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                Mon expérience d’écrivaine congolaise

                                 Par Laetitia Lakubu

Débuts

       Lorsque j’ai commencé ma scolarité, j’étais impressionnée par notre maîtresse, Madame K*. Mieux que ma mère, elle faisait preuve d’une connaissance sans limite ! Des « calculs » à l’étude du milieu, en passant par le français, la calligraphie, les problèmes, etc. Elle me laissait sans voix et me donnait envie d’en savoir autant qu’elle (je ne m’imaginais pas qu’on pouvait en savoir plus). Je la voyais souvent lire, quand nous étions en récréation ou en repos et j’ai cru découvrir le secret de sa connaissance : la lecture. J’aimais l’écouter et j’aimais ses « histoires ».

       Dans la famille, bien avant la maîtresse, mes parents avaient l’habitude de lire (journaux, magazines, romans, encyclopédies, essais, bandes-dessinées) et d’écouter la radio, spécialement les chaines étrangères (en ondes-moyennes, en modulation de fréquence et autres). Ils étaient friands de la lecture et des débats divers ; ils avaient pris l’habitude, selon nos niveaux et nos capacités, de nous donner de la lecture à expliquer lors des repas familiaux du dimanche soir et à nous convier à certains débats sur l’actualité et les faits de société, échanges au cours desquelles nous avions le droit de donner nos avis, de poser des questions et de découvrir ce qui se passait dans le monde des grands (les évènements politiques, économiques, les faits divers, etc.) Plus tard, aux études secondaires, nous choisissions chacun une lecture à exposer lors de ces rencontres hebdomadaires.

       Pendant les vacances scolaires, lorsque nous n’étions pas en déplacement, je passais tout mon temps dans la bibliothèque qui était une chambre tapissée de livres, aussi bien sur les étagères que dans des box : romans, essais, travaux scientifiques, encyclopédies, dictionnaires de divers domaines, magazines et vieux journaux, au point que ma mère décida de me confier le travail de numéroter le contenu de la bibliothèque familiale et de les répertorier dans un cahier. C’était un travail qui me permettait de rester au milieu des livres du matin au soir. En vraie « rat de bibliothèque », je m’acquittais de mon devoir avec délectation et cela me permettait de lire TOUT ce qui me tombait sous la main, sans aucune censure. Comme je bégayais assez sérieusement jusqu’à la fin de l’adolescence, la lecture était mon meilleur refuge. Pour me chahuter, mes frères disaient que je sentais les livres.

       De la lecture m’est venue l’envie d’écrire : je me procurais des cahiers ou des vieux agendas pour écrire des histoires que je donnais à lire à mes sœurs. Elles lisaient aussi au fur et à mesure que j’écrivais. Souvent, elles en redemandaient et suggéraient des suites ou des dénouements ; parfois, certaines me racontaient les leurs pour que j’écrive. J’étais un peu devenue leur « scribe », je servais aussi de « secrétaire à tout faire » à ma mère. C’est en évoluant dans cette atmosphère familiale studieuse et exigeante que j’ai décidé de faire les secondaires littéraires à cause de mes penchants pour la lecture, l’écriture, les mots, les dictionnaires et pour échapper à la filière « scientifique » , contourner et échapper à tout ce qui avait un caractère « mathématique ».

       Au courant de mes études secondaires, l’ambassade de France au Zaïre avait convié plusieurs écoles de la capitale à participer à un concours de dissertation autour de la révolution française à l’occasion du bicentenaire de l’évènement. Soutenue par mon école, le Lycée Bosangani (Sacré-Cœur) à la Gombe, je me suis inscrite au concours et j’ai envoyé mon texte. A ma grande surprise, mon texte a reçu le premier prix qui consistait à participer aux différentes cérémonies qui entouraient la célébration du bicentenaire à Paris pendant au moins un mois, comme invitée du Palais de l’Elysée. Ce temps fort a marqué ma jeunesse et m’a confortée dans ma conviction que les études littéraires étaient bien ce que je voulais faire ; cela m’a également motivée à continuer à nourrir le rêve de l’écriture.

