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Liste des articles.

I. Le débit du poème
   1.1. Liminaire

Systole et diastole est un projet poétique du dire poétique (Cfr. Collection « Le dit poétique ») par le modèle du griot qui, veillée après veillée, communie avec son auditoire par une poésie dont le rôle dans la société est sauvegardé. Un poème du commencement de l’univers et qui se déroule en sept temps :
« Depuis l’aube extasiée par la naissance du monde » (p.2).
Ce vers nous renvoie au livre de la genèse, de la création du monde par le Seigneur. Une création s’étendant sur sept jours. Ainsi le poème nous offre sept veillées au cours desquelles, mué en griot, le poète tient en haleine son auditoire :
« Dire est ma raison d’être, ma vocation première » (p.26).

1.2. Premier jour

Le poète proclame à la face du monde que son poème ou plutôt son chant est un chant d’amour et d’espérance pour un monde meilleur : le monde, l’Afrique et, au coeur du continent, le Congo incrusté aux Flancs de l’Equateur, depuis les « vagues moandiennes », depuis le « baobab-refuge de Stanley Bula-Matari », jusqu’au Kundelungu, jusqu’aux Lacs, sur les montagnes du Ruwenzori et des Virunga, espace dans lequel le tam-tam rythme la vie au cours de toutes les saisons et où la sagesse proverbiale ancestrale détenue par les vieillards est maîtresse.
Dans ce rythme de la vie symbolisé par le flux et le reflux, la systole et la diastole, l’enfant qui est la relève attitrée dans la société est éduqué sous la norme sacro-sainte de l’amour du prochain :
« Menons l’enfant à croire encore dans l’amour du prochain
les vertus d’équité de partage et d’entraide », (p.10)
pour voir la Planète Eau, la Terre, resplendir de beauté et de vitalité. A travers la RDC, c’est l’Afrique et le monde entier qui sont la cible et le réceptacle de cet amour, de cette espérance et de cette prospérité que le poète appelle de tous ses voeux :
« Chante qui chantera notre vive espérance
mon amour est poème » (p.11).
C’est dans ce même contexte que le poète, après avoir affirmé qu’il était là, présent (à l’instar de Job 38 :4, 7, 21), écrit :
« Depuis l’aube extasiée par la naissance du monde
à perte de mémoire se déroule la plage ignée du bonheur.
Mes yeux ont caressé la tendresse amandière
et ma main palpera la saveur du bonheur.
Pour surprendre le velours jaunissant de l’Aurore
que se lève tôt mon âme qu’elle se couche tard
pour boire la clarté bleutée des vesprées tropicales (p.10-11).

1.3. Deuxième jour

Jour éminemment poétique, où l’âme du poète, « sustentée de lait zénithal », est en perpétuelle pérégrination :
« Lors partit mon âme en safari-poésie
portant en bandoulière un million de regards
Oui j’ai tourbillonné mille ans sur cette Terre » (p.12)
Elle s’affirme Okapi dans le Parc national de Gangala na Bodio, elle s’affirme, aux sources du Fleuve majestueux, « eaux tumultueuses du Lualaba ».
La quête inlassable a pour but de retrouver ou rétablir l’harmonie entre les hommes, entre frères :
« Confie ton aile aux vents, Pique-boeufs des prairies !
A l’orée des savanes mon sourire se recueille
jaillissement incessant de pensées fraternelles…
Nous sommes des Ulysse qui ballotés mille ans
aux rivages du temps aborderons un jour !
Nous sommes des pombeiros culturels
et le cri angoissé de notre âme myriapode
module ô quête inlassable la dimension totale
du coeur humain » (p.13)
Le « Nous » symbolise les écrivains congolais de la génération d’après les indépendances qui, tels des pombeiros, premiers voyageurs qui ont pu relier la côte atlantique (Angola) à la côte indienne (Mozambique), tel Ulysse qui a pu aborder (Joachim Du Bellay), verront l’avenir reconnaître tôt ou tard les mérites de leur contribution au rayonnement du monde :
Mon chant assure le relais hexacorde de Wendo de Mwenda
Il épanouit de Bolamba le rire à pleines dents rire
éburnéen du Nègre qui n’est point sourire ambigu » (p.13)
Ce parcours vise l’humanisation croissante de l’homme pour la prise en mains de son destin. Mais pourquoi les hommes noirs préfèrent fuir la disette du Continent (le kwashiorkor) pour s’exiler et vivre des miettes qu’on leur jette en « zones blanchies » : à Nice, à Genève, à Chicago, séduits par des « raccourcis qui pullulent » :
« emprunte le way of life mon âme le way of dead ?
cours consommer par le compte en banque
l’humanité en délire » (p.14).
Or, croyant trouver la solution pour leur bien-être, ils sont l’objet du mépris de ceux qui font semblant de louer et admirer leurs talents : ils demeurent « immigrés » et non « expatriés » (terme réservé à ceux qui viennent en Afrique).

