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Résumé

Cette étude porte sur la suspension qui est la figure de style la plus répétée du roman de Pie Tshibanda Wamuela Bujitu. La problématique abordée par cette recherche est celle de savoir, s’il y a un phénomène figures de style dans ce roman.
Ainsi, avons-nous recensé la suspension, qui est la figure la plus répétée du roman, car, elle revient quarante fois, parce que dans le roman, le héros NZINGA et son jeune soldat se relatent tour à tour leurs amours perdus. Les trois projets de mariage de NZINGA se sont soldés en déception, c’est l’inachevé. Pour ainsi dire, la vie de l’homme est entourée des péripéties que ce dernier ne saura raconter et de projection qu’il ne peut accomplir.
Mots clés : surmarquage, suspension, thème

Reçu : le 28 novembre 2022
Accepté: le 14 mars 2023

Summary

This study focuses on the suspension are the most repeated stylistic figures of two novels by Pie Tshibanda Wamuela Bujitu. Namely from Kolwezi to Kasaji, the lost love of a teenager.
Thus, we have identified the suspension being the most repeated figure of the first novel, because, it comes back forty times, because in the novel, the hero Nzinga and his young soldier relate in turn their lost loves. Nzinga's three wedding plans ended in disappointment, it's unfinished business. So to speak, the life of man is surrounded by adventures that he will not be able to tell and by projections that he cannot accomplish.
Keywords: overmarking-suspension-theme-iterative-incomplete

Received: November 28th, 2022
Acceted: March 14th, 2023

Introduction

Cette recherche relève de la stylistique. Selon P. Guiraud (1967 : 5), celle-ci est conçue comme une rhétorique moderne sous sa double forme de l’expression critique des styles individuels, c'est-à-dire une science de l’expression et une critique des styles individuels, à la fois un art de l’expression littéraire et une norme, un instrument critique dans l’appréciation des styles individuels et l’art des grands écrivains . Le sujet de cette étude est les points de suspension dans De Kolwezi a Kasaji, les amours perdus d’un adolescent, roman de Pie Tshibanda Wamuela Bujitu. Backry (1992 : 293) définit la suspension : Retard qu’on met volontairement dans l’expression d’une idée qu’on a annoncée et qu’on fait ainsi attendre.
Selon la note de l’éditeur (4ème page de couverture) l’oeuvre est parue en 1980 avec comme titre « De Kolwezi à Kasaji, souvenir du Lieutenant Nzinga », réimprimé en avril 1981 et en février 1983, ce récit, dépoussiéré est aujourd’hui réédité avec comme seul changement le sous-titre.
Nous allons dans cette recherche identifier et analyser dans le roman sous examen la figure de style la plus itérative. D’après Molinié (1989 : 101), la répétition est la notion qui devait étayer toute entreprise stylistique. Il poursuit en disant que la répétition est, jusqu’à nouvelle découverte épistémologique, le seul moyen incontestable de trouver et d’identifier un fait langagier (…) Georges Molinié (1993 : 33-34), soutient que la tâche du stylisticien est de rechercher la caractéristique de littérarité ; est de chasser la répétition partout et sous toutes ses formes. On voit donc bien que le stylisticien se définit avant tout comme un chasseur, un traqueur de répétition. Lorsque, par exemple, dans un texte une figure de style est reprise autant de fois, cela renvoie à ce que Molinié (1993 :33-34) nomme le « marquage ou le surmarquage ». C’est une manière de caractériser son discours ou de lui donner son identité et/ou sa marque.
Pour nous, la répétition est le nombre de fois qu’une unité stylistique, c’est-à-dire une figure de style est récurrente dans un texte. C’est ainsi la stylistique sérielle. Elle a pour objet selon Molinié (1989 :102), la constitution et l’étude de séries de faits langagiers, dans une perspective de littérarité. La fin est connue : la significativité n’est décelable que dans la dialectique de l’itératif et du singulier.

1. Question de départ

La problématique abordée par cette cogitation est celle de savoir, s’il y a un phénomène figures de style dans le roman De Kolwezi a Kasaji, les amours perdus d’un adolescent de Pie Tshibanda Wamuela Bujitu. Si ce phénomène existe, est- il fréquent et significatif ?
Nous partons de l’hypothèse qu’il existe bien des phénomènes stylistiques dans le roman de Pie Tshibanda Wamuela Bujitu et que ces phénomènes stylistiques sont, par certains aspects récurrents et significatifs, de l’univers intérieur de l’écrivain. Nous supposons que dans le roman sous examen, nous scruterons la figure de style la plus itérative.

