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Etude comparative des anthroponymes budza et ngombe. Contribution à la connaissance  historique des deux peuplades de la Mongala

               Jean-Baudouin MOKOHA MONGA-ADOGO[1]

                               et LUBUTE NZOLAMESO[2]

 

Résumé

   Nombre d’anthroponymes budza et ngombe présentent une curieuse identité tant sur le plan morphologique que sémantique. Celle-ci pourrait-elle être à la base d’une probable parenté linguistique, voire biologique des deux peuples censés avoir partagé une histoire commune ?

Mots clés: anthroponyme-parenté linguistique-babélisme linguistique-intercompréhension.

 

  1. Introduction  

   Les anthroponymes budza et ngombe nous offrent dans leur diversité, de si curieuses similitudes lexicales, morphologiques et sémantiques que nous sommes contraints de nous y arrêter pour une réflexion approfondie.

   L’on sait depuis la malédiction de Babel que les hommes furent jadis un même peuple parlant une seule et même langue : l’hébreu. Forts de cette unité sociologique et linguistique, ils rêvèrent vaniteusement d’ériger une tour à Babylone, la Tour de Babel devant être perçue de toutes les extrémités de la terre comme symbole de la créature tendant à égaler Dieu afin de s’affranchir de la contingence.

   Leur ostensible fanfaronnade suscita aussitôt la furie de Yahwé qui, dans sa souveraineté divine absolue, décida de les confondre dans leur langage au point qu’ils en perdirent irrémédiablement l’usage.

   D’où l’éclosion du babélisme linguistique caractérisé inexorablement par la mosaïque des peuples et des langues et l’inintelligibilité de ces dernières par les différents locuteurs disséminés à travers le monde.

   Telle fut la malédiction de Babel contenue dans le livre de la Genèse (11 :1-9)

   Paradoxalement, les Budza et les Ngombe, quoique deux tribus différentes aux langues tout aussi spécifiques, présentent curieusement dans leurs manifestations langagières de telles similitudes lexicales, morphologiques et sémantiques que l’intercompréhension devient probablement manifeste.

   C’est donc sur ce phénomène linguistique qu’a porté  notre intérêt en vue d’examiner précautionneusement une éventuelle parenté linguis-tique susceptible de nous dévoiler des réalités historiques latentes sur ces deux peuplades de la Province de la Mongala.

   Étant entendu que la linguistique est une science auxiliaire à l’histoire qui vient à la rescousse de celle-ci au cours de ses investigations scientifiques pour la manifestation de la vérité, nous nous sommes intéressés aux anthroponymes pour tenter tant soit peu de saisir cette problématique.

1.Brève présentation de la Province de la Mongala

1.1. Mongala ou le Triplet

   La Province de la Mongala qui s’étend sur 6781 km2 est habituellement qualifiée de «  Triplet »pour la bonne et simple raison qu’elle se compose de trois territoires : Bongandanga, 33.912km2 de superficie ; Bumba, 15.489km2 et Lisala, 18.417km2.

   Ces trois territoires formèrent jadis le District de la Mongala dont le chef-lieu fut la ville de Lisala, devenue aujourd’hui chef-lieu de la Province de la Mongala. Ceci aux termes de l’article 2 alinéa 1 et 2 de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 telle que modifiée par la loi n°011/02 du 20 janvier 2011 portant révision de certains articles, en son article 2, alinéa 1er qui dispose :<< La République Démocratique du Congo est composée de la ville de Kinshasa et de 25 Provinces dotées de la personnalité juridique>> (Constitution, 2011).

   L’ancien District de la Mongala faisait ainsi partie intégrante de l’ancienne grande Province de l’Équateur, avec les Districts du Nord-Ubangi, du Sud-Ubangi, de la Tshuapa et de l’Équateur devenus tous les cinq des provinces autonomes « dotées de la personnalité juridique ».

I.2. Population, activités vitales et situation sociolinguistique

   La Province de la Mongala est essentiellement habitée par les Budza, dans le territoire de Bumba et les Ngombe dans les territoires de Lisala et de Bongandanga. Cependant, une fraction importante de la population mongo occupe le territoire de Bongandanga.

   A ces populations majoritaires s’ajoutent les Ngbandi, Ngbaka, Lokele, Mbanza, Bangenza,Baboa et Banzandé ayant, pour l’une ou l’autre raison, choisi la Mongala comme leur seconde partie.

   Les Lokele y sont venus pour des activités halieutiques ; les Ngbandi et les Ngbaka pour œuvrer dans les plantations d’huile de palme de Bosondzo à Bongandanga, de Yaligimba à Bumba et de Binga à Lisala ; les Bangenza pour la chasse ; les Baboa et les Banzandé pour prester dans la voie ferrée aujourd’hui moribonde et sur laquelle l’herbe a repris ses droits : VICICONGO débaptisé la SNCC (Société Nationale des Chemins de Fer du Congo, devenue par après CFU= Chemins de Fer des Uélé).

   Les populations autochtones composées des Budza, Ngombe et Mongo s’occupent essentiellement de l’agriculture , de l’élevage, de la pêche et de la chasse, considérés comme activités économiques vitales de la Province de la Mongala.

   Les langues courantes y sont le lingala, l’ebudza, le lingombe et le lomongo auxquelles se superposent le français et l’anglais pratiqués dans les écoles et les cités de Bumba, Lisala, Bongandanga ainsi qu’à Yaligimba, Bosondzo et Binga où se concentrent les agents et les  travailleurs des plantations.

2.Des anthroponymes dans le contexte africain ou bantou

   L’étude des anthroponymes nous renvoie indéniablement, en linguistique, à une partie de cette discipline appelée <<onomastique >> (étude des noms propres).