1.4. Troisième jour

Le poète récuse le silence qui s’apparente à la mort. Il opte pour élever sa voix affirmative des Flancs de l’Equateur en convoquant les voix qui, innocemment, ont crié « Uhuru » le 30 juin 1960 à Léo, passant en revue les armes en présence, les forces disponibles : « les pagayeurs du Tanganyika, les lions rugissants de Kundelungu, les guerriers twa, le bison solitaire, le couteau de jet bushong, le léopard à la toison cheffale ».
Il s’identifie aux bâtisseurs de civilisations du Nil au Zambèze. Allusion faite à l’Egypte pharaonique négroïde ayant développé une civilisation prospère et brillante récupérée par l’Europe, la Grèce (Aristote, Pythagore, Hippocrate) et au Zimbabwe ancien qui a laissé des vestiges. Nous pensons ainsi à Cheikh Anta Diop : « Même aux yeux des anciens, l’Egypte était toujours ancienne ». Et au dernier oracle connu d’Hérodote, grand historien grec :« Egypte, Egypte, les dieux quitteront ta terre pour émigrer vers d’autres cieux ».
Enfin, le poète invite les intellectuels africains à s’identifier à Chaka, le Zoulou et à Soundiata pour leurs hauts faits ayant fécondé les épopées zoulou et mandingue en littérature africaine (cfr Léopold Sédar Senghor, Thomas Mofolo et Djibril Tamsir Niane), et non pas à se rendre en Occident pour y trouver le bonheur : « L’intellectuel plaide un alibi coupable » (p.16).
Loin de se complaire dans de fausses harmonies et des affirmations contre nature, l’intellectuel devra jouer son noble rôle de lampe qui brille sur la colline et lutter comme ses ancêtres ont lutté et réussi à créer des civilisations.

1.5. Quatrième jour

Le quatrième jour est celui de l’inventaire des faiblesses. D’abord, suite à l’inversion des valeurs, le mensonge est devenu vérité, valeur obsessionnelle et récurrente :
‘’ Le mensonge nous hante et la lèvre et le coeur » (p.24).
Ensuite, le poète dénonce l’omnipotence de l’argent :
« L’argent, Maître de la terre ?
Le noir destin dit au mortel : Amasse et meurs ! » (p.23).
Comme qui dirait « mauvais maître et bon serviteur ». La richesse est ce qui ouvre la porte du pouvoir : « Chassé-croisé infernal que puissance et richesse ». Et devant la volatilité de l’argent, les valeurs fluctuent, les consciences chancellent :
« A quel taux cèderons-nous nos filles en mariage ? (p.21).
Argent et puissance, lâcheté et trahison ; soif de l’argent, soif de puissance. Et cela engendre les
« tourbillons vides des métropoles, où les hommes
voguant hagards sans phare ni boussole,
boivent l’âpreté d’un monde au coeur d’airain » (p.29).
Enfin, la musique assourdissante gagne les rues et les salons kinois pendant que disparaissent la vitalité et l’essence des poèmes « dits » :
« Rues et salons kinois ne sont plus que ruissellement sonore
le poème imprimé se fossilise
Le coq des cités chante à temps et à contretemps
se dressant au zénith il clame ngembo les délices du sommeil » ( p.21).
Le poète use de la périphrase ‘’Planète Eau’’ pour caractériser la planète Terre baignée d’abondantes eaux du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Ainsi en est-il de la RDCongo arrosée par le Fleuve Congo constituant une colonne vertébrale, choyée et gâtée par la nature :
« Au coeur du continent
l’eau est gratuite comme soleil des saisons sèches
comme chauds murmures d’amour et caresses des vents » (p.20).
Bref, la société congolaise est rythmée par l’eau et les rayons solaires qui donnent la vie au pays. Un véritable paradis terrestre, « diadème bruissant de cuivre et de cobalt » (p.14), matelas plein d’or, de coltan et d’autres gisements précieux, mais où paradoxalement on meurt de faim.

