Publications

Article détaillé

Liste des articles.

1. Le dialogue

Le dialogue est une stratégie langagière de coopération qui assure la reconnaissance mutuelle des interlocuteurs comme personnes en même temps comme agents d’actions communes ou conjointes, sur un monde qu’ils construisent et transforment ensemble.( D. Vernant, 1997 : 97) Dans les cours et tribunaux, un juge de paix, par exemple, initie un dialogue dans le but d’inciter un couple en instance de divorce à se réconcilier.
Dans le procès dit de 100 jours, le juge président déclenche une confrontation entre le Ministère Public et le conseil de Vital Kamerhe. Ce dernier va intervenir au débat pour apporter des précisions sur certains faits et allégations retenus à sa charge. Ce qui provoque les échanges entre le juge président et le prévenu Kamerhe, d’une part, et, d’autre part, entre le Ministère public et le conseil de Kamerhe. Et Kamerhe dira : « Je savais que la messe était déjà dite et que je devais être condamné… » (Jugement prononcé à l’audience publique du 20 juin 2020 au Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe et enregistré sous R.P. 26.931). Quant au conseil du prévenu Samih Jammal, qui déclenche le dialogue en soulevant un déclinatoire de compétence, une fin de non-recevoir et une exception d’inconstitutionnalité, au cours de l’audience de plaidoirie ; amenant ainsi le conseil de la partie civile et le Ministère public à clamer le caractère constitutionnel du procès ainsi que la compétence du Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe. Il s’en suit que : « Les tribunaux de grandes instances étant compétents pour connaître les infractions punissables même de la peine de mort, ils sont également compétents pour connaître de celles qui ne sont punissables que de la peine des travaux forcés, dès lors qu’aucune disposition légale n’attribue cette compétence à aucune autre juridiction… » (Jugement prononcé à l’audience publique du 20 juin 2020 au Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe et enregistré sous R.P. 26.931).

2. L’entretien

Robert Vion (1992 : 131) conçoit l’entretien comme une interaction complémentaire finalisée. En procédure judiciaire, lors de l’audition, le juge utilise, outre les entretiens directs, les entretiens exploratoires qui lui permettent de pouvoir instruire les dossiers de prévenus pour une meilleure approche juridictionnelle. A cet effet, « les entretiens exploratoires sont fondés sur la production d’une parole sociale qui n’est pas simplement une description et une reproduction de ce qui est, mais aussi, une communication sur le devoir être des choses et un moyen d’échange entre individus. Leur spécificité consiste dans la production d’un discours in situ et c’est en cela qu’ils constituent une situation de rencontres et d’échanges et non pas un simple prélèvement d’informations » (A. Blanchet et A Gotman, cités par Kienge-Kienge Intudi, 2005 : 119-120) L’entretien téléphonique entre le Bâtonnier Joseph Mukendi Wa Mulumba et la veuve Chebeya résidant au Canada, après l’assassinat de son mari, constitue un ensemble d’informations qui permettent aux Avocats de la défense d’argumenter pour convaincre les juges. Voici la déclaration de Maître Mukendi en pleine audience publique :
« J’aimerais vous faire aussi entendre une voix d’une personne qui n’est pas là mais qui suit tout ce procès au jour le jour, c’est Annie Chebeya et ses enfants. Dans le froid du Canada, elle a lancé cette phrase qui me revient en ce moment : Bâtonnier, bazalaki kolia batu kasi ya mbala oyo bakosanza, bakosanza makila ya Floribert (Bâtonnier, ils mangeaient de la chair humaine mais cette fois-ci ils font vomir le sang de Floribert). Voilà, c’est là où nous demandons que justice soit faite. Nous avons le sentiment tant que le fugitif court, tant qu’une personne qui est à la base et qui est connue est en dehors, nous avons le sentiment que ce procès est encore inachevé. J’ai dit Monsieur le premier Président » (Procès Chebeya, 2010). Dans un entretien avec un journaliste, au téléphone, la veuve Chebeya réagit en ces termes. : « Chaque jour de l’audience, l’Avocat m’appelle et j’appelle l’Avocat, ils me disent de quoi ils ont parlé. Nous, ça me fait mal parce que jusque-là John Numbi se promène, il est libre ; comment est-ce que quelqu’un qui a tué, il se promène, il fait ce qu’il veut, il voyage ; ils assistent dans les réunions de la police, il est libre, ça nous révolte parce que c’est lui le cerveau moteur de l’assassinat de mon mari et de mon frère Bazana » (Procès Chebeya, 2010).

3. La réplique

La réplique peut être faite par une partie en conflit ou par les juges ou encore par le ministère public lorsqu’ils réagissent à un propos qui s’écarte du droit chemin et surtout de la logique juridique ou judiciaire. L’extrait du procès ci-après en constitue une illustration typique : « Par requête verbale introduite à l’audience publique du 24 novembre 2006, le Mouvement de Libération du Congo, MLC en sigle, soulève au seuil du procès deux exceptions : la première est déduite de l’irrégularité de la composition du siège ; la seconde est prise de l’incompatibilité qui frapperait Maître Nkulu Kilombo en sa qualité de Directeur du bureau adjoint au cabinet du Président de la République. Il demande qu’avant d’aborder le fond du présent recours, qu’il soit d’abord statué sur ces moyens. Au demeurant, la Cour note que quand bien même l’avocat concerné serait frappé d’incompatibilité, cette question relève de la discipline du Corps auquel il appartient. Il s’ensuit que ce moyen n’est pas non plus fondé. C’est pourquoi, la Cour suprême de justice, statuant avant dire droit ; le Ministère public entendu ; déclare non fondées les exceptions soulevées par le requérant » (Arrêts de la Cour suprême de justice sur les contentieux électoraux).
La réplique est utilisée pour contredire les propos du camp adverse et chercher à gagner le procès. Les Avocats y recourent particulièrement pour défendre leur client et obtenir gain de causes dans le procès. Dans le procès dit de 100 jours, par exemple, le conseil du prévenu Samih Jammal réagit comme suit aux propos du ministère public : « Plaise au tribunal de dire recevable et totalement fondée l’exception d’ordre public tirée de l’incompétence territoriale du Parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Matete et de la mauvaise saisine du Tribunal de céans en violation des articles 19 alinéa 1er de la Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 Février 2006 et 14 alinéa 1er de la loi organique n°13/001-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions d’ordre judiciaire ; à titre subsidiaire, de dire non établies en fait comme en droit les infractions à sa charge (à charge de Monsieur Samih Jammal), de l’acquitter et de le renvoyer de toutes fins de poursuite ; d’ordonner la levée de saisie de ses comptes, de ceux des sociétés SAMIBO Sarl et HUSMA Sarl » (Jugement prononcé à l’audience publique du 20 juin 2020 au Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe et enregistré sous R.P. 26.931).

4. L’évocation

L’évocation est utilisée essentiellement par le Ministère public pour qualifier les infractions et dénoncer la violation des lois par les parties impliquées dans un procès judiciaire. Lors du « procès Alamba », non seulement l’officier du ministère public se réfère à la loi pour évoquer les infractions commises par les personnes incriminées afin d’éclairer la juridiction concernée, mais aussi il commence par exposer les faits, retrace la chronologie des événements et argumente pour persuader la Haute cour militaire sur la gravité des infractions commises par Charles Alamba ainsi que sur l’urgence à diligenter une enquête judiciaire afin d’établir les responsabilités des autres membres de sa bande sur l’assassinat de Stève Nyembo. L’évocation fait également allusion au Code pénal ordinaire Livre deuxième pour étayer les faits et éclairer la Haute cour militaire : « Pour le prévenu Alamba Mungako Charles ; avoir provoqué pris ou exercé le commandement dans une association qu’il savait formée dans le but de préparer ou de commettre des infractions contre les personnes ou les propriétés. En l’espèce, avoir à Kinshasa, ville de ce nom et capitale de la République Démocratique du Congo, sans préjudice de date certaine mais au courant du mois de septembre 2003, période non encore couverte par le délai légal de prescription, pris le commandement d’une bande armée dans le but de préparer ou de commettre les infractions contre les personnes ou les propriétés à savoir l’assassinat du sieur Stève Nyembo. Faits prévenus et punis par les articles 157 du Code Pénal Ordinaire Livre Deuxième tel que modifié par l’Ordonnance- loi n° 68/ 193 du 3 mai 1968 » (Affaire R.P. n°001/2004, Arrêt de la Haute cour militaire, Kinshasa, 2005).
Dans le procès Chebeya, le ministère public évoque les infractions ci-après à charge du prévenu Daniel Mukalayi : « Nous avons induit que Floribert Chebeya est mort asphyxié. Les prévenus Ngoy Christian Kenga Kenga, Milambwe Paul et Mugabo Jacques lui ont, sur instruction du prévenu Mukalay Wamateso Daniel, mis un sachet, et là nous pesons nos mots, un sachet sur son visage pour lui faire perdre la respiration pour que l’air ne pénètre plus dans les poumons. Fidèle Bazana Edadi a dû subir le même sort que son patron Floribert Chebeya et par le même mode d’exécution. Et comme lui, c’était un colosse, Engambe ya mobali, il a dû certainement opposer une résistance farouche. C’est ce qui a fait que, pour l’avoir, on doit l’avoir violenté … Vous aurez donc Monsieur le premier président, honorables membres de la composition à pouvoir le condamner : la peine capitale pour assassinat de Floribert Chebeya, la peine capitale pour assassinat de Fidèle Bazana, la peine de mort pour terrorisme. Ainsi, vous aurez n’est-ce pas à répondre positivement à l’attente de l’opinion tant nationale qu’internationale, cette opinion qui avait taxé votre Cour de parodie de justice » (Procès Chebeya, 2010).

5. L’inférence

L’inférence vise à déterminer si les interprétations divergentes peuvent ou non s’expliquer en fonction du cadre linguistique et socioculturel de la communication judiciaire. Il s’agit de tenir compte des phénomènes linguistiques qui interviennent dans la conduite de la conversation que l’on peut comprendre ce qui se passe dans l’interaction.
Dans les situations observées, l’inférence se manifeste de deux façons : lorsque le témoignage est vrai, on utilise des expressions comme « preuves très positives », « tel que le prouvent les faits », « les déclarations des témoins sont fondées » ; lorsque le témoignage est faux, on dit « les preuves sont négatives », « rien ne le prouve », « les déclarations des témoins sont non fondées ».
L’étude de l’inférence doit prendre en compte certains présupposés culturels et linguistiques qui interviennent dans l’interaction sociale. Elle est illustrée comme suit :
« La Cour suprême de justice relève que la preuve des faits articulés par le requérant n’est pas rapportée. Elle constate en effet que la liste des témoins du requérant n’a pas été produite au dossier de manière à lui
permettre d’exercer son contrôle sur l’existence desdits témoins et leur accréditation dans les bureaux de vote et de dépouillement concernés, alors que l’article 55 de la décision n° 003/ CEI/BUR/ 06 du 09 mars 2006 portant mesures d’application de la loi électorale prescrit en son 2ème alinéa que la liste des témoins des partis politiques et leurs suppléants doit être communiquée à la CEI sept jours avant le scrutin. A cette liste sont annexées les photocopies des cartes d’électeur des concernés. La Cour note par ailleurs que les faits allégués par le requérant selon lesquels les agents de la CEI auraient intentionnellement et délibérément refusé d’admettre ses témoins dans les bureaux de vote et de dépouillement cités par lui et de leur délivrer les copies des fiches des résultats après dépouillement dans les centres ci-dessus indiqués alors qu’ils en avaient expressément fait la demande, ce qui a favorisé la falsification des résultats, ne sont pas établis sur base des preuves écrites convaincante, notamment par des procès-verbaux dressés à cet effet par des OPJ ou des magistrats sur dénonciation des faits par les témoins concernés, conformément à sa jurisprudence » (CSJ, 30 octobre 2006, RCE 029 affaire Jacques Boke Nkoso contre Egide Michel). Un autre cas d’inférence est attesté dans l’Arrêt de la Cour suprême de justice sur le contentieux électoral : « Attestant la vérité des faits dénoncés, la protection des témoins étant assurée par le Gouvernement, aux termes de l’article 59 de la décision précitée de la Commission électorale indépendante, la Cour affirme que divers motifs peuvent expliquer l’absence d’un témoin dans un centre ou bureau de vote comme, l’a indiqué à juste titre la Commission électorale indépendante. En effet, un témoin peut n’avoir pas été affecté dans un centre ou bureau de vote ; il peut être affecté mais sans qu’il se présente dans l’éventualité où il n’aurait pas perçu sa rétribution, car selon l’article 38 alinéa 2 de la loi électorale, les témoins sont à charge de leur client ; une autre hypothèse possible est que le témoin peut refuser de signer une fiche des résultats dans le cas où son client n’aurait pas réalisé un bon résultat. C’est pour toutes ces raisons que la Cour exige des preuves écrites émanant des autorités officielles pour étayer les faits allégués (Arrêt RCE.PR.009, audience publique du 27 novembre 2006, en cause : Recours du Mouvement de Libération du Congo sur le contentieux électoral) ».

6. La contestation

La contestation constitue une des stratégies langagières les plus utilisées par les antagonistes. Les parties en présence utilisent des arguments et contre arguments pour convaincre les juges, étayer certains faits ou obtenir une décision exécutoire.
François Martineau (2008 : 3-4) considère l’argumentation judiciaire comme une catégorie particulière de l’argumentation qui est une démarche discursive par laquelle une personne entend persuader un auditoire du bien-fondé de sa thèse et ce par l’emploi d’arguments.
Dans la contestation, l’argumentation occupe une place importante. Ce qui permet à l’orateur de tenir compte des risques de décalage, de contradiction et de déviation par rapport à son propre discours. A travers l’argumentation, l’orateur peut aussi dénoncer certains faits qui s’écartent de la logique juridico-judiciaire.
Dans le procès Chebeya, par exemple, les avocats de la défense rejettent la qualité de renseignant attribuée à John Numbi. Pour eux, ce dernier devait être un prévenu comme Mukalayi. Malgré la contestation des avocats de la défense, le juge président maintient sa position : « Nonobstant ces reproches, la Cour estime que le renseignant sera néanmoins entendu. A tout hasard, elle rappelle qu’elle n’a pas le pouvoir de transformer un renseignant en prévenu » (Procès Chebeya, 2010).

7. L’adaptation de la parole

L’adaptation de la parole est attestée à travers les interventions enregistrées lors d’un procès en audience publique. Elle renvoie à toute interaction interpersonnelle (HAMERS, J-F, et BLANC, M., Op.cit., p.183).
Lorsque le magistrat s’adresse à son interlocuteur, il utilise un langage que ce dernier doit comprendre. Avec un avocat ou un défenseur judiciaire, il fait usage d’un langage judicaire plein de termes techniques tirés du lexique juridique. Mais en échangeant avec un prévenu ou un témoin, il emploie un langage simple, adapté à son interlocuteur préalablement identifié. Avec les visiteurs, il fait recours à un registre familier du français ou d’une langue congolaise connue des interlocuteurs en présence.
Dans le procès Boteti, le prévenu Ilunga Kabuya Mbayo alias Moto ya Katanga a le choix de s’exprimer en lingala et les juges adaptent leur langage en fonction de cette langue pour une meilleure communication et une bonne compréhension des faits relatés. Ce cas est aussi enregistré dans le procès Chebeya lorsque le prévenu Blaise Mandiangu choisit le lingala comme langue de communication alors que les autres prévenus ont préféré s’exprimer en français.
Dans la communication judiciaire, l’adaptation de la parole vise à réduire la distance sociale entre les magistrats et les prévenus ou les témoins, d’une part et d’autre part entre les juges et leurs collaborateurs. Les statuts des interactants influent ainsi sur leurs comportements langagiers pendant l’audience publique.

8. Le choix de code

Hors audience ou pendant l’audience, les interactants choisissent les langues en fonction de leur appartenance ou non au même groupe social ou ethnique, à travers les relations de rôles qui s’établissent entre eux, en fonction du thème de leur entretien. Lorsqu’il s’agit des confidences, les interlocuteurs utilisent leur langue ethnique tandis que lors d’un procès en audience publique, pour des sujets touchant au droit, ils recourent soit au français, soit au lingala, soit au ciluba, soit au kikongo ou soit au kiswahili. Toutefois, lors de l’audience publique, ce choix peut être imposé par la loi.

9. L’alternance de codes

Il s’agit du « code-switching » : la séquence de discours en français alternant avec des séquences de discours en lingala ou en d’autres langues congolaises. Tel est le cas de ces énoncés produits par l’Officier de police judiciaire (Commissariat Point chaud, Intendance/UNIKIN) : « Je trouve qu’il faut un mandat d’amener, Mpo moto wana azali mobulu mingi. Esengi kaka ba mbila ya makasi. On doit l’amener maintenant ici » Il y a alternance entre le français et le lingala. De tels énoncés sont fréquemment actualisés par les interactants.
La situation de communication et le changement d’interlocuteur peuvent entrainer le changement du sujet de conversation et l’alternance de codes. Nous avons aussi noté des cas d’alternance de codes lorsque le choix initial du code n’a pas rencontré le besoin communicationnel des interlocuteurs. Un locuteur qui ouvre le dialogue en français par la salutation « bonjour » a recours au lingala lorsqu’il commence à exposer le problème à son interlocuteur. A l’inverse, l’auditeur change de code en réagissant au « bonjour » du locuteur. C’est souvent la langue de ce dernier qui est la langue de la communication. Réagissant aux propos du juge président, le prévenu Michel Mwila s’exprime en lingala : « Nazo koreconaitre yango te » (« Je ne le reconnais pas ») (procès Chebeya, 2010). L’emploi du lingala par le prévenu amène le juge président à utiliser cette langue : « Oza koreconaitre yango te ? » (« Tu ne le reconnais pas ? »).
Le même phénomène d’alternance de code est observé dans cet extrait de l’intervention de Monsieur Gomer Martel, de nationalité camerounaise, témoin au procès Chebeya : « A distance, j’ai aperçu au téléphone le Colonel Mukalayi. J’aperçois aussi deux personnes, l’une d’elles était Floribert, il avait la main droite sur l’escalier qui monte. Celle qui était à côté de lui me regardait. J’ai entendu derrière moi un policier qui criait et il m’a interpellé : « zonga zonga zonga, kokende kuna te. Général aza likolo. Soki akiti amoni bino eza mabe » (rentre rentre rentre, ne pars pas là-bas, le Général est en haut. S’il descend et qu’il vous voit, ce n’est pas bien) (Procès Chebeya, 2010).
Il est observé également dans la déclaration de Maître Richard Bondo, avocat de la partie civile : nous relevons le cas de mélange de codes : « Malheureusement, c’est un fugitif comme tous les criminels, c’est des lâches. C’est des véritables badinga, c’est eux. Les véritables badinga, mais prenez le courage, vous avez tué. Dites-moi, je suis elombe, je suis comme on dit dans ma langue, je suis Cilobo (tshilobo), je suis tshimankinda kanyenyi baluiji, c’est-à-dire moi j’affronte les adversités. Voilà un homme brave quand vous faites vos crimes là, prenez le courage et dire je vous ai tué. Soki oza mobali meka » (Procès Chebeya, 2010).

10. Le jeu de questions-réponses

Le jeu de questions-réponses ou l’interrogatoire est la stratégie la plus utilisée au parquet, lors de l’audition des justiciables et des témoins, lors de la verbalisation des prévenus et lors des débats en audience publique.
Voici comment procède ce magistrat lors d’un interrogatoire auquel est soumis un justiciable :
Q : Pouvez-vous nous dire votre nom, postnom et prénom, et indiquez votre état civil, votre adresse complète, votre lieu et date de naissance
R : Je m’appelle monsieur X. je suis marié, père de deux enfants, né en 1960 à Bandundu. J’habite sur l’avenue……… au n°……dans la commune de Lemba.
Q : Avez-vous des antécédents judiciaires connus ?
R : Non, aucun.
Q : Quel est l’objet de votre présence au parquet ?
R : Je viens me plaindre contre monsieur Y qui m’a escroqué 100.000 $ US, équivalent à mes carats de diamant obtenus en Angola. Il avait fui avec ici à Kinshasa, il y a 6 mois passés. Je réclame de me devoir mes carats de diamant ou les 100.000$ US. (Audition d’un prévenu au parquet de grande instance de Kinshasa- Matete).
Dans une autre séance d’audition, un officier de police judiciaire procède comme suit en interrogeant un prévenu :
Q : Pouvez-vous nous donner votre nom, votre adresse et nous dire ce que vous faites dans la vie ?
R : Je réponds au nom de Monsieur X, j’habite sur l’avenue… n°….. quartier…. commune de……. à Kinshasa, je suis vendeur au grand marché de Kinshasa.
Q : Avez-vous des antécédents judiciaires ?
R : Non
Q : Connaissez-vous Mr Y ?
R : Non, je ne le connais pas
Q : Quels rapports entretenez-vous ?
R : Aucun.
Q : Reconnaissez-vous avoir été la nuit du 15 octobre 2004 chez Mr X ?
R : Je n’ai jamais été chez Mr X, je ne connais même pas chez lui. (Audition d’un prévenu au Commissariat de la Police/Grand marché de Kinshasa).
Le procès-verbal de comparution ci-dessous constitue aussi une illustration de cette stratégie : « L’an deux mille neuf, le deuxième jour du mois de juillet, devant nous ; Baba-Ilunga, OMP près le T.G.I/Matete, nous trouvant à notre cabinet, a comparu la nommée Nginamau-Ndombasi, de nationalité congolaise, née à Ngombe- Matadi, le 23/03/1980, fils de Ngimanau-Claude (en vie ) et de Mafuta Elisée (en vie), étudiante en 2ème Graduat/Lettres/Unikin, célibataire, originaire du village de Ntimasi, secteur de Ntimasi, territoire de Mbanza-Ngungu, District des Cataractes, province du Bas-Congo domicilié sur l’avenue Mongala, n° 82, Q, de l’école commune de Lemba, laquelle répond à nos questions en Lingala, langue de son choix , que nous traduisons en français, comme suit :
Q. Avez-vous des antécédents judiciaires connus ?
R : Aucun
Q. Connaissez-vous le nommé Bompaka-Zanga Emmanuel, si Oui, comment l’avez-vous connu ?
R/ Oui, je le connais parce que nous partagions la même parcelle et nos portes sont voisines.
Q. Le sieur Bompaka –Zanga Emmanuel vous accuse d’avoir proféré des injures telles que : « Ozali Ndumba, pauvre et impudique ». Reconnaissez-vous ses accusations.
R/ Je ne reconnais rien de toutes les accusations parce qu’il y a un mois passé j’étais en voyage au Bas-Congo et je constate qu’il n’a même pas donné la date à laquelle ces injures lui ont été proférées.
Q. Comme vous voulez savoir à quand remonte ces injures, je souhaite interrompre votre comparution et la reprendre dans deux jours.
Q. Avez-vous autre chose à ajouter ?
R/ Rien, toutefois j’exige aussi qu’il amène des témoins qui peuvent témoigner contre moi ». (P.G.I/ Matete Pro-Justitia RMP 50493/ PRO 23/ 09/BAM).
Par des réponses qu’il donne, le prévenu apporte des informations qui déclenchent l’action judiciaire. Si le langage est clair et précis, les faits sont aussi bien établis et la juridiction a la facilité de poursuivre la procédure.
Le magistrat opte pour la stratégie de jeu de questions- réponses dans la plupart des cas. Quant à l’avocat, qui défend la cause de son client, il élabore son discours (sa plaidoirie) comme l’anti-thèse de celui du magistrat ou du ministère public. Il procède par la récusation.

11. La récusation

Celle-ci consiste en l’argumentation contraire à celle du magistrat, en ce sens que l’avocat développe un discours tendant à ruiner la thèse du juge. S’appuyant sur des arguments juridiques, il rejette ou requalifie les infractions désignées par le juge ou le magistrat- instructeur, comme l’atteste l’extrait de la plaidoirie suivante : « Attendu qu’il est vrai qu’en date du 20 août 2004, un contrat fut signé entre mon client et les deux derniers défendeurs ayant eu pour objet la location d’un magasin érigé pour le plaidant dans la parcelle appartenant au premier défendeur ; exécution sans faille de ses obligations contractuelles, les défendeurs foulent systématiquement au pied le contrat signé par leurs propres mains. Attendu qu’en surabondance, le plaidant a construit le magasin en matériaux durables, sachant qu’il exploitera les lieux pendant 5 ans et 8 mois, selon l’esprit du contrat (article 6 du contrat de bail). Attendu que l’article 82 de la loi précitée nous renseigne : « la condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une de deux parties ne satisfait point à son engagement… ». Qu’il ne fait l’ombre d’aucun doute qu’effectivement les défendeurs en tant que parties au contrat n’ont pas rempli leurs obligations de laisser jouissance paisible de la chose louée, jusqu’à fermer à clefs le magasin loué par mon client. Qu’à ce jour, les lieux sont occupés par une tierce personne placée par les défendeurs, en violation flagrante des accords qui lient les parties. Attendu que le comportement des défendeurs a terni l’image de marque du plaignant (client) en sa qualité d’homme d’affaires, cela nécessite ample réparation pour cicatriser tant soit peu les blessures causées par les défendeurs ; conformément à l’article 258 du code civil.
- Dire l’action recevable et fondée ;
- Dire la sommation de conclure régulière ;
- Commettre un expert en vue d’évaluer la valeur vénale de l’immeuble érigé par le plaidant ;
- Condamner les défendeurs in solidum ou l’un à défaut des autres au remboursement de la garantie locative de 10.000 dollars américains.
- Condamner solidairement ou l’un à défaut des autres au paiement de 50000 dollars américains des dommages intérêts pour tous préjudices confondus ». (Plaidoirie Conseil Maître Patrick Lelu, dans l’affaire RECODI enregistrée sous R.C 91.408 par le tribunal de commerce de Kinshasa-Gombe).
Une partie au procès peut, par ailleurs, récuser un juge qu’elle identifie comme ayant parti pris avec la partie adverse, c’est-à-dire un juge partial, afin que la juridiction concernée la remplace par un autre.

12. L’interprétation

Le recours à l’interprète dans la pratique judiciaire est autorisé par la loi. L’interprétation du message a lieu lorsqu’un justiciable choisit de s’exprimer dans une langue congolaise en pleine audience. On procède de ce fait à la désignation d’un interprète, locuteur bilingue du français et de la langue congolaise utilisée par le justiciable.
L’interprétation implique la traduction orale ou écrite des déclarations des justiciables ou des témoins qui comparaissent. Dans le procès de l’enfant Mawama Jadot, l’Avocat Tony Mwanza Katuala (2010 : 123-126) interprète une disposition légale en rapport avec la loi portant protection de l’enfant: « Attendu qu’en plus des éléments ci-dessus analysés, le vol requiert aussi des éléments intellectuels, lesquels sont constitués par la propriété d’autrui sur la chose volée et par l’intention frauduleuse. Que cette dernière est triplement caractérisée, à savoir, la connaissance de la propriété d’autrui, la connaissance du défaut de consentement du propriétaire et enfin le fait de se comporter ou d’user de la chose comme un propriétaire.
Que le vol ainsi défini est dit aggravé lorsque sa perpétuation s’est accompagnée des circonstances qualifiées d’aggravantes par la loi telle que la nuit dans une maison habitée ou ses dépendances.
Attendu qu’en l’espèce, il découle de l‘instruction à l’audience à huit clos du 6.11.2009, que l’enfant en conflit avec la loi précitée reconnaît en globalité les faits mis à sa charge, en avouant s’être introduit la nuit dans une maison habitée pour le motif susévoqué.
Que dans le cas d’espèce, le tribunal de céans est d’avis que l’intention frauduleuse est patente dans le chef dudit enfant, car il apporte des déclarations faites par ce dernier à l’audience à huit clos du 6.11.2009, qu’il savait bien qu’il rentrait dans une maison d’autrui pour y voler les biens mobiliers s’y trouvant. Que cette intention frauduleuse est davantage claire parce qu’attrapé en flagrant délit.
Que tout ce qui précède, l’infraction de tentative de vol qualifié étant établie en fait comme en droit, le tribunal de céans réprimandera l’enfant Mawama Jadot et le rendra à sa mère biologique nommée Tadila Mireille, et ordonnera à cette dernière de mieux le surveiller à l’avenir.
Attendu que les faits d’instance seront mis à charge de la civilement responsable susnommée.
J’ose croire que le tribunal avant de prendre sa décision avait pris le soin de solliciter une enquête auprès des services sociaux pour savoir si l’enfant en conflit avec la loi, le nommé Mawama Jadot, était à son premier coup pour le rendre à sa mère afin de le surveiller. Cependant, s’il en est à son unième coup, je dirai que le tribunal a mal dit le droit parce qu’un tel enfant serait devenu un danger pour la société.
Dans ces circonstances, le tribunal aurait dû le mettre dans un établissement de garde et d’éducation de l’Etat pour une période ne dépassant pas sa dix-huitième année d’âge. Et même prolonger cette mesure pour un terme qui ne peut dépasser sa vingt-deuxième année d’âge » (RED 0475/II du 2/12/2009, en cause l’enfant Mawama Jadot en conflit avec la loi, pour tentative de vol qualifié, Tribunal de paix de Kinshasa/N’djili).
Dans l’affaire de l’enfant Reagan Kapetula en complicité avec ses amis comparaissant, au premier degré, au Tribunal de paix de Kinshasa/Gombe en matière d’enfance en conflit avec la loi, K.T. Mwanza (op.cit. : 126-128) procède à l’interprétation ci-dessous :« Attendu que faisant application de l’article 1/3 de la loi n°09/00 1 du 10 janvier 2009 portant protection de l’enfant, le Tribunal le confiera à un couple de bonne moralité pour une période ne dépassant pas son dix-huitième année d’âge.
Je pense que le Tribunal a bien dit le droit parce que si un mineur devient capable de surmonter sa peur et de pénétrer dans une maison d’autrui afin de voler des biens et de surcroit blesser quelqu’un par un instrument, il est de bon droit et surtout pour sa réintégration, entre autres en le confiant à un couple de bonne moralité pour une période ne dépassant pas sa dix-huitième année d ‘âge sous la supervision d’un Assistant Social désigné par le tribunal de céans » (Affaire enfant Reagan Kapetula et consort, Kinshasa-Gombe, RED 597/XII du 17/06/2009, pour vol et coups et blessures).

13. La traduction

La traduction s’effectue d’une langue à une autre : les paroles d’un prévenu sont traduites dans une langue intelligible, rendant les messages compréhensibles afin d’éclairer l’agent verbalisateur. En pleine audience, des procès en lingala sont traduits en français par écrit. Au nombre des agents verbalisateurs se comptent les officiers de police judiciaire, les officiers du ministère public, les agents de la police judiciaire ou les agents de la police administrative des parquets et les magistrats instructeurs. La traduction peut aussi être faite par les greffiers.
Le magistrat instructeur utilise cette stratégie lorsqu’il rédige les procès - verbaux d’audition ou de confrontation à l’issue des déclarations faites en lingala par les personnes qui comparaissent devant lui. L’extrait suivant est tiré du procès Boteti :

En Lingala
Q. Kombo na yo nani ?
R. KABUYA MBAYO, carte na nga pe ebungaki.
Q. Pesa Kombo nayo mobimba ?
R. Nde Kombo na nga ILUNGA KABUYA.
Q. Babengaka yo nani na baninga na yo?
R. MBAYO nde kombo ya Papa na mama bayebi.
Q. Bongo ILUNGA kombo ya nani?
R. Ngayi moko ILUNGA KABUYA, kombo ya kati.
Q. MBAYO kombo ya wapi?
R. Ya libanda, neti boye, moto tout akobenga ngayi kaka MBAYO.
Q. Kombo mosusu, alias nani?
R. Nga, alias MBAYO.
Q. Ba bengaka yo MBAYO?
R. Boye.
Q. Oza soda, oza militaire ?
R. Te, naza civil.
Q. Osalaka nini ?
R. Nasokolaka mituka.
Q. Oyaki awa kosala nini ?
R. Awa toyaki, tolandaki Papa.
Q. Papa na yo azalaki kosala nini ?
R. Azalaki soda.

Traduction en langue française
Q. Quel est ton nom ?
R. Kabuya Mbayo, ma carte d’identité est aussi perdue.
Q. Donne ton nom en entier ?
R. C’est mon nom : Ilunga Kabuya.
Q. Comment tes amis t’appellent-ils ?
R. Mbayo, c’est le nom que Papa et maman connaissent.
Q. Et Ilunga, c’est le nom de qui ?
R. C’est moi-même Ilunga Kabuya, mon vrai nom, du dedans.
Q. Mbayo, d’où provient ce nom ?
R. Du dehors, comme ça, tout le monde m’appelle seulement Mbayo.
Q. L’autre nom, alias qui ?
R. Moi, alias Mbayo.
Q. On t’appelle Mbayo ?
R. Oui.
Q. Es-tu soldat ou militaire ?
R. Non, je suis civil.
Q. Que fais-tu ?
R. Je lave les véhicules.
Q. Tu es venu faire quoi à Kinshasa ?
R. Ici, nous sommes venus suivre notre papa.
Q. Que faisait ton papa ?
R. Il était soldat. (Procès Boteti).

Conclusion

Au terme de cette étude, il ressort que les interactants font essentiellement recours au dialogue, à l’entretien, à l’alternance codique, à la récusation, à la réplique, à l’évocation et à l’adaptation de la parole. Le jeu des questions-réponses est aussi un exercice très fréquent en procédure judiciaire. Les magistrats et les officiers de police judiciaire soumettent les prévenus à cet exercice pour découvrir les vérités et les contradictions se trouvant dans leurs déclarations. A ces stratégies s’ajoutent l’interprétation et la traduction, stratégies auxquelles recourent les agents verbalisateurs pour appréhender les faits relatés par les prévenus. La traduction des déclarations des prévenus se fait souvent du lingala en français. Les déclarations ainsi traduites sont relues à l’intention des déclarants qui doivent certifier que la traduction est conforme à la déclaration proprement dite. Quant à l’interprétation, elle exige la présence d’un spécialiste en interprétariat. Concernant les textes juridiques, le juge procède séance tenante à l’interprétation de la loi pour étayer ses arguments, cela vaut aussi pour le ministère public et pour les avocats.
Ainsi donc, dans leurs échanges, les interactants utilisent les langues pour présenter les faits, pour argumenter et pour se défendre. Quelle que soit la langue utilisée, ils recourent à des stratégies langagières pour communiquer efficacement.

Par Willy KUZAMBA KIABWA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024