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Résumé

Cette étude consiste d’abord à situer l’ouvrage de Benoît Okolo Okonda intitulée Hegel et l’Afrique par rapport à la problématique de la philosophie africaine, puis critiquer Hegel par une réflexion seconde de sa pensée selon laquelle, l’Africain est dépourvu de tout raisonnement, incapable de se prendre en charge et de construire sa société sans l’apport des autres (Européens). Enfin, elle consiste à positiver la culture africaine, mieux à affirmer l’existence d’une philosophie purement africaine.
En lieu et place de s’organiser, l’Africain tient à la destruction et au vandalisme. Au fait, il importe de noter que les critiques de Hegel indiquent à la philosophie africaine la nécessité de remonter vers son passé antique (antiquité égyptienne), de dialoguer avec elle-même, pour mieux prendre conscience d’elle-même. C’est à cette condition qu’il y a la possibilité d’affirmer l’existence et l’émergence d’une philosophie africaine.
Mots clés : Existence, inexistence, philosophie africaine, Réflexion et Afrique

Reçu: le 3 octobre 2022
Accepté: le 14 mars 2023

Abstract

This study consists first of all in situating the work of Benoît Okolo Okonda entitled: « Hegel and Africa » in relation to the problematic of African philosophy, then criticizing Hegel for a second reflection of his thought according to which, the African is devoid of any reasoning, unable to take charge of himself and build his society without the contribution of others (Europeans). Finally, it consists in positively promoting African culture rather than affirming the existence of a purely African philosophy.
Instead of organizing, the African insists on destruction and vandalism.
In fact, it is important to note that Hegel's criticisms indicate to African philosophy the need to go back to its ancient past (Egyptian antiquity), to dialogue with itself, to become better aware of itself. It is on this condition that there is the possibility of affirming the existence and emergence of an African philosophy.
Keyswords: Existence, non-existence, African philosophy, Reflection and Africa

Received: October 3th, 2022
Accepted : March 14th, 2023

Introduction

Depuis sa publication, l’ouvrage du missionnaire belge Placide Tempels intitulé La philosophie bantoue en 1945, des débats féconds et discussions ont été relancés sur l'existence ou la non-existence de la philosophe africaine. Ainsi, deux tendances ont été diamétralement opposées. Pour les uns (Lévy-Bruhl, Hegel...), l'Afrique est un continent sans histoire et sans philosophie. A en croire Hegel, cité par Okolo Okonda (2010 : 83): « L’histoire est liée à la pensée ». Peut-on affirmer avec Hegel que l'Afrique n'a pas de pensée ? Certains Ethnologues (le cas de Tempels) ont affirmé l'existence d’une philosophie proprement africaine. Notre travail s'articule autour d’une disjonction exclusive (ou bien… ou bien...). Peut-on affirmer ou nier l'existence d’une philosophie africaine ? L'itinéraire poursuivi dans cette étude consiste d’abord à situer le livre de Benoit Okolo Okonda Hegel et l’Afrique par rapport à la problématique de la philosophie africaine, puis à repenser Hegel par une approche critique de son entendement reniant l’existence d’une possible raison africaine. Enfin, il est question de positiver la culture africaine, sinon d’affirmer l’existence d’une philosophie purement africaine. Dès lors, notre préoccupation majeure est de savoir si l'on peut affirmer l'existence ou l'inexistence de la philosophie africaine. S'agit-il d'une philosophie ou d'une pensée purement africaine ? La philosophie est-elle d'origine africaine ? Ainsi, il sera« difficile à un Africain d'être hégélien sans de quelque manière, remettre en question l'entreprise hégélienne », reprend Okolo Okonda (2010 : 44). Pour mener à bien cette réflexion, nous tenterons d'abord d'appuyer la thèse de Hegel qui prouve l'inexistence de la philosophie africaine. Ensuite, nous affirmerons l'existence de la philosophie africaine à partir de certains faits démontrant son originalité et son authenticité. Enfin, il sera question de repenser, à nouveaux frais, le problème de l'identité culturelle africaine et de situer l'ouvrage : Hegel et l’Afrique par rapport à la problématique de la philosophie africaine.

I. De l’inexistence de la philosophie en Afrique

I.1. La conception hégélienne de l'Afrique

Hegel fait de 1'européocentrisme, il considère la culture européenne comme étant la meilleure et il considère l'Afrique comme étant un continent sans histoire. Or pour lui : « L'histoire est liée à la pensée » Okolo Okonda (2010 : 83). Par ricochet, devrait-on affirmer, avec Hegel, que l'Afrique n'a pas de pensée ? C’est autour cette réflexion syllogistique que s’appuie notre argumentaire pour essayer de comprendre et de prouver une position vis-à-vis de l’identité africaine. L'Afrique, depuis toujours, a connu des paradoxes autour de son authenticité ou originalité. Des questions surgissant parfois sur l'origine de telle ou telle autre science, sur la nature ou l'invention de tel objet plongent leurs racines dans un passé lointain. A ce sujet, il est quelque peu difficile de balayer avec certitude les critiques des Européens adressées à l'Afrique. Cette dernière a-t-elle une histoire ? La pensée et l'histoire de l'Afrique traditionnelle paraissent méconnaissables. Okolo Okonda souligne avec précision : « A cause d'absence de textes écrits, beaucoup, à la suite de Hegel, nient, pour cette Afrique, l'histoire et la philosophie » Okolo Okonda (2007 : 45). Hegel conditionne l'historicité par l'écriture. Or, l'Afrique traditionnelle n’ayant pas d’écriture, ceci a conduit Hegel à conclure que l'Afrique n'a donc pas d'histoire. Alors que l'histoire n'est pas en soi nécessairement liée à l'écriture, la tradition orale fait aussi partie de l’histoire en ce qu’elle en est même une source non négligeable, à prendre en considération. Hegel estime quant à lui que : « L'histoire commence avec l'écriture, il s'avère donc que ceux dont l’écriture n'est pas attestée, ne font pas partie de l'histoire » Okolo Okonda (2010 : 100). Parler de l'histoire, c'est renvoyer tout un peuple à rechercher sa vraie identité. Hegel identifie l'Africain à un primitif, un barbare et un non civilisé. « On y voit l'âge de l'enfance, prélogique, irresponsable, incapable de se conduire dans l'histoire sans tutelle » Okolo Okonda (2010 : 101). Telle est la thèse essentielle de Hegel qui résume la critique face aux Africains. Hegel affirme que l'Africain est dépourvu de tout raisonnement, incapable de se prendre en charge et de construire sa société sans l'apport des autres (Européens). En lieu et place de s'organiser, l'Africain tient à la destruction et au vandalisme. Ainsi, Hegel dit : « La condition du développement cependant est extérieure à l'Afrique, celle-ci ne peut pas par elle-même actualiser les possibilités spirituelles et culturelles sans le secours des autres » Okolo Okonda (2010 : 43).
Hegel fait de l’Ethnocentrisme et réduit l'Africain au degré de l'animalité et de la barbarie. Pour lui, « L'Europe est appelée à dominer, du moins à civiliser, à libérer, à sauver, à spiritualiser les autres peuples » Okolo Okonda (2010 :82). De ce point de vue, l'Europe est considérée par Hegel comme un continent modèle qui doit, mutatis mutandis, servir de leçons à d'autres, en l'occurrence à l'Afrique. En outre, Hegel (1965 : 247) soutient que l’Afrique, « c’est le pays de l’or replié sur lui-même, le pays de l’enfance qui, au-delà du jour de l’histoire récente, est enveloppé dans la couleur noire de la nuit ». Il identifie l’Afrique au pays d’enfance caractérisé par l’immaturité, l’irresponsabilité et la vie prélogique. Néanmoins, par l’expression « Enveloppé dans couleur noire de la nuit », Hegel veut dire que l’Africain est sans initiative, égoïste et enfermé dans le sous-développement. Au regard de toutes ses critiques hégéliennes adressées à l'endroit de l'Afrique, Okolo Okonda ne souhaite pas évoluer sans la recherche de l’identité de l’autre, car pour lui, « l'autre s'oppose à moi et me révèle en se révélant dans cette opposition » Okolo Okonda (2010 :75) ; alors que la recherche de l'identité de l'autre (de l’altérité) constitue un enrichissement culturel et ouvre à certaines possibilités et réalités.

I.2. L'Africain et ses réalités

Nous ne pouvons, en aucun cas, rejeter en bloc le commentaire d’Okolo Okonda selon lequel : « les conditions géographiques font de l'Afrique un continent fermé sur soi. Cet enfermement prouve une absence du développement de l'esprit et entraîne la primitivité et la violence » Okolo Okonda (2010 : 42). Nous pouvons soutenir que ce commentaire traite des réalités purement africaines. En effet, la conscience des Africains, est au plus bas niveau. C'est ce qui entraîne le sous-développement, la course au pouvoir, les violences sous toutes ses formes. Par les conditions géographiques, nous pensons au climat tropical qui, à cause de la chaleur, ne favorise pas la capacité de produire ni de cogiter. Dans son discours où il explique pourquoi il déteste les Africains et les Arabes, l’ex-président Donald Trump a fustigé l'incapacité des Noirs d'affronter les études universitaires étant donné qu'ils sont incapables de transformer leurs sociétés. A travers un discours audacieux et xénophobe, Donald Trump ne s’est pas empêché d’arguer que : « Le fait que les Noirs et les Arabes ressemblent à des êtres humains ne les rend pas nécessairement des êtres humains sensés. (…)À présent chacun de nous a vu pratiquement que les Noirs et les Arabes ne peuvent pas se gouverner eux-mêmes. Donnez-leur des armes et ils se tueront. Ils ne font rien d'autre que faire du bruit, danser, épouser de nombreuses femmes, alcoolisme, sorcellerie, se livrer au sexe, faire semblant à l'église, jalousie, se battre et se plaindre de bêtises. (…) Alors quel imbécile soutient que l'homme noir n'est pas né un mendiant, grandit un mendiant, ressemble à un mendiant, tombe malade comme un mendiant et meurt en mendiant. Cela a été prouvé au-delà du raisonnement. Je me demande pourquoi, jusqu'à présent, la plupart des Africains continuent d'aller à l'école par la force et ceux qui sont à l'école sont des toxicomanes qui ne savent pas ce qui les a emmenés là ». http://futureafrique.net/node/161 (consulté le 25 Novembre 2022). Cependant, il nous reste à savoir si réellement l’Africain est absolument incapable du développement par lui-même. Ainsi, les réalités économiques, par exemple, viennent exaspérer la situation en incitant les Africains, devant à tout prix vivre et survivre, à des actes de vandalisme, de banditisme, aux viols, aux vols, aux meurtres, à l'adultère, à l'impudicité, à la corruption, à l’égoïsme, bref à toutes les antivaleurs, donc à l'immoralité.
Le modernisme a anéanti les valeurs morales traditionnelles, le respect des interdits n'est pas vécu aujourd'hui. Pour Elungu Pene Elungu (1984 : 107): « Il y a de grandes religions historiques qui ont élu domicile en Afrique, l'islam, le christianisme, qui, d'une manière ou d'une autre, ont contribué et contribuent à la destruction des sociétés africaines traditionnelles ». La musique débite aussi bien les chansons que les danses obscènes, constituant une des dimensions des antivaleurs qui déciment l'Afrique. Par ailleurs, loin pour nous la prétention de dépénaliser l’Africain ou de le dédouaner de toute responsabilité sur son retard, il faut non seulement reconnaître mais encore et surtout rappeler que toutes ces réalités ci-haut évoquées et toutes celles qu’on pourrait imaginer dans le chef de l’Africain, puisent leur source de la grande campagne dévastatrice de la traite négrière et de la colonisation. L’occident dans son entendement tenait à diminuer, mieux à réduire, l’image de l’Africain à des considérations mineures pour ses intérêts personnels. Au regard des réalités vécues en Afrique, pouvons-nous appuyer Hegel qui affirme : « Les Nègres sont sans intérêt, ils ne s'intéressent à rien. Ils forment une nation d'enfants. Ils se laissent facilement vendre sans autres considérations ? » Okolo Okonda (2010 : 38). Autrement dit, un peuple sans intérêt, qui ne cogite pas et son destin semble obscur ? Au-delà de toutes les réalités africaines, Hegel commet l'erreur de ne pas être capable de regarder l'autre (le peuple noir) comme soi-même, comme un égal. Okolo (2010 : 49) se réfère à Kimmerle qui préconise de « regarder l'autre dans son altérité ». Hegel pratique la théorie de l'oubli de l'autre. Il faut tenir compte de l'autre qui est différent de moi et à travers qui, il y a possibilité de s’ouvrir à d'autres réalités. Bref, « tout ce que Hegel affirme à propos de l'Afrique est à verser au compte des mythes et préjugés » Okolo Okonda (2010 : 51). Nous supposons que le discours de Hegel est pro-colonialiste. Il est possible de trouver aussi la philosophie ailleurs (en Afrique).

I.3. Afrique : possibilité d'émergences et d'une philosophie au sens strict

Les critiques hégéliennes adressées à l'Afrique n'ont pas de fondement qui démontre la rationalité d'un discours. Aucun critère n'a été tranché pour confirmer l'authenticité de ses sources africaines. Ces dernières proviennent, selon Okolo Okonda (2010 :56), « des missionnaires et des explorateurs qui ont réellement été en Afrique ». Le philosophe Okolo se demande s'ils ont été témoins oculaires de tous les événements et de tous les faits qu'ils relatent. L'une des questions fondamentales : est-il permis de croire à Hegel ou de douter ? Après Hegel, d’autres auteurs, comme Emmanuel. Kant, Voltaire, etc. ont tenu des propos injurieux à l’endroit de l’homme noir. C’est pour cette raison, que nous qualifions leurs discours de pro-colonialiste et discriminatoire. Ils ne peuvent pas être placés à la tête de l’humanité. Il importe de noter que les critiques hégéliennes permettent à la philosophie africaine de remonter vers son passé (antiquité égyptienne), de dialoguer avec elle-même, pour mieux prendre conscience d'elle-même. La philosophie est universelle, elle vise la totalité du réel. Partant de son objet, nous pouvons dégager de cette thèse qu'il n'existe pas un unique savoir philosophique mais une pluralité des savoirs, des courants et tendances parfois complémentaires mais aussi opposés. Etant donné la diversité de savoirs philosophiques, il est aussi possible d'approfondir l'essence même de la philosophie africaine, de la saisir dans sa mouvance, dans ses contrariétés et ses diversités. Parmi les savoirs philosophiques, existe-t-il des théories ou pensées africaines, susceptibles d'être appelées « philosophie » ?
Mutuza Kabe (2008 : 1) considère la philosophie comme « La mère et l'avocate des sciences, le savoir le plus ambitieux ». Est-il permis de parler des sciences purement africaines ? La philosophie prétend traiter de la totalité du réel, de la manière la plus radicale et intégrale. Dans cette totalité, n'y a-t-il pas de particularités infines ou minimes africaines faisant partie de tout ? Partant de la définition étymologique, la philosophie est l'amour de la sagesse, l'amour de la vérité. Hengel Brock cité par Okolo, entretient une confusion monumentale entre ces deux concepts : « Philosophie et sagesse ». Il se détruit en disant : « En Afrique traditionnelle, on ne peut pas parler de la philosophie, mais bien de la sagesse qu'on peut traiter dans les mythes, contes et proverbes, le respect des cultures... » Okolo Okonda (2010 : 49). La philosophie est une sagesse par excellence, il n'y a pas à confondre philosophie et sagesse. Hengel Brock nie tout en affirmant à la fois l'existence de la philosophie africaine. De même, reprend Okolo Okonda (2010 : 56) : « Il suffit de suivre leur itinéraire précis, les lieux où ils ont séjourné, pour se rendre compte qu'une bonne part de leurs récits vient de l'Ouï-dire ». Hengel construit donc son raisonnement sur base des préjugés et des opinions. Rien ne se fonde sur l'opinion ni sur les préjugés. L'opinion pense mal. Elle traduit des besoins en connaissances. Nous pouvons admettre que, la philosophie est d'origine égyptienne, Pythagore de Samos ayant séjourné 25 ans en Alexandrie où il a appris la philosophie. « La philosophie grecque est au croisement des philosophies venant d'Afrique et d'Asie » Okolo Okonda (2010 :85). Une question de curiosité mérite d'être posée : Le concept « Philosophie » étant d'origine africaine, pourquoi n’a-t-il pas porté un nom d’origine purement égyptienne ? Par ailleurs, l'Afrique ne peut nullement connaître son émergence, son développement sans pourtant philosopher, consciemment ou inconsciemment, volontairement ou involontairement.
L'émergence de l’Afrique est conditionnée par deux moments forts, affirme Mutuza Kabe (2008 : 8-9). A propos, Mutuza Kabe (2008 : 8-9) déclare que « le premier temps peut être appelé clinique, c'est celui de l'observation et de la compréhension où le philosophe se penche sur son objet qui est l’homme, pour le comprendre humainement, il faut alors essayer de définir la condition de l’Africain, et de saisir ses conduites vécues dans son milieu éclairé par les données des sciences humaines, sociologie, psychologie sociale, anthropologie culturelle. Le second temps peut être opératoire : c'est le temps des choix, des décisions, des résolutions, des exécutions ». La philosophie oriente le développement. L'essence du développement consiste dans la mise en oeuvre des cultures favorisant les conditions humaines. En quoi la philosophie tout court est-elle différente de la philosophie africaine ? Pouvons-nous confirmer l'existence sans condition de la philosophie africaine ? Elungu Pene Elungu (1974 :71) dans L’éveil philosophique africain, cite Kwamé Nkrumah dont la mission est celle de « libérer son pays, de libérer l'Afrique, d'y établir les Etats-Unis d'Afrique». Nkrumah tenait pour l'accomplissement du panafricanisme, pour l'élaboration effective d'une idéologie africaine moderne, des Etats-Unis d'Afrique, idée immanente de la société qui vise la liberté.

II. De l’existence de la philosophie africaine

II.1. La philosophie, est-elle de l'ordre africain ?

Le concept philosophie africaine est souvent confronté à une difficulté énorme sur son essence, voire sur son origine. D'aucuns disent qu'elle est d'origine africaine ou orientale, d'autres parlent de la Grèce comme cité de la philosophie. L'histoire illustrée dans « Hegel et l'Afrique » nous apprend : « et la philosophie et la science ne seraient pas ce qu'elles sont sans l'apport du Nord-Africain Augustin, d'Euclide qui a longtemps vécu en Alexandrie et le Marocain Ibn Rushd (Averroès) le grand commentateur d'Aristote » Okolo Okonda (2010 : 85). Acceptons que l'Afrique a, d'une manière ou d'une autre, participé à la genèse de la philosophie et en tant que telle, elle a progressivement évolué grâce aux apports des chercheurs aussi bien occidentaux, orientaux qu'africains. Ainsi, l'Afrique joue un rôle non négligeable dans le progrès scientifique. Cheik Anta Diop nous propose une réflexion approfondie, objective et sans complaisance sur l'origine des sciences africaines, il a dévoilé les racines africaines servant à promouvoir le continent des nègres. Awak’Ayom (1989 : 79) souligne avec précision : « Cheik Anta Diop a permis (aux Egyptiens) de comprendre l'origine lointaine de la parenté et de l'interpénétration sémito-africaine, il a mis en valeur l'apport de la grande civilisation africaine d'Egypte dans les domaines (géométrie, algèbre, astronomie, médecine, chimie, architecture, philosophie) et son influence prenante sur les civilisations qui lui succèdent dans le rayonnement ». Dans le souci d'enraciner la science en Afrique, Cheik Anta Diop évoque la possibilité et l'aptitude de vulgariser les langues nationales (Wolof, par exemple) pour le développement scientifique et technologique de l'Afrique en particulier, du monde en général. Pour lui, les mathématiques les plus abstraites et les théories les plus difficiles en physique peuvent être enseignées avec beaucoup de rigueur et de précision en langues africaines. Une telle philosophie constitue d'ores et déjà un défi culturel lancé contre la prétendue supériorité culturelle du colonisateur, mettant en cause les fondements même de l'idéologie et de la domination occidentale. Bref, la mission de Cheik Anta Diop consistait à « redonner à l'Afrique sa dignité, la foi en elle-même pour une plus grande mission civilisatrice qui fut la scène dans l'histoire de l'humanité » (Awak’Ayom 1989 : 83). Ainsi, l'unité des sciences africaines trouve son fondement dans la culture, dans l'acculturation et dans l’interculturalité. Autrement dit, le contact avec le monde extérieur (l’occident) peut offrir à l'Afrique la possibilité de créer et de s'identifier.

II.2. L'interculturalité comme fondement d'identité philosophique africaine

Depuis toujours, l'Afrique s'occupe et se préoccupe avant tout de son problème fondamental. Ce dernier est incontestablement, celui de sa garantie dans l'existence, celui d'être ou de ne pas être, un problème de vie ou de mort parmi les peuples du monde. L’Afrique est confrontée aux problèmes de dominations et d'exploitations. La philosophie vise la totalité du réel. Poursuivant son objet, elle ne peut pas prétendre se réduire à un espace géographique qui est l'Afrique. Elle est universelle et dans toutes ses investigations elle ne jure qu'au nom de l'universalité. L'interculturalité et l'acculturation servent à étendre ou encore à abolir les limites de la connaissance dite philosophique. Les différences constituent un « tout ». A en croire M.J. Herskovits (2000, pp. 69-70) : « Le véritable centre du relativisme culturel est la discipline sociale qui provient du respect des différences - du respect mutuel. Reconnaître la valeur de plusieurs modes de vie, c'est affirmer les valeurs de chaque culture. Cette reconnaissance vise à comprendre et à harmoniser les buts, non à juger et détruire ceux qui ne rejoignent pas le nôtre. L'histoire de la culture nous apprend qu’il est tout important qu'il soit d'étudier les parallélismes dans les civilisations humaines, il n'est pas moins essentiel de discerner les différents moyens que l'homme a mis en oeuvre pour satisfaire ses besoins ». La différence constitue un enrichissement culturel. Elle fait allusion à plusieurs tendances, à plusieurs tendances aussi bien opposées que complémentaires. Il ne suffisait pas de plagier la philosophie occidentale pour faire la philosophie africaine. Okolo Okonda (2010 :110) abonde dans le mêmes sens en disant : « la culture africaine n'est pas la culture européenne. Une culture ne semble s'identifier