0.1 Littérature orale
Commençons par la littérature orale qui, quoique mise à mal par la modernisation, demeure encore bien vivante, aussi bien dans les milieux urbains que dans les villages, sous les principales formes suivantes :
- Oralité primaire, première ou pure (Ong, 2014 : 30 ; Zumthor, 1983 : 36).
Il s’agit du mode d’existence propre aux textes énoncés de bouche à oreille, by word of mouth (Finnegan, 1977 :16), c’est-à-dire par la voix humaine. Ce sont des textes dits en fonction, autrement dit performés aujourd’hui dans des situations sociales précises, impliquant la présence d’un « énonciateur » et d’un ou plusieurs destinataires, dans des contextes spatio-temporels déterminés(3). Ici, la communication entre les acteurs est directe, immédiate, elle ne transite pas par un média et n’est donc pas médiatisée. Par définition, elle suppose la coprésence ou le face à face entre le performer et son/ses interlocuteurs, conférant ainsi à la performance, pour bon nombre de genres littéraires, un caractère évènementiel qui fait d’elle an event in time (Finnegan, 1981 : 2). Actuellement, les genres littéraires suivants empruntent ce mode de transmission, il s’agit notamment de compétitions verbales/jeux verbaux, devinettes, proverbes, chants, légendes urbaines, poésie d’éloge, etc(4).
- Oralité seconde/secondaire(5), oralité médiatisée/oralité médiatique ou plus généralement « néo-oralité »(6).
Il s’agit d’un mode d’existence qui résulte de la rencontre entre la littérature orale et les médias, au sens large de ce terme en l’occurrence l’écriture, la radio et la télévision ainsi que les NTIC en général. Ici, la communication est médiate, non directe entre l’énonciateur et son/ses interlocuteurs, elle est prise en charge par un média. Parmi les genres littéraires concernés par cette modalité, il y a lieu de mentionner le conte traditionnel. En effet, conscients de la valeur récréative et pédagogique de ce genre littéraire, les pouvoirs publics congolais ont institué, depuis plusieurs années, des émissions de radio et de télévision consacrées au contage. C’est le cas de Hadisi ndjo et Lisap’ónge qui sont produites en direct une fois par semaine à la télévision et réunissent à cet effet, autour du conteur, une vingtaine d’enfants envoyés par les écoles ou directement par leurs parents. Le décor du plateau est conçu de manière à reconstituer l’arène performancielle et l’ambiance des veillées littéraires d’autrefois. Généralement, comme à l’époque dans les villages, la séance de contage est précédée par le jeu de devinettes entre le conteur et l’auditoire, permettant ainsi aux enfants de se mesurer les uns aux autres.
0.2 Littérature écrite
Venons-en à présent à la littérature écrite, laquelle peut être qualifiée de « littérature créative en langues congolaises » et commençons par préciser ce que nous entendons par ce concept. Ayant pour principales langues d’expression le kikongo, le lingala, le kiswahili et le ciluba, cette composante de la littérature congolaise moderne peut être définie comme l’ensemble des textes écrits par des Congolais ou exceptionnellement par des Européens sur le modèle des catégories littéraires occidentales – roman, nouvelle, théâtre, poème, essai et conte – dans lesquels on reconnait un effort réel de création caractérisé par une certaine originalité, c’est-à-dire une manière personnelle de traiter les thèmes et les techniques de l’écriture, ceux-ci pouvant être puisés aussi bien dans le patrimoine traditionnel que dans les nouveaux contextes de la culture congolaise. Ici donc, pour, « l’écrivain est le producteur exclusif de son texte tant sur le plan de la conception que sur celui de la formulation »
(Ngalasso, 2011a : 36) à la différence du transcripteur qui, sans en être l’auteur « est un simple copiste du texte qu’il transcrit » (Idem : 30). Ainsi conçue, la littérature créative en langues congolaises n’est pas à confondre avec :
1. Les textes dits « transcrits ».
Aussi appelés textes « écrits », « notés » ou « traduits en lettres » (Giard, 1980 14), « style oral mis par écrit », « scriptionné » (Jousse : 954), ils sont constitués des textes oraux transcrits mot à mot à des fins de conservation ou d’études scientifiques dont le statut réel est celui d’oralité seconde(7)car pris en charge ici par un média, en l’occurrence l’écriture.
2. Les textes dits “restitués” (Giard, 1980 : 14).
Constitués des récits narratifs rédigés sur commande d’après la méthode dite “enquête scolaire” par des élèves, des enseignants ou par toutes autres personnes sachant lire et écrire, ces textes se présentent habituellement comme de simples relations de faits, comme des résumés d’intrigues sans élaboration artistique évidente. De ce fait, ils se situent entre les textes oraux et les textes littéraires proprement dits.
3. Les « traductions » en langues congolaises d’oeuvres littéraires originellement écrites en langues étrangères.
L’intégration à la littérature congolaise moderne des traductions soulève quelques interrogations pour une raison simple. En effet, si la langue est un élément déterminant dans l’identification d’une oeuvre littéraire donnée, celui-ci doit être complété par un autre, tout aussi essentiel, d’ordre culturel, à savoir le contenu de cette dernière dans ses rapports avec la réalité locale ou, plus exactement, le degré de son enracinement dans cette culture. De manière concrète, il s’agit de la mise en forme de la langue, autrement dit de son « traitement artistique » auquel il faut ajouter le « référent », le « point de vue », l’« endroit d’où sont perçus les éléments évoqués », le « lieu où se situe le centre de conscience génératrice de l’oeuvre » (Désalmand, 1982 : 21) ou, en un mot, le « tuf africain », comme dirait Tshitungu Kongolo (Tshitungu : 171). J.B.
Tati-Loutard, célèbre écrivain de la rive droite du Fleuve Congo, le confirme, illustrant sa pensée par l’exemple de la littérature cubaine :
[…] le caractère national d’une littérature, c’est surtout le contenu des consciences, les aspects de psychologie […], c’est cela qui fait qu’une littérature appartient ou reflète la vie de tel ou tel autre peuple. Ainsi, de ce point de vue, la littérature cubaine par exemple, bien qu’elle utilise la langue espagnole, garde son caractère national, et il est différent du caractère national espagnol parce que chargé du contenu humain propre au peuple cubain […] » (Tati-Loutard, cité par Bemba : 1988 :71)(8).
L’on sait, de manière unanime, que c’est une langue congolaise, en l’occurrence le kikongo qui, en Afrique centrale, fut la première à être portée à l’écrit notamment au 16ème siècle grâce à l’évangélisation de la partie ouest du pays. Cependant, force est de reconnaitre que les quatre langues nationales congolaises (kikongo, ciluba, lingala, kiswahili) n’ont acquis le statut de « langue littéraire » que très tardivement. Pourtant, le décor semblait être planté pour la naissance, tout au moins de la littérature créative en kikongo vers la fin du 19ème siècle, grâce à l’intense activité missionnaire concrétisée par la création des écoles, la production d’une importante littérature chrétienne ainsi que des travaux linguistiques élaborés principalement pour soutenir l’évangélisation.
