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         Regard sur la littérature féminine africaine subsaharienne d’expression française

                         Aurélie BULAKALI NSIMIRE*

                               ykabenga@gmail.com

 

Résumé

   L’inscription des femmes dans le champ littéraire est une conquête et constitue véritablement un discours positif sur un continent qui ne scolarise que peu les jeunes filles et où les femmes, réduites au rôle social dominé par  les travaux domestiques et champêtres, sont exclues de la scène publique.

   La présente mise en lumière est donc une exceptionnalité, dès lors que les femmes ont décidé de briser ce mythe des coutumes dégradantes ; elles brisent le silence dans lequel elles se trouvaient enfermées et se mettent à écrire en vue de faire entendre leur voix.

 

Mots clés : autobiographie, conte, poésie, clitoridectomie, féminisme.

 

Introduction

 

   La littérature féminine africaine est un terrain à explorer. Ceci eu égard au peu de considération accordée jusqu’ici à la création littéraire en Afrique, parce qu’en général l’homme et la femme lisent peu.

   Notre sujet est né de l’ambition de donner au public le désir de connaître les écrivaines africaines qui, en général, sont peu connues en Afrique même et dans le monde.

   La rdcongolaise Kembe Milolo le confirme dans ce passage : « Les écrivaines africaines aspirent à trouver une place dans la littérature universelle. Car leurs livres  sont lus par leurs frères et sœurs pour en tirer surtout des leçons, mais aussi par des étrangers qui satisfont ainsi leur curiosité et désirent connaître la vie des autres continents et se

faire une opinion sur la situation de l’Afrique et de l’homme noir. »(1)

   Pour mieux présenter notre sujet, nous l’aborderons à travers les cinq points ci-après : 1°les différentes étapes de la littérature féminine en Afrique, 2°l’espace de vie choisi par les auteures, 3°l’idéologie des auteures et la thématique des œuvres, 4°la réception des œuvres littéraires féminines et 5°l’approche comparative de leurs œuvres.

 

1.-Différentes étapes de la littérature féminine africaine

   La littérature féminine en Afrique est aujourd’hui une réalité bien établie dans les milieux culturels ; il reste néanmoins à s’interroger sur les motivations profondes qui ont impulsé cette écriture et d’en dégager quelques spécificités. Cette littérature a connu deux moments : l’époque coloniale et l’époque postcoloniale.

 

1.1 A l’époque coloniale

   Si la féminisation de la littérature africaine paraît nouvelle, c’est avant tout parce que de nombreuses œuvres nées à l’époque coloniale sont tombées dans l’oubli, inconnues des médias africains et surtout écartées des enseignements littéraires africains.

   Mais de cette littérature ancienne, il sied de retenir que les femmes de cette époque déploraient le fait que le colonisateur détruisait l’âme, les structures économiques, religieuses, politiques du Noir et surtout les traditions et coutumes de leurs ancêtres en disant que le Noir n’a aucune civilisation originale. Cependant, de rares écrivains de cette époque ont pu publier leurs ouvrages malgré la censure sévère des colons.

   A titre d’illustration, Nele Marian, une métisse belgo-congolaise, née à Lisala mais qui a vécu en Belgique, a publié en 1935 à Bruxelles, aux Editions Expansion coloniale, Poèmes et Chansons(2) qui sont des textes antiesclavagistes. Elle est la première poétesse et écrivaine d’origine africaine en Belgique. Son recueil des poèmes de 15 pages a été retrouvé au début des années 1990 dans le Fonds Robert Van Bel du Centre de Documentation africaine de la Bibliothèque royale Albert Ier à Bruxelles.

   De Marie-Claire Matip, le premier roman en français Ngonda(3), roman autobiographique de 47 pages a été édité aux Editions Librairie du Messager, au Cameroun, en 1958. Selon les connaissances actuelles de la critique littéraire, Matip est la première femme  africaine subsaharienne qui a publié un livre témoignage de sa propre vie. Ce roman raconte de façon chronologique la vie de l’auteure en brousse depuis sa naissance jusqu’à la fin de son adolescence. Ce récit est en outre le témoignage sur la société africaine en pleine évolution.