1.6. Cinquième jour
L’espérance qui hante tant l’auteur et pour laquelle il use de sa plume en vue de la métanoïa de la société, s’évanouit et s’éloigne de plus en plus, telle une limite asymptotique : quoique emprisonné à Makala, cependant l’espoir transparaît à travers le « rai filtrant entre deux barreaux » (p.25) :
« Ah ! qui nous fixera le goût évasif
la senteur incantatoire de l’encens ? » (p. 25).
Le poète regrette la fuite d’une vie agréable et paisible aux odeurs suaves de l’encens symbolisant la félicité, la prospérité et la coexistence pacifique.
Il rappelle un épisode douloureux, un passé amer de la traite des Noirs dont Tippo-Tip fut le facilitateur dans les contrées de Singitini où les Wagenia s’adonnaient pourtant sereinement à leur pêche fructueuse. La poésie de l’auteur a pour finalité de faire de lui un rassembleur, un unificateur ‘’ pont entre rives’’, un libérateur du mensonge et des maux qui gagnèrent l’humanité ainsi que les injustices des affameurs impénitents des peuples.
« Combat ô ma plume le mensonge comme mal pestiféré dénonce l’injuste cupidité qu’engendre une soif exacerbée flétris à jamais la sécheresse des coeurs sourds aux plaintes de l’affamé’’ (p. 27).
Par ailleurs, le poète évoque les actes héroïques à travers son chant qui, loin d’être une ligne de démarcation, demeure plutôt une sève nourricière pour les générations futures. Il rappelle les hauts faits de Gambela, Mutshatsha, les victoires de Saïo et Tabora, remportées par la bravoure des soldats noirs au cours de la deuxième guerre mondiale. Et quarante ans avant les affres de l’actuelle pandémie (Covid 19), il inverse les ravages :
« Mon élan tient du Capricorne
Ma parole est chant de convergence
amis ma parole est force
J’édifie mes symboles en la Terre antarctique
Voici l’Etoile du Sud qui jamais plus ne sera Croix
et voici la Croix du Nord ! » (p.16).
Que cela inspire l’homme africain dans sa lutte pour construire un monde meilleur :
« Debout enfants de lumière lactescente
Voici poindre à l’horizon l’aube étincelante de l’action
Afrique quel peuple spolieras-tu pour te développer ?
Quelle portion des continents asservir ?
Une civilisation jaillit du bris des précédentes… (p.16-17).
Invité ainsi à la lutte existentielle, l’intellectuel, dépouillé de toute combativité, « plaide l’alibi » et trahit le Tiers-Monde au profit de ses maîtres qui l’asservissent :
« Ô vous naguère bâtisseurs de civilisations
en vain mes yeux scrutent votre moderne inventivité
Mathématique univoque et intégrale
Poésie plurivoque et intégrante
noeud gordien oeuf de Colomb…
L’intellectuel plaide un alibi coupable ! » (p.16-17).

1.7. Sixième jour

Le sixième jour semble le sommet, le point culminant du poème, le poète en appelle à une fraternité universelle, incolore et sans ethnies :
Ah ! Quand donc s’harmonisera la mosaïque des tribus ?
Ainsi le singulier n’est possible que dans l’harmonie du multiple
Manguier au milieu du village ombre gratuite pour tous !
La semence porte en soi la promesse des fruits
Comme le plat de moambe partagé est prémices de concorde
Comme le droit à la Paix va de pair avec le respect de toute forme de vie’’ (p.33).
La paix et la concorde demeurent le fin mot de l’auteur, la solution aux conditions d’existence sur cette terre qu’il considère comme « un univers carcéral » (p. 33).
Le poète termine le sixième jour en rappelant le projet de son poème unique qui rythme sa pensée comme chanson d’action et d’amour pour une humanité paisible et prospère :
« Au commencement systole palpitait le poème hemera-nocte
rythme saisonnier à la fin subsiste diastole
aiguillon de l’action ô verbe support du Poème’’ (p.34).