0.3 Littérature en langues congolaises et littérature en français
Actuellement, comparée à la littérature écrite en langue française, chronologiquement sa cadette(9), la littérature écrite en langues congolaises, dite littérature créative, est peu développée et peu connue, pour deux raisons, à mon avis essentielles, à savoir :
- L’indifférence et le manque d’intérêt aussi bien de l’élite congolaise que des pouvoirs publics. Il s’agit d’une attitude quasi générale que stigmatise M.-M. Ngalasso:
Aujourd’hui, les littératures écrites en langues zaïroises sont peu connues par le public national et international, peu soutenues par l’institution étatique, peu fréquentées par les intellectuels et les écrivains formés à l’occidentale,
totalement exclues de l’école et des grands médias graphiques. Dans ces conditions de marginalisation, elles sont tout simplement ignorées et, à brève échéance, menacées d’oubli (Ngalasso, 1995 : 134).
La déclaration du plus célèbre des universitaires congolais, V.Y. Mudimbe, exprime incontestablement l’opinion de bon nombre d’intellectuels congolais à l’époque:
C’est aussi ce statut que parait avoir la littérature moderne en langues africaines. Malgré sa singularité, son importance et sa diversité, elle est généralement associée à la littérature orale et de ce fait, techniquement en tout cas, ressortit au folklorisme (Mudimbe, 1978b : 139).
Et cet autre propos, tenu dans un autre contexte, traduit hélas la connaissance erronée que l’auteur de Carnets d’Amérique avait alors de l’art oral africain comme de la littérature créative en langues africaines :
Ainsi, dans les pays africains ayant une politique ferme de promotion des langues africaines, la littérature orale comme la littérature en langues africaines, de par leur statut de marchandise objectivement non exportable, prennent une valeur particulière : objets spécifiques des recherches de rares savants qui s’y intéressent, elles semblent être aussi des objets de consommation presque exclusivement réservés aux classes les plus défavorisées de la société. Dans les pays africains dont la politique en matière de promotion des langues africaines n’est ni définie ni explicitée, l’expression littérature africaine signifie et désigne les oeuvres écrites en langues étrangères, la littérature dite traditionnelle comme la littérature moderne en langues africaines étant des manières de domaine réservé à des chercheurs - curieusement pour la plupart des étrangers - dont il est de règle dans les institutions officielles de se méfier (Mudimbe, 1978a : 138)(10).
- Le manque de structures de production et de promotion comme institutions de légitimation, une situation en contraste par exemple avec celle des littératures swahili et hausa, à ce jour les plus importantes du continent, et aussi avec celle de la jeune littérature pulaar du Sénégal et de la Mauritanie.
Dans les lignes qui suivent, je vais présenter brièvement la situation actuelle de chacune des quatre littératures, juste pour donner au lecteur une idée de ce qui existe sans en analyser les oeuvres à cause des contraintes éditoriales.
I. LITTERATURE EN KIKONGO
La littérature en kikongo est née au début du 20ème siècle. Elle s’exprime à cette époque dans deux variétés de cette langue, le kiyombe et le kintandu. Ainsi donc, Jozef. Nkenda u kangu dinkulu [Jozef. Histoire des Anciens](11), pièce de théâtre missionnaire écrite par le Père Ivon Struyf en kiyombe peut être considéré, à juste titre, comme la première oeuvre d’imagination produite dans une langue congolaise. Dans ce même domaine, entre 1920 et 1930/1950, une quinzaine de textes ont été écrits dans ces deux parlers kongo, principalement par des prêtres. Diffusées parfois sous forme de feuilletons dans Ntetembo eto, périodique missionnaire, ces oeuvres littéraires comprenaient aussi des récits biographiques dont le plus représentatif fut Luzingu lwa Georges Van Geel 1617-1652, écrit par J. Debruyne(12) en 1938. Comme il fallait s’y attendre, ce théâtre avait pour thèmes des sujets religieux tirés de la Bible.
Ces textes en kiyombe et kintandu ont été suivis de ceux écrits en kifioti(13), lingua franca ayant servi de moyen d’expression aux écrivains protestants de deux stations missionnaires, Mukimbungu et Kimpese, fondées par les missionnaires américains, anglais et suédois arrivés dans la région dans les dernières années du 19ème siècle(14). A Mukimbungu, station tenue par les missionnaires américains ensuite par les Suédois, quoiqu’aucune oeuvre littéraire d’imagination n’y ait été produite, on note cependant la création de Minsamu Miayenge [Messages de Paix], premier périodique de langue kongo fondé en 1892. C’est aussi dans cette station que fut publiée, sous forme de feuilletons, à partir de 1892, la traduction kikongo du roman de P. Bunyan, The Pilgrim’s Progress par le Suédois C. Palmkivst, sous le titre de Nguendolo a nkwa Klisto [Le Voyage du Chrétien] et aussi une adaptation de Robinson Crusoe de D. Defoe par T. Vingadio et C. Mabie sous celui de Nsamu wa Nsau Kuluso [La vie de Nsau Kuluso]. Cependant, c’est à la station de Kimpese, fondée en 1908 que fut publié par J. Petersson, missionnaire suédois, le premier
roman écrit dans une langue congolaise sous le titre de Nsamu a Mpanzu [La vie de Mpanzu], en trois volumes parus respectivement en 1935 pour le premier et en 1938 pour les deux derniers(15).
Les auteurs suivants ont emboité le pas au missionnaire suédois, soit, dans l’ordre chronologique :
1. Emile Adolphe Disengomoka (1915-1965)
Régent littéraire de l’Ecole Normale d’Etat de Nivelles en Belgique en 1958, il dirigea plusieurs établissements scolaires à Kinshasa et fut Membre du Conseil d’administration de l’Université Libre de Kisangani et participa à la Commission constitutionnelle de Luluabourg en 1964. Son oeuvre littéraire comprend des essais et un roman qui lui valut, en 1948, le Prix Margaret Wrong(16), à savoir Kwenkwenda ? Klisto yovo Kanda. Mpimpita za mwesi Kongo [Où irai-je ? Vers le Christ ou vers le Clan. Situation ambigüe du Congolais]. Il s’agit d’un roman réaliste qui traite du conflit entre le christianisme et les valeurs culturelles kongo.
2. Jacques Bahelele (1911-1995)
Auteur d’un recueil de contes(17), d’un essai(18) et d’un roman ayant pour titre Kinzonzi ye Ntekolo andi Makundu (Collection de proverbes en kikongo pour l’école primaire), [Kinzonzi et son petit-fils Makundu](19). Ce roman est en fait un recueil de proverbes conçu pour l’école primaire, comme l’indique son sous-titre. Ceux-ci sont présentés à travers l’histoire de Makundu, élève chez les missionnaires protestants qui décide de sauvegarder les valeurs de sa culture en collectant 360 proverbes et énigmes qu’il a entendus lorsqu’il accompagnait son grand-père Kinzonzi siéger dans les palabres.