2. La théorie et la méthode

La théorie que nous appliquerons dans ces oeuvres est de Jules Marouzeau, l’un de disciple de Saussure d’origine française ayant développé au vingtième siècle la stylistique de la parole ou la stylistique des procédés. Dans l’optique de Jules Marouzeau, nous voulons étayer notre propos sur la réflexion d’un contemporain, Patrick Bacry (1992 : 8), Dans l’infinie variété du discours la rhétorique classique cherchait à repérer tout ce qui peut être considéré comme procédé stylistique régulier, tous les tours, tous les moyens qui d’un discours, d’un texte à un autre peuvent être mis en oeuvre pour produire un effet particulier sur celui à qui l’on s’adresse ( lecteur, auditeur, interlocuteur) : ces procédés qu’elle appelait figure du discours, nous les nommons aujourd’hui le plus souvent figures de style.
Trois étapes sont indispensables pour mener à bien une approche de figure de style, souligne Georges Molinié (1986 : 48), trois tâches semblent nécessaires pour l’examen du discours figuré: identifier qu’il y a figure, décrire le système langagier, traduire.

3. Le roman

En effet, pour un bon cheminement, nous nous attèlerons à analyser la figure la plus répétée du roman de kolwezi a kasaji, les amours perdus d’un adolescent, publié aux éditions Saint Paul Afrique, Kinshasa. Le sommaire du roman se présente de la manière suivante : Nzinga, chaste, découvre un groupe de filles sous un arbre ; vite, il est impressionné par l’une d’entre-elles. Ntanga, élève de l’Ecole Normale Sainte-Thérèse de Tshilomba, non loin de l’Institut où il a effectué ses études du deuxième degré du secondaire. Nzinga tombe amoureux de Ntanga. Une promesse manquée d’accomplissement pour un mineur qui découvre l’amour. Ntanga déçoit Nzinga en faveur un étudiant.
Deuxièmement, Nzinga éprouve de l’amour pour Mwika, l’une des six filles de sa classe terminale de Kasansa : c’est déjà l’âme soeur, calculatrice et docile à la décision parentale, car elle tient compte de la réussite sociale de son futur époux. Mwika à son tour va décevoir Nzinga au profit d’un monsieur socialement stable.
Et enfin, la fiancée anonyme du lieutenant, de retour à Kolwezi ; Nzinga apprend à l’aéroport que sa future épouse l’a abandonné pour un autre projet de vie. Au total trois déceptions mais c’est sur un autre règne que s’orientent les pensées du lieutenant : Dieu mettra bien, un jour, sur mon chemin celle qu’il m’a réservée.

4. La thématique

Le rôle thématique désigne l'acteur qui est porteur de sens, notamment au niveau figuratif. Il renvoie donc à des catégories (psychologiques, sociales) permettant d'identifier le personnage sur le plan du contenu. Selon Vincent Jouve (1994 : 53), si le rôle actantiel assure le fonctionnement du récit, le rôle thématique lui permet de véhiculer du sens et des valeurs. De fait, la signification d'un texte tient en grande partie aux combinaisons entre rôles actantiels et rôles thématiques.
Pour mettre en évidence les valeurs, nous disposons d’une structure binaire : Le carré sémiotique. Celui-ci est défini par Gremas (1966 : 167) cité par Everaert2004 : 73), comme une structure formelle, vide, rigide, antérieure à tout investissement sémantique. Le carré sémiotique, poursuit Everaert(11), se constitue sur la base d’un axe sémantique qui s’articule en deux valeurs contraires. Le carré sémiotique est un modèle qui permet de visualiser les relations logiques fondamentales à partir desquelles s’articule la signification.
Nous voyons que les oppositions figuratives du texte sous examen qui sont «la présence de filles du monde vs l’âme-soeur» correspondent, au niveau narratif, à la relation de conjonction (Nzinga noue les relations amoureuses, d’abord avec Ntanga, ensuite Mwika et enfin la mystérieuse fiancée du lieutenant) ou la disjonction entre les actants (Ntanga déçoit Nzinga en faveur d’un universitaire, Mwika laisse tomber Nzinga au profit d’un riche et la mystérieuse fiancée quitte le lieutenant pour des projets de vie. Cette relation actantielle est interprétée, au niveau thématique, comme le choix vs l’abstention, l’abstinence vs luxure et l’amour vs haine et destin vs planning.
Nous pouvons analyser le contenu du roman sous examen à deux niveaux de profondeur, à savoir du plus concret : le niveau figuratif, au plus abstrait : le niveau thématique. Au niveau figuratif du récit, Nzinga tombe d’abord amoureux de Ntanga la belle, ensuite de Mwika l’âme soeur et enfin de la mystérieuse fiancée, mais notre héros sera déçu par toutes ces filles. Au niveau thématique Nzinga opère un premier choix de Ntanga parmi plusieurs filles de l’école normale de Tshilomba, un deuxième choix de Mwika d’entre six filles de sa nouvelle école. A ce stade, nous relevons le thème du choix.
Selon l’éducation chrétienne donnée par les prêtres, les garçons doivent rester chastes et les filles vierges ; ici, nous soulignons le thème de l’abstinence. Par nature, chaque homme a sa femme et chaque femme a son homme, c’est le destin. Car le roman se termine par cette assertion « la femme de ma vie est quelque part sur cette terre, un jour son chemin et le mien se croiseront ».