 

1.2 A l’époque postcoloniale

1.2.1 Le retard de l’écriture féminine au plan littéraire

   L’écriture féminine est absente dans les débuts de la littérature africaine d’expression française. Le champ de l’écriture féminine est plus réduit que celui de l’écriture masculine. L’activité littéraire des femmes africaines fut souvent bridée par des conceptions sexistes et la structure sociale des sociétés occidentales des époques coloniale et postcoloniale. Leurs travaux sont souvent critiqués, minimisés, par leurs contemporains masculins. Doit-on comprendre par-là le silence et la réticence des femmes vis-à-vis de l’écriture ? Ce qui explique que ce domaine était longtemps considéré comme le privilège des hommes. Et pourtant, les femmes ont à dire, à écrire.

   Toutefois, les femmes des lettres qui accèdent à l’écriture sont obligées de faire face au discours autoritaire des hommes. Leur obstacle fondamental à une pleine égalité entre hommes et femmes tient de certaines considérations historiques et sociales. Simone Kaya l’explique : « Il faut être honnête et reconnaître que, parmi les enfants de l’Afrique qui se sont livrés à l’entreprise d’écrire, entreprise étrange pour leur culture originale, les filles d’Afrique ont, jusqu’à présent, figuré en très petit nombre. Le fait s’explique aisément par le retard de la scolarisation des filles, par une plus grande réticence de la femme de s’éloigner des normes de la tradition et à adapter des modes d’expressions étrangères ». (4)

 

1.2.2 Pourquoi les femmes écrivent-elles ?

   Le but des écrivaines africaines est de parler, au-delà du silence, afin  

de s’exprimer plus librement et aussi faire de la littérature un réel analyseur des sociétés africaines. Maryse Condé écrit : « Anglophone ou francophone, la femme africaine ne s’adresse pas au monde, mais à ses sœurs en frustration et en détresse. Si elle parle, c’est au nom de celles qui n’ont pas de voix, qui peinent dans les champs, à qui on ne laisse que la parure ambigüe de la maternité »(5). Condé pense que, pour les femmes, la meilleure façon de se connaître elles-mêmes et de connaître les autres, c’est par leur écriture.

   C’est aussi une manière de se faire connaître sûrement aux hommes. C’est pourquoi Maryse Condé ajoute : « Les romancières du Continent se soucient surtout de la difficulté d’être femme dans  une société conçue par les hommes et qui leur fait la part belle. Stérilité, rivalité de la coépouse, poids des coutumes ancestrales, émasculation de l’homme, tels sont les thèmes qu’elles répètent à l’envi »(6). Suivant les thèmes énumérés dans ce texte de Condé, on remarque que les femmes écrivaines expriment des réalités sociales concrètes aspirant aux changements mentaux de la société sur la femme en général. L’auteur exhorte ainsi les femmes : « C’est à nous, femmes, de prendre notre destin en mains pour bouleverser l’ordre établi à notre détriment et de ne point le subir. Nous devons user comme les hommes de cette arme, pacifique certes, mais sûre, qu’est l’écriture »(7).

   En effet, cette identification des femmes dans la littérature démontre que les femmes sont libres de jouir de la même autonomie dans leurs écrits et qu’elles sont également capables d’initiative comme les hommes.  C’est ce que confirme Emilie Mayabu : « La femme doit démontrer au monde que comme l’homme, elle a de la cervelle, et qu’on doit en tenir compte »(8).

 

2.-L’espace de vie choisi par les auteures

   Il s’agit des pays où résident les écrivaines. En parcourant les biographies des écrivaines africaines, nous avons constaté que bon nombre de ces femmes vivent en Europe ou en Amérique depuis plusieurs années, tandis que certaines  sont restées au pays et d’autres sont décédées. Dans cette partie, il n’est question que des 26 auteures que nous avons sélectionnées.