3. André Massaki (dcd)
D’origine angolaise, il est l’auteur de Nsamu a Nsiamindele [La vie de Nsiamindele], roman autobiographique publié d’abord sous forme de feuilletons dans Sikama en 1959 ensuite aux Editions Leco en 1960 sous le titre de Mwan’Ansiona [L’Orphelin](20), roman didactique du type Bildungsroman,
Revue Interdisciplinaire Francophone. Vol. IV, n°7. ISSN : imprimé : 2957-8566-en ligne : 2957-8674
dominé par la morale chrétienne du pardon et la lutte contre les pratiques paiennes. A. Massaki a écrit aussi des essais notamment Luzingu lwa nkento ye bakala mu nzo [La vie de la femme et de l’homme au foyer], en 1960, Nzambi muna nkia kanda kavwila e? [Dieu, à quelle race appartient-il ?], 1961, Malongi ma Mama Ndona Mandungu [Les enseignements de Mme Ndona Mandungu], CEDI, Kinshasa, 1978, une série de conseils sur la conduite à tenir dans la vie et une biographie de A.E. Disengomoka. Zingu kiandi. 1915-1965 [E. A. Disengomoka. Sa vie. 1915-1965], 1968, et la sienne propre Mwana ya nsona : Luzingu ya Tata Andre Massaki ti kimbuta na yandi, yau sonamaka na yandi mosi, [L’orphelin. La vie de M. André Massaki jusqu’à son âge adulte racontée par lui-même], Leco, Kinshasa, 1966, 44 p. (autobiographie traduite par la suite en kikongo ya leta par Edmond R. Makwala).
4. Antoine Wantwadi
Théologien formé à l’Université de Strasbourg en France, il a exercé les fonctions de Secrétaire général de l’Eglise Baptiste du Bas-Fleuve (EBBF), ancienne BMS. Il a écrit Nklisto mu Kongo dia Kimpwanza (Le Chrétien dans le Congo indépendant), 1965(21), un roman à thèse dont le thème est l’engagement politique du chrétien(22).
5. Fu-Kiau Kia Bunseki (1934-)
De son vrai nom Kimbwandende Kia Bunseki, il vit en Amérique où il a obtenu un Ph. D. en Education et Développement communautaire. Il a écrit plusieurs essais(23) et un recueil de poèmes intitulé Dingo-Dingo [Cycle de vie] en 1966. Celui-ci, inspiré de la littérature orale du Manianga, contient aussi des proverbes et des chants. Il y évoque la mémoire des personnalités politiques africaines et congolaises dont Diallo Telli, Jomo Kenyatta, Kwame N’krumah, Simon Kimbangu, Patrice Lumumba, etc.
6. José Dianzungu (1937-2020)
Licencié en Sciences de l’Eduction à l’Université Libre de Bruxelles en 1967 et Ph.D. en Planification de l’Education à l’Université d’Etat de New York à Buffalo aux Etats-Unis en 1980, il a enseigné à l’Université Marien
Ngouabi de Brazzaville où il a pris sa retraite en 1992. A ce jour, il passe pour l’écrivain le plus prolixe de cette langue et sans doute aussi le premier défenseur de cette dernière et de sa littérature. Son oeuvre comprend principalement des pièces de théâtre dont Ana Nzinga. (Kifuani-fuani kia fulu bitanu) [Ana Nzinga. (Théâtre en cinq actes)](24), Prix du Concours National des OEuvres en Langues Congolaises en 1998, Nzo yanianga. Ndiamu yamatadi (Kifuani-fuani kia fulu bitatu) [Résidence de paille, tombeau de marbre (Théâtre en trois actes)], 1992, la plus populaire, selon ses propres termes. Il y raconte l’histoire d’« une mère abandonnée par ses enfants et vivant dans une case totalement délabrée. A sa mort, ceux-ci veulent lui construire un tombeau de marbre » (Dianzungu, 89) ; Muana longa se (Kifuani-fuani kia fulu biya) [L’enfant enseigne son père. (Théâtre en quatre actes)], 1999(25) ; Tubebele… (Kifuani-fuani kia fulu biya) [C’en est trop. (Théâtre en quatre actes)](26) dans laquelle l’auteur dénonce l’incurie des pouvoirs publics face à la misère du peuple.
7. Makanzu Mavumilusa.
Auteur de Mbazi Ngina Vondwa [Demain, je serai exécuté](27), un roman tiré d’un fait réel, à savoir l’histoire d’Alphonse Ngabidila, bandit de grand chemin qui se convertit en prison avant d’être exécuté le 8 juin 1963(28).
II. LITTERATURE EN SWAHILI
Comparativement aux trois autres littératures congolaises – kikongo, lingala et luba-kasai – la littérature swahili est, dans l’état actuel de nos connaissances, la moins développée. Il s’agit en effet d’une situation qui ne s’explique guère quand on sait que le kiswahili a été utilisé, avant 1960, comme langue d’évangélisation et véhicule de l’enseignement à l’école primaire et secondaire professionnel dans tout l’espace swahiliphone à savoir au Katanga, au Kivu et dans la plus grande partie de la Province orientale. Ainsi donc, les rares textes de littérature créative recensés dans cette langue datent de 1950, année où furent publiés les résultats du Concours organisé par La Voix du Congolais en 1948. Pour le kiswahili, les lauréats furent J. Kiwele, G. Kitenge et H. Kabamba, auteurs respectifs de Chura na Nyoka [Le Crapaud et le Serpent], Ujanja wa
Mtumwa [La ruse de l’Esclave] et Nkongolo. On peut donc dire, selon toute vraisemblance, que c’est avec ces trois auteurs que la littérature créative swahili a vu le jour, en particulier avec Chura na Nyoka, la seule à avoir été imprimée(29). Son auteur, Joseph Kiwele peut donc légitimement être considéré comme le premier écrivain de langue swahili de la RD Congo. Chura na Nyoka est une comédie musicale en sept scènes inspirée d’un conte kongo des Fables et Légendes congolaises du Jésuite I. Struyf.