Aux études universitaires

A mon entrée à l’université, parce que je voulais faire les Lettres françaises, je me suis butée à l’opposition de mes parents, se demandant quels en étaient les débouchés, mis à part l’enseignement qui a toujours difficilement nourri son homme dans notre pays. Je leur avais fait part de mon désir de devenir « Professeur » comme une de mes tantes, aujourd’hui professeure émérite à la faculté de Droit de l’Université de Kinshasa. Pour eux, la tante avait eu sa chance sans oublier  qu’il fallait obtenir la distinction ; encore qu’elle eût étudié à l’occident, avec tout le sérieux qu’ils accordent aux études. Pour eux, il ne fallait pas prendre des risques inutiles  mais faire des études classiques (droit, économie, médecine, sociologie ou relations internationales) ; le reste, c’étaient des études « fantaisistes » qu’on faisait par caprice. Elles voulaient, pour moi, des études normales pour trouver un débouché courant … Le chômage guette tellement les nouveaux diplômés dans notre pays.

       Dans cette discussion, je bénéficiais du soutien de mon Oncle maternel et tuteur, le feu Révérend Père Ekwa Bis Isal s.j., d’heureuse mémoire. Il avait réussi à tempérer l’opposition de ses sœurs et m’encourageait à sortir des sentiers battus, d’entamer des études qui selon lui, allaient m’ouvrir l’esprit et me sortir de la monotonie intellectuelle de notre pays ; pour lui, porte-flambeau de l’Education Nationale, le pays, la nation avaient autant besoin de penseurs, d’écri-vains, de linguistes et d’historiens que de médecins, d’économistes et de juristes. Pour lui, il importait d’étudier « sérieusement », en travailleur acharné, pour tirer son épingle du jeu : ne pas s’adonner à la corruption, à la facilité et à la loi du moindre effort. Il me rassurait que mon rêve était à portée de main.

       Au début, sachant que la Faculté de Lettres était localisée à Lubumbashi (UNILU), je leur ai dit que j’étais prête à y aller, pour raison d’études, à leur grande déception : comment laisser une fille aller si loin, sans aucune famille, ni tuteur sur place ? Quand j’ai commencé les démarches, j’appris que la Faculté des Lettres était de retour à Kinshasa, sur le campus de l’UNIKIN et que les enseignements avaient repris après la fermeture de 1991-1992 ; vraisemblablement, il n’y aurait pas d’inscription car l’interruption de l’année continuait. Renseignement pris, je décidai d’aller constater par moi-même cette « impossibilité ». C’est sur place que j’ai appris qu’il était fort possible d’obtenir une inscription ; la faculté de Lettres était sous-peuplée : les trois départements du départ réunis (Français, Histoire et Philosophie) totalisaient à peine 120 étudiants parmi lesquels plus de la moitié d’irréguliers. C’est ainsi qu’il avait été décidé en haut lieu de régulariser les non-inscrits.

       C’est de cette manière que j’ai obtenu mon inscription et que j’ai commencé la grande aventure académique. Prévue pour 5 ans, ma Licence m’a pris 7 ans sans jamais reprendre une seule classe ! Ce sont les années où j’ai « aimé » ce que j’étudiais, chaque cours, chaque chapitre, chaque stage, chaque travail, … C’est un cursus que j’ai effectué assez facilement : aucune seconde session, le graduat avec mention et la Licence avec brio. Au terme de mes études univer-sitaires, j’ai été retenue comme assistante par l’Université de Kinshasa, au sein de la Faculté de Lettres, avec une grande fierté : celle d’avoir accompli mon rêve de devenir enseignante.

Parcours

       Pendant 4 ans, j’ai presté comme assistante chargée du cours de français dans différentes facultés de l’Université de Kinshasa, notamment en Lettres, Sciences Sociales, Relations Internationales, à la suite des professeurs que je suivais et plus tard à L’Ecole d’Etat Major de Kinshasa. Les conditions de travail des assistants et chefs de travaux m’ont quelque peu découragées à poursuivre mon rêve académique.

       Pour suppléer aux maigres possibilités d’une vie « normale » qu’offrait l’enseignement, certaines opportunités m’ont conduite vers le journalisme. En effet, pendant notre cursus académique (graduat), le cours de « Pratique professionnelle » nous avait conduits vers différentes filières, j’avais alors choisi le Journalisme. Et en dernière année de graduat, j’avais intégré la rédaction d’un journal Bi – hebdomadaire de la ville d’abord en stage « professionnel », et pour obtenir la carte nationale de presse nationale au bout de trois ans.