 

2.1.-Femmes de lettres africaines de la diaspora

   Marie-Claire Matip, camerounaise, considérée comme la pionnière de la littérature féminine, n’est plus rentrée au Cameroun depuis la fin de ses études en France, où elle s’est mariée avec un étudiant camerounais. Pour des raisons politiques, elle est contrainte de rester en France avec son mari et leurs cinq enfants.

   La rdcongolaise Clémentine Nzuji Faïk-Madiya réside en Belgique où elle vit depuis 1980, avec son mari belge, Sully Faïk. Elle enseigne la culture africaine et les littératures orales à l’Université catholique de Louvain. Christine Kalonji, de la RDCongo aussi, vit depuis plusieurs années en Europe. Marie-Jeanne Tshilolo Kabika, après ses études de lettres françaises à l’Université de Lubumbashi, a été journaliste-reporter à l’Agence congolaise de Presse à Kinshasa, avant de partir s’installer en Australie où elle enseigne le français.

   Calixte Beyala du Cameroun demeure en France. Mariée à un Français après ses études en France, elle a divorcé et préfère rester et exercer son métier d’écriture à Paris jusqu’à ce jour.

   Quant à Chimamanda Ngozi Achidié du Nigeria, elle habite aux U.S.A. à Philadelphie ; elle y est connue également comme femme politique et militante féministe. La burkinabé Angèle Bassolé-Ouédraogo, poétesse et éditrice, vit au Canada, où elle est chercheuse associée à l’Institut d’études des femmes, de l’Université d’Ottawa.

   Fatou Diome, du Congo-Brazzaville, tombe amoureuse d’un Français, se marie et décide de le suivre en France, à Strasbourg, depuis 1994 jusqu’à ce jour. Sa compatriote Marie-Louise Abia, après l’obtention d’une licence d’anglais à l’Université Marien Ngouabi, est professeur d’anglais dans la région parisienne, où elle vit avec sa famille. Elle fait partie de l’Association « Femmes 2000 » qui participe à la prévention et à la lutte contre le Sida.

   Ces femmes des lettres vivent désormais hors des frontières nationales, il n’en demeure pas moins que leur écriture s’inscrit dans cette volonté d’appartenir à l’Afrique, de faire l’histoire de l’Afrique, que de nombreux critiques ont souvent regretté de ne pas lire dans les récits littéraires, parce que leurs œuvres sont rédigées et publiées à l’étranger et que seul le public de la diaspora en bénéficie.

 

2.2-Ecrivaines restées au pays

   La rdcongolaise Elisabeth-Françoise Mweya Tol’Ande continue à écrire. Elle s’est engagée dans le journalisme et dans la société civile pour la réussite de la réforme de la police, institution qui est un support non négligeable pour la stabilité de l’Etat et la garantie de la démocratie, de la protection des libertés des citoyens en période électorale dans la RDCongo.

    Bestine Kazadi Ditabala réside à Kinshasa. En 2019, elle a été nommée conseillère spéciale du président de la République Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo en matière de coopération et intégration régionale. Elle est la première femme élue comme président de l’AS Vita Club (équipe rdcongolaise de football) le 1er juillet 2020.

   Emilie Mayabu, de la RDCongo aussi, après ses études supérieures à l’Institut de Commerce en Suisse, s’est consacrée aux activités commerciales à son propre compte. Mariée, elle est retournée à Lubumbashi où elle a choisi de s’occuper de son foyer et de ses enfants, tout en écrivant à ses heures libres.

   Régine Yaou, l’ivoirienne, a passé deux années (1991-1993) aux U.S.A. comme « guest lecturer » (professeur visiteur) auprès de diverses universités. Elle a de nouveau regagné les U.S.A. en 2005 avant de rentrer en Côte d’Ivoire en 2009 où elle vit jusqu’à ce jour.

   Ces auteures qui vivent au pays méritent l’admiration. Elles sont des femmes qui rencontrent de multiples difficultés dans l’élaboration de leurs œuvres, notamment au plan matériel et financier. En plus, les conflits socio-politiques et les guerres répétitives sur le continent africain ces dernières décennies ne permettent pas aux écrivains de se consacrer entièrement à l’écriture.