Le deuxième genre littéraire produit dans cette langue est la poésie(30). Elle est représentée par les principaux auteurs ci-après :
1. Jean-Robert Kasele Laisi Watuta (1946-2012)(31)
Ancien professeur de l’Institut Pédagogique National et premier recteur de l’Université Nationale Pédagogique, il peut être considéré comme le premier poète swahili. Il est l’auteur de deux recueils, BIBI [Epouse], publié en 1986 et SIMAMENI WAKONGOMANI [Levez-vous Congolais], publié en 1999. Le premier est constitué de quinze textes écrits simultanément en français, kiswahili et kilega, sa langue maternelle. On y trouve des poèmes écrits entièrement en français et d’autres qui alternent les langues. Son thème principal est l’amour, comme le suggère le titre. Quant au deuxième recueil, SIMAMENI WAKONGOMANI, il est composé de onze textes et est dédié par l’auteur aux « victimes des massacres de Kasika, Makobola et ailleurs » (Rubango : 20). Son contenu relève de la « littérature de résistance congolaise », singulièrement anti-rwandaise qui, en l’espèce, constitue un appel au patriotisme des Congolais et des Kivutiens en particulier.
2. Huit Mulongo Kalonda Ba-Mpeta (1955-)
Professeur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Lubumbashi, il a écrit deux recueils, UHURU [Liberté, 1990] et UTENZI [Poème épique, 1990].
3. Charles Djungu-Simba (1953-)
Professeur à l’Université Pédagogique Nationale de Kinshasa et l’un des écrivains francophones parmi les plus prolixes de la RD Congo(32), son oeuvre littéraire en kiswahili comprend deux recueils de poèmes, Kongo Yetu [Congo notre pays](33) et BORA UZIMA na Mashairi mengine [Mieux vaut la vie et autres poèmes](34). Le premier comprend neuf poèmes dont Ni Bure…[Peine perdue], hymne à la nation congolaise, une et indivisible; Unielezee Mzee… [Raconte-moi donc, Vieux], poème élégiaque dénonçant les atrocités dont les Congolais furent victimes pendant le règne de Léopold II, pendant la colonisation et plus récemment de la part des Tutsi rwandais ; Kimbotela [Fosse d’aisance], le plus long texte de ce recueil qui dénonce entre autres les mauvaises pratiques du régime de Mobutu, représenté dans le texte par « Chui », léopard(35) et qui ont refait surface avec le régime Kabila, ici désigné « Simba », lion. Il y a donc, comme pour expliquer cela, la nature identique des dirigeants de l’un et de l’autre régime, à savoir le fait d’être des félins, c’est-à-dire des prédateurs. Outre la stigmatisation, l’auteur prodigue aussi des conseils pratiques sur la vie en société en général et dans la vie politique en particulier. Dans ce dernier cadre, il propose que de manière alternative, le pays soit dirigé par un Mukongo (Juzi Pangi ya munu [Avant-hier un Mukongo]), un Mungala (Jana Ye mei [Hier un mungala]), un Muswahili (Leo minasema [Aujourd’hui un muswahili]) et un Muluba (Kesho Malu kayi [Demain un muluba]), car le pouvoir, c’est comme un lit d’hôpital (Kiti cha sultani, Kitanda cha wagonjwa), un souhait prémonitoire qui vient de se réaliser avec l’avènement de F. Tshilombo Tshisekedi à la tête du pays, après Kasa-Vubu, Mobutu, Mzee Kabila et Joseph Kabila. Dans BORA UZIMA na Mashairi Mengine, Djungu- Simba invite ses compatriotes à ne pas considérer la pauvreté comme une fatalité et à ne pas se satisfaire de la misère et de la souffrance. Au contraire, chacun doit lutter pour avoir une vie meilleure, ce que sous-entend le titre même de ce recueil de 32 poèmes dédié à l’auteur de ces lignes.
III. LITTERATURE EN LINGALA
La littérature créative lingala commence avec le théâtre considéré par les missionnaires catholiques comme « une oeuvre éducative par excellence » dont
l’un des rôles était de « soutenir l’action d’évangélisation en direction des jeunes Congolais, avec un net accent sur la dimension morale et éducative » (Muikilu 2003 : 39). Ainsi donc, passant de la parole à l’acte, le passionné de théâtre qu’était Mgr G. Six, Vicaire Apostolique de Léopoldville ? écrit, en 1934, Limbisa Monguna [Le Pardon des offenses] alors que de son côté, O. de Bouveignes publie, au cours de la même année, Ndjila ya Santa Maria [Le chemin de la Ste Marie]. Toutefois, le Concours de 1948 révéla Justin Disasi comme auteur, acteur et metteur en scène dont les oeuvres firent sensation à l’époque de leur représentation(36). Il s’agit de Se Motema … [Seul, le coeur …], Tala se na miso … [Ne nous mêlons pas…], Mayele sima … [Rendu sage…] et Bolingo mpe Mokuya [Amour et Fétichisme](37) qui furent publiées en 1954 et 1956 aux Editions Kokodioko fondées par cet auteur lui-même. Ces pionniers du théâtre lingala furent relayés, des années 50 aux années 60, par le Père F. Bontinck, d’heureuse mémoire, les abbés J. Malula et A. Malonga et par O. de Bouveignes. Ainsi donc, entre 1952 et 1961, une vingtaine de pièces de théâtre missionnaire furent publiées principalement par ces prêtres sur des sujets tirés de la bible ou de la vie des premiers martyrs africains. D’autres genres ont vu le jour en littérature lingala, il s’agit du roman, de la nouvelle, de la poésie et de la bande dessinée.
1. Le ROMAN et la NOUVELLE
1. Yoka Mampunga (1927-2000)
Fonctionnaire de l’Etat, il a fini sa carrière administrative comme ambassadeur de la RD Congo. Son roman a pour titre Makalamba. Mwana nsomi ya Kongo [Makalamba, patriote congolais]. A ce jour, il est considéré comme le premier Congolais à avoir écrit un roman dans une langue congolaise en l’occurrence le lingala(38).
2. Augustin Lemba (1926-2010)
De son vrai nom Auguste De Haes, A. Lemba est un missionnaire de Scheut de nationalité belge arrivé au Congo en 1952. Sa carrière d’écrivain débute en 1967 lorsque, curé de la Paroisse St Augustin de Lemba, il entreprend de
rédiger son premier livre qu’il signe sous le nom de cette paroisse de la capitale congolaise, devenant ainsi son nom d’écriture. En 2005, il retourne dans son pays où il rend l’âme en 2010 alors âgé de 84 ans. Il a écrit entre 1967 et 1987, une oeuvre littéraire relativement importante qui, jusqu’il y a peu, le plaçait en tête des écrivains de cette langue. Cette oeuvre comprend trois romans (Mokili ngonga e ! Lisolo lya bomoi bwa bato [A chacun son tour de chance. Histoire de la vie humaine](39), Nabalaki basi mibale [Mes deux épouses], roman de moeurs à intention didactique où l’auteur fait l’apologie de la monogamie contre la polygamie, quel qu’en soit le prétexte, Bombula et Nalotoki ndoto [Mes rêves](40), un recueil de récits fictifs. Le premier roman ressemble à un conte à structure ascendante qui raconte la vie difficile d’une famille de onze enfants qui, comme par enchantement, arrête d’être un calvaire : Fifi, le héros, trouve du travail dans une entreprise de la place, son frère Falanswa obtient son diplôme à l’Ecole militaire de Luluabourg et Ana, leur soeur, fille-mère, se marie à un veuf dont la défunte épouse a laissé un enfant de deux ans. La trame du livre est une parfaite illustration du titre même de celui-ci, une devinette-proverbe bien connue des Kinois : Mokili ngonga e, Lelo ya yo lobi ya moninga que j’ai rendu par « A chacun son tour de chance »(41).