       C’est ce qui m’a permis d’exercer également comme journaliste dans différents organismes. Le journalisme m’a mené vers l’Administration. Par le travail exercé au sein des différentes rédactions au-delà de l’écriture journalistique, j’ai été initiée à l’administration. Depuis 15 ans, j’ai intégré les Nations Unies comme fonctionnaire, spécialement au sein de l’administration, puis aux ressources humaines, successivement dans la Mission de Paix en R.D. Congo (MONUSCO) et dans son programme pour le développement (PNUD). 

      Mon parcours d’enseignante, de journaliste et de fonctionnaire m’a permis d’être en contact avec les grandes thématiques politiques et sociales, spécialement avec la condition féminine dans notre pays et dans le monde. Cela constitue ma plus grande source d’inspiration, en plus de certaines grandes revendications du mouvement féministe adaptées à la situation de la femme africaine. La richesse de la culture et de la sociologie africaine et congolaise, en particulier, m’inspire également, ainsi que les mouvements des sentiments de la vie quotidienne. Mon inspiration est nourrie par les réflexions nées du besoin de l’amélioration des conditions sociales et politiques de mon pays. La problématique de l’adaptation de l’approche genre dans notre pays constitue une question cruciale que je cherche à aborder au fil de mes écrits.

Oeuvres

       A ce jour, je ne compte que deux publications à mon actif :

  • Miroir aux Alouettes (récit), publié en 2018, aux éditions du Pangolin et qui raconte les quêtes du bonheur d’un jeune diplômé, d’une jeune mariée victime de violences conjugales et des parents à la recherche de leur enfant.
  • Dévoilements (nouvelles) co-publié avec Mr. Prince Djungu Tambwe en 2020, aux éditions du Pangolin. Il s’agit d’une compilation des nouvelles ayant pour thème les violences faites à la femme à travers le pays et à l’extérieur.

       Mon ambition est de participer à la renaissance de la vie de la pensée dans notre pays.  Ecrire le plus possible pour partager ma pensée et ma vision du monde qui sera confrontée aux autres pensées, contribuer à la transformation de la société. Il s’agit aussi de s’approprier notre culture, nos us et coutumes ; contribuer à les présenter de la meilleure manière, à apporter des réponses aux questions existentielles de notre sociétés et ouvrir à la compréhension de l’autre.

Difficulés

       La difficulté principale rencontrée est la quasi-inexistence de structures d’encadrement d’écrivains, encore moins d’un forum de rencontres, d’échange, de formations et d’informations. Les maisons d’éditions existantes, elles-mêmes confrontées aux difficultés économiques de notre environnement, n’offrent pas beaucoup de choix. Il s’agit souvent de s’auto-publier, en payant les frais liés à l’édition sans escompter un bénéfice quelconque. Le marché du livre dans notre pays est difficile ; les pourcentages pratiqués par les librairies ne permettent pas aux écrivains et aux maisons d’éditions de mener une activité viable. La problématique du droit d’auteur est un point d’achoppement, elle nécessite plus de vulgarisation et davantage de compréhension. De ce qui précède, c’est une véritable gageure de s’établir comme écrivains et de vivre de son art sur un tableau pareil. Cela condamne l’écriture au statut de « caprice » lorsque les réflexes de survie constituent le mode de vie dans notre pays.

       L’autre difficulté est que le marché national du livre ne connaît pas une grande promotion : les écrivains congolais sont nombreux, leurs œuvres ne bénéficient pas d’une attention de la part du gouvernement et encore moins du public. L’Education Nationale ne les intègre que rarement dans les programmes scolaires, encore que les auteurs congolais « étudiés » appartiennent à une histoire qui a beaucoup évolué et qui aborde des thématiques plus actuelles ; un certain conservatisme est proposé avant de recourir aux autres auteurs africains et occidentaux.

       Les concepteurs des programmes « littéraires » et de la langue françaises devraient le plus possible faire appel aux auteurs de la littérature nationale pour que l’enseignement conserve son encrage national. Cela participerait à la promotion des auteurs et à l’intérêt du public pour une vision du monde qui leur est propre, opposée à l’extraversion tous azimuts, un enseignement introverti. 

 

 

 

 

Par Laetitia Lakubu , dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024