 

 

 

3.-Leur idéologie et la thématique exploitée

3.1 Idéologie

   Les femmes des lettres africaines, qu’elles soient au pays ou à l’étranger, ont une même idéologie dans leurs œuvres. Pour toutes, l’Afrique doit être libérée de la barbarie, de la sauvagerie, de la primitivité, de l’esclavagisme, de l’exploitation, de la domination dans lesquels la tiennent enfermée les Occidentaux. Leur écriture veut raconter une histoire tout en revenant sur les années qui ont façonné et pérennisé le système politique national et qui a permis d’asseoir au pouvoir, coup après coup, des dictateurs qui maintiennent le peuple africain dans la misère et la pauvreté totales.

   Les écrivaines trouvent que la femme africaine doit se réveiller en se débarrassant de la mentalité traditionnelle qui la confine dans les habitudes rétrogrades et régressives. Elles demandent à l’ensemble des peuples africains de se joindre à elles en vue de la construction d’une Nouvelle Afrique. C’est probablement ce qui fait, au bout de compte, la spécificité de cette littérature féminine qui, par conditionnement biologique sans doute,  aborde avec crudité les thèmes que beaucoup d’hommes auraient certainement hésité à traiter.

 

3.2 Thématique

   La littérature féminine en Afrique n’a cessé d’évoluer en fonction des contextes environnants, qu’ils soient politiques ou socioculturels. Les thèmes abordés de même que les techniques d’écriture adoptées s’avèrent de près ou de loin liés à des réalités, à la fois, multiples et communes aux pays d’Afrique. Et, quoiqu’inspirés, par moments, par des modèles occidentaux, nous l’avons vu, plusieurs écrivaines vivent à l’étranger sans abandonner leurs spécificités socioculturelles et sans se détourner de leur mémoire collective pour donner naissance à des œuvres originales comme leurs consœurs qui restent au pays.

   L’Afrique a des femmes, de toutes les générations, qui écrivent des romans, des pièces de théâtre, des contes, des essais, des recueils de poésie, des nouvelles autour de thématiques très diverses qui ne sont pas nécessairement féminines. Les thèmes comme la domination, la tradition, les exécutions, l’oppression, l’esclavagisme et l’exploitation du Noir par le colonisateur sont dénoncés par la poétesse rdcongolaise Nele Marian dans ses Poèmes et Chansons (1935).

   Aoua Keita (1912), Mariama Bâ (1929) sont les premières femmes des lettres africaines qui ont ouvert le chemin à leurs consœurs pour prendre la parole dans leur combat pour la libération de l’Afrique et pour l’émancipation des femmes africaines.

   La rdcongolaise Léonie Hortense Abo (veuve de Pierre Mulele) dans Un témoignage risqué (1966) et la sénégalaise Aminata Sow Fall, dans son récit Ex-père de la nation (1987) dénoncent la dictature, la tyrannie des hommes au pouvoir en Afrique.

   L’émigration est soulignée dans Ba ngulu ou ô Europe d’Emilie Mayabu, la rdcongolaise et par la sénégalaise Fatou Diome dans Le ventre de l’Atlantique (2003). L’assujettissement, l’infériorité et la clitoridectomie de la femme africaine sont critiqués dans La parole aux négresses (1978) de la sénégalaise Awa Thiam.

   Les violences sont dénoncées dans L’hibiscus pourpre (2004) de Chimamanda Ngozi Achidié, écrivaine nigériane d’expression française. Les luttes fratricides sont ciblées dans le poème Sahélienne d’Angèle Bassolé-Ouédraogo, l’éducation de la jeune fille dans Matricide (2008) de Marie-Jeanne Tshilolo Kabika, la rdcongolaise.

   La prostitution des jeunes filles dans les milieux scolaires et estudiantins sont exploitées par la gabonaise Rawiri Ntyugwetondo dans G’amàrakano (1983) et par la rdcongolaise Christine Falangani Mvondo dans La chaîne infernale (2010).

