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I. Quelques definitions

Nous nous sentons obligée de clarifier cinq (5) concepts importants à savoir : les archives, les archives orales, la communauté, la tradition et le proverbe. Ainsi, nous les définissons de la manière suivante :

I.1 Archives

Les archives sont définies par Arlette BOULOGNE (2004 : 26) comme étant un ensemble des documents quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel (imprimé, audiovisuel, sonore ou électronique), produit ou reçu et conservé par une personne physique ou morale ou par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de son activité.

I.2 Archives orales

QUERTIER Maryse (2022 : 5) confirme l’affirmation selon laquelle une archive orale « est un témoignage oral, conçu, produit, recueilli, conservé et archivé dans un objectif patrimonial, mémorial, scientifique, pédagogique ou culturel, soit pour palier la disparition de la documentation écrite soit pour la compléter et l’enrichir ».
I.3 Communaute

Albert EINSTEIN (1934 : 1) affirme que la communauté est le caractère de ce commun a plusieurs personnes ou choses.
Au sens général, une communauté désigne un groupe social constitué de personnes partageant les mêmes modes de vie, la même culture, la même langue, les mêmes intérêts etc.

I.4 La tradition

Le dictionnaire petit Robert (2002 : 2651), affirme que la tradition est une doctrine, une pratique religieuse ou morale, transmise de génération en génération, originellement par la parole ou l’exemple.
Le dictionnaire Larousse (2008 : 428), le définit aussi dans la même perspective disant qu’elle est la transmission des doctrines religieuses ou morales, de légendes, de coutumes par la parole ou par l’exemple.
Des agents culturels aussi nombreux que variés contribuent à ce travail de socialisation, notamment les tambourineurs ou les griots qui qui chantent les gloires des familles et des clans, les pleureurs qui consolent et animent les funérailles, les conteurs qui éduquent, les patriarches qui sont les dépositaires de l’histoire du clan ou de la famille, etc.
Ces deux définitions nous amènent à définir la communauté traditionnelle comme un groupe de personnes régi essentiellement par la tradition orale à la différence de la communauté moderne qui est essentiellement scribale.

I.5 le proverbe

La notion du proverbe est définie selon Nkombe Oleko (1979 : 127) comme étant une règle de vie, un Principe Moral relatif au savoir-vivre et au savoir- faire dans la communauté.
« Le dictionnaire petit Robert (opt.cit : 2105) affirme aussi que « Le proverbe est une formule présentant des caractères formels stables, souvent métaphorique ou figurée et exprimant une vérité d’expérience ou un conseil de sagesse pratique et populaire, commun à tout un groupe social. Il est également une sorte de sentence, de maxime exprimée en peu de mots et devenue d’usage commun ».
« Un proverbe est une énonciation courte facilement mémorisable rendue crédible par son utilisation ancienne et qui relate un certain fait important tiré d’une expérience considérée vraie par la majorité ».

I.5.1 L’utilisation du proverbe, son contenu et son rôle social

Il ne saurait être possible d’entrer dans le vif de cet article, sans tout d’abord donner une brève situation géographique de Tetela.
Notons que les Tetela sont un peuple bantou de l’Afrique Centrale. Il est du groupe mongo et sa langue ethnique est l’otelela ou le tetela.
Pour Thomas TURNEUR, les Tetela sont situés principalement dans la province du Sankuru et dans une partie de la province du Maniema (Tetela kusu).
Nkombe Oleko (1979 : 128), affirme que le proverbe éduque tout individu ou mieux le renseigne sur la manière dont l’expérience traditionnelle recommande de se comporter dans certaines circonstances. Il expose en peu de mots un code moral, une leçon de la vie, une sentence juridique, etc.
Ainsi, le proverbe indique ce qu’il convient de faire ou ce qu’il ne convient pas de faire, Il insiste sur l’intérêt de tel comportement recommandé ou prévient un danger. En d’autres termes, le proverbe a joué le rôle de code des lois voire de la constitution d’une société occidentale. Bokonga Ekanga (1975 :16) n’a-t-il pas dit que la sagesse africaine considère la tradition orale comme l’un des principaux fondements de la société ?
Djonouku Kossi Tata (2009 :1) affirme que le proverbe tranche la contestation sans appel dans ce sens que les deux parties se remettent en question et acceptent le jugement ainsi rendu. Il affirme également que le proverbe renferme un code de bonne conduite de tous les membres de la communauté en indiquant les bonnes règles et dénonçant le mauvais comportement.