1.8. Septième jour

Notre monde touche-t-il à sa fin ? Le poète semble l’avoir pressenti dès 1981 :
« Quel ambi corrosif éclaircira nos âmes ?
Déjà les fausses monnaies de fakirs gisent
pantins à jamais désarticulés » (p.33).
Le septième jour est la clôture de la pensée du poète qui se résume en une prière chrétienne adressée au Créateur, à Elohim, Dieu de Justice et de Miséricorde. Le poète va jusqu’à rappeler l’humble prière de son aïeule Sibazuri qui implorait le pardon et pardonnait à tous ses voisins, confessant que personne ici-bas ne peut se dire innocent :
« Reçois cette confession de nos âmes envahies de matiti
Qui plaidera non coupable à la charnière des siècles ?
Qui se lèvera blanc comme kaolin de la mère des jumeaux ?
Coiffe qui coiffera le bonnet de juge » (p. 35).
Dans la même mesure que les êtres humains, les « civilisations » ont le devoir de s’humilier, de reconnaître leurs nombreux torts et battre leur coulpe :
« Qui plaidera non coupable à la charnière des siècles ?
Ce soir défilent en générations éplorées les civilisations
repentantes
civilisations qui domptèrent les sauvages
et convertirent les païens ! » (p.35)
Cette sorte d’invitation à la purification et à l’exorcisme poursuit le triomphe des âmes pures devant conduire l’humanité vers des voies humainement sûres et vertueuses.
Bonheur et malheur étant intimement liés dans la vie de l’homme, la prière du poète vise le bonheur pour le triomphe d’une humanité heureuse où il fasse bon vivre.
En conclusion, le poème unique Systole et diastole roule sous forme de récit biblique de la Genèse sur base de cette anaphore servant de transition entre les jours : « Il y eut un Soir il y eut un Matin et ce fut le … jour ». Ce débit du poème nous conduit à embrasser les thèmes essentiels abordés par le poète

2. Quelques thèmes majeurs abordés par le poète
2.1. L’unité ou l’indivisibilité de l’univers

Pour le poète, le monde est comme une chaîne dont les maillons demeurent les pièces irremplaçables et du reste complémentaires. Le Congo ne serait véritablement total et global qu’en prenant en compte toutes ses valeurs, ses atouts, bref ses forces, en même temps que ses faiblesses, faiblesses d’un monde au coeur d’airain, sans exclure les faiblesses de l’héritage de l’Afrique :
« Nous avons dit Testament aux Flancs de l’Equateur
et tandis que nous pèse l’ombre fatidique du passé
comme hantise d’un héritage ancestral mal circonscrit
comme legs rétrograde…
Voici que d’une voix agonisante aux générations futures
l’Afrique a légué son héritage mal circonscrit
Testament planétaire aux flancs de l’Equateur ! (p.35-36).
C’est ce contraste qui doit stimuler les fils et filles de ce continent à la lutte pour un monde meilleur :
« Civilisations premières singulièrement réduites
aux matières premières
à qui appartient sûrement l’avant-dernier mot
puis retentisse La Parole ! » (p.36).
Fort malheureusement, l’unité de l’univers est sans cesse mise à mal par l’exploitation de l’homme par son semblable et par des préjugés raciaux tels que le Ku-Klux-Klan opposés à l’émergence d’autres races. Des mouvements visant l’élimination de l’homme de couleur, à l’exemple du massacre de Georges Bloy et de Patrick Lyoya, aux Etats-Unis.
Quant au poète lui-même, il n’espère quasiment rien de ce qui est gloire et vanité de ce monde ; son long poème touche à sa fin. Il aura servi à éveiller la conscience de l’intellectuel noir se complaisant dans un univers qui le traite d’immigré, exploite, appauvrit et asservit ses frères :
« Mon chant embaume, amis, mon poème se veut pont entre rives
Le témoin est par essence martyr sa vie holocauste… » (p.36).

