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1. La notion d’acte de langage selon J. L. Austin

C’est J. L. Austin, philosophe anglais qui, le premier, a introduit la notion d’acte de langage.
Dans le cadre de la théorie des actes de langage, J.L. Austin (1970) distingue trois types d’actes accomplis grâce au langage : un acte locutoire, qui correspond au fait de dire, dans le sens de produire de la parole (en articulant et en combinant des sons et des mots selon les règles de la grammaire) ; un acte illocutoire que l’on accomplit en disant quelque chose : j’accomplis un acte de promesse en disant Je promets, de questionnement en employant une interrogative, d’ordre en employant un impératif, etc. ; un acte perlocutoire qui correspond à l’effet produit sur l’interlocuteur par l’acte illocutoire. En posant une question, je peux m’attendre, au niveau perlocutoire, à toute une série de réactions possibles : je peux, par exemple, obtenir la réponse demandée, mais aussi une non-réponse, une contestation de la part de l’interlocuteur sur mon droit de lui poser des questions, etc.
Que pouvons-nous alors retenir d’essentiel sur la théorie des actes de langage développée par J.L. Austin ? Pour R. Moati (2009 : 24), Austin a voulu explorer une philosophie qui, selon lui, « décrirait la dépendance (du sens) aux usages du langage qui sont les nôtres ». Pour illustrer cela, poursuit cet auteur, Austin se penche sur l’étude du langage ordinaire et plus spécifiquement sur ce que l’on appelle les énoncés performatifs.
Ces énoncés performatifs ont pour caractéristique d’accomplir une action par leur seule énonciation, « comprendre leur signification c’est nécessairement se rapporter à l’usage qui en est fait dans des circonstances déterminées », (R. Moati, 2009 : 25). Dans ce cas, l’exemple le plus connu est le « oui, je le veux » prononcé lors d’un mariage à l’administration communale. Il sied de préciser ici le contexte dans lequel s’énoncent ces mots car pour que l’énoncé performatif puisse être dit "heureux", le contexte ne doit pas être "parasité"…(1) Par ailleurs, Derrida J. (1972 : 383) souligne que « les analyses d’Austin requièrent en permanence une valeur de contexte, et même de contexte exhaustivement déterminable, en droit ou téléologiquement ».
Pour Austin, finalement, le contexte de tout acte de langage doit toujours être strictement délimité pour que l’énoncé soit "heureux" et, pour les mêmes raisons, l’intention du locuteur, sous-jacente à l’énoncé, doit être sincère et présente pour vérifier l’énoncé. Austin, porté par sa réflexion sur le performatif, a été amené à énoncer ce qui sera les premiers traits d’une théorie générale des actes de langage, repris et approfondis par Searle. Par ailleurs, Austin a fait constater que la caractéristique des énoncés performatifs – faire acte – peut aussi être étendue aux énoncés constatifs. Quand un locuteur dit « il pleut », il fait acte d’affirmer qu’il pleut et cet acte est aussi susceptible d’être classé "heureux" ou "malheureux".
Au regard de tout ce qui précède, Austin en est arrivé à avancer ainsi que tout dire, tout usage du langage, est un faire, un acte. Nous pouvons donc affirmer, à la suite de C. Kerbrat-Orecchioni (2001 :1) que les paroles sont aussi des actions : dire, c’est sans doute transmettre à autrui certaines informations sur l’objet dont on parle, mais c’est aussi faire, c’est-à-dire tenter d’agir sur son interlocuteur, voire sur le monde environnant. Au lieu d’opposer, comme le font certains linguistes souvent, la parole et l’action, il convient de considérer, dans ce contexte, que la parole, elle-même, est une forme d’action.
Et les trois sortes d’actes de Austin se distinguent de manière très simple en ces termes : l’acte locutoire équivaut à l’acte de dire quelque chose, l’acte illocutoire équivaut, quant à lui, à l’acte effectué en disant quelque chose, enfin, l’acte perlocutoire correspond à l’acte effectué par le fait de dire quelque chose.

2. La notion d’acte de langage selon J. R. Searle

Jean-François Malherbe, (1973 :807) note que J. R. Searle se situe dans le sillage du second Wittgenstein quand il écrit : « Parler un langage, c’est s’engager dans une forme hautement complexe de conduite régie par des règles ». Il se présente également comme un héritier d’Austin. Jean-François Malherbe, (1973) ajoute que dès 1950, cinq années avant ses célèbres leçons sur les performatifs, Austin avait attiré l’attention de ses collègues sur l’importance capitale des circonstances de l’énonciation d’un énoncé pour la détermination de la vérité de celui-ci. Dans une communication à l’"Aristotelian Society", Austin expliquait que tout énoncé est construit et que la construction d’un énoncé est toujours un événement historique, à savoir : l’énonciation par un locuteur de certains mots adressés à une audience en référence à une situation déterminée, (Ibid. :807-808). Voyons à présent ce qu’a été effectivement la contribution de Searle à la théorie des actes de langage.
En effet, le but de Searle, dans la théorie des actes de langage est de mettre à jour les règles qui régissent nos actes de discours, et de les exprimer en fonction des circonstances de l’effectuation de ces actes. Son hypothèse fondamentale est que de telles règles existent. La méthode de ce théoricien consiste à élaborer un modèle théorique des actes de langage et de déduire de ce modèle les règles qui régissent les différents jeux de langage, (Jean-François Malherbe, Ibid. : 808).
Searle, comme son maître, étudie un cas particulier d’acte illocutionnaire : la promesse. « Pour donner une analyse de l’acte illocutionnaire de promesse, il cherche quelles conditions sont nécessaires et suffisantes pour que l’acte de promesse soit accompli correctement dans l’énonciation d’une proposition donnée, (Ibid.). Les deux théoriciens (Austin et Searle) ne conçoivent pas qu’un énoncé "heureux" puisse être altéré par le contexte.
Comme indiqué ci-dessus, l’analyse de Searle est dirigée par le concept de promesse et il ignore délibérément les promesses marginales et partiellement défectives. Cela a pour conséquence que l’on peut produire des contre-exemples d’usages ordinaires du mot « promesse » qui ne rentrent pas dans son modèle. Ce qu’il faut retenir c’est que l’existence de contre-exemples ne réfute pas son analyse, elle réclame plutôt une explication montrant pourquoi et comment ces cas s’écartent du modèle. Pour ce faire, Searle traite d’un cas simple et idéalisé, il construit un modèle (reprenant en cela une méthode fort employée en science).
Les quatre phrases suivantes énoncées dans des circonstances appropriées par un locuteur qui s’adresse à un auditeur illustrent clairement les grandes lignes du modèle théorique de Searle :
1. Jean fume beaucoup. (assertif),
2. Fume beaucoup, Jean ! (ordre),
3. Jean fume-t-il beaucoup ? (question),
4. Plût au ciel que Jean fumât beaucoup. (souhait).
Dans l’effectuation de chacun de ces quatre actes différents, Searle démontre que le locuteur accomplit certains actes communs aux quatre cas : il se réfère à un certain objet qui est Jean, et il en prédique l’expression « sage ». Dans les quatre cas, la référence et la prédication surviennent à titre de partie d’un acte de discours complet, (Searle, 1972 : 60).
Finalement, dans l’énonciation de chacune de ces quatre phrases, le locuteur effectue au moins trois espèces différentes d’actes :
a. l’énonciation de mots (acte d’énonciation, ou acte locutionnaire),
b. la référence et la prédication (actes propositionnels),
c. l’illocution (acte illocutionnaire), (Ibid. :61).
A ces trois notions, J.R. Searle (Ibid. : 62) ajoute la notion austinienne d’acte perlocutionnaire pour désigner l’acte d’illocution en tant qu’il a des conséquences sur l’auditeur (persuader, convaincre...).
Dans ses réflexions, il a évoqué le concept d’intentionnalité. Pour défendre sa conception de l’intentionnalité, Searle se base sur le principe d’exprimabilité exposé dans son livre Les Actes de langages, « tout ce que l’on peut vouloir signifier peut être dit », (Ibid. : 55). Ce qui veut dire, note Marine Manouvrier (2010), si on renverse la proposition, que tout ce qui est dit selon des règles et conventions sémantiques doit pouvoir toujours être rattaché à une intention. A la lecture d’un texte, selon Searle, nous faisons acte de comprendre ces conventions et par là les intentions qu’il contient. Cela a pour conséquence, commente cet auteur, bien qu’il soit évidemment possible que ce texte ne soit compris ou mal compris- et que l’on passe donc à côté de son intention – cet échec sera toujours contingent. Selon ce principe d’exprimabilté, l’émetteur et/ou le récepteur pourront toujours surmonter cet échec et trouver un moyen pour que la signification passe de l’un à l’autre convention utilisée pour l’écriture de celui-ci. Ces conventions permettant alors d’assurer la permanence du texte et de son sens. La théorie de Searle sur les actes de discours peut être brièvement présentée dans ce passage :
« Si l’on considère la notion d’acte illocutionnaire, il faut aussi considérer les conséquences, les effets que de tels actes ont sur les actions, les pensées ou les croyances, etc. des auditeurs. Par exemple, si je soutiens un argument je peux persuader, ou convaincre mon interlocuteur ; si je l’avertis de quelque chose, je peux l’effrayer ou l’inquiéter ; si je lui demande quelque chose, je peux l’amener à faire ce que je lui demande ; si je lui fournis une information, je peux le convaincre, l’éclairer, l’édifier, l’inspirer, lui faire prendre conscience », J.R. Searle (1972 : 62).
À la question de savoir « pourquoi étudier les actes de langage ? », J.R. Searle (1972 : 52) émet l’hypothèse selon laquelle « parler une langue c’est adopter une forme de comportement régie par des règles ».
Sa réflexion, au sujet des actes de langage, peut être résumée en ces termes : « Parler une langue, c’est réaliser des actes de langage, des actes comme : poser des affirmations, donner des ordres, poser des questions, faire des promesses », etc., et cela devra être conforme à des règles « régissant l’emploi des éléments linguistiques ». Autrement dit, « toute communication de nature linguistique implique des actes de nature linguistique », (Searle, 1972 : 52). Pour lui, c’est « la production ou l’émission du symbole, du mot ou de la phrase au moment où se réalise l’acte de langage », (ibid. : 52), qui est considérée comme unité de communication.

3. La notion d’acte de langage selon A. Berrendonner

Dans son livre intitulé Eléments de pragmatique linguistique, A. Berrendonner (1981 :75) propose une alternative à la théorie austinienne des actes de langage en ces termes : « Quand dire, c’est ne rien faire », titre qu’il qualifie lui-même de quelque peu polémique.
Partant de la réflexion selon laquelle le problème de l’illocutoire est essentiellement celui des rapports entre dire et faire, Alain Berrendonner (ibid. :79) pense qu’il convient tout d’abord de se demander ce que c’est que faire. C’est à partir de cette réflexion qu’il est arrivé à poser au préalable deux questions ci-après : « Qu’est-ce qu’un acte ? » ; « Y a-t-il des actes de langage ? »
Pour répondre à ces deux questions, il tient à se donner, avant toute chose, une caractérisation de la notion d’acte, pour être assuré ultérieurement, en se référant à cette définition, de ne pas commettre d’incohérence ou d’irrégularité lorsqu’il aura à se décider s’il y a ou non acte, quand et comment.
Il considère par ailleurs qu’ « une bonne pragmatique doit tenir compte non seulement des mécanismes langagiers, mais encore de la conscience élémentaire que peut en avoir la communauté qui les pratique, car cette représentation "naïve" fonctionne elle-même comme facteur pertinent dans les mécanismes pragmatiques, et permet largement de les expliquer », (Ibid. : 80). Il s’agit donc, pour lui, de faire non une pragmatique du point de vue du sens commun, mais une pragmatique ayant un point de vue sur le sens commun, (Ibid. : 80).
Contrairement à Austin et à tous ceux qui ont souscrit à sa théorie, Alain Berrendonner (Ibid. : 80) oppose fondamentalement le dire au faire ; il les figure comme des réalités de deux ordres totalement différents, étrangères l’une à l’autre, voire antagonistes et rivales, au point que la notion même d’ "acte de langage" devrait lui sembler contre nature… Et ceci se traduit dans le premier critère, celui du « bon sens commun », qui inspire des formules telles que « Assez de paroles, des actes », ou encore […], « Tout ça, c’est des mots », etc. Pour le « béhaviorisme », considéré comme deuxième critère, « parler, c’est tout autre
chose que faire : c’est remplacer l’acte par quelque chose qui n’est pas un acte, mais peut en provoquer des effets », (Berrendonner, 1981 : 80).
Au regard de tout ce qui est dit, il pose finalement qu’ « un acte est un geste ou un ensemble de gestes », (Ibid. :81). Il énonce, dans ce cas précis, diverses conséquences ci-après:
- Premièrement, parler constitue bien un acte particulier, à condition de ne voir dans la parole que l’accomplissement d’une gesticulation phonatoire et rythmique, révélatrice d’une activité de combinaison syntagmatique, (Ibid. : 81). Et le seul type d’acte de langage qu’il soit disposé à reconnaître à Austin, c’est l’existence « d’actes locutoires », au seul fait que le dire, selon Alain Berrendonner, est conçu comme une activité purement mimo-gestuelle qu’on pourrait appeler l’acte d’énonciation.
- Deuxièmement, si tout acte est un geste, il est de sa nature de déplacer des molécules, de changer l’état des choses, d’apporter une modification à l’ordre du monde. L’essentiel ici est que tout acte implique un résultat, (Ibid. : 81).
- Troisièmement, si tout acte est un geste (ou un ensemble de gestes), alors tout acte est un signe, ou plus exactement un message, encodé et décodé selon le code de la mimogestualité. Alain Berrendonner, (Ibid. :82), nous fait comparer, à cet effet, les actes d’ « éternuer » vs « se présenter aux élections », pour dire qu’un acte, finalement, s’il est message gestuel, doit avoir toutes les caractéristiques ordinaires d’une configuration syntagmatique.
Pour ce théoricien, « … un signifié d’énoncé ne saurait constituer un acte, mais il peut, à l’occasion, servir de substitut à un acte », (Ibid. :84). Par conséquent, cette conception oriente Alain Berrendonner au contraire vers une théorie qui fait du langage un substitut de l’action, et qui ne voit, dans la « force illocutoire » d’un énoncé, que la preuve de son aptitude à fonctionner occasionnellement comme un ersatz (substitut) d’acte.
En résumé, la définition du concept d’acte résulte des propositions suivantes : a) il existe un système sémiotique autonome dont les unités sont les gestes ; b) un acte est un message construit selon les règles de ce code, muni d’une syntagmatique interne, et auquel est associé un résultat ; c) la production d’un énoncé verbal, envisagée comme événement purement gestuel, est un acte locutoire : l’acte d’énonciation, (Ibid. :82-83).

4. La notion d’acte de langage selon O. Ducrot

Oswald Ducrot situe, de son côté, les actes de langage par rapport à la tradition saussurienne. Ce linguiste fonde sa pragmatique sur l’énonciation (plus que sur les actes de langage comme c’est le cas dans les théories pragmatiques anglo-saxonnes), qui conteste l’unicité du sujet parlant, (Claire Stolz, 2010). Oswald Ducrot essaie donc de définir quel type d’action qu’un verbe doit désigner pour qu’on le rencontre comme thème d’un performatif. Il estime qu’ « il ne suffit pas de répondre une action accomplie par la parole, car il est clair que toute parole est en elle-même une action, et, d’autre part, que toute action peut s’accomplir par l’intermédiaire d’une parole », (O. Ducrot, 1991 :75). Pour lui, le fait même de parler exige toute une activité psycho-physiologique, c’est-à-dire évoquer et combiner des idées, leur trouver des correspondants lexicaux et grammaticaux, faire le travail d’écriture ou de prononciation nécessaire. Il pose que toute cette activité, qu’Austin appelle « locutoire », n’a, à coup sûr, aucun rapport avec les performatifs, (Ibid. : 75). Certes, poursuit-il, lorsqu’on dit Je fais une phrase, on se trouve effectivement faire une phrase, mais ce n’est pas (…) la fonction spécifique de l’énonciation en question.
Considérant des actes dont la parole est l’instrument comme autre niveau d’activité linguistique, O. Ducrot nous fait savoir que l’on parle à quelqu’un pour le consoler, l’amuser, le flatter, se faire admirer, craindre, aimer de lui, etc. Cette stratégie, dont la parole est le moyen tactique, Austin l’appelle « perlocutoire ». Ce n’est pas elle, non plus, qui peut fournir le thème des performatifs.
Pour lui, affirmer en effet que l’énoncé Je fais l’action A est performatif, c’est affirmer notamment qu’il est sui-référentiel (au sens fort). Et ceci n’est concevable (…) que si son énonciation suffit, par elle-même, à accomplir A : A ne doit donc pas être une conséquence indirecte – perlocutoire – de l’énonciation. Cela étant, pour que l’énoncé Je fais A soit performatif, il faut ainsi qu’il y ait au moins une parole (à savoir Je fais A) qui constitue directement l’accomplissement de A, et il faut par suite que cette action, relativement à cette parole au moins, ne soit pas perlocutoire, (O. Ducrot, 1991 : 75-76). Que retenir alors de ce linguiste ?
Ce qu’on peut retenir sur la notion d’acte de langage chez Oswald Ducrot est que, lorsqu’on dit, Je promets, on peut, à coup sûr, viser une multitude de résultats perlocutoires (rassurer, inquiéter, montrer sa bonne volonté…). Il illustre cette théorie à l’aide de ces trois verbes, à savoir : promettre, apporter et parler.
Dans son article « De Saussure à la philosophie du langage »(2), Oswald Ducrot (1972) affirme qu’en disant Je te promets de venir, je fais l’acte qui est mentionné dans l’énoncé, je promets. Il en va de même pour je t’ordonne, je te permets, etc. Le critère pratique qui permet de détecter ces genres d’énoncés c’est leur comportement particulier lorsqu’ils sont traduits du style direct dans le style indirect. Il soutient en effet que la phrase Il m’a dit « Je te promets un livre » peut se rendre, au style indirect comme « Il m’a promis un livre », par contre, la phrase Il m’a dit « Je t’apporte un livre » ne saurait avoir pour équivalent « Il m’apporte un livre ». En disant que l’énonciation du performatif accomplit l’action décrite dans l’énoncé, il considère que l’accomplissement de cette action est la fonction même de l’énonciation et non pas seulement de ses conséquences indirectes. Enfin, l’énoncé Je te parle n’est pas un performatif, bien que son énonciation implique que l’on parle. En effet, si l’énonciation de Je te parle ne peut se faire sans parole, l’emploi de cette formule n’est pas destiné essentiellement à constituer une parole, mais à appeler l’attention d’un auditeur distrait ou récalcitrant. Le critère du discours indirect dont O. Ducrot fait mention corrobore d’ailleurs les résultats de l’analyse intuitive : Il m’a parlé ne peut pas être en général considéré comme une traduction de Il m’a dit « Je te parle ».
Au regard de tout ce qui précède, notons avec O. Ducrot que la découverte des performatifs […] fournit l’exemple de conventions sociales qui déterminent la valeur - non plus seulement des énoncés - mais aussi des actes d’énonciation. Car, pense ce linguiste, c’est bien une convention qui fait que l’emploi d’une certaine formule a pour effet de lier celui qui l’a prononcée, de créer pour lui une obligation. Pour ce faire, la création d’une obligation a, avec l’acte de dire "je promets", un rapport infiniment plus étroit que celui qui lie, par exemple, une sanction et un acte considéré comme criminel. Comparativement, un vol et un meurtre, explique-t-il, peuvent encore être décrits sans qu’on fasse allusion à la condamnation dont ils sont objets ; par contre, l’acte linguistique de promettre ne serait plus rien-juste un simulacre ou une plaisanterie- s’il n’engageait pas celui qui l’accomplit. Par conséquent, il cesse d’être lui-même dès qu’il n’inaugure plus une obligation. C’est ce qui a poussé Oswald Ducrot à employer le mot valeur en lieu et place de sens ou signification, mots, provisoirement, réservés pour parler des énoncés : la convention sociale qui attache l’obligation à l’acte de promettre est inséparable de la valeur même de cet acte.
Pour lui, les énoncés performatifs sont les seuls dont la valeur illocutoire est rigoureusement prévisible dès le niveau de la phrase. (O. Ducrot, 1980 : 304).

5. Conclusion : notre point de vue sur la notion d’acte de langage

Avant de donner notre point de vue sur la notion d’acte de langage, nous admettons finalement avec A. Mattelart (2003 :3) que « l’uniformisation du monde commence la standardisation de la langue qui nous sert à le désigner. Les mots sont coupés de leur mémoire, dévoyés de leur sens premier. […] ».
Après lectures et compréhension de différentes thèses des théoriciens sur les actes de langage, nous pensons que dire, c’est faire et dire, c’est aussi ne rien faire selon les cas. En tout cas, dire n’est pas toujours faire. Poser l’acte énonciatif n’est pas toujours pragmatique au sens où un acte pragmatique est appelé à modifier un état de choses, c’est-à-dire l’acte énonciatif ne coïncide pas toujours avec son contenu propositionnel. Le verbe manger, par exemple, comporte deux aspects. Le fait d’associer les signes afin de produire un son doué de sens ne signifie pas accomplir concrètement l’acte de manger. Aussi, l’énoncé d’un émetteur : « Je dors », pose-t-il l’acte réel de dormir ou l’acte énonciatif de dire « je dors » ? En réalité, quelqu’un qui dort déjà n’a pas le temps de dire « je dors » puisqu’il dort réellement. Sinon l’énoncé « Je dors » serait une contre-vérité. Dans ce cas, il y a réellement acte de dormir lorsque ce verbe est conjugué à la deuxième et troisième personne du singulier et/ou du pluriel. Là, le « Je » peut constater et dire en même temps « Tu dors », soit « Vous dormez » ou « Il dort », soit « Ils dorment ».
Voilà, en quelques lignes, ce que nous avions à dire par rapport à la théorie des actes de langage.

Notes

1. A la suite de Marine Manouvrier (article en ligne, mai 2010), l’énoncé sera dit « parasité » quand le contexte n’est pas porteur d’une véritable action, par exemple un acteur qui dirait « oui, je le veux » sur une scène de théâtre illustre parfaitement le cas d’un énoncé performatif "malheureux" car il n’a pas pour conséquence réelle le mariage entre deux personnes comme c’est le cas quand cet acte de langage est prononcé devant un bourgmestre.
2. Nous nous sommes référé à l’article de O. Ducrot, « De Saussure à la philosophie du langage », dans J. Searle, Les Actes de langage, préface de l’édition française, Hermann, 1972, pp. 7-34.

Par Bulele Kwakombe Blaise, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024