle marche constitue le point d’orgue de La rivalité franco-anglaise sur le Nil qui justifie l’avant dernière partie de l’ouvrage.

    C’est dans l’avant dernière partie de l’ouvrage que l’auteur traite de la question de l’affrontement des Boers et des Britanniques en Afrique australe. La dernière partie se ferme sur le partage du Maroc. On y décèle les thèmes touchant à la violence tels que : « la colonisation, l’occupation, la chosification, l’instrumentalisation, le partage, le paternalisme, l’impérialisme, l’absurdité, etc. » ;

   Roland BRIVAL dans En eaux troubles, livre un récit d’une vie tourmentée. En effet, Fabien, fonctionnaire d’une cinquantaine d’années, né à la Martinique, revient à l’occasion d’un colloque séjourner à Venise, la ville dans laquelle il a passé sa jeunesse, mais il n’y est jamais retourné depuis trente ans à cause d’un épisode dramatique qu’il y a vécu. A son retour à Venise, Fabien revit le souvenir douloureux d’une certaine période de sa vie mais, en même temps, il fait l’expérience d’une mutation mentale dictée par le paradoxe qu’il vit entre la nostalgie de cette jeunesse harmonieuse mais aussi pénible et cruelle. 

    Les thèmes suivants soulignent la violence verbale dans ce roman : « le départ, l’exil, le retour, la réminiscence, la nostalgie, la souffrance, la rencontre, la trahison, la crise identitaire, l’hypocrisie, la violence sexuelle, le viol, la pédophilie, l’abandon, la maltraitance, la torture, le contraste, etc. » ;

   Anada DEVI, Soupir, Cette œuvre est un récit d’une grande dureté, débordant de cruauté innocente et de violences, fantasmées ou infligées. La narration du roman est conduite par l’un des personnages, Patrice L’Eclairé, qui parle la plupart du temps à la première personne du pluriel, au nom des habitants de Soupir : hameau fondé par une communauté hétéroclite de personne en perte du sentiment d’existence et en rupture d’espoir. Nous répertorions les thèmes suivants : « la violence, le désespoir, la catastrophe, l’ivresse, le viol, la folie, le suicide (la pendaison), la pédophilie, l’inceste (relation amoureuse entre cousin), la prostitution, la déception, le crime (meurtre), le naufrage, la douleur, l’esclavage, le surnaturel, etc. » ;  

 

Conclusion

   En somme, ce voyage virtuel dans les écrits, européen nous a permis de confirmer l’existence de la violence, sous toutes ses formes, dans les publications que ce soit littéraire ou simplement scientifique et ce, depuis les origines de l’écriture - on se souviendra du serment de Strasbourg signé entre les deux petits-fils de Charlemagne : Louis Le Germanique et Charles-Le Chauve qui consacre le début de la littérature écrite - à nos jours. Peu importe le temps, l’espace, le texte ou encore le genre littéraire exploité. Il est donc important, pensons-nous, qu’une étude plus approfondie soit menée à ce propos afin de déceler les tenants et les aboutissants de la violence dans tous les domaines mais surtout dans le domaine littéraire.

 

Bibliographie

  1. Encyclopédie
  • Encyclopédia Universalis, vol 23, 1990.
  1. Dictionnaire
  • Le Petit Robert
  1. Ouvrages
  • ADAM Antoine, LEMINER Georges, MOROT-SIR Edouard, Littérature français, Tome premier, Des origines à la fin du XVIIIème siècle, Paris, Larousse, 1967.
  • BERTIN Evelyne, Géontologie, psychanalyse et déshumanisation, Levallois-Perret, Studyrama, 2005.
  • BORMANS Christophe et MASSAT Guy, Psychologie de la violence, Levallois-Perret, Studyrama, 2005.
  1. Revue
  • Notre Libraire, n° 148, juillet, septembre, 2002. 
 

* Kozias Ekila Bosawa est Chef de travaux à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Département des Lettres et Civilisation Françaises, Université de Kinshasa.

                 

Par Kozias EKILA BOSAWA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024