II.Catégories des proverbes tetela

Nous avons pris en considération dix (10) catégories des rapports entre individus dans la communauté traditionnelle. Les 32 proverbes de Kombe Oleko retenus ont été jugés particulièrement pertinents par rapport à ces catégories.
Il s’agit des catégories et des proverbes suivants :

1. Proverbes en rapport avec la justice
- Mbodi akachi walangande mbalende : La chèvre ne broute pas les feuilles qu’on lui donne par la force.
- On’otetela kee mafumbe : Le tetela n’est jamais un esclave. Pour autant dire qu’il aime la liberté.
- Womoto halange pami k’olanga : La femme n’aime pas un homme qui l’aime par ce qu’elle veut préserver sa liberté.
- Osongo wambokume okochi : L’arbre tombe sur celui qui l’abat. Le verdict condamne le plaignant, le tribunal blanchit l’accusé.
- Atoyi ndjalale : Tout le monde a des voisins mais l’oreille habite seule c-à-dire que l’oreille est capable de rendre des jugements justes et équitables sans l’influence des autres organes qui ne peuvent pas y accéder. C’est une telle neutralité qui est recommandée au juge qui trancher en âme et conscience.
- Ledi kakakitola shima la senge : Le van sépare la farine des grains brisés, c’est-à-dire que le van sait séparer le vrai du faux. Tout le monde se prétend avoir raison mais c’est la justice qui tranche.

2. Proverbe concernant l’unité
 Hawojaka lohita lamasa lohoso l’ohosongo : On ne met pas le doigt entre l’arbre et l’écorce.
 Lose hatshikala l’onongo w’ashi : Là où coule l’eau, c’est là que va le poisson.
 Angenyi asato kete omochi kakesawo : Si trois personnes se disent des amies c’est que l’une d’elles est trompée.
 Kanga atama ahende halongola dja : Celui qui a deux jougs ne se brûle pas.
 We mbodia ona la pusa yokimeye, koko nde ayokodia la elelo ya oshinga : Tu éduques ton enfant avec les miettes que tu as mais il te nourrira avec les aliments des grandes valeurs.
 Ona enondo kayalaka sho : Le fils ainé devient ton père.

3. Proverbes relatif à la superiorité
 Loledu komenaka hole divo : La barbe aussi longue soit –elle ne peut pas dépasser les cheveux.
 Atoyi haholekana ote : Les oreilles ne dépassent jamais la tête.
 Ndjovu ko mbokumanya ona ? : L’éléphant, on ne peut pas lui ravir son petit.

4. Proverbes en rapport avec l’humilité
 Okele wa koko ndakaka nyango : L’oeuf de la poule donne parfois des conseils à sa mère que celle-ci accepte.
 Ashi walenya wato, wato walenya ashi : L’eau respecte la pirogue et la pirogue aussi respecte l’eau.
 Wechi tange hoke oto yenyi : Le lit ne se fâche pas contre le dormeur même si celui-ci y fait longtemps.
 Dihomba haseke okengi : L’argile ne refuse pas un portier, elle accepte tout celui qui qui connait le métier de la porterie.

5. Proverbes au sujet de l’appui
 Dikondo kudu oma le osuko : Le bananier doit sa force à son support, sinon il est emporté par le vent.
 Ona hashisha lohito lo ekambo kanyango : L’enfant ne peut pas perdre sa flèche dans le champ de sa mère, car on peut remuer celui-ci jusqu’à retrouver la flèche perdue.
 Wale halomyaka ona la diwele bia pese : La mère n’allaite pas son enfant avec un sein qui chatouille, car elle risque de le tuer ou de l’empoisonner.
 Lokuke ena lanja ena leteyi : La porte voit à l’intérieur de la maison et à l’extérieur. Cela est dit de quelqu’un qui a l’avantage de voir la chose de l’intérieur comme de l’extérieur.
 Mange halembe lo lokongo : Le manioc ne se ramollit pas dans le sable (mais plutôt dans la boue). Lorsqu’on veut obtenir une faveur de quelqu’un, il faut user de douceur.

6. Proverbes concernant le droit d’aînesse
 Fudu yakafumbo tondo, k’oleka lohelo, holeke mayele : L’oiseau qui a volé avant vous, même si vous êtes plus rapide que lui, il vous surpasserait en sagesse. Ainsi, dans la famille, même si le garçon est dans une position privilégiée, il doit avoir de la considération pour sa soeur ainée.
 loledu komena hole divo : La barbe aussi longue soit-elle, elle ne surpasse pas les cheveux. Ce proverbe montre la position privilégiée du fils par rapport à sa soeur ainée. L’opposition de ce proverbe par rapport au précédent, montre que c’est la sagesse qui doit mettre l’harmonie dans les rapports des deux enfants.

7. Proverbes en rapport avec l’amour
- Wadi ndeka onanyo ngandji : Le mari aime sa femme plus que ses frères et soeurs.
- Wadi lakoomba ndeka nyo koko loshi lomalande keele ko we mona lawetsho : La femme qui vous garde est plus chère que votre mère. Le jour qu’elle se fâche, vous chercherez où vous enfuir.
- Oto l’onango wale dikondo wadimbia dia kinda : Les frères mangent les bananes, mais, ils trompent que c’est le repas des cérémonies traditionnelles. Cela de se note tout simplement de l’avarice.
- Osukanyi kele nyo, l’etale sho : Celui qui habite avec toi est l’enfant de ta mère, celui qui habite loin est l’enfant de ton père. Ce proverbe, souligne l’importance du voisin immédiat.
- Engeno ona hawokateka angendangenda : Même si ton enfant est mauvais de caractère, tu ne le tueras pas pour le diner des visiteurs. On ne peut pas sacrifier son enfant même s’il est mauvais.
- Onanyo asesa nyama ko otema angenangena : Si ton frère tue un gibier tu dois t’en réjouir. Il ne faut pas être jaloux du succès de ton frère.

8. Proverbes au sujet de l’autonomie
 dihondo dioto hashile olanda : L’habit d’emprunt ne résout pas le problème de la nudité. Pour dire qu’on est sûr ou à l’aise des choses que l’on a en propre car le propriétaire peut le récupérer à tout moment.
 Shoka y’oto hashile okota kanga y’onango sho : Avec la hache d’autrui, on ne finit pas le champ même si elle appartenait à ton oncle. Il peut la récupérer à tout moment alors que vous en avez encore besoin.
 Dihoho ndame kayaete woho : Le maïs se conserve lui-même sa semence. Tout le monde a l’obligation de ne pas compter essentiellement sur l’autre pour sa subsistance.
9. Proverbes en rapport avec les brouilles de menage
- Wadi hemolakaomende nde memolaka omekana : La femme ne salue pas son mari revenant de voyage, elle salue le mari d’autrui.
- Wadi laka onto kende washo wema, wadiende washio kolo : La femme d’autruit a des yeux blancs, votre propre femme a des mauvais yeux.
- Womoto lo sese kende dimena lo diwala dikomo diva : Sur la rue, la femme est belle mais aux foyers, elle a neuf (9) défauts. En clair, il n’y a pas d’épouse sans défaut, le mari doit apprendre à supporter sa femme.

10. Proverbes concernant le courage, la tolérence et la patience
- Kingo kudu mbembande ote : Le cou est fort c’est pourquoi il transporte la tête.
- Ndjovu haheko memba ewanga wande : L’éléphant ne se fatigue pas de transporter ses défenses.
- Djende kota ko wate dimi ona lohoma : Tu ne renieras pas l’oiseau djende à cause de sa petitesse pour adopter lohoma qui est le grand oiseau. En d’autre mot, quel que soit le rend social ou le niveau intellectuel de ton père, tu ne peux pas le renier.
- Wonyashongo kema l’ekomo koko nde akasha oto l’oto dikomo diva : Dieu est sans défaut mais il en a donné neuf (9) à chaque homme alors nous devons nous supporter les uns les autres.
- Ehonde la poke sakanaka : Les calebasses et les pots se cognent. En clair, tout homme a ses défauts chacun a donc l’obligation de pardonner et de supporter les autres.

III. Approche analytique des proverbes tetela

Sous cette rubrique, nous nous efforçons d’évaluer le contenu des proverbes ci- dessus par catégorie. Il s’agit de dégager la fonction ou le rôle effectif joué dans la communauté traditionnelle.

III.1. Proverbes relatif à la justice

L’importance de cette catégorie des proverbes n’est pas à démontrer car ils ont joué le rôle de ce que la communauté moderne appelle code pénal, code civil, constitution, législation et règlementation etc.
Comme cela a été dit précédemment, ces proverbes en général sont en fait des règles qui régissent les rapports entre les membres de la communauté : elle préconise notamment le respect mutuel, l’amour, la douceur, une supériorité, l’égalité etc. En d’autre terme, toutes ces vertus sont de nature à mettre la charité, l’ordre, et la tranquillité dans une société traditionnelle sans police ni forces armées. Les vieux du groupe et les dépositaires de la sagesse sont considérés comme des archives vivantes.
Ces proverbes représentent ce qu’on appelle aujourd’hui le droit de l’homme. En d’autres termes, la société traditionnelle tenait du consentement et de la dignité de la personne et de sa famille.

III.2 Proverbe au sujet de l’unite, l’appui, l’amour

Dans ce même ordre d’idée, il y a lieu de souligner que l’amour, l’unité, l’appui, la solidarité étaient des valeurs sociales de grande importance.
Il en est de même de catégorie de tolérance, du courage, la patience, l’humilité et de la brouille de ménage.
Dans la société traditionnelle tetela, les proverbes relevés mettent l’accent sur l’importance de l’harmonie au sein de la communauté.

III.3 Proverbes concernant la superiorité et l’aînaisse

Après avoir analysé ces deux catégories des proverbes nous avons trouvé utile de les fusionner étant donné que l’une et l’autre montrent que les membres de cette communauté n’étaient pas égaux en droit. Le respect des aînés et des individus appartenant à certains rangs sociaux était de rigueur.

III.4. Proverbes en rapport avec l’autonomie

Ces proverbes soulignés dans cette catégorie ont rempli des fonctions économiques, judiciaire, etc. tendant à rendre l’individu indépendant vis-à-vis des autres.
Jour après jour, nous donnons raison à E.Bashige (2004 : 3), qui affirme que la République Démocratique du Congo dispose d’une biodiversité de richesse. Nous comprenons que la richesse dont il est question n’est pas seulement en matière végétale, minérale etc. mais aussi en matière de ses coutumes ancestrales.
La grande question que nous nous posons est celle de savoir dans quelle mesure les proverbes jouent ce rôle social dans la communauté tetela du 21è siècle. La réponse à cette question est très mitigée pour plusieurs raisons, entre autres :
1. La disparition des dépositaires de ces valeurs qui étaient des véritables archives vivantes.
2. De plus, les intéressés n’ont pas initié des successeurs valables.
3. La destruction des valeurs culturelles traditionnelles par l’oeuvre coloniale dans son ensemble et l’implantation de l’école occidentale
4. L’exode rural, la diaspora et le développement accéléré des villes comme Kinshasa, Lubumbashi, Kisangani, etc.
En fin de compte, nous avons le devoir de revaloriser ce riche patrimoine par les médias, la recherche scientifique, la socialisation familiale et scolaire et une législation qui met en valeur nos coutumes ancestrales.

Conclusion

Les archives orales ont joué le rôle de législation dans la communauté traditionnelle ; tous les membres de la communauté avaient l’obligation de s’y conformer pour vivre en harmonie avec les autres.
Ces règles règlementent tous les aspects de la vie en société (La filiation, la parenté, le mariage, les travaux agricoles, l’artisanat, la pèche, la chasse, l’organisation du groupe en général). Il y a lieu de signaler toutefois qu’il existe aussi des coutumes en général et des proverbes en particulier qui empoisonnent les rapports entre individus au lieu de les harmoniser. Dans tous les cas la sagesse ancestrale en a atténué chaque fois les effets néfastes.
Pour clore cet article, celui-ci souligne du début à la fin l’impérieuse nécessité de revaloriser les traditions africaines et les proverbes en particulier. Cette revalorisation passe notamment par l’éducation familiale et par l’école à tous les niveaux. Nous avons tout intérêt d’y recourir pour rétablir la paix qui a régné dans nos sociétés traditionnelles.

Par Béatrice BEYA OBONGA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024