2.2. L’inversion des valeurs

Le poète s’inquiète amèrement de la tournure tragique qu’a prise l’humanité, d’autant plus que les vices semblent se substituer aux vertus. Le mensonge, l’argent omnipotent, l’univers carcéral, les diverses vanités et les injustices constituent ces virus qui empestent le tissu social.
En effet, le mensonge, dans nos sociétés, a curieusement pris la place de la vérité, avec le culte de Mammon comme clé ouvrant toutes les portes, même celles de la prison et du cimetière. De même, le monde devient ainsi un univers carcéral où « les relations d’avoir » triomphent sur les « relations d’être », une sorte de matérialisation à outrance et de l’utilitarisme calculateur. La chaleur humaine disparaît dans cet environnement où l’homme est devenu robot, numéro et ne s’identifie plus que par son gain, son intérêt, l’individualisme, l’égoïsme… :
« Avant Foliotocole et bureaux nièmes
Khimaira ne fut-il que mythe ?
Les hommes sont ainsi ils bercent dans leur coeur
un désir effréné qui les ronge et les hante
Chassé-croisé infernal que puissance et richesse » (p. 22)
« Non ! le bonheur n’est pas mercedes cachotant sur des voies
dépavées » (p.33).
Les bruits infernaux de tous genres gangrènent la quiétude des cités et la musique profane se fait reine dans un monde d’où les poèmes et d’autres hymnes de l’univers disparaissent.
« L’eau n’est pas que denrée l’eau
elle est source de Vie (p.20)
Dans cet universel carcéral
mon chant n’est point décor abstrait ombre désincarnée
il est veine de cette terre artère vitale
il véhicule des millions d’impuretés que secrète l’humanité délirante empoignade indubitablement les dieux au crépuscule du siècle (p.33).

2.3. La foi

D’un bout à l’autre de Systole et diastole transparaît la foi en Dieu qui est Justice et Miséricorde mais dont le monde est souillé par les travers humains et les turpitudes de tous genres :
« Reçois cette confession de nos âmes envahies de matiti
et de moisissure’’ (p. 35).
En dernière analyse, le poète constatant l’emprise du mal et les turpitudes humaines, proclame son rôle :
« Dire est ma raison d’être ma vocation première » (p.26).
Dire aux hommes la voie de la Vie et faire « retentir la Parole » (p.36) tout en célébrant la création ainsi que l’Acte de l’Amour qui nous redonna Vie :
« Nazaréen, ne laisse plus l’homme se crucifier chaque jour
aux sagaies de ses passions. » (p.36).

2.4. L’espérance

Quoique le monde soit ainsi gangrené par des antivaleurs, des souillures et des turpitudes humaines, l’espoir est cependant permis pour le poète. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’il évoque le Nazaréen, Prince de la Paix et Source de bonheur.
Cet espoir pour la métanoïa, la métamorphose sociale et la régénérescence de l’humanité n’est possible que grâce à l’intervention de Celui qui insuffle l’Amour dans les coeurs des enfants.
Pour le poète, Elohim, Créateur du ciel et de la terre, ne peut tolérer que son peuple sombre dans la ruine, la décrépitude, la misère et la perdition :
« Depuis l’aube extasiée par la naissance du monde
à perte de mémoire se déroule la plage ignée du bonheur » (p.11).
Depuis l’aube extasiée par la naissance du monde
la parole des poètes est convergence de vues (p. 10).
La sagesse des vieillards et la candeur des enfants sont également mises à contribution, en vue de cette renaissance de l’humanité des décombres des antivaleurs :
« Dans la case des palabres
la bouche du vieillard ne pollue point
elle est source de sagesse elle est salive lustrale
qui s’élève en nuage protecteur » (p. 11).

3. L’écriture du poète
3. 1. Le titre du poème et l’inspiration

A.-Le titre
Le titre du poème est tiré du registre médical. Ce titre nous renvoie aux signes vitaux, à la respiration de l’homme, comme la température et le battement du coeur attestant la vitalité, par opposition à la mort. En effet, Systole est le mouvement par lequel les fibres musculaires du coeur se contractent pour expulser le sang des artères. Tandis que Diastole demeure le mouvement de dilatation du coeur et des artères qui alternent avec le mouvement de contraction. Ainsi contraction et dilatation du coeur rythment la Vie.
En d’autres termes, ces deux mouvements concomitants et complémentaires attestent la vie et la vitalité humaine, et au-delà, l’apogée et le déclin des civilisations que l’être humain, depuis des millénaires, peut bâtir sur cette Planète Eau.
Il n’existe donc pas des civilisations supérieures aux autres, encore moins une civilisation perpétuelle. Toutes les civilisations subissent, chacune à son tour, la décadence au bénéfice d’une autre qui émerge. Rien de nouveau sous le soleil !
En d’autres termes, « Systole et diastole », comme « Flux et reflux de la Vie », témoignent de la vie et de la mort de l’homme. Seul le Créateur et Sa Parole demeurent éternellement !
Pour Gérard Genette (Figure I, 1966), le titre demeure un discours sur le texte et sur le monde. Faisant partie intégrante de l’oeuvre, il fonctionne comme une métonymie donnant une tonalité plus ou moins précise à l’oeuvre.
Ainsi, Systole et diastole décrit, comme sur un tableau panoramique, le rythme et la vie de la RDCongo, de l’Afrique et du Monde, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, avec les hauts et les bas, avec réussites et échecs, équilibres et ruptures d’équilibre…
La manière dont la vie est rythmée reflète donc ce vaste village planétaire qu’est devenu le monde.