3. Bienvenu Sene Mongaba (1967-2022)
Licencié en Chimie de l’Université de Kinshasa et Diplômé d’Etudes Spéciales dans la même discipline à l’Université Libre de Bruxelles, il s’engage dans la promotion des langues africaines et congolaises en particulier. A cet effet, il crée en 2000 l’Asbl Mabiki dont l’objectif est de promouvoir les cultures et les langues africaines et dans ce cadre, il fonde à Kingasani, dans la Commune de Kimbanseke, l’Institut Sene Antoine, une école primaire où les enseignements se donnent entièrement en lingala. En 2013, il rédige en lingala une thèse originale sous le titre de Lingála na matéya ya nzébi na bitéyelo ya Kinshasa. Etáleli ya bómoi ya bibéngeli ekelámí. Buku II. En vue de sa soutenance à l’Université de Gand, il la traduit lui-même en français avec comme titre Le lingála dans l’enseignement des sciences dans les écoles de Kinshasa. Une approche socio-terminologique(42). Enseignant depuis 2014 à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université Pédagogique Nationale de Kinshasa jusqu’à sa mort brutale en janvier 2022, il a écrit trois
romans (Fwa-Ku-Mputu. To lisolo ya moto oyo akanaka Poto pene akufa [Voir l’Europe ou mourir](43), roman réaliste dont le succès vient de la langue dans laquelle le lecteur se retrouve et aussi du sujet traité : le rêve toujours actuel que nourrissent les jeunes Congolais et aussi leurs parents de les voir à tout prix aller vivre au-delà des Océans, loin du Congo. Basalela Babwaka ! lisolo [Bon à rien. Roman](44), Bokobandela [Revoyez votre copie]. Sanza Nguma. Masolo ya mikuse [Sanza nguma. Nouvelles](45), est son recueil de six nouvelles qui se présentent chacune comme l’illustration du proverbe qui lui sert de titre à savoir Sanza nguma… Na mokili moto malamu azali te dont le sens est Quoi que l’on fasse, Il n’y a point d’homme bon sur cette terre !
4. Richard Ali a Mutu (1984-)
Richard Ali est licencié en Droit de l’Université Protestante au Congo (UPC). Il travaille au Centre Wallonie-Bruxelles de Kinshasa comme Responsable de la bibliothèque et chroniqueur littéraire. Son oeuvre romanesque en lingala comprend un titre EBAMBA. Kinshasa Makambo (lisolo)[Ebamba. Kinshasa, ville à problèmes. (Roman)](46), roman de moeurs dans lequel l’auteur tente de restituer dans une langue on ne peut plus pittoresque, les réalités de la vie quotidienne d’une mégapole toujours en effervescence ; Okozonga Maboko Pamba. Lisolo [Tu rentreras les mains vides. Nouvelle] est le titre de son recueil de nouvelles.
5. Espérance-François Ngayibata Bulayumi (1959- )
Détenteur d’un Doctorat interdisciplinaire en Théologie, Philosophie (Ethique) et Médecine, E. F. Bulayimu a enseigné à l’Université de Vienne et à l’Ecole Supérieure des Communautés Chrétiennes de Vienne en Autriche parallèlement à ses fonctions de Vice-recteur et de Secrétaire académique à l’Institut Afro-Asiatique de Vienne. Son oeuvre littéraire comprend deux titres, Mosuni [Morceau de viande] et Ebembe ya Thomson [Chinchard surgélé](47). Mosuni est à ce jour l’oeuvre littéraire la plus volumineuse écrite dans une langue congolaise. Selon son auteur, il a été écrit pour rendre « hommage à l’une des plus importantes langues des chansons africaines contemporaines, le Lingala » et donner « une réponse affirmative à ‘l’Année des Langues
Africaines 2006’, une initiative de l’Union Africaine (UA) »(48). C’est en réalité, un roman historique, ou, selon l’auteur lui-même, « un récit fictif basé sur les faits qui se sont déroulés et qui se déroulent encore en République démocratique du Congo […] Ce sont des choses que j’ai entendues, que j’ai vues et que j’ai lues sur le Congo » (p. 7, 19, 20). Quant à Ebembe ya Thomson [Chinchard surgélé](49), c’est un réquisitoire de l’auteur, sous forme allégorique, contre la consommation des surgelés dans la ville de Kinshasa.
D’autres jeunes romanciers se sont ajoutés à cette liste et détiennent chacun au moins un titre. Il s’agit de J.P. Kando Taty Mbalaka (Mwana akimi ndako. lisolo.[La fille a fugué. Roman](50), Stéphanie Manfroy-Boale (Ntoma), Yves Nyangu Banda (Lokolo ya Wolo. Lisolo [Le soulier d’Or. Roman](51), Christian Gombo Tomokwabini (Bolingo eza na Bozoba. Lisolo [Amour fou](52), Jean-Claude Nzuzi (Buka lelo, Lia lelo. Lisolo [Vite fait. Roman](53). On pourrait y ajouter quelques ouvrages d’édification religieuse et une biographie: Nsangu na Bokulu [Nouvelles de Bokulu](54), d’un auteur anonyme, Nazali mwasi ya libala. Toli mpo na basi ya mabala [Je suis une femme mariée. Conseils aux épouses](55) de Ntatani Massaki, et Ntango ekoya. Ezaleli na solo ya mwana na Zaire [L’Avenir. Le bon comportement du Zaïrois](56) d’E.A Disengomoka E.A., Disengomoka. Bomoi na ye 1915-1965 [E.A. Disengomoka. Sa vie de 1915 à 1965](57) d’A. Massaki.
III.2. La POESIE [Loyémbo]
La poésie a vu le jour dans les années 90. Elle est représentée à ce jour par Kayo-Lampe, auteur de 14 Lingála Poems. Translated and Annotated by Michael Meeuwis(58) dans lesquels il exploite plusieurs thèmes dont le changement de régime politique opéré par L.D. Kabila, l’Europe - Mikili - avec ses nombreux mirages et aussi la vraie, la réelle que l’auteur a vécue lui-même, l’Appel à la diaspora pour le retour en Afrique, par Idriss Makajia, auteur de Bilelo. Loyémbo(59) […], une plaquette de 22 poèmes sur des sujets divers et Negue’Fly Nsau avec Mwana ya Tshangu. Loyembo [Enfant de la Tshangu. Poèmes], un recueil de 15 poèmes où ce jeune se révèle comme «un écrivain audacieux qui s’exprime tout à fait librement à la manière d’un oiseau en liberté qui vole très haut, dans une langue que d’aucuns croyaient incapable de traduire les faits scientifiques » (Ali, p. 5).