   Les anthroponymes sont donc les noms propres des hommes à côté desquels on trouve plusieurs autres séries comme les toponymes (noms propres des lieux), les hydronymes (noms propres des cours d’eau), les zoonymes (noms propres des animaux), les entomonymes (noms propres des insectes), les théonymes( noms propres des dieux), les ornithonymes (noms propres des oiseaux), les dendronymes (noms propres  des arbres)…

   Tous ces aspects de l’onomastique intéressent les linguistes et d’autres spécialistes.

   Par exemple, les phytonymes (végétation, plantes) sont une cible de recherche pour les médecins phytothérapeutes dans l’identification des plantes médicinales ou à vertus pharmacologiques. Tel est le cas de la plante Artémisia à partir de laquelle le médecin congolais Jérôme Munyangi a trouvé un remède contre le COVID-19. D’autres Congolais qui s’y sont employés comme Batangu Mpesa, Ntondele et le Professeur Daniel Mpinda Mukumbi méritent d’être cités.

   Au sein de la société africaine et bantoue, tout enfant qui vient au monde a droit à un nom devant l’identifier en le différenciant en même temps des autres enfants du terroir. Qui plus est, le nom demeure un programme contenant toute une vision du monde (weltanschauung en allemand). Il est le reflet des circonstances et des visées sociales de la famille dont est issu le nouveau-né : décès, joie, peine, fête, richesse, pauvreté, maladie, prospérité, amour, famine, guerre, fuite, devenir radieux…

   Somme toute, les sociétés budza et ngombe n’échappent nullement à ces contraintes sociales sur base desquelles des noms conformes doivent être conférés aux nouveau-nés, à la plus grande satisfaction des vivants et des morts, en vue de la vitalité du clan.

III.Présentation du corpus

   Nous présentons ici notre corpus constitué d’un répertoire d’une centaine d’anthroponymes ayant servi dans notre étude.

   Loin de nous la prétention d’être exhaustifs, eu égard à l’inflation lexicale due à moult phénomènes sociaux et linguistiques relevant de la néologie tels que les emprunts, la créativité lexicale, le contact des langues, les migrations, les brassages, les mutations sociales…

 

1.Angwaeloma

22.Elisi

43.Mokonga

64.Mongali

85.Tebasombe

2.Agwaki

23.Embale

44.Makumu

65.Moleka

86.Pange

3.Akinaliteho

24.Embolembole

45.Mambele

66.Mosala

87.Pela

4.Angbalima

25.Enzenge

46.Mambuse

67.Moseka

88.Tsikana

5.Apusa

26.Iduma

47.Mangando

68.Monganga

89.Wasia

6. Nango

27.Ilembo

48.Matonge

69.Mongungu

90.Wasato

7.Apusasango

28.Koli

49.Matsi

70.Mopotu

91.Watakoke

8.Apuziayago

29.Kuma

50.Matsoko

71.Mopanga

92.Wiholo

9.Atunga

30.Likoko

51.Mbembe

72.Motsikana

93.Wotundu

10.Balekabo

31.Likingi

52.Mbonga

73.Mwembu

94.Yogo

11.Balonambai

32.Lilembu

53.Mbotama

74.Mwenga

95.Yenga

12.Bamolona

33.Limolo

54.Mangongo

75.Ndiwa

 

13.Baingebato

34.Lisasi

55.Matembe

76.Ndonge

 

14.Basia

35.Lisika

56.Matili

77.Nzialikombe

 

15.Batamokoka

36.Lisimo

57.Misomapipo

78.Ngbaku

 

16.Likango

37.Litanga

58.Mitobe

79.Nongo

 

17.Ebenga

38.Liwoza

59.Mokako

80.Nzemoti

 

18.Ebeyogo

39.Logo

60.Molili

81.Nzia

 

19.Eboma

40.Mabanga

61.Molima

82.Pela

 

20.Egwake

41.Mabele

62.Monama

83.Tebakabe

 

21.Ekutsu

42.Make

63.Mondonga

84.Tebandimezande

 

IV.Portée sémantique des anthroponymes

4.1 Des anthroponymes budza et leur portée sémantique

  1. Agwaki : ‘il fut mort, il est ressuscité. Nom donné à un enfant né dans des conditions difficiles et désespérées’
  2. Akinaliteho : ‘Insensible aux conseils’
  3. Egwake : ‘en état de mort’
  4. Ekutsu : ‘une pourriture (poisson ou viande)’
  5. Embale : ‘une provocation, un enfant pyromane’
  6. Embolembole : ‘un sournois, un hypocrite’
  7. Iduma : ‘deuil le nom est donné à l’enfant né au cours de cette circonstance’
  8. Lilembu : ‘nom d’un poisson’
  9. Lisika : ‘renard’
  10. Lisimo : ‘terre abandonnée’
  11. Liwoza : ‘né au milieu des autres enfants, médian’
  12. Logo :’ la mort’
  13. Makumu : ‘les sages, les notables’
  14. Mangando: ‘les terres étrangères’
  15. Mangondo : les cordons ombilicaux’
  16. Mambuse : ‘le cadet des jumeaux ‘
  17. Matembe : ‘un enfant qu’on n’attendait pas, sa mère ayant été donnée pour improductive, stérile’
  18. Matsi : ‘la fuite. Enfant né au cours d’une fuite, par exemple à l’occasion d’une rébellion’
  19. Mobwano : ‘caprice’
  20. Mondili : ‘mânes des ancêtres (ndili)’
  21. Mongali : ‘Dieu’
  22. Mopunga : ‘le riz ou paddy’
  23. Motsikana: ‘orphelin ou orpheline’

    Par Mokoha Monga-Adogo J-Baudouin , dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024