B.-L’inspiration
L’écriture est souvent perçue comme la recherche inlassable et ininterrompue des nouvelles modalités narratives et langagières.
En effet, le poème de Gabriel Sumaili s’offre aux yeux du lecteur sous forme d’une longue suite de vers libres aux maintes structures graphiques, une poésie par endroits aux apparences prosaïques, mais d’une grande richesse en constructions rythmées et en figures de rhétorique.
L’auteur avoue ses nombreuses lectures qui l’ont marqué. Sa préférence va du poète indien Rabindranath Tagore (Gitanjali) à Charles Baudelaire et, en Afrique, à Jean Joseph Rabearivelo, le malgache que peu de gens connaissent (Traduit de la Nuit, Presque songe). Robindranath Tagore a reçu le prix Nobel de littérature.

3.2. Des constructions
3.2.1. Des calligrammes

Systole et diastole nous offre des calligrammes comme formes visuelles des vers évoquant des dessins ou des représentations graphiques :
« Au
commencement
palpitait
le poème
le poème
fleurit
Fille nubile
la fille nubile
devint
Femme
dans
les
larmes
Mère
dans
les gémissements » (p.10).
Cette représentation graphique retrace la genèse du poème « en notre douzième heure médiane » (p.9). Il fleurit à la fleur de l’âge comme une fille nubile qui, mariée, devient mère dans les douleurs de l’enfantement. Cependant, de ce microcosme de souffrance jaillit la vie renouvelée, émerveillée, riche et qui perpétue l’homme dans son environnement :
« Parut l’Enfant
Ô enfance ! Est-il poème plus merveilleux dans l’Univers ? » (p.10).
Et le poète se fait le chantre de cette poésie-vie ; son poème est force, arme et puissance en vue de la création d’un monde meilleur où il fera bon vivre dans la paix et l’amour du prochain.

3.2.2 Des congolismes

En vue de passer fluidement son message dans une langue qui colle à « l’odeur du peuple » (Makhilly Gassama, 1995), le poète recourt à plusieurs congolismes charriés notamment à travers les quatre langues nationales du Congo : le lingala (yamba lisapo, mbongo, mosolo, matiti, likembe, likelemba, musenzi-basenzi), le swahili (hadisi njoo, feza, falanga, boy-bwana, maneno mingi, manjano, amdalasini), le kikongo (nzimbu, ngembo), le tshiluba (bwana bwa kwetu).
Mais aussi l’indubil et l’argot-lingala sont mis à contribution pour des besoins expressifs :
« Le coq des cités chante à temps et à contretemps
se dressant au Zénith, il clame ngembo les délices du sommeil » (p. 20).
« Le squatting des mista se dit palais qui tour à tour s’irradie » (p. 21)

3.3 Les figures de rhétorique
3.3.1. La périphrase

C’est une sorte de circonlocution par laquelle on recourt à plusieurs éléments au lieu d’un seul signifiant pour exprimer un signifié.
« En notre douzième heure médiane » (midi) ;
« Planète Eau » (la Terre, le monde) ;
« bâtisseurs de civilisations du Nil » (Les Noirs ou les Egyptiens anciens négroïdes à l’époque pharaonique) ;
« noeud gordien, oeuf de Colomb » (solution devant une énigme) ;
« neige éternelle de Ruwenzori, lave incandescente des Virunga ».