5. La suspension

Nous avons relevé que la suspension était la figure la plus itérative du roman sous examen, nous allons l’analyser par rapport aux thèmes dégagés ci-dessus.
Gob (1960 :113) l’explique comme ce tour de la pensée qui retarde l’achèvement de la pensée, pour préparer un effet ou pour atténuer ce que l’on va dire ; cette suspension est souvent obtenue par une parenthèse. D’après Bacry (1992 : 237) la suspension consiste, comme son nom l’indique, à mettre le lecteur ou l’auditeur dans l’attente impatiente de ce qu’on a annoncé mais pas encore dit. Il s’agit ainsi de le tenir en haleine, comme suspendu à vos lèves. (….)
Mais la figure est surtout efficace lorsque, dépassant le cadre de la phrase, elle affecte un développement tout entier. Dans ce cas, plus la suspension est longue (et tous les moyens sont bons pour la faire durer), plus le suspense est grand, et plus la déclaration finale aura de force ; par ailleurs elle est souvent soutenue par d’autres figures, comme l’hyperbole, l’anaphore, la gradation ou encore le dialogisme (dialogue simple).
Pour nous, la suspension est un ornement du discours qui consiste à ne point achever la pensée pour donner plus de force à son propos ou pour adoucir ce que l’on va prononcer (www.languefrançaise.com, inachver).
Extraits : « il y a de cela trente ans… Quelque part au Congo… J’étais en train de mettre de l’ordre dans mes affaires… Je triais… Je rangeais… Sur le tas à brûler, il y avait un cahier dans lequel j’avais écrit l’histoire de mes amours perdus… », p. 5.

1. Il y a de cela trente ans…
Il est difficile ou impossible de relater dans un cahier ce qui se passait durant trente ans.

2. Quelque part au Congo…
L’écrivain laisse sous silence : la province, le territoire, la ville, le quartier, l’avenue, l’adresse.

3. J’étais en train de mettre de l’ordre dans mes affaires…
L’inachevé ici, c’est la mise en ordre de la vie future.

4. Je triais…
Dans le tri, il y a des choses à conserver et d’autres à brûler, ce que l’auteur laisse en suspens.

5. Je rangeais…
Le personnage narrateur arrange non seulement les choses à garder mais aussi à brûler, là il opère un choix.

6. « J’en reviens donc à ce fameux cahier que je veux brûler… », p.6.
L’inachevé du fameux cahier, c’est en fait le contenu du cahier, les histoires qui y sont écrites.

7. « Comme quoi la souffrance peut aussi servir à quelque chose… »,
p.6.
La souffrance a servi à quelque chose, nous pouvons poser la question, laquelle ?
Nous pouvons répondre par ceci, la souffrance a motivé le souffrant à rédiger, c’est l’inachevé.

8. « Comme piqué par une mouche, je sursautai, soudainement obsédé par l’image de ma femme. Que pouvait- elle faire en ce moment ? Etait-elle en sécurité ? je me mis à contempler une photo d’elle qui ne me quittait jamais. Mon chef me jeta un coup d’oeil, avec un sourire narquois aux lèvres. Un peu gêné, je le regardai venir vers moi. Il me dit sur un ton amical : C’est bon pour le moral, n’est-ce pas ? »… p.12.
Le moral du soldat est soutenu par l’image de l’âme soeur, c’est-à-dire son choix et celle qui lui est destinée. Il ne cesse de contempler son image pendant le temps de répit, car il est amoureux.

9. C’est ainsi qu’un soir, le Lieutenant Nzinga et moi poussâmes un peu plus loin notre curiosité pour aller voir le camp S.N.C.Z., jadis assiégé par les rebelles. La nuit nous surprit et lorsque nous débouchâmes sur une ruelle sinistre qu’éclairait mal la lueur de la lune, une explosion terrible, horrible, fracassante se fit entendre. Le Lieutenant venait de marcher sur une mine. Je ne puis écrire ce qui s’était passé ensuite, car je perdis connaissance. Lorsque, Dieu seul sait après combien de temps, je revins à moi, je me retrouvai dans un lit d’un hôpital malpropre, improvisé par le médecin du camp. Un infirmier qui veillait à mes chevets me sourit : « Tu l’as échappé belle… », p.17.
L’inachevé, c’est la mort, car le soldat a survécu à l’explosion d’une mine anti-personnelle en marchant sur celle-ci.

10. «Les journées qui au début me semblaient longues, mornes et monotones devinrent courtes et animées grâce aux conversations chaudes que mon commandant voulait bien entretenir avec moi. Un jour que j’étais fou de joie pour avoir reçu une lettre de ma femme, mon compagnon de lutte fut beaucoup amusé de me voir aussi heureux. Je me permis de lui faire la remarque : Mon Lieutenant, je ne vois ce qu’il y a de drôle à relire une lettre d’une personne qu’on croit morte… » p.18.
L’ellipse du discours est traduite par le fait que le Sergent Bizimana laisse en suspens que son âme soeur était en vie. Il croyait que sa femme était morte et pourtant elle était vivante.

11. « Un jour j’ai surpris ma bien-aimée avec une lettre destinée à quelqu’un d’autre. A part l’en-tête, les phrases étaient les mêmes que celles qu’elle avait l’habitude de m’écrire : Mon amour…, Mon prince…, loin de toi, je ne pourrais vivre…», p.19.
Au dire du romancier ces expressions traduisent : l’intimité, le charme et l’âme soeur pour le Sergent Bizimana. Mais, pour le Lieutenant, ces mots expliquent l’hypocrisie, une supercherie, car les mêmes expressions la femme les a déjà dites à un autre monsieur.

12. « Lorsqu’il ouvrit la bouche en commençant par décrire le décor, j’avais l’impression de me retrouver non sur un champ de bataille mais ailleurs, dans un passé que je laisse mon chef raconter lui-même… ». p.20.
L’inachevé, c’est le souvenir d’amour qui est une détente pour oublier les horreurs de la guerre.

13. « De temps en temps on voyait la soeur directrice en colère, le père directeur en colère…C’était un signe qu’un événement grave s’était produit. Et tu sais ce que c’était l’événement grave ? Eh bien, on avait intercepté une lettre d’amour, qui allait de l’internat des garçons à l’internat des filles.» p.24.

14. « Il était déjà au courant du forfait que vous aviez commis… Ho là là ! De notre temps, aimer était un crime et on ne nous laissait pas la moindre occasion pour rencontrer les filles». p 25.
La cause qui met les deux dirigeants en colère est laissée en suspens, c’est en fait la découverte d’une relation interdite entre un collégien et une lycéenne qui agite les autorités scolaires. Cette colère traduit la domination de la raison sur le sentiment qu’éprouvent les adolescents les uns envers les autres, c’est-à-dire entre filles et garçons.

15. « tu as compris le contexte ? je peux revenir maintenant à mes aventures amoureuses ? Mais comment donc, chef… continuez votre récit, je suis tout ouïe tout oreille » p.25.
L’ellipse du discours est l’émerveillement du sergent par les aventures amoureuses de son chef.

16. « -Vous attendiez le jour de congé…
-Ah oui. Le délai qui nous séparait du jour de congé me parut une éternité ; quand vint le jour attendu, le père directeur nous permis de sortir entre quatorze heures et seize heures.» p. 25.
L’inachevé ici, c’est le jour de retrouvailles entre les amants

17. « Bonjour Ntanga.
 Bonjour, répondit-elle, un peu surprise.
 Où vas-tu ? enchainai-je un peu réconforté par sa gentillesse.
 Je fais un tour… comme tout le monde.
 Puis-je te tenir compagnie ?
 Si cela ne te dérange pas … » p.26.
Accompagnée de celle que son coeur a choisie, ne peut pas déranger Nzinga, c’est la raison de sa sortie ; ce que l’écrivain a laissé en suspend.

18. « C’était une fois de plus, une occasion pour moi de revoir l’élu de mon coeur. Une intuition me poussa à prendre encore une fois la direction de la FOMULAC. L’intuition ne m’avait pas trompé : Je la vis venir toute souriante vers moi. Bonjour Ntanga, quel bon vent… ! » p.31.
La présence de la personne aimée exalte un parfum, c’est l’ellipse du discours.

19. « Mes enfants, fit-il sur ton solennel, voici venu le moment de la récolte, ceux qui ont planté peuvent s’attendre à une bonne moisson tandis que d’autres devront recommencer pour mieux soigner leurs cultures. Il serait absurde que celui qui n’a pas semé vienne profiter du champ d’autre…» p.38.
Cette suspension souligne les vertus du travail et l’exaltation de la réussite lors de la proclamation de résultat. Le champ dans lequel devaient planter les enfants est l’assistance aux cours et étudier constamment leurs leçons afin de réussir aux examens pour exalter cette réussite.

20. « Je finis par écrire à un ami qui était resté à tshilomba, lui demandant de mener une petite enquête pour éclaircir le mystère. Il ne fut pas long à me répondre, heureusement. Quand j’ouvris la lettre, c’était pour y lire ceci : À l’issue de ma petite enquête, j’ai constaté que Ntanga ne t’aime plus. Elle a déchiré toutes les lettres que tu lui as écrites, avant de les avoir lues et toutes les quatre pardi!… », p. 44.
Cette suspension traduit la déception amoureuse, les quatre lettres déchirées sans être lues signifient : je ne suis plus à toi et j’appartiens à un autre, c’est son choix, Nzinga est obligé de l’accepter comme tel, pour ainsi dire Ntanga n’était pas destinée à Nzinga mais à l’étudiant.

21. « Tu vas continuer à l’aimer contre son gré ? Tu ne vas quand même pas continuer à aimer celle qui, aujourd’hui, est la fiancée d’un autre, non ? Eh mon ami, laisse-moi te dire : Tu n’es ni le premier ni le dernier à qui cela arrive. Sois courageux et oublie-la. Les ennuis arrivent aussi à ceux qui sont mariés ; leurs femmes les quittent et s’en vont vers des plus offrants…Arrête de te faire souffrir Nzinga, la vie est faite ainsi…», p.46.
Cette ellipse du discours traduit le comportement calculateur de la femme, les femmes qui divorcent et vont vers les plus offrants, c’est leurs choix et ce mariage-là, est destiné à eux. Entre Nzinga condisciple de classe et l’étudiant, Ntanga a opté pour l’étudiant, c’est son choix.

22. « Encore un martyr, éructa le chef…» le lieutenant Nzinga, qui jusque-là évitait d’interrompre le pygmée ne put s’empêcher de réagir : « Encore un…», p.53.
Ces inachevés relatent les affres de la guerre et leurs victimes collatérales.

23. « Un martyr, oui ! Vous êtes choqué par le terme martyr, mais rassurez-vous, Lieutenant, j’avais eu la même réaction que vous. Je suis allé jusqu’à demander des explications au chef. D’une voix calme, il m’a dit : Caporal, tu as peut être déjà entendu parler des martyrs de l’indépendance et des victimes de telle ou telle guerre…», p.53.
Le chef laisse sous silence le nombre important de morts.

24.« A l’adolescence, le jeune homme veut se tailler une voie, il fait le contraire de ce que la société attend de lui…les adultes le savent. C’est ainsi que pour assouvir leur soif du pouvoir, ils recrutent les jeunes, les fanatisent et les envoient à la mort.» p.54.
L’écrivain met le lecteur dans l’attente impatiente de ce qu’on a annoncé, mais pas encore dit. Ce que l’écrivain a annoncé et le dira plus tard, c’est la soif du pouvoir et les jeunes ignorent qu’ils sont envoyés à la mort.
25. « Un bruit de pas se fit entendre…» p.55.
Cette suspension souligne l’autorité du général.

26. «Ah c’est toi ! émit-il comme s’il me connaissait déjà. Bonjour, assieds-toi et dis-moi comment tu vas.
 Je vais très bien, fis-je avec timidité. Un silence se fit, chacun de nous attendant que l’autre parle le premier. Je décidai à prendre la parole. Père, il parait que vous vouliez me voir…» p. 65.
Ce que l’auteur laisse sous silence est l’entretien entre le prêtre et Nzinga autour d’un sujet délicat, celui des fiançailles entre Nzinga et Mwika.

27. « Bien sûr que oui, mais vous ne me direz pas qu’ils vont le remarquer déjà demain. Plus tard ils seront au courant, mieux cela vaudra. Ce n’est qu’un point de vue tu sais, mais si vous trouvez mieux de proclamer vos fiançailles…», p. 66.
L’approbation ou non de Nzinga sur la proposition du prêtre est l’inachevée.

28. « - Pas jusque-là, mon père, je vous ai dit que j’étais de votre avis, n’empêche que j’entrevois quelques difficultés.
 Les difficultés, il va falloir les surmonter…Allez ! » p.66.
L’ellipse du discours est l’exhortation du prêtre à l’endroit de Nzinga afin d’affronter les difficultés, car Nzinga éprouve de sérieux problème d’ordre financier pour concrétiser son projet de mariage avec Mwika.

29. « Cher ami,
J’ai appris avec amertume que tu as rompu avec Ntanga et que tu serais amoureux d’une de tes collègues de classe. J’avoue que je n’approuve pas ce comportement car je suis persuadé que vous pouvez faire un joli foyer avec Ntanga.
Peut-être que Mwika, ta copine de classe, est plus belle que l’autre, mais ce n’est pas une raison pour la préférer. Que feras-tu le jour où tu rencontreras une plus belle que Mwika ?
Après tout c’est toi qui te maries…
Bien à toi.
Muki», p. 67.
Au dire de son ami, Nzinga doit opérer un choix judicieux entre Ntanga et Mwika, c’est la suspension. Et pourtant l’ami de Nzinga ignore que Ntanga est la première à décevoir. Ce n’est pas Nzinga qui a déçu Ntanga, c’est le contraire.

30. « Sur une autre page, elle était souriante dans sa robe blanche communiante. Ce sourire, je n’allais plus jamais le voir. La voix douce de ma soeurette, je ne l’entendrai plus jamais. Des larmes, encore des larmes coulaient de mes yeux et tombaient sur les photos …», p.72.
Ce qui reste pour sa défunte soeur, ce sont des photos d’elle, c’est les reliques de sa soeur que Nzinga laisse en suspend.

31.« Sur une petite montagne de terre, était plantée une croix en bois sur laquelle on pouvait lire : Nzeba Marie Thérèse, née…Tel un rideau, un voile de larmes m’empêcha de lire. Je fis un effort pour ne pas fondre en larmes car j’avais un message pour ma soeur», p.75.
L’ellipse du discours est la date de naissance et de la disparition. La douleur due à la mort brutale de sa soeur et les larmes empêchent Nzinga de lire les écriteaux sur la croix placée sur le tombeau.

32.« C’est très gentil de ta part, Mwika, et je n’y vois aucun inconvénient, mais tu devras savoir que Maman me posera des questions. Je devrai donc lui dire qui tu es pour moi…ce qui équivaut à rendre officielles nos fiançailles, du moins dans ma famille», p.78.
Nzinga devait dire à sa mère que Mwika était son amour et sa future épouse, c’est l’inachevé du discours.

33.«Nous n’avions pas encore parcouru cent mètres, quand un garçon vint à notre rencontre. Mademoiselle, dit-il à Mwika, les deux messieurs là-bas, en dessous de l’arbre, t’appellent. Va leur dire que je ne les connais pas répondit-elle sans perdre son sang-froid. Pendant que nous progressions, je gardai silence avec espoir que la fille m’expliquerait d’elle-même de quoi il s’agissait. Mais à ma grande surprise, elle ne disait rien. Entre-temps, un des garçons à qui le messager avait rapporté la réponse de Mwika, s’avançait, mine rébarbative, vers nous. « C’est comme ça maintenant ? », maugréa-t-il à l’intention de Mwika lorsqu’il arriva à notre hauteur. Devant le silence de ma copine, il enchaîna : c’est l’un ou l’autre… t’as pas de choix de toutes les façons. », p.82.
Pour le porteur du massage, Mwika doit opérer un choix l’un ou l’autre prétendant pas les deux à la fois. L’ellipse du discours est la monoandrie.

34. « Tu veux que je dise ? Eh bien hier, j’ai eu un entretien avec mon père, il ne veut pas que je lui parle de mariage ni de fiançailles…il ne veut même pas qu’un garçon arrive chez nous.», p.83.
L’inachevé est le refus des parents de Mwika d’accepter Nzinga comme gendre, car ce dernier ne répond pas aux attentes du père de Mwika.

35. «- Bonjour, fit-elle à mon intention. – Bonjour. –Qu’est-ce qui ne va pas ?–C’est à toi de me dire ce qui ne va pas, c’est mon ami qui m’envoie. – installe-toi… - non, je n’ai pas envie de rester, je viens juste te demander de m’expliquer ce qui se passe…Elle m’invita à l’écart et me dit : « j’aurais bien voulu t’annoncer une nouvelle qui te plaît…Mais ici, je suis triste de devoir te dire que Mwika te demande de l’oublier. », p.86.
Cette figure sous-entend la déception amoureuse. Car Mwika a chargé son amie de transmettre à Nzinga le message de séparation, pour ainsi dire Mwika appartient à un autre.

36. Le pauvre mec se mit à chanter : « Tala nzela oyo ngai nalukaki, ekomi komisa ngai mpasi na nzoto… »

37. Dans quelle merde me suis-je fourré ? Je souffre aujourd’hui de mon engagement…p.114.
L’inachevé est le passage aux aveux du prisonnier de guerre par rapport à son engagement dans la rébellion.

38. « Lieutenant Nzinga ?
-Oui, c’est moi.
- Je viens d’arriver avec cet avion. Avant de m’embarquer, j’ai vu ton ami Tony qui m’a chargé de t’informer que ta fiancée ne viendra pas. Elle aurait d’autres projets de vie… », p.115.
L’ellipse du discours est l’omission par Tony de l’expression traduisant la mauvaise nouvelle et la déception amoureuse. Le porteur du message a adouci la mauvaise nouvelle par le terme d’autre projet de vie. La fiancée du Lieutenant Nzinga a fait un autre choix, c’est-à-dire elle a croisé l’homme de sa vie, c’est le destin.
Ainsi répondrons-nous à la question de savoir ce que l’écrivain a laissé en suspend tout au long de l’oeuvre. L’inachevé du roman De Kolwezi à Kasaji, les amours perdus d’un adolescent est le dernier passage de l’oeuvre qui dit ceci : « la femme de ma vie est quelque part sur cette terre, un jour son chemin et le mien se croiseront ».
En fait, ce que le personnage narrateur Nzinga, après la première déception de Ntanga, ensuite celle de Mwika et enfin celle de l’anonyme fiancée, retarde dans le discours, est la femme de sa vie. Pour ainsi dire la femme qui lui est destinée serait quelque part sur cette terre, la Providence fera en sorte que la rencontre ait lieu. Ainsi donc « chaque homme a sa femme et chaque femme a son mari ».

Conclusion

Ainsi donc, nous avons analysé la figure de style de prédilection de l’écrivain de ce roman à savoir : la suspension dans De Kolwezi à Kasanji les amours perdus d’un adolescent. Cette suspension est répétée quarante fois, parce que dans le roman, le héros Nzinga et son jeune soldat se relatent tour à tour leurs amours perdus. Les trois aventures amoureuses de Nzinga se sont soldées par des déceptions, c’est l’inachevé. Pour ainsi dire la vie de l’homme est entourée de péripéties que ce dernier ne saura raconter et de projection qu’il peut accomplir.

Par Isaac MAYAVA DIVAYIKA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024