   L’occidentalisation et l’acculturation sont abordées par Aminata Sow Fall dans L’Appel des arènes (1993), la tradition est présente dans Le jujubier du patriarche (1998) d’Aminata Sow Fall, la misère du peuple dans La grève des Bàttu de la même Aminata Sow Fall, le mariage forcé dans Ahata d’Elisabeth-Françoise Mweya Tol’Ande, etc.

   Et c’est cette réalité féminine hétérogène qui offre un véritable reflet de l’Afrique contemporaine, multiforme et en perpétuel mouvement qui aspire au développement.

   Ces thèmes traités par l’écriture féminine démontrent comment l’Afrique est constamment tiraillée entre les contraintes de la tradition et les promesses de la modernité. L’œuvre, dans sa double dimension morale et sociale, illustre non seulement un problème de conscience entre les gens très pauvres et les riches, la tradition et la modernité, le rapport qui existe entre celui qui donne et celui qui reçoit, entre celui qui domine et celui qui est dominé.

 

4.-Réception des œuvres littéraires féminines

   Les œuvres littéraires des écrivaines africaines subsahariennes sont autant des faits qui prouvent que la femme écrivaine africaine, de l’époque coloniale comme de l’époque postcoloniale, démontre que ces femmes écrivaines deviennent de plus en plus nombreuses.

   C’est pourquoi elles n’ont plus rien à envier aux écrivains masculins, puisque leur marginalité a disparu à cause de leurs cris et de leur lutte acharnée manifestés dans leurs récits contre les antivaleurs qui dominent la société noire. De ce fait, elles participent de façon remarquable à la promotion de la culture africaine par le biais de la littérature. En plus, elles obtiennent la reconnaissance de grands prix littéraires tant nationaux qu’internationaux qui soulignent les mérites de leurs œuvres. Tels sont les cas des écrivaines ci-après :

-Elisabeth-Françoise Mweya Tol’Ande, qui a obtenu le Prix de poésie Sébastien Ngonso en 1967, étant encore élève à l’école secondaire, et le Premier Prix de poésie Mobutu Sese Seko en 1972.

-Clémentine Faîk-Nzuji Madiya devient en 1969 lauréate du Concours littéraire L.S. Senghor (1er prix de poésie et 2ème prix de proverbes). En 1986, elle est lauréate unique  au Concours annuel de l’Académie royale des Sciences d’Outre-Mer à Bruxelles, et obtient, à Kinshasa, la Médaille de Chevalier de l’Ordre national du Léopard pour Mérites  en Arts, Sciences et Lettres. En 1995, elle obtient le Prix André Ryckmans pour l’ensemble des recherches menées au CILTADE à Bruxelles.

-Mariama Bâ a décroché le Prix Noma de la Foire de Franckfort en octobre 1980.

-Aminata Sow Fall a obtenu le Grand Prix de l’Afrique noire en 1980 pour son livre La grève des Bâttu, et reçu le Prix International Alioune Diop pour l’Appel des arènes en 1982. En 1997 elle est devenue Honorary doctorate from Mount Holyoke College, à South Hadley (Massachussetts), U.S.A.

-Calixthe Beyala a eu le Prix Tropiques en 1984 pour Assèze l’Africaine ; elle obtient le Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 1993 pour Maman a un amant ainsi que le Prix François-Mauriac de l’Académie Française. Elle décroche en 1996 le Grand Prix de l’Académie Française avec Les honneurs perdus et en 1998 elle reçoit le  Grand Prix de l’UNICEF pour La petite fille du réverbère. 

-Ken Bugul avec Riwan ou le chemin de sable, a remporté le prestigieux Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 1999.

-Fatou Diome avec Le ventre de l’Atlantique en 2003, a remporté le Prix des hémisphères Chantal Lapicque, et en 2005, le même livre reçoit le Prix Liberaturpreis, un prix décerné chaque année par un comité de lectrices à une écrivaine originaire d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique Latine.