3.3.2 L’anaphore

Le retour récurrent d’un segment ou d’un vers dans le poème :
« Il y eut un soir, il y eut un matin… Il y eut un soir, il y eut…’’
« Lors partit mon âme en safari-poésie
portant en bandoulière un million de regards
lors mon âme sustentée de lait zénithal
par les vents alizés soufflants sur les sommets
vogua sur les pics altiers » (p.12).
« Chante qui chantera notre vive espérance notre vive espérance (p.20).

3.3.3 L’allitération

Au moyen de la répétition des mêmes sons dans une suite de mots rapprochés, le poème exprime certaines nuances :
« Vois le vol fatidique des vautours fulgurants » (p.15).
« Les matinales modulations des muezzins » (p.25).
« Masika fut léger favorable » (p.12).
« Mon poème est dense il est cadence des Intore
retour d’esprits danse zebola sur ce sol enchanteur (p.13).

3.3.4 L’antithèse

Un énoncé dans lequel s’opposent deux vérités :
« Je suis serpent sacré ni mâle ni femelle
immigré ? expatrié ? La sémantique est complice ! « (p.12).
« Mathématique univoque et intégrale
« Poésie plurivoque et intégrante » (p.19).
« La victoire est envers de la défaite vaincre ou mourir ! » (p.15)
« Laissons l’index pointer et ailleurs et autrui
le pouce ne saurait clamer d’alibi pour notre tombe » (p. 22).
« Caviar ou chikwangue qu’importe ?
l’estomac jamais ne fut momifié ! » (p.27).

3.3.5 L’interrogation

Par l’interrogation, le scripteur ou l’orateur, ici le poète, déguise une assertion sous forme d’une demande d’information. Il y répond par l’affirmative ou la négative :
« Sous quels cieux le myriapode du biologiste le mille-pattes
a-t-il mille pattes ? » (p.22).
« Faut-il dénombrer les évidences ? » (p.20).
« Dialogue-t-on sur deux méridiens ? » (p.16).
« Est-il un poème plus merveilleux dans l’univers ?
« Que donnerais-je pour savourer la succulence d’un instant ?
« Que donnerais-je pour éterniser la plénitude d’un instant ? » (p.28).
« Calebasse sans fente, qui jamais t’enfouira sous l’eau ? » (p.32).
« Où sont passées les voix angéliques qui modulèrent Uhuru
sur la plateforme de Léo ? » (p.15, p.32).

3.3.6 La métaphore

Une comparaison mentale ou abrégée :
« L’âme épouse amante et vierge la fidèle » (p.29).
« Musique de l’eau’’ (les bruits des eaux, p.10)
« Ma voix rugissement des lions’’ (une voix forte, p.16) ;
« Mon poème se veut pont entre les rives’’ (trait d’union ou de jonction entre les hommes, p.27) ;
« sève nourricière pour les générations futures’’ (source d’inspiration perpétuelle, p.27).
« J’édifie mes symboles en la Terre antarctique
voici l’Etoile du sud et voici la Croix du nord’’
(Etoile = bonheur) (Croix = souffrance, p.16).
« Mon poème est amour (mon poème est l’expression de convivialité)
« Manguier au milieu du village ombre gratuite pour tous » (p.32)
« Le soleil était l’alphabet des Tropiques naguère (la présence journalière servant de référence, p.27).

3.3.7 La comparaison

L’union de deux termes par une copule :
« Par ce feu que nous verse le likembe au son tourmenté tel le coeur d’un amant » (p.13)
« La semence porte en soi la promesse des fruits comme le plat
de moambe partagé est prémices de concorde » (p.32-33).
« L’eau est gratuite comme soleil des saisons sèches comme
chauds murmures d’amour et caresse des vents » (p.20).

3.3.8 L’hyperbole

C’est la figure d’exagération dans le discours :
« Un tam-tam ne connaît ni l’été ni l’automne
il ignore surtout les rigueurs de l’hiver » (p.11).
« Mon accent est mature vieux plus mature
que le baobab-refuge de Stanley Bula-Matari » (p.14).

3.3.9 L’antanaclase

Figure dans laquelle on use d’un terme deux fois dans deux sens différents :
« Car le silence n’est qu’ombre transparente de la Mort
et dans cette mort quotidienne qui naguère fut nôtre
lumière et rythme servirent de linceul étincelant
à nos vies transplantées ah ! cargaison d’ébène » (p.15).
Le premier « mort » signifie la disparition de l’être ; tandis que le deuxième signifie la souffrance ou la misère permanente sur cette terre des hommes.
« Mon poème est poème » (le premier ‘’poème’’ signifie texte poétique et le deuxième signifie hymne ou chant d’amour, p.).

