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1. Condensé du roman

Golia Sissarsal Pawuni est le protagoniste du roman. Il fut retenu Assistant dans une Université de la place en Sciences économiques où sa nomination avait fait l’objet de rudes contestations pour n’avoir pas répondu au critère requis. Mais il a pu s’intégrer dans le giron académique à travers ses prestations qui adoucirent la furie de ses détracteurs. Le professeur auprès de qui il avait été affecté comme Assistant de premier mandat fut promu Secrétaire d’Etat au Budget dans un gouvernement de la République où il amena ce dernier dans son cabinet politique au sein duquel il occupa le poste prestigieux de Directeur de cabinet. Opérant un choix judicieux, Golia Sissarsal Pawuni se consacra au cabinet, au grand dam de l’Université. Restant fidèle à sa dulcinée Paula Nawej Pawuni, la fille du Recteur de l’Université où il avait été recruté par des moyens retors, Golia s’est décidé de la prendre en mariage canonique. Le couple au bout de quelques années de cohabitation engrangea trois enfants avant le simulacre divorce que son fidèle ami d’enfance Obra Bariki Wij ourdi pour épargner le couple des conspirations des antagonistes politiques de son cher époux. Son alter ego Obra Bariki féru de la politique et dompteur indéniable des arcanes majeurs du monde politique fit un scénario d’infidélité conjugale pour déjouer une cabale montée contre la maisonnée de son ami Golia, qui du reste, obnubilé par ses ambitions politiques s’emparait de toute opportunité politique pour assurer son avenir politique. Les échéances électorales arrivèrent au terme d’un septennat calamiteux, tous les Partis politiques en ébullition mobilisèrent leurs états-majors respectifs pour aligner leurs candidats aux postes ciblés, et Golia fut désigné pour représenter le CAYU à la présidentielle de 2024 où il caracolait en tête des sondages recueillis à l’issue d’un duel politique au cours duquel son rival qui a ruiné le pays durant son septennat avait été battu à plate couture. Golia, de son pseudonyme L’As, criblé d’arguments péremptoires assortis d’une réflexion topique sur la situation qui gangrène le pays, a su mobiliser des grappes d’électeurs indomptables qui l’ont hissé sur le mât de la patrie et aidé dans ses péripéties politiques par son indéfectible ami Obra Bariki, qui est devenu son premier ministre. L’investiture eut lieu en présence de son épouse Paula Nawej avec qui il se sont finalement réconcilié et d’une myriade de membres du CAYU. L’As qui n’en croyait pas ses yeux l’effectivité de cet événement politique de haute facture, trépignait des pieds. Cet événement solennel provoqua ostensiblement en lui une tachycardie que dissimulait à peine son gilet pare-balles, et une exsudation qui perlait sur son visage en dépit de l’air frais qui recouvrait la salle du Palais de la Patrie où se déroulait la cérémonie d’investiture et ce, sous le regard anxieux de ses proches. Cependant, Golia fut à la hauteur de la Magistrature suprême en relevant son pays du gouffre abyssal où une misère noire faisait partie du train-train quotidien de la population et parvint à assurer une prospérité indescriptible qui conféra au pays sa dignité voulue.

2. Elucidation du concept Sociocritique

Kabombo Wadi, que Prosper Gubarika en épigone mentionne de façon itérative dans son ouvrage magistral, a concocté, à la suite de Claude Duchet, une scolie quasi plausible de la grille d’analyse sociocritique, où il énonce la poétique d’une démarche sociocritique authentique agencée autour des quatre axes principaux suivants :
- la lecture immanente du texte en étude,
- la quête de la socialité comme clé de voûte dans cette démarche sociocritique,
- l’historicité servant de repérage assouplit la fiction,
- l’idéologie que sous-tend l’intrigue.
Cependant, Kabombo Wadi alerte le chercheur potentiel à l’usage de cette grille d’analyse qui n’est certes pas un mémento figé ou dogmatique, dont on ne peut nullement se dérober. Mais un outil à prendre pour fil d’Ariane, en vue d’arrimer sans tergiverser les étapes majeures que préconisent la lecture sociocritique dans la perspective envisagée de l’analyse littéraire. Certes, l’articulation de la cohérence et de l’unicité, qui caractérisent les recherches antérieures relatives au schéma proposé, à appliquer mutatis mutandis, rassurent les prosélytes et confortent les aguerris qui se dévouent à la sociocritique. Dans cette lancée, Claude Duchet définit la sociocritique :
« Au sens restreint, la sociocritique vise d’abord le texte. Elle est même une lecture immanente en ce sens qu’elle reprend à son compte cette notion de texte élaborée par la critique formelle et l’avalise comme objet d’étude prioritaire. Mais la finalité est différente, puisque l’intention et la stratégie de la sociocritique sont de restituer au texte des formalistes sa teneur sociale. L’enjeu, c’est ce qui est en oeuvre dans le texte, soit un rapport au monde. »4 ( Sociocritique, 1979, p.215)
Dans la mesure où la sociocritique cherche à restituer au texte des formalistes sa teneur sociale et où elle considère que le texte est marqué par la société qui l’a vu naître, elle s’emploie à repérer dans le texte les traces de la société (réelle) dans laquelle il est né. Ces traces peuvent apparaître aussi bien au niveau des faits décrits, relatés ou évoqués (le sujet de l’oeuvre) qu’à ceux du cadre dans lequel ces faits sont inscrits et des personnages par lesquels ces faits sont venus.

3. Découpage textuel

Le découpage textuel que prévoit l’herméneutique de la sociocritique permet aux critiques littéraires de dominer le texte pour une appréhension globale et exhaustive des instances narratives dudit texte.

Tableau no 1

N0

TITRE

PAGE

 1

Première partie : « La Trempe »

13-51

2

L’Aube

15-27

3

Le Zénith 

27-49

4

La Déglingue

51-58

4

Deuxième partie : « L’Emergence »

59-106

5

La Toile cirée

61-72

6

L’Eclat

73-106

7

Troisième partie : « Le Fauteuil »

107-138

8

La fièvre

109-116

9

L’Investiture

117-127

10

La fin d’un rêve éveillé

129-138

4. Première partie : « La Trempe »
4.1. L’Aube

La Trempe, l’Emergence et Le Fauteuil, ces mantras inséparables constituent les piliers de l’intrigue du roman. Ils retracent le destin du héros depuis le début jusqu’au dénouement de la trame. L’Aube, comme l’indique le titre de la première séquence que comporte la première partie des trois autres, décrit le parcours académique de L’As rassis à l’Université où il avait été finalement retenu comme Assistant grâce à la recommandation du Recteur qui était le père de sa future épouse Paula Nawej. Leur mariage avait été qualifié de raison par ses détracteurs :
« La collation des grades académiques passée, leurs appréhensions se confirmèrent : Golia Pawuni Sissarsal était nommé Assistant, alors qu’il ne remplissait aucune condition exigée, notamment celle d’avoir réussi avec la mention ‘distinction’ à l’ensemble des épreuves. Son dossier avait été parachuté d’en haut. Un ordre ultime l’accompagna, défiant toute procédure en la matière :’Toute affaire cessante, veuillez trouver bonne issue à ce dossier et m’en faire immédiatement rapport.’ Le chef avait parlé.» (L’As rassis, 2017, p.24).
Ces pratiques sont très en vogue dans nos milieux universitaires où le népotisme, le chancre de la corruption, le clivage ethnico-tribal, les évaluations effectuées sur base d’inclinations salaces et d’autres vices aussi pernicieux que ceux que nous venons d’épingler rongent horriblement les valeurs fondamentales sur lesquelles devaient s’établir nos institutions universitaires. Certes, l’hirondelle ne fait pas le printemps, mais cet exemple concret tiré du lot illustre effectivement le climat morose qui règne dans nos institutions et ce, en dépit de tout effort de redressement que déploient les honnêtes gens qui ont échappé à la souillure.
Cette séquence qui paraît comme une excroissance à la thématique du roman nous permet d’appréhender la posture de l’auteur, qui en irréductible défenseur des valeurs, dénote la vie de cette microstructure pour démontrer que la paupérisation généralisée a engendré des conséquences néfastes qui affectent forcément les valeurs intrinsèques de toute la structure communautaire. Mais l’on doit admettre qu’à travers cette action, l’auteur cerne l’horizon d’attente du lecteur à partir de celui du héros principal. Les cas sont légion, cependant l’auteur évoque celui-là pour dénoncer les tares qui corrodent nos institutions d’enseignement dans le souci de mobiliser la conscience collective afin de colmater les brèches en extirpant ce qui pourra l’être. Dans le cas du héros qui n’a pas été nonchalant, malgré le moyen retors par lequel il est parvenu à ce statut, l’auteur à travers ce réquisitoire contre les abus, nous invite à ne pas nous résigner à cette dérive de valeurs qui n’est certes pas une fatalité.

4.2 Le Zénith

Mokoha Monga Adogo estime que :
« L’oeuvre littéraire étant une bouteille à la mer et d’essence polysémique, elle implique d’autres herméneutiques dans sa compréhension. » (Méthodologie de la Recherche en Littérature, 2020, p.28)
En littérature, toute exploration serait agréée, pourvu que ce soit étayé d’arguments littéraires plausibles. Et dans cette perspective, l’on peut dire que c’est cette dimension poétique d’interprétation qui ranime les oeuvres littéraires et provoque leur progrès en les mettant à l’abri de toute forme d’extinction ou d’obsolescence serait de mise. En effet, l’oeuvre littéraire se perpétue à travers les multiples interprétations que bien des chercheurs initient selon le problème soulevé. Pour étayer cette assertion Prosper Gubarika dira même que le texte littéraire est élaboration :
« Si, comme l’ont soutenu certains sociologues de la littérature, il est l’oeuvre du groupe social dont est issu l’écrivain, le génie de ce dernier ne saurait être aussi simplement nié, voire renié dans cette entreprise scripturale. Et dans le texte qu’il produit, à l’issue du travail conscient d’insertion ou d’inscription du social, tout signifiant est digne de lecture. » (De Claude Duchet à Nous, 2021, p.164)
S’agissant du roman L’As rassis, il est vrai que ce roman baigne dans l’esprit désabusé de la société où la politique fut un outil d’oppression de la population. En effet, L’As rassis porte principalement sur l’exercice du pouvoir politique. L’auteur par des paroles laudatrices encense le personnage principal qui est doué d’atouts indescriptibles qui le placent à la hauteur des défis auxquels il sera forcément confronté pour répondre aux doléances du peuple.
En effet, Le Zénith décrit le stade où l’auteur s’établit fermement sur la scène politique en conquérant sûr du pouvoir. Il est Secrétaire Général du CAYU et jouit d’un soutien indéfectible de la majorité de ses membres et adulé de l’opinion générale. Son programme de société affriolant, son arsenal idéologique et sa prestance en politique ont soudoyé même ses détracteurs qui, sans être versatiles, ont finalement résolu de jeter leur dévolu sur Golia : « Son programme politique captiva la masse des citoyens désoeuvrés, handicapés, sans logis, élèves et étudiants, etc. Tout à fait à la Césaire, il se promettait d’être’ la bouche de ceux qui n’ont pas de bouche.’ Il était le seul qui promit de résorber le chômage, pas avec des mots, bien sûr, mais avec des palpables. Le seul qui s’engagea à revisiter, sans délai, de fond en comble notre système éducatif, de la maternelle à l’université ! Trois piliers à ce merveilleux agenda social : l’éducation, la justice et la santé !» (L’As rassis, 2017, p.46-47).
Le roman peint un paysage politique où deux forces s’affrontent pour conquérir le pouvoir, et les conjonctures politiques dans le roman placent Golia, le personnage central, dans une posture favorable pour la conquête du pouvoir. Il faut noter, par ailleurs, que l’auteur en fin potier réajuste adroitement les articulations de son roman de telle manière que le déroulement de l’intrigue réponde pertinemment au titre, le cas sui generis de Le Zénith qui signifie le point culminant ou l’acmé qui marque dans ce roman l’apothéose dans le giron politique du personnage principal Golia, en l’occurrence. Il faudra signaler aussi que cette séquence est traversée en grande partie par les déboires que le couple avait connus.

4.3 La Déglingue

Sidéré par l’exploitation sournoise que subissait le peuple de la société romanesque et par le comportement de son rival politique Raji Ata Bakutuba, ancré à servir plus ses propres intérêts qu’à émanciper le peuple du carcan de la misère, Golia décriant, ces tares politiques, prit la ferme résolution de s’engager pour la restauration de la justice et de la liberté, deux piliers de la démocratie :
« Notre pays est un grand chantier, à ciel ouvert. Il suffit de mettre les gens au travail et de bien les rémunérer pour matérialiser 2023, ici et aujourd’hui. Evidemment pas exactement à la manière de Toussaint Louverture et de sa Citadelle, en Haïti !» (L’AS rassis, 2017, p.47).
Pour la plupart des hommes politiques africains, l’exercice du pouvoir politique est quête d’opulence, d’orgie, de lascivité. Et tous ces vices subvertissent les valeurs politiques en asservissant les gouvernants qui sont portés vers des dérives inexorables à telle enseigne qu’il ne se soucient plus de la destinée des nations sur lesquelles ils sont établis. D’où une sorte de vampirisation des sociétés africaines orchestrée par des tenants du pouvoir qui sont souvent revêtus d’allures de prédateurs du peuple. Nous sommes tenté, par ailleurs, d’affirmer que l’auteur a déduit la thématique de son roman des faits réels qui sont très en vogue dans nos sociétés actuelles, mais embellis par le pinceau ou la plume de l’habile écrivain qui recourt au raffinement du style que consacre les options narratives mises en relief.
L’on peut dire également, que cette partie des trois premières séquences du roman, légitime la déconfiture politique de Golia qui serait un candidat favori et doté d’atouts requis pour résorber les crises farouches qui rongent les sociétés réelles via celle du roman :
« Au quatrième jour du début de la troisième semaine, sur la bande défilante de la chaîne nationale, on annonça la publication des résultats des suffrages pour minuit, l’heure des sorciers de l’avenue Ntontila, à Selembao ! A quelques minutes passées de l’heure H, clignota sur l’écran, après le décompte et le dévoilement complet du tricolore, la photo et le nom du vainqueur : Rajib ATA BAKUTUBA, 50,9 des suffrages. Elections caviardées à cent pour cent ! » (L’As rassis, 2017, p.55).
Généralement, en Afrique, ce ne sont pas les autochtones ou aborigènes qui élisent leurs dirigeants. Dans cette parodie d’élections où la communauté internationale s’immisce pour créditer les résultats des urnes selon le choix qu’ils auraient déjà opéré sur leur guignol, cette fameuse communauté internationale achète sans vergogne les élections par le travestissement d’un financement alloué à l’organisation des scrutins à l’issue duquel leur dauphin, désigné dans le Parti de l’opposition, devra être plébiscité afin de pérenniser leur hégémonie dans la gestion des nations au grand dam des peuples.
L’auteur peint cette tragédie politique pour fustiger cette escroquerie politique au sommet de l’Etat, qui serait préjudiciable au peuple. Dans le roman, la conquête illicite et imméritée du pouvoir par Rajik ATA BAKUTUBA à travers un simulacre d’élection illustre bien la situation politique en Afrique où les élections sont extraverties. Par ailleurs, La description des élections que l’écrivain établit dans L’As rassis est quasi réelle de telle manière que la fiction que véhicule l’intrigue du roman s’effrite et les allusions récurrentes à l’histoire politique réelle accréditent l’ancrage social qui constitue la toile de fond du roman.

5. Deuxième partie : « L’émergence »
5.1. La toile cirée

Après cette fraude gigantesque par laquelle Rajik ATA BAKUTUBA fut élu président de la République, Golia le protagoniste fait un recule dans son Parti CAYU pour organiser les prochains assauts politiques. Cependant, il faut signaler que les deux séquences de la deuxième partie sont empreintes de vaticination. Ces deux séquences qui englobent, en effet, l’ensemble du roman sont consacrées à la fiction onirique qui présageait des perspectives politiques radieuses pour Golia Sirssal Pawuni dans son projet relatif à la conquête du pouvoir par les élections :
« Ecrire ou réécrire la belle histoire de l’Afrique, par les Africains eux-mêmes, comme le prophétisait P.E. Lumumba, était aussi se rendre à l’évidence des facéties extérieures, de l’omniprésence et de la fétidité toujours croissante de ‘l’Odeur du Père’ ! » (L’As rassis, 2017, p.71).
Après les péripéties électorales, dont le pouvoir avait été confisqué, le narrateur décrit un moment de sérénité pendant lequel Golia et son parti CAYU affutent leurs armes pour reconquérir le pouvoir que les simulacres élections avaient confié à Rajik ATA BAKUTUBA. Aux grands maux que galvanisaient les fieffés tribalistes et les démagogues patentés de la société via celle du roman convenait le remède que proposait le programme du CAYU de Golia. C’est ici où l’on pourra encore certifier que les faits relevés dans la société romanesque renvoient ipso facto aux faits que connaissent bien des sociétés africaines. Dans ce cadre, nous estimons que le spéculaire étant irréversible, l’auteur transpose les événements politiques de la société réelle dans celle du roman. Pour preuve, les personnages de L’As rassis s’inscrivent dans le contexte socio-politique propre aux réalités que connaissent nos sociétés. Les élections en Afrique sont sources des crises politiques qui dégénèrent souvent en mouvements subversifs, voire même en insurrection.

5.2. L’éclat

Du titre, l’on peut retenir l’ascension fulgurante et l’ambitieux programme réaliste de Golia Pawuni Sissarsal :
« La République avait besoin, pour son redressement, d’une bonne dose de dictature, bon sang ! Il en était convaincu et le prêchait au parti. Pas toutes celles que vous avez connues et magnifiées : abêtissantes, réifiantes, déshumanisantes, carnavalesques. Une ’dictature de l’amour’ qui oblige au Travail, à la justice et à la Paix, pour le développement national. Cette République-là devait visualiser l’image d’un nouveau chef qui sache mettre en valeur les vertus de la carotte et du bâton !» (L’As rassis, 2017, p.74).
La société de l’oeuvre que l’auteur porte aux devants de la scène maintient quasiment la configuration bipolaire que nous donnent à voir toutes les sociétés africaines, exceptées quelques-unes dont la proportion de cette fissiparité serait infime. D’un côté, il y a les proches du parti autocratique que coiffe Rajik ATA Bakutuba, président élu aux premières présidentielles, et de l’autre, on retrouve des indigents, mais surtout de gens qui aspirent éperdument à la liberté et à l’égalité des rétributions et des opportunités que les gouvernants offrent à leur peuple. Golia est un des leurs.

6. Troisième partie : « Le fauteuil »
6.1. La fièvre

Cette partie est le summum de l’intrigue où le CAYU vient de remporter les élections à une majorité époustouflante :
« L’investiture du Président Golia Pawuni Sissarsal fut des plus magistrales, en présence de tous les ‘grands’ bonshommes de ce monde. Elle le fut davantage pour sa haute signification que pour le faste. Une première en Afrique Centrale !» (L’As rassis, 2017, p. 112).
Lorsqu’on se réfère à l’herméneutique de la sociocritique, certains extraits du texte nous permettent d’établir des homologies structurelles entre la société romanesque ou fictive et la société réelle. Il n’est toujours pas aisé de situer la société réelle à laquelle se rapporte la société romanesque, c’est là que nous sommes en butte, d’autant plus que les allusions sporadiques auxquelles l’écrivain nous renvoie ne sont pas suffisamment consistantes pour aboutir à une telle déduction. Cependant, nous sommes fort tenté d’assimiler la société démiurgique à la République démocratique du Congo dont une série d’éléments du texte évoque subrepticement les péripéties électorales qui ont eu lieu dans ce pays après le régime tyrannique que le Marechal avait instauré durant trois décennies :
« Quoique tu fasses, quoique tu donnes, quoique tu entreprennes ! C’est exactement la même chose. On entendra toujours dire, comme à Kinshasa, RDC :’Bakonzi batalela biso naino likambo oyo !’ rappel de la responsabilité. » (L’As rassis, 2017, p.81-82).
Mais, l’écrivain a tellement occulté les faits qu’il serait hardi de conclure à la décalcomanie de la société réelle. Ces événements historiques romancés augurent l’optimisme de l’avenir que porte le peuple et ce, en dépit des embarras présents.
La fièvre, c’est le titre que porte cette séquence dont Golia Pawuni, le personnage principal, porte l’étendard du CAYU aux présidentielles. Cette fièvre traduit l’immense responsabilité qui incombe à Golia Pawuni à l’issue de son élection à la magistrature suprême. Il serait opportun de rappeler que le récit de ce roman se déroule en 2024, le temps de la narration devient ici un enjeu poétique et ne permet pas toute déduction qui serait pernicieuse dans ce cas. Nous avons relevé précédemment que cet anachronisme brouille les cartes et opacifie la compréhension. En effet, dans ce roman, le temps est dénué de toute chronologie austère et se manifeste à travers une datation prémonitoire. En dépit de similitudes que nous avons pu relever entre la société romanesque et la société réelle, notamment la RDC, l’écrivain idéalise ce que sera la société réelle en 2024, où les dirigeants crédibles seront élus pour un septennat prospère.

6.2. L’investiture

Jean Nsonsa Vinda, ce docte africain, dans une réflexion sur les conflits postélectoraux de 2006-2011 qui ont échaudé les Congolais, en particulier, et la manière dont les élections se déroulent en Afrique, en général, estime que :
« S’il n’y a pas une alternance démocratique, la voie est alors ouverte à une dictature qui, comme par le passé, risque de n’être qu’un suppôt des multinationales ou l’impérialisme collectif de certaines puissances qui ne cessent de conspirer contre les intérêts des Congolais. » (Les élections en RD du Congo, 2016, p.8).
Certes, l’enjeu des élections est de faire émerger les aspirations du peuple à travers le choix de celle ou celui qu’il croit capable d’être à la hauteur de grands défis de la Patrie. Golia Pawuni l’est après avoir été forgé par une trajectoire parsemée d’embuches. Il est parvenu en funambule sur le mât. Les élections caviardées à l’issue desquelles Obra Bariki Wij avait été plébiscité sont englouties dans les souvenirs d’anthologie. Golia Pawuni, qui est une figure emblématique de cette affabulation, préfigure le prototype d’hommes d’Etat dont l’Afrique a bougrement besoin pour sa prospérité.

6.3 La fin d’un rêve éveillé

Dans la terminologie marxiste, l’idéologie réfère à un :
« Ensemble des idées, des croyances propres à une époque, à une société, ou à une classe. » (De Claude Duchet à Nous, 2021, p.18).
Après avoir été accusé de crime de péculat et d’une gestion gabégique Rajib ATA Bakutuba fait ses aveux, nous avons échoué :
« Son septennat des oligarques prédateurs fut un vrai feu follet, un désastre pour la République. Et ce crime-là avait profité à sa famille, ses soudards et thuriféraires » (L’As rassis, 2017, p.101).
Golia Pawuni Sissarsal est le véritable personnage principal du roman, qui porte son nom, L’As rassis. L’As qui est resté débout sans répit en quête légitime du pouvoir, pourra maintenant se rassoir, d’où L’As rassis. A l’abri de tout triomphalisme fat, Golia Pawuni Sissarsal procède à l’autopsie de son pays et il est conscient de l’immense espoir que le peuple fonde sur son dévouement patriotique.
Dans le domaine social, le nouvel élu démoli les oligarchies économiques et les pratiques oligopolistiques qui assommaient le peuple. Des changements radicaux furent opérés, le secteur de l’eau et de l’électricité est réhabilité, les contrats léonins dans le secteur d’exploitation minière sont bannis, les infrastructures routières, ferroviaires, fluviales, aéroportuaires sont réaménagées, de même dans le secteur de l’éducation la gratuité est réfléchie et mise sur pied rationnellement et, enfin, l’Université qui est fortement politisée, parce que ce secteur en Afrique est infesté par l’emprise sclérosante de la politique, Golia créa une autonomie effective. Golia est l’archétype des dirigeants qui pourront sortir un jour l’Afrique de la gadoue et du paupérisme.

7. Idéologie

Concernant le repérage idéologique, qui est une étape cruciale dans l’analyse sociocritique, nous avons pu déceler de l’intrigue de L’As rassis les rémanences sous-jacentes à l’idéologie marxiste qui est définie, ici, comme étant la « la dictature du prolétariat ». Et l’on peut attester que toute oeuvre littéraire est imprégnée indéniablement d’une idéologie. Cependant, la nôtre serait empreinte de l’idéologie marxiste.
En effet, l’idéologie marxiste est établie essentiellement sur une lecture matérialiste de l’évolution de l’histoire. Ici, ce ne sont pas les idées qui sont primordiales, mais les conditions ergonomiques liées à l’évolution des modes de production et de la prépondérance matérielle. D’où l’idéologie serait une vision du monde non critique, une construction intellectuelle émanant de la fraction dominante de la société, et destinée à justifier l’ordre social existant.
Le profil du protagoniste que décrit le narrateur corrobore l’adhésion de ce dernier à l’idéologie marxiste, bien que cette adhésion soit tacite. Dès l’incipit, les thèses fondamentales de l’auteur apparaissent, en l’occurrence les élections politiques. C’est pourquoi il est impérieux, à cette étape d’analyse, de cerner dans la construction narrative les segments dominants qui sous-tendent le caractère idéologique marxiste :
« Un peu gauchisant, il n’avait, en réalité, rien oublié de l’idéologie marxiste, apprise à l’Université et dont il partageait les grandes lignes lumineuses. Il disait être un humaniste progressiste. » (L’As rassis, 2017, p.62).
Bien que les soubassements idéologiques du marxisme ne soient pas aisément perceptibles, nous allons colliger les extraits épars susceptibles de certifier le magma du marxisme dans l’oeuvre. L’extrait ci-dessus conforte nos allégations d’après lesquelles l’As rassis serait imprégnée de l’idéologie marxiste. Cette allusion de l’auteur à l’idéologie marxiste parait anodine, cependant elle dissipe non seulement toute ambiguïté sur l’idéologie qui se dégagerait du roman, mais résume, en quintessence, l’idéologie qui imprègne l’oeuvre.
Nous avons défini précédemment le marxisme comme étant la dictature du prolétariat, cet extrait de l’intrigue approuve nos allégations sur les perspectives marxisantes qui cristallisent l’idéologie enfouie dans le roman :
« La République avait besoin, pour son redressement, d’une bonne dose de dictature, bon sang ! Il en était convaincu et le prêchait au parti. Pas toutes celles que vous avez connues et magnifiées : abêtissantes, réifiantes, déshumanisantes, carnavalesques. Une ‘dictature de l’amour’ qui oblige au Travail, à la Justice et à la Paix, pour le développement national. » (L’As rassis, 2017, p.74)
Dans cette oeuvre romanesque, l’intrusion téméraire du protagoniste dans la politique est motivée par la conquête du pouvoir au moyen des élections en vue de l’instauration d’un Etat de justice et d’égalité de tous pour sauver des générations vouées à une sorte de damnation. Le programme du CAYU, pour lequel le protagoniste serait élu, repose essentiellement sur l’idéal d’une Patrie réconciliée avec elle-même, une Patrie où les gouvernants seraient taraudés par le bonheur de leurs peuples. Et depuis, Golia Pawuni n’abandonnera jamais cette lutte pour la libération de l’Afrique du joug colonial et ensuite du joug des nouvelles tyrannies que Rajik ATA Bakutuba incarne dans ce roman. Le personnage principal cité en exemple, constitua, un prototype d’intrépidité et de pugnacité pour détruire les dictatures implacables qui écrasent le peuple. Dans cette péripétie Golia, le héros, est encore L’As debout. Il sera L’As rassis lorsqu’il aura été élu et établi sur la Patrie pour enfin réaliser ses convictions politiques. Son programme qui est celui du CAYU sera enfin traduit en crédo patriotique :
« Le pays connut un septennat de paix et de prospérité. Car le Président Golia Pawuni Sissarsal y avait réduit le train de vie des institutions, rabattu de 40 pour cent son propre salaire et celui des membres du gouvernement, ceux des deux chambres, aboli la corruption, les injustices, la mauvaise gestion. Les secteurs de l’éducation, de la santé et de la justice, solides piliers de sa politique, furent renforcés au bénéfice des citoyens d’une haute moralité et d’une intégrité à toute épreuve. On bannit l’impunité par le respecte et l’application stricte des lois, des droits et devoirs des citoyens. » (L’As rassis, 2017, p.122-123).
Dans cette prodigieuse oeuvre romanesque, l’auteur élabore le protocole du marxisme en décriant les corollaires des régimes despotiques africains qui n’ont été pour le peuple qu’une passerelle du joug colonialiste à celle du néocolonialisme que bien des dignitaires de régimes tyranniques africains ont galvanisé en guignol. Le personnage de Rajik ATA BAKUTUBA incarne la personnalité de tous ces oligarques africains qui font allégeance à l’hégémonie occidentale qui assomme effroyablement leurs congénères.

Conclusion

Somme toute, l’idéologie que secrète L’As rassis de Prosper Gubarika Wa Mudi-Wamba Vanella peut se résumer dans la dénonciation de l’exercice du pouvoir tyrannique dans les Etats africains, et propose un antidote fondé sur la quête effrénée du pouvoir politique à travers les élections libres et fiables en vue de l’instauration d’une dictature dite de l’amour, pris dans une acception particulière ce concept signifierait du chauvinisme conjoint à la prise de conscience patriotique autour des idéaux du labeur. Cette dictature astreint au travail, à la justice et à la paix pour le grand essor national intégral. A l’issue de cette lecture, l’on peut déduire que l’idéologie qui imprègne ce roman est inspirée du modèle marxiste.
Cette somme exceptionnelle est constituée de trois parties quasi-symétriques qui forment une osmose inédite établie de manière à pouvoir être lue forcément en symbiose. L’As rassis est une émouvante mise à nu de la tragédie politique dans les pays où sont établis les régimes despotiques. L’auteur explore les aspects les plus importants, notamment les élections crédibles en vue de conquérir le pouvoir politique dans le but de conjurer les excentricités des régimes oligarchiques et autocratiques qui s’instaurent au détriment de la population. En effet, cette prodigieuse oeuvre romanesque qu’est L’As rassis de Prosper Gubarika Wa Mudi-Wamba Vanella fustige, dans une description méticuleuse, les tares des régimes excentriques qui ont succédé au joug colonial, et en habile démiurge, l’écrivain à travers Golia Pawuni Sissarsal, élabore un protocole d’émancipation du peuple qui a longtemps été subjugué. A la lumière de toutes ces illustrations, la société de l’oeuvre fécondée des faits réels serait un spécimen offert sur un fond de fiction à la conscience politique africaine pour parvenir à la réhabilitation intégrale de nos Etats.

Par Raphael NUMBI KYOSE, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024