-Angèle Bassolé-Ouédraogo a remporté le Prix Trillium de poésie en 2004 avec son second recueil de poèmes intitulé Avec tes mots. Et pour Les Porteuses d’Afrique, elle a obtenu le prix littéraire de la ville d’Ottawa en 2008.

-Emilie Mayabu, avec Ba ngulu ou ô Europe, a reçu le second prix lors de la première Fête du livre en RDCongo, organisée à l’Institut français

en 2013. Son roman Un garçon vaut deux filles a remporté le Prix du Cinquantenaire de l’Indépendance de la RDCongo en 2009.

-Chimamanda Ngozi Achidié, avec L’hibiscus pourpre, roman paru en 2004 et complimenté par la critique (Hurston-Wright Legacy l’a qualifié de Meilleur premier roman), est lauréate du Commonwealth Writers Prize en 2005. Orange Prize for Fiction lui est décerné en 2007 pour L’autre moitié du Soleil, roman qui lui vaut aussi l’Anisfield-Wold Book Award. Son roman Americanah paru en 2013 est couronné du National Book Critics Fiction Award. Il sera adapté au cinéma avec Lupita Nyong’o dans le rôle principal.

-Christine Falangani Mvondo a remporté en 1987 le 1er Prix du Concours sur le récit de vie organisé à Kisangani (RDCongo) par l’Ambassade du Canada et la Fondation Universitaire du Zaïre, avec Le chemin de la vie.

-Bestine Kazadi Ditabala, en novembre 2006, publie un recueil de 36 poèmes, Congo Mots pour maux, qui lui vaut une cérémonie de présentation au Grand Hôtel de Kinshasa avec le ministre de la Culture et des Arts, Philémon Mukendi.

-Leonora Miano, camerounaise, qui rafle à elle seule six prix, dont le Prix du premier roman de femme en 2006 et le Prix de l’excellence en 2007.

-Elisabeth Ewombè-Moundo, en 2010, elle reçoit le Prix Ivoire pour La Nuit du monde.

-Monique Ilboudo est, en 1992, la première romancière burkinabé. Son premier livre intitulé Le Mal de Peau (Imprimerie Nationale) a obtenu le Grand Prix du Burkina du Meilleur Roman.

-Marthe Diur N’Tumb, rdcongolaise, est surtout connue pour sa pièce de théâtre, Zaïna, qui a remporté le Grand Prix du Concours théâtral Interafricain de RFI en 1983. La pièce a aussi été adaptée pour la télévision en 1984. Sa seconde pièce, Qui hurle dans la nuit ? a été mise en scène par le Théâtre International de langue française en 1986, puis jouée à New-York en 1987 par Ubu Repertory theater.

-Fatoumata Keita est lauréate du 2ème prix du Grand Prix du Mali pour son roman Sous fer publié en 2013.

-Marie-Jeanne Tshilolo Kabika a remporté en 1969 un prix au Concours organisé par le Centre culturel de Lubumbashi (RDCongo).

   Cette liste des femmes lauréates n’est point exhaustive. Plusieurs autres écrivaines ont reçu des prix pour leurs œuvres.

 

5.-Approche comparative des œuvres féminines

   Nous nous sommes uniquement penchée sur les différentes ressemblances entre les auteures elles-mêmes, leurs œuvres et les personnages. Quant aux différences à relever entre leurs œuvres, ce sujet fera l’objet d’une étude ultérieure.

5.1 Ressemblances entre auteures africaines

   La plupart de femmes écrivaines africaines ont ceci de remarquable qu’elles ont côtoyé de près, d’une manière ou d’une autre, la culture française ; ceci ressort de leurs biographies. Et, nous l’avons montré, un grand nombre d’entre elles vivent actuellement hors du continent, mariées ou non à des expatriés.

   Elles sont toutes africaines, qu’elles soient métisses comme la poétesse Nele Marian, de père belge et de mère rdcongolaise, ou la romancière Sarah Bouyain, de mère française et de père burkinabé. Ces écrivaines produisent nécessairement une écriture féminine, voire féministe, qui brise les tabous. Cette littérature féminine est un miroir de l’Afrique contemporaine et des réalités vécues par les femmes sur le continent de l’Afrique. Toutes véhiculent les formes d’un discours de la domination coloniale et postcoloniale qui fige l’Afrique dans des représentations dévalorisantes.

   Les écrivaines ci-après ont en commun le fait d’avoir passé leur enfance et leur adolescence chez leurs grands-mères à qui était confiée alors leur éducation : les parents de Calixte Beyala se séparent peu après sa naissance, tout comme ceux de Mariama Bâ et de Fatou Diome.

   A travers leurs œuvres célèbres de la littérature féminine africaine, les auteures mettent leur compétence au service de leur peuple dont elles sont fières. Ces femmes sont, largement, l’étendard de toutes les femmes africaines.

   Leur écriture n’est pas considérée comme seulement féministe car elles traitent dans leurs  ouvrages des réalités sociales qui concernent l’Afrique entière, avec notamment des thèmes récurrents du mariage, de la maternité, de l’éducation, de la polygamie, de l’excision, de la misère, de la maladie, de la tradition, etc. En bref, les écrits de ces femmes apportent souvent à la littérature une vision féminine, une touche particulière.

   Toutes ces écrivaines africaines, même si elles sont géographi-quement éloignées les unes des autres, se rejoignent par la similitude des régimes politiques en Afrique : le colonialisme avant l’indépen-dance, la dictature, la démagogie et la tyrannie après l’indépendance. Elles ont subi et continuent aujourd’hui à subir cette politique dominatrice des puissances occidentales et des autorités noires postcoloniales.

 

 

 

5.2 Ressemblance dans les récits

   Leurs écrits dévoilent l’amour familial et patriotique sans faille qu’elles portent à leur continent, l’Afrique. Même Nele Marian, métisse, dénonce le racisme des Blancs colonisateurs.

   Même le savoir acquis à l’Ecole Normale française de Rufisque, à Dakar, par Mariama Bâ, ne signifie pas une subordination à la culture européenne chez la jeune auteure pour qui les valeurs familiales, la religion, les traditions ancestrales et la culture restaient des éléments essentiels de son existence : « J’avais huit ans et je criais « Tam-tam emporte-moi ». Puis un jour, vint mon père, vint l’école, et prit fin ma vie libre et simple. On a blanchi ma raison ; mais ma tête est noire, mais mon sang inattaquable est demeuré pur, comme le soleil, pur, conservé de tout contact. Mon sang est resté païen dans mes veines civilisées et se révolte et piaffe aux sons des tams-tams noirs. »(9)

   Leurs œuvres démontrent l’évolution du pouvoir, de l’époque coloniale à l’époque postcoloniale. Les écrivaines du temps des indépendances soulignent l’égoïsme des autorités africaines au pouvoir. Elles peignent aussi d’une manière brutale des milieux politiques africains.  Elles démontrent également les mutations qui s’opèrent dans les sociétés africaines à partir des années soixante, où s’opèrent des changements de mentalité dans le monde sur les hommes, les coutumes, les mœurs en faveur de la femme. Des progrès réalisés jusqu’ici par la femme dans le domaine social, économique, politique et culturel ne sont plus des généralités abstraites, mais des résultats concrets.

   Les différents thèmes possèdent néanmoins un point commun, dans leurs œuvres. Ces écrivaines refusent la domination masculine et l’obéissance aux coutumes dégradantes sur les plans économique, socioculturel et politique. Et en plus, elles dénoncent la dictature des dirigeants africains et l’exploitation de l’Occident avec la complicité des hommes africains au pouvoir qui sont à la base de la misère du peuple africain.

   Ces femmes des lettres, dans leurs discours, encouragent hommes et femmes, de façon solidaire, à intensifier la lutte contre la misère, l’exclusion et l’exploitation de la femme et également contre la dictature en Afrique.

 

5.3 Ressemblance entre l’œuvre et l’auteure

   Il y a une influence secrète de la société sur les auteures, d’où elles ont tiré les idées de leurs récits. Les œuvres reflètent en général leur propre vie, les milieux dans lesquels elles ont vécu ou sont en train de vivre.

   Toutes les souffrances, les luttes que mènent leurs héros et héroïnes se rapportent à leurs propres luttes. N’est-ce pas, du reste, ce qui les a poussées à écrire ? La vie de leurs héros et héroïnes traduit le vécu des auteures dans cette société africaine qui reste sourde aux cris de ces âmes qui veulent que le peuple africain soit développé. C’est le cas d’Une si longue lettre, œuvre qui lutte contre la polygamie dont  Mariama Bâ avait été elle-même victime.

 

5.4 Ressemblance entre les personnages et l’auteure

   Le constat est que la plupart des auteures féminines prennent les femmes comme personnages principaux de leurs œuvres et, bien plus, un grand nombre de ces personnages reflètent la vie de leurs auteures. Leurs héroïnes sont des femmes intellectuelles universitaires comme leurs créatrices. Ces protagonistes ont aussi des fiancés, des époux ou des partenaires également intellectuels, comme elles.

   A titre exemplatif, l’ivoirienne Assamata Amoi dans son livre Le deuil des émeraudes, l’héroïne a pour nom Ndilé ; elle a étudié la médecine et travaille comme pédiatre ; son ami Iroko est ingénieur agronome. L’héroïne Sabel du roman Bayo, la mélodie du temps de l’écrivaine sénégalaise Sokhna Benga, est une romancière à succès. Mariama Bâ a une ressemblance de vie avec ses héroïnes Ramatoulaye et Aïssatou : elle est née dans une famille  riche comme Ramatoulaye, toutes les deux ont reçu une bonne et pieuse éducation, d’abord en famille et ensuite dans les écoles des religieuses. Bâ se marie et divorce car elle ne supporte ni le caractère de son époux Bassirou ni la polygamie, de même qu’Aïssatou. Dans son mariage, Bâ a eu 9 enfants, et Ramatoulaye, devenue veuve, est mère de 12 enfants. Bâ quitte son deuxième mari et épouse pour la troisième fois Ablaye Ndiaye parce que pour elle la lutte pour une meilleure vie se fait dans le foyer ; c’est aussi le point de vue de Ramatoulaye.

 

Conclusion

   Notre attention s’est portée sur 26 auteures africaines ; la sélection des genres littéraires mentionnée dans la présente étude porte sur les ouvrages disponibles. Nous avons constaté  que la littérature féminine est un phénomène récent, où les auteures expriment le désir de prendre la parole et d’extérioriser leurs idées et leurs souffrances internes, en vue de se libérer de l’exclusion sociale et crier l’existence souvent marginalisée par une distinction entre sexes.

   Ces femmes des lettres écrivent dans le but de rechercher un sens plus clair des issues sociales, politiques, culturelles, économiques, auxquelles les femmes sont confrontées. Cela est remarquable dans leurs récits qui sont pour la plupart des récits autobiographiques et aussi à travers le choix de leurs protagonistes féminins.

   Les premières femmes des lettres africaines de l’époque coloniale qui ont ouvert le chemin à leurs consœurs du temps postcolonial, à prendre la parole pour la lutte en vue de la libération de l’Afrique contre l’exploitation, l’esclavagisme et la marginalisation de la femme africaine par les coutumes ancestrales barbares, sont : la malienne Aoua Keita, née en 1912, dans son livre Femme d’Afrique. La vie d’Aoua Kéïta racontée par elle-même ; la rdcongolaise Nele Marian née en 1906, dans son recueil de poèmes intitulé Poèmes et Chansons publié en 1935 et la camerounaise Marie-Claire Matip née en 1938, dans son ouvrage Ngonda paru en 1975.

   Les femmes noires africaines pratiquent la poésie, la prose romanesque, le théâtre, l’essai, la nouvelle. Dans ces genres littéraires, elles ont trouvé un terrain favorable à l’e

Par Aurelie BULAKALI NSIMIRE, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024