3.3.10 L’Ironie

Une figure par laquelle on pense, en réalité, le contraire de ce qu’on affirme :
« Fuis le kwashiorkor, mon âme, et cours à Chicago,
Cours à Genève cours à Nice
Consommer par le compte en banque l’humanité en délire »
(Le poète fustige les Africains qui, désertant leur continent, croient trouver le bonheur à l’étranger (p.14).

Conclusion

Systole et diastole demeure un véritable hymne de la quête de la régénérescence d’une humanité pervertie, meurtrie ou gangrenée par les antivaleurs. Le poète se lève « à l’heure médiane » (à temps opportun) comme un griot pour prôner avec, un courage héroïque, l’humanisation et l’excellence de la Planète Eau.
Le titre du poème lui-même postule d’une pulsion normale de tout être qui respire, comme l’homme dont le coeur connaît deux mouvements inévitables : contraction et dilatation, sans lesquels n’existe aucune vie. Tel est aussi le cas du « Flux et le reflux de la Vie », des eaux, que le poète associe à ces mouvements du coeur humain.
Le poème connaît une porosité pareille à l’espace narratif, tant il relève de la poésie prosaïque dans laquelle les proverbes, les mythes, les légendes, les africanismes et les chansons s’intègrent harmonieusement. D’où la poésie de Gabriel Sumaili s’insère sans nul doute dans les nouvelles écritures africaines caractérisées par l’influence accrue des parlers locaux. De même, cette poésie fait du poète un classique s’étant abreuvé aux écrits poétiques des illustres écrivains tels que Charles Beaudelaire, Rabindranath Tagore, Aimé Césaire, Jean Joseph Rabearivelo.
D’où toutes ces tournures classiques et ces figures de rhétorique que le poète a dû parfaitement maîtriser, à la faveur de ses lectures et de sa formation en philologie romane à l’Université Lovanium, sous l’encadrement du célèbre Professeur de littérature Victor Paul Bol. Rien donc d’étonnant de voir ses contemporains devenir, comme lui, des as en écriture : Kadima-Nzuji, Philippe Masegabio, Yoka Lye Mudaba, V.Y Mudimbe, Ngandu NKashama considérés, à juste titre, par une certaine critique, comme des écrivains élitistes, de par leur solide formation littéraire et leur écriture qualitativement accrochante.
Une autre dimension qui saute aux yeux dans l’écriture de Gabriel Sumaili est sa solide foi chrétienne transparaissant sans cesse dans son poème. Tels sont par exemple le récit de la genèse qui semble gouverner le poème, de par moult allusions bibliques et les mots comme ‘’Elohim’’, appellation hébraïque de Dieu… En plus, un coup d’oeil sur son enfance nous révèle que Sumaili fut élevé par les missionnaires catholiques au célèbre Petit Séminaire de Mungombe à Kamituga, au Sud-Kivu, en RDC, où il se familiarisa très tôt avec les livres en tant que chargé de tenir la riche bibliothèque scolaire.
Les nombreux prix littéraires conférés au poète au terme des concours littéraires auxquels il participa résolument ne constituèrent-ils pas une confirmation de ce talent scriptural dû à cette formation ancienne d’une solidité indéniable ?
Enfin, ce poème unique illustre le projet de faire revivre la poésie par une diction alternative (poète-auditoire se reprennent en écho), car le contenu appartient aux deux pôles. Ce partage en tant que mode de vie et du langage interpelle l’humanité qui a préféré privilégier l’accumulation des richesses individuelles, assujettissant le pauvre et détruisant pour un profit égoïste son propre milieu de vie (Planète Eau) devenu, fort malheureusement, un mouroir : le way of dead ?!
Il appartient donc à l’intellectuel africain de ne point clamer l’alibi par une illusion de vie, en jouissant de l’argent à Chicago (maffia), à Nice (dolce vita) à Genève (Suisse paradis fiscal), mais de rechercher durement des solutions (comme Alexandre le Grand, Christophe Colomb, le héros Mwinda) en vue de développer leur continent (civilisations premières réduites aux matières premières).

 

Par Mokoha Monga-Adogo J-Baudouin , dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024