IV. LITTERATURE EN CILUBA
La littérature créative luba-kasai(60) doit sa naissance et son développement à deux facteurs principaux, à savoir l’action des missionnaires catholiques et protestants ainsi que le dynamisme des locuteurs natifs de cette langue. Actuellement, le champ littéraire lubà dit ‘mifùndu milenga’ (littéralement ‘écrits agréables’)(61) est constitué des genres ci-après :
1.TUSÀLÀ [Poésie]
Concurremment employé avec mpòwemè, emprunt du français ‘poème’, le terme tusàlà est utilisé, par élargissement sémantique, pour désigner la ‘’poésie en général’’ ou ‘’des poèmes particuliers’’. La caractéristique principale du kasàlà, sg de ‘tusàlà’, est la rime tonale.
On distingue deux périodes dans l’histoire de la poésie luba moderne. La première va du début du 20ème siècle à la fin des années 60. Elle est caractérisée par la publication, dans les revues missionnaires, des textes dont la longueur ne dépasse guère 50 vers. Quant à la deuxième période, elle va de la fin des années 60 à nos jours. Elle est marquée par la parution des recueils au contenu diversifié et dont les dimensions varient suivant les écrivains. En voici quelques-uns : Clémentine Faïk-Nzuji (Kasala et autres poèmes), Bertin Makolo Muswaswa (Kanyi Kalambo(62) [Mon offrande] et Munanga wanyi (Mon bien-aimé)(63), Théo-Omer Ngoy Lukangu (Kasai wa Balengela. Kasala [Kasai, pays des hommes de bien. Poème](64), Zaire Ditunga dietu. Kasala [Zaire, notre pays. Poème](65) et Bawulayi Matshi. Kasala [Ouvrez les oreilles. Poème](66, Donatien Kapajika Kamudimba (Kanyingèèlà [La raison de ma rancoeur](67), Gaby Dilewu Kapanga (Kabingila [Vous voilà prévenus](68), Fortunat Bumba Ngalamulume (Mukwa Mbumba), Bulanda Nkese (Kasaayi Juuka [[Kasai, réveille-toi](69), José Tshisungu wa Tshisungu (Kwanyi Kwamba [Mes quatre Vérités](70), Martin Kambulu Ngalamulume (Twambamba Twambamba [Assez parlé], Boniface Beya Ngindu (Mudya nende [L’ami intime](71), José Kabal Bongho (Kanyi Kanyawu [La pire de mes souffrances] et Butuku bwakucya [Le jour se lève](72), Adolphe Kankonde Ntumba (Kongo wa Banyinka. Bidimu 45 mu cipela [Le Congo de nos ancêtres. 45 ans dans le désert](73), Félicien Kabasele Dishi wa Kande
(Kayanda Ketu [Notre défi](74), Crispin Maalu-Bungi (Wanyi Mulunda [Mon ami bien-aimé](75), Pius Ngandu wa Kalonji (Tuntuntu ntuntu [Les grillons sont de petites choses](76), etc.
2. MANAYA [Théâtre]
Ce mot vient de dinàya (cl. 5/6) dont il est le pluriel. C’est un néologisme créé depuis plusieurs années pour désigner ce genre littéraire. Sa naissance est l’oeuvre des missionnaires catholiques qui l’utilisaient comme moyen d’évangélisation, une pratique courante dans la colonie belge. C’est donc dans ce contexte que les manàya vont voir le jour, à travers les pièces ci-après, pour citer les plus représentatives : Katikiro, Helena munsanto [Sainte Hélène] et une version lubà de Limbisa monguna. En 1950, les résultats du Concours de La Voix du Congolais révèle les pièces primées quoique jamais publiées, à savoir Mfumu wa bakaji dikumi [Le chef aux dix épouses], de Joseph Lomboto, Tshilembele wa tshimuenena pale [Les apparences sont trompeuses], de Gilbert Mbayi et Kashinguka kuna nsanga [Plante des chênes, toi le rabougri](77), de Zébédéé Nkongolo (Kadima-Nzuji, 176). C’est une cinquantaine d’années après que le théâtre autre que missionnaire va apparaître, à travers Tshibula tshia Mujangi. Dinaya [OEil pour oeil](78), de Kadiebwe Muzembe-Nyunyu, traduction de La Sentence des Opprimés. Théâtre, Dianjile nkulonde. Dinaya [Précède-moi, j’arrive. Théâtre](79), de Charles Ntumba Kakonka, Ucidiku. Dinaya [Il sévit encore. Théâtre] de Gaby Dilewu Kapanga(80), Cimvundu. Dinaya [Trouble. Théâtre](81) de José Tshisungu wa Tshisungu.
3. Mufwànufwanu [Roman]
Ce genre littéraire est quasi inexistant, les quelques oeuvres qui le représentent sont des auto-traductions d’oeuvres initialement écrites en français, soit Bidi ntwilu, bidi mpelelu [A chacune sa façon de cuisiner](82), une auto-traduction du Pacte de sang(83)de P. Ngandu Nkashama, lequel a écrit en plus Mulongeshi wanyi [Mon maitre](84), Mwana wa Mulongeshi wanyi [L’enfant de mon maître](85), Tshiena ni buloji to ! Mukanda wa kubala [Je ne suis pas un sorcier ! Livre de lecture](86) de Pie Tshibanda Wamuela Bujitu et Dimwe ndituku [Tôt ou tard] de J. Kabal Bongho.
IV.4. Bwalu
Le premier essai connu de cette langue date de 1935, il a pour titre Mianda ya kale [Histoire ancienne], d’Emery Ngoyi, lauréat du Prix International des Littératures en Langues vernaculaires de l’Institut International Africain (IAI) de Londres. Ce dernier a été suivi bien plus tard par les auteurs suivants : Grégoire Luntumbue Muena-Muabu wa Mafuala (Bulondi kale [Histoire ancienne], 1959), Auguste Mabika Kalanda (Tabalayi Bana Betu [Ouvrez les yeux mes frères](87)), Emile Mulumba Diulu, (Malu a mu Kasayi. Mamona ne madiumvuila ne matshio [Histoire du Kasai. Récit d’un témoin](88), une autobiogaphie quelque peu partisane, Crispin Maalu-Bungi, (Mwakulu wa Ciluba. Leelu ne Makeelela [Le Ciluba. Aujourd’hui et demain](89)), une réflexion sur le passé, le présent et l’avenir du cilubà comme langue écrite élevée par la force des choses au rang de langue véhiculaire et comptée aujourd’hui parmi les langues majeures du continent, François Kabasele Lumbala ( Ndi mukunanga. Dipengama pa dinanga [Je t’aime. Retraite sur l’amour](90) et Ndi muluba [Je suis un Muluba](91), essai sur l’identité luba à travers une série de questions auxquelles l’auteur tente de répondre ; que signifie être muluba ? Le fait d’être muluba a-t-il une importance dans les Eglises auxquelles les Baluba ont adhéré ? Que faut-il faire pour continuer à développer les talents que les Baluba ont reçus de Dieu ?
Conclusion
Pour conclure, retenons que cet article a permis de faire le point de la situation sur l’état actuel de la littérature en langues congolaises, dans ses composantes orale et écrite et de recadrer le concept de « littérature congolaise » que d’aucuns ont tendance à réduire à la littérature de langue française. En effet, dans sa composante orale, elle est encore bien vivante à travers les textes performés sous forme d’oralité primaire et d’oralité seconde ou plus généralement de néo-oralité.
En revanche, la littérature écrite en langues congolaises, cette autre composante de la littérature congolaise moderne, peu développée et peu connue, a certainement de beaux jours devant elle, à condition que les pouvoirs
publics s’investissent dans son développement à travers, entre autres, l’organisation des conférences et des concours littéraires, son insertion dans les programmes scolaires, la mise en place des structures d’édition bon marché, la traduction, dans les langues internationales, d’oeuvres représentatives, l’encouragement des écrivains congolais qui le peuvent à écrire à la fois en français, en anglais et en langues nationales.
Notes
1. Au même titre que la littérature d’expression française, elle relève de la littérature congolaise dite moderne ou littérature congolaise écrite.
2. Cette dernière expression évite l’ambiguïté qu’induit la référence à l’écriture au regard de la diversité des textes dont le degré de littérarisation, c’est-à-dire d’intégration au domaine des Lettres ou d’accès au statut de « chose » littéraire (Giard, 1980 : 14) est loin d’être le même.
Ndlr : II est, certes, possible d’envisager une alternative, si l’on admet que toute littérature est, par définition, créative quel qu’en soit le mode d’expression (oral/écrit) et quelles qu’en soient les caractéristiques (anonyme ou d’auteur connu) ; en vertu de ce principe, la littérature congolaise se conjuguerait en termes de langues d’expression : le français ou les langues congolaises, lesquelles se déclinent, du reste, en quatre langues nationales d’une part et, d’autre part, en de très nombreuses langues vernaculaires.
3. On les désigne aussi sous les noms de situations de communications (Houis, 147), situations performancielles (Zumthor, 1983 : 150) et théâtre/arène performanciel(performance arena’ (Foley, 2000 : 14).
4. Pour de plus amples informations sur les genres littéraires, voir Maalu-Bungi, 2002 et 2006 ;
5. On trouve aussi, pour désigner la même réalité, les termes de ‘’oralité dans la modernité’’ et même ‘’oralité digitale’’, en cas de recours à l’Internet.
6. Ce type de performance médiatisée concerne aussi les spectacles de musique, de danses et de chants traditionnels dont les émissions les plus connues diffusées à la télévision nationale sont Mabina mpe Bokoko et Congo Folk.
7. Des exemples de textes transcrits sont entre autres les Contes populaires du Kasai (Maalu-Bungi, 1974), Récits épiques des Lega du Zaire (N’sanda Wamenka, 1992),
8. La traduction présente généralement un double intérêt, à savoir : servir de source d’inspiration et de modèle aux jeunes écrivains et faire connaitre aux locuteurs d’une langue donnée, les réalités d’autres civilisations, d’autres cultures, différentes de celles véhiculées par la leur. A ce sujet, l’on cite habituellement l’exemple de The Pilgrim’s Progress [Le voyage du Pèlerin] du prédicateur anglais P. Bunyan (1628-1688) au sujet duquel A. Gérard a dit qu’“il servit de modèle aux premiers écrivains vernaculaires dans tous les pays d’évangélisation protestante” (Gérard, 1978: 272). Et, s’agissant en particulier de la traduction de cet ouvrage en kikongo, il précise : « Comme dans bien d’autres régions d’Afrique, celui-ci servit de modèle aux convertis lettrés qui jetèrent les fondements d’une littérature vernaculaire écrite » (Gérard, 1995 : 435).
9. Deux hypothèses existent au sujet des années de sa naissance : 30 pour ceux qui prennent comme point de départ Th. Badibanga dont la paternité de L’éléphant qui marche sur des oeufs a été définitivement établie (Riva :2006 : 27, Djungu-Simba, 2009 : 26) et 40 pour ceux qui ont comme repère La Voix du Congolais, « revue des évolués qui a accueilli dans ses pages les premiers essais des principaux auteurs francographes de l’époque coloniale et postcoloniale » (Kadima-Nzuji : 12) et aussi les Concours littéraires, ‘’deux faits importants qui ont favorisé la production des textes dont l’intention esthétique était nettement marquée et qui se présentaient au moins sous forme de brochure » (Kadima-Nzuji : 12).
10. L’indifférence et le manque d’intérêt à l’égard de cette littérature sont manifestes à travers deux faits : la rareté d’écrits sur cette dernière et l’absence des critiques et écrivains congophones aux manifestations scientifiques et culturelles traitant de la littérature congolaise en général. En effet, pour citer un exemple, c’est au Colloque de Pretoria sur ‘’La littérature congolaise postcoloniale’’ (3-5 novembre 2010) que ces derniers ont été pour la première fois formellement invités !
11. Kisantu, Kinieminu ki Bergeyck S. Ignasi, 1906, 51 p.
12. Imprimerie Mission catholique Tumba*, 1938. Sous-titre Tata Georges Van Geel 1617-1652 ; Ngang’a Nzambe wa Kinza nkulu mu nsi a Kongo ; Wafua ku Ngongo Mbata, mu ntoto a Mbanza-Mbata ku ndambu za Missio mia Kimpangu (Le Père Georges Van Geel 1617-1652 ; Prêtre de Kinza Nkulu au Congo ; Décédé à Ngongo-Mbata, sur la terre de Mbanza-Mbata ; à la Mission catholique Kimpangu).
13. Le ‘’kifioti’’ est une variété du kikongo forgée par les missionnaires protestants, sur la base du kimanyanga principalement, à la fin du 19ème siècle, pour servir de lingua franca dans la partie comprise entre le nord de l’Angola (enclave de Cabinda), le sud du Congo-Brazza et les territoires de Luozi, Songololo, Kimpese et Lufu. Il a donc servi et sert encore comme instrument de communication dans les écoles protestantes de cette contrée, dans la littérature religieuse et profane, dans les organes de presse et dans les cultes.
14. Il s’agit de la British Baptist Missionary Society (BMS) en 1878, la Svenska Missionförbundet (SMF) en 1884 et l’American Baptist Foreign Mission Society (ABFMS).
15. Svenska Missionsförbundet, Matadi, 1935 (T.I), 1938 (T. II et III). Les deux derniers tomes ont été édités à Kimpese aux Editions E.P.I.
16. Prix littéraire institué par le Margaret Wrong Memorial Fund en 1948 en Angleterre pour encourager et promouvoir les oeuvres littéraires de langues africaines.
17. Bingana bia Nsi a Kongo [Contes du pays Kongo],
18. Nsamununu za mambu ma Nzambi [L’art de prêcher l’évangile], 1954.
19. Imprimerie E.E.M.M., Matadi, 1946.
20. Traduit en français par l’auteur lui-même sous le titre de L’orphelin au coeur blessé, en 1972.
21. Leco, Léopoldville, 1965, 36 p.
22. Ce débat n’a pas perdu de son actualité, il continue de diviser les hommes d’église en RD Congo dans la mesure où la plupart de ceux qui s’y sont engagés n’ont pas toujours été des modèles d’intégrité ! Lire à ce sujet entre autres Mpoy Kadima, G., Le Pasteur et la politique. Réflexions-Reflecteurs. Pour une réflexiologie Arc-Boutée sur la Parole de Dieu, Ed. La Fleur, Kinshasa, 2008, 140 p.
23. Mampinda ma Nkongo wakedika [Philosophie d’un véritable Mukongo], 1960; Wazola zinga mokina ye bafwa [Si tu veux vivre, fais-toi voir chez les morts], 1961,; Twadusa ye twadisa [Etre gouverné et gouverner], 1961 ; Tambula nsengo, [Prends la houe], 1966 ; Imeni mu nding’andi, [Helène dans sa langue], 1966 ; Nkongo ya nza yakunzungidila. Nza-Kongo [Le Mukongo et le Mondequi l’entourait. Cosmogonie Kôngo], 1969 ; Kimpodi ya Kinganga-Mpodi, [La mystique du pouvoir Mpodi].
24. Ndietokono za Nsaku Ne Vunda, Luozi, 1999, 95 p..
25. Ndietokono za Nsaku Ne Vunda, Luozi, 2007. Traduit en français sous le titre de Ton père tu instruiras.
26. Ndietokono za Nsaku Ne Vunda, Luozi, 2007.
27. CEDI, Kinshasa, 1978.
28. Rien n’existe en kikongo ya leta, l’une des quatre langues véhiculaires du Congo hormis une pièce de théâtre de Nghenzi Lonta et l’oeuvre de Protais Yumbi, récemment découverte et comprenant, outre une biographie de Nelson Mandela intitulé Nelson Rolihlahla Mandela. Mbandu ya luzingu (1918-2013), Editions Nzoi, Kinshasa, 2018, 100 p., une importante production inédite d’ouvrages suivants : Ba ndoki ya Ntu mbanza. Bimpa ; Mbata ya Mammy Wata. Bimpa ; Kudila ya Ntotila. Bimpa et Nyango.
29. Kiwele, J., CHURA na NYOKA. Le Crapaud et le Serpent, Elisabethville, Bulletin du CEPSI, 1953, 47 p. Le théâtre missionnaire a dû exister certainement avant cette date, mes collègues Romain Kasoro et Gabriel Sumaili m’ayant affirmé qu’ils en ont été acteurs dans leur jeunesse.
Ndlr : Ce constat paradoxal selon lequel la littérature de langue swahili en RDCongo est réduite à la portion congrue, en dépit de la vitalité certaine de cette langue, ne serait-il pas dû principalement à l’absence de recherches en ce domaine ? Jusqu’en 1962, l’enseignement primaire se donnait en swahili, langue qui était aussi objet d’enseignement. Il y a donc nécessité de prendre en compte les nombreux foyers culturels que constituaient les procures des diocèses, avec leurs structures éditoriales, notamment à Lubumbashi (Pères Salésiens), à Moba, Kalemie, Bukavu, Goma, Kasongo (Pères Blancs), à Kisangani, Buta (Frères Maristes), à Kindu, Kongolo (Saint Esprit), à Bunia, Nyankunde (Lac Albert), à Beni-Butembo, à Uvira... Cet effort permettrait de prendre en compte, outre le genre journal intime révélé par les notes de Soeur Clémentine Anuarite Nengapeta (texte connu par des extraits, mais non édité) du diocèse de Wamba, des textes tels que ceux de G. de Plaen (Mawazo) ; de D. E. Diva (Mtoto mvivu na hadisi nyingine et Mwezi katika maji) ; de J. Meulemans (Fikara na enjili) ; d’E. Kabanga Songa-Songa (Kuadibisha watoto na vijana wa sasa et Baba na mama katika ndoa yao) ; de M. Matungulu Otene (Kuwa na Kristu mwenye usafi wa moyo maskini na utii), sans oublier parmi les ouvrages plus récents,
Kisa cha Dyo leenge, ama historia sahii ya udongo uliolaaniwa, essai d’Awazi Nengo Mémé (2013).
30. Dans les années 70 et 80/90 le regretté N’sanda Wamenka a publié REHEMA. MNARA ya BABA na MAMA [Rehema. La tour de papa et maman], une recréation d’un conte traditionnel. Editions du Mont Noir, Lubumbashi, 1973.
31. Les informations sur cet auteur sont tirées principalement des Actes du colloque organisé le 19 mars 2014 à l’Université Pédagogique de Kinshasa, à l’occasion du deuxième anniversaire de sa mort. Ils ont été publiés par Charles Djungu-Simba K. sous le titre de Entre cité et université. Hommage à Jean-Robert KASELE. 1er Recteur de l’Université Pédagogique Nationale de Kinshasa (RDC), L’Harmattan, Paris, 2015, 181 p.
32. Pour le détail de ses publications, trop nombreuses pour être reprises ici, nous renvoyons à Riva, S., Nouvelle histoire de la littérature du Congo-Kinshasa, L’Harmattan, Paris, 2006, 421 p.
33. Les Editions d’Arouet, Ferney-Voltaire, Paris, 2000, 23 p.
34. Les Editions du Pangolin, Enghien, 2019, 73 p.
35. Devise ou titre connu du président Mobutu qui se faisait appeler « Nkoi-mobáli », léopard mâle. En plus du nom, il s’était fait fabriquer une toque en peau de léopard et une canne dont le manche était sculpté en tête de ce fauve.
36. Dans un numéro d’Actualités Africaines paru le 2 septembre 1957, Joseph-Désiré Mobutu décrit le succès que connut la représentation de Bolingo mpe Mokuya et lui rend, à cette occasion, un hommage mérité.
37. J. Disasi a vécu à la même époque qu’Albert Mongita. Celui-ci, surnommé ‘’l’homme-orche
Par Crispin MAALU-BUNGI LUNGENYI, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024