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Résumé

  Ce travail met en exergue les différents procédés de formation d’une phrase emphatique en langue poké.

      Mots clés : Emphase, topicalisation, thème, focalisation, pause, répétition, poké.

Reçu : le 17 novembre 2022  Accepté : le 14 mars 2023

Abstract

This work deals with different ways of building on emphatic sentence (clause) in poke language.

      Keywords: Emphasis, topicalization, theme, focus, pause, repetition, poké.

Received : November 17th, 2022  Accepted : Mars 14th, 2023

Introduction

Le présent article s'inscrit dans le cadre d'une étude syntaxique de la langue Poké. La syntaxe est la partie de la grammaire décrivant les règles par lesquelles se combinent en phrases les unités significatives (Dubois et alii, 2015 : 446).
Selon Moeschler et Auchlin (2015 : 18), la syntaxe a pour objet d'étude l'unité de la linguistique par excellence, à savoir la phrase, ainsi que les règles présidant à l'organisation des groupes des mots dans la phrase. Quant à Niklas-salminen (2015 : 127) la syntaxe est une partie de la linguistique qui traite des règles qui régissent les combinaisons des mots en phrase. Dans toutes ces définitions, le dénominateur commun, c'est l'étude de la phrase. C'est ainsi que nous, nous définissons la syntaxe comme étant l'étude des règles intervenant dans l'agencement des mots ou groupes des .mots à l'intérieur d'une phrase grammaticale. La phrase emphatique, qui fait l'objet de cette étude, est celle caractérisée par le mécanisme d'emphase. Celle-ci, selon Mukash Kalel (2004 : 61), est la mise en valeur contrastive d'un terme de l'énonce, terme qui reçoit le point le plus informatif. Pour Dubois et alii (2012 : 176), l'emphase désigne un accent particulier porté sur un constituant de la phrase. Le mécanisme de l'emphase a pour objectif de mettre en relief le terme le plus important de la phrase selon le locuteur. Notre souci dans cet article est de voir comment les unités significatives sont agencées dans une phrase poké pour traduire l'emphase.

Comme méthode de recherche, nous avons choisi l'observation participative des données recueillies dans un corpus élaboré à partir de notre propre questionnaire d'enquête linguistique pour déboucher finalement sur le dégagement des mécanismes de l'emphase en Poké. En clair, ce questionnaire d'enquête linguistique était soumis à des locuteurs natifs de la langue en étude. Le travail comprend deux points essentiels, outre l'introduction et la conclusion. Le premier concerne la présentation de la langue poké. Le second dégage les différents procédés d’emphatisation en poké.

1. Présentation de la langue Poké

La langue poké est classée parmi les langues bantu. Dans sa classification, Guthrie (1976 : 52) la place dans la zone C, groupe soko-kele, elle porte le sigle C53. Le poké appelé topoké ou esͻ est parlé dans le territoire d’Isangi, Province de la Tshopo, en République Démocratique du Congo. En dehors de ce groupe d'Isangi, un autre groupe de poké s'installe à Ikela dans la nouvelle province de la Tshuapa. Ce groupe aurait fui LIFETA LI BALEMBE, vaillant guerrier poké. Burssens, cité par Motingea Mangulu (2008 : 20), la place dans le groupe mongo. Les limites de ce groupe coïncident avec celles de la forêt équatoriale et de la boucle du fleuve Congo. Il comprend le lomongo, le Ndengese, le Ngando, le Bushong, le Lokele, l'Otetela, le Poké etc. les langues voisines sont : le Lokele et le Turumbu à l'Est, le Kingando à l'Ouest, le Soko au Nord et le Mbole au Sud. Ce Poké d'Isangi a sept parlers correspondant aux sept collectivités poké : Luété, Lokombe, Liutua, Bambelotà, Kombe, Balukolambila et Bolomboki. La présente réflexion porte sur la variété Luété dont nous sommes locuteur.

2. Les procédés d'emphatisation

En poké, les procédés d'emphatisation sont au nombre de quatre. Il s’agit de moyens phonologiques, morphologiques, syntaxiques et stylistiques.

2.1. Les moyens phonologiques (emphatisation phonologique)

Les moyens phonologiques retenus en poké c'est l'usage de l'allongement vocalique. Il s'agit précisément de l'allongement de la voyelle finale du mot mis en relief.

Exemple :

 bya bébooo go Kinshasa: biens beaucoup à Kinshasa

                                           « beaucoup de biens à Kinshasa ».

 Baito bébooo go libongo: Gens beaucoup au marché

                                          « Beaucoup de gens au marché »

 Tuma tongâé go bébooo: Fruits sont là beaucoup

                                          « beaucoup de fruits sont là »

 Ebotéé dim na mkέέέ: il a enfanté enfant petit

                                          « il a accouché d’un bébé très petit »

 El𝜀𝜀 bya bikέέέ: II a mangé nourriture petite
                           « II a mangé une très petite quantité de nourriture »

La pause conduit par le mécanisme de dislocation, à la séparation du terme mis en évidence du reste de la phrase. Cela peut se faire à gauche ou à droite.

Exemples :

 énú mwálité —►énú, mwálité

 « Vous, vous ne mangez pas »

 Enú mwálité —►mwálité, énu: Vous ne mangez pas, vous

                                                   « vous, vous ne mangez pas »

 Ida abínáté —►ida, abínáté

 « maman, elle ne danse pas »

 Ida abínáté —►abínáté ida: Elle ne danse pas, maman

                                               « maman ne danse pas ».

2.2. L'usage des adverbes (emphatisation lexicale)

Pour mettre en relief un mot, la langue poké recourt parfois à certains adverbes, notamment penzá « vraiment » et angándú « très, sérieusement ».

Exemples :

 Engáémoleli                                éngáémolelí angándú

« il est en train de pleurer »         « il est en train de pleurer sérieusement »

 Engáémolí                                  éngáé moli penza

« il est en train de manger »       « il est en train de manger vraiment »

 Engaémoséléngi                        engaémoséléngi angándú

« II est en train de parler »          « il est en train de parler sérieusement »

2.3. Moyens syntaxiques (emphatisation syntaxique)

On peut exprimer l'emphase par la modification de l'ordre naturel des constituants de la phrase (SVO). Dans l'exemple de la langue sous étude, la topicalisation est marquée par le mécanisme de déplacement du complément « Lomata » (manioc) de sa position postverbale vers le début de la phrase. Il en résulte une trace qui peut rester une catégorie vide. Notons que la topicalisation est une opération linguistique consistant à faire d'un constituant de la phrase le thème dont le reste de la phrase sera le commentaire (Dubois et alii 2012 : 485).

Exemples :

 emͻli lomata,                                               lomata, émͻli

« il mange du manioc ».                              « Du manioc, il mange »

éngaemoli bya                                                bya, engaemoli.

« Il est en train de manger la nourriture »   « La nourriture, il est en train de manger »

La trace peut être constituée d'un substitutif :

 lomata, éngaemoli ló: du manioc, il est en train de manger le.

                                    « du manioc, il est en train de le manger ».

 bya, éngáémolí by: nourritures, il est en train de manger les

                                   « les nourritures, il est en train de les manger ».

Sur un autre plan d'analyse, les procédés de mise en valeur sont abordés selon que l'information est nouvelle ou connue. Dans le premier cas, on parle de la focalisation ; dans le deuxième cas, il s'agit de la topicalisation. Mais l'emphase peut être aussi abordée selon que l'on confirme, que l'on rejette ou encore on rectifie une information avec insistance. On parlera alors de la réaction de rectificatif (Mukash Kalel, 2017-2018).

2.3.1. La focalisation

La focalisation, comme nous l'avons déjà dit dans le point précédent, porte sur une information nouvelle. En poké on utilise au début de la phrase « mwé » qui signifie « c'est ... qui » ou « c'est » plus le terme sur lequel l'insistance porte, suivi de pronom « ahͻ» (lui, elle), « bͻ» (eux) pour traduire la focalisation ;

Voici des exemples :

 Mwé tete ahͻ asélenga gέ: C'est père lui il parle lui
                                            « C'est le père qui parle ».

 Mwé mna ahͻ alela gέ: C'est enfant lui il pleure lui
                                         « c'est l'enfant qui pleure »

 Mwé baito bͻ báselengá b: Ce sont hommes eux ils parlent eux.

                                               « Ce sont les hommes qui parlent »

 Mwé bána bͻ bálúbá b: Ce sont les enfants eux ils connaissent eux.

                                          « Ce ont les enfants qui connaissent »

 Mwé bogáli bͻ bátóngá b: Ce sont les femmes elles elles construisent elles.

                                              « Ce sont les femmes qui construisent ».

On peut également mettre le terme sur lequel l'insistance porte à la fin de la phrase, comme les exemples ci-après le montrent :

 Ogóa lôso mwé tete: II sent souffrance c'est père

                                   « Celui qui souffre c'est le père »

 Ogalá bya mwé mna: Il mange nourriture c'est enfant

                                       « Celui qui mange la nourriture c'est l'enfant »

 Ogalúba gέ mwέ ida: Elle connaît elle c'est maman

                                   « celle qui connaît c'est maman ».

 Obábíná b mwé bána: Ils dansent eux ce sont enfants.

                                        « ceux qui dansent ce sont les enfants ».

2.3.2. La topicalisation

Dans le cas de la mise en valeur d'une information connue, les langues bantu utilisent plusieurs procédés, notamment la dislocation, la pronominalisation, l'emploi d'une préposition et l'emploi de conjonctif alternatif. En ce qui concerne la langue Poké, nous avons relevé deux procédés, à savoir la dislocation et l'emploi d'une préposition ou d'une locution prépositive.

A. La dislocation

Pour la dislocation, le terme mis en relief est détaché du reste de la phrase par la pause. Pour la langue Poké, le détachement du constituant se fait au début de la phrase. On parlera alors de la dislocation à gauche.

Exemples :

(a) Baisé byúla baligá.: Pères de village ils arrivent

                                   « Les chefs du village arrivent »

(b) Baisé byûla, báliga

  « les chefs du village, arrivent »

(a) bána bébininé lyͻ lͻ: Enfants ils danseront soir

                                    « Les enfants danseront le soir »

(b) bána, bebininé lyͻ lͻ

  « les enfants, danseront le soir ».

B. L'emploi d'une locution prépositive

Avec le sens de « quant à » En poké, la locution prépositive « Φ 𝑔𝜀 » qui signifie « quant à » souligne le terme mis en évidence.

Exemples :

(a) Ida énéniné: Maman elle sortira

                       « maman sortira »

(b) Φ g𝜀 ida, énéniné.

  « Quant à maman, elle sortira »

(a) Bolome balelitiné: Hommes ils ne pleureront pas

                                « Les hommes ne pleureront pas »

(b) Φg𝜀 bólomé, balelitiné

  « Quant aux hommes, ils ne pleureront pas »

(a) Bana belubé: Enfants ils connaissent

                         « les enfants connaissent »

(b) Φg𝜀 bana, belúbé

  « Quant aux enfants, ils connaissent ».

NB : en Poké, nous avons également remarqué la présence de l'emphase du complément, l'emphase du prédicat et l'emphase des déterminants.

a) L'emphase du complément (emphatisation lexicale)

L'emphase du complément est le mouvement du terme concerné par déplacement de sa position postverbale vers le début de la phase. Ici on fait donc du complément le thème de la phrase. Le mouvement en question peut entraîner l'insertion d'un pronom de rappel, infixe objet ou substitutif correspondant dans le cas d'une information connue. Sur ce point le poké fonctionne exactement comme le lingala décrit dans l'ouvrage de Mukash Kalel (2004 : 71). Les exemples suivants le témoignent :

(1) Delaé lomata « je mange du manioc » Lomata, delaé « du manioc, je mange »

(2) Lomata, delaé ló Du manioc, je mange ça. « du manioc, je le mange. »

(3) Φͻ g𝜀 lomota, delaé lo Quant au manioc, je mange ça « Quant au manioc, je le mange »

b) L'emphase du prédicat

En langue poké, l’emphase du prédicat verbal recourt à la répétition (voir point 2.4. exemple 1).cependant la répétition du syntagme verbal conjugué par l’infinitif correspondant est le mécanisme le plus courant. L’infinitif en question occupe la position préverbale.

Exemple :

(1) Engaémobéi

« il est en train de parler »

Obéi,   engaémobei

parler,   il est en train de parler

« parler, il est en train de parler »

(2) Φͻ g𝜀 obéi, éngaémobeti.

« pour ce qui est de parler, il est en train de parler ».

c) emphase des déterminants

En poké pour mettre en relief un déterminant démonstratif dans un syntagme nominal, on procède par le déplacement de droite à gauche du déterminant démonstratif.

Exemples :

(a) Moto an éngámoámi: Homme ce il est en train de souffrir

                                        « Cet homme-ci est en train de souffrir »

(b) an Moto, éngaémoami: cet homme il est en train de souffrir

                                           « cet homme-ci est en train de souffrir ».

(a) Bána bέ béngâé babé: Enfants ces ils sont mauvais

                                        « ces enfants-ci sont mauvais »

(b)Bέ bána, béngáé babé: Ces enfants ils sont mauvais

                                        « Ces enfants-ci, sont mauvais »

(a)Bogálí b𝜀, béngâé balͻ: Femmes ces elles sont belles

                                        « ces femmes-ci sont belles »

(b) B𝜀 bógáli béngaé balo: Ces femmes, elles sont belles

                                        « Ces femmes-ci sont belles ».

En langue Poké, on peut également mettre l'adjectif en valeur par la construction connectivale : *

Exemples :

(a) Moto mosá: Homme long

                      « Un homme long »

(b) Moto o ga mosá: Homme de long

                              « Un homme vraiment long »

(a) Moto mogwé: Homme court

                         « Un homme court »

(b) Moto o ga mogwé: Homme de court.

                                 « un homme qui est vraiment court ».

2.3.3. La réaction

Selon Ursulu Wiesemann et ses collaborateurs, cités par Mukash Kalel (2004 : 81), la réaction est un mécanisme d'emphase proche de la focalisation et qui insiste sur la véracité d'un constituant ou d'une proposition. Son champ d'application se limite à la confirmation, au rejet ou à la rectification d'une information.

Pour ce qui est de la langue en étude, l'information à confirmer est répétée avec insertion entre les termes répétés d'une conjonction de coordination.

Exemples :

(a) Kinshasa lǒso: Kinshasa souffrance

                           « il y a la souffrance à Kinshasa »

(b) Kinshasa lǒso a lǒso: Kinshasa souffrance de souffrance

                                      « A Kinshasa, il y a la souffrance terrible »

Concernant la réaction de rejet, l'interlocuteur n'est pas d'accord avec le propos du locuteur. La langue en étude ajoute généralement au terme rejeté un morphème d'interrogation partielle avec le sens de « quel » « où » pour marquer un refus net.

Exemples :

(a) émwéé ?: il a bu ?

                   « a-t-il bu ? »

(b) mwi gón ?: boire où

                       « pas du tout, il n'a pas bu »

(c) omwi inandi —►omwinandi: boire quel

                                                «  pas du tout, il n'a pas but

(a) béléé ?: ils ont mangé

                « ont-ils mangé ? »

(b) oli góní ?: manger où ?

                   « pas du tout, ils n'ont pas mangé »

(c) oli inandi —►olinandi: manger quel

                                       « Pas du tout, ils n'ont pas mangé ».

Pour ce qui est de la réaction de rectificatif, le terme concerné reçoit le morphème vocalique « o » morphème quelque peu allongé et portant le ton bas.

Exemples :

(a) Lsé ga go éngáé h ? père de toi il est là

                                       « ton père est-il là ? »

(b) Αingbáoo: il est mort

                    «déjà mort »

(a) Mogáli ga go éa lyeme ? Femme de toi a grossesse

                                          « Ta femme a-t-elle la grossesse »

(b) Aibotáoo: « Elle a accouché ».

2.4. Moyens stylistiques (emphatisation stylistique)

Dans plusieurs langues bantu, on utilise les procédés stylistiques suivants : la répétition, la pronominalisation et l'emploi des idéophones et des onomatopées. Au regard de l'échantillon de la langue sous étude, nous n'avons relevé que la répétition.

Exemples :

1. (a) ida alité: « maman ne mange pas »

    (b) ida alité alité alité: Maman elle ne mange pas/elle ne mange pas elle ne mange pas
                                   « maman refuse catégoriquement de manger »

2. (a) éngáé mna mͻlͻ: Il est enfant bon
                                     « c'est un bon enfant » ²

    (b) éngáé mna mͻlͻ mͻlͻ: Il est enfant bon bon »

                                              « C'est un enfant très bon »

Dans cette phrase, on insiste sur la bonté de l'enfant.

3. (a) engaé moto mobé: Il est homme mauvais

                                     « C'est un mauvais homme »

    (b) engaé moto mobé mobé: Il est homme mauvais mauvais.

                                               « C'est un homme très mauvais ».

Dans la phrase ci-dessus, on insiste sur le mauvais comportement de l'homme.

Conclusion

Pour exprimer l’emphase, le locuteur Poké emploie plusieurs procédés, notamment le moyen phonologique (allongement de la voyelle finale du mot mis relief), l’usage des adverbes « penza » et « angandu », le moyen syntaxique à l’instar de la modification de l’ordre naturel des constituants de la phrase et enfin le moyen stylistique (la répétition du terme à mettre en relief). Dans les travaux ultérieurs, nous chercherons à savoir si le Poké utilise également la pronominalisation, des idéophones et des onomatopées pour exprimer l’emphase.

Par Collard LIMBOMBE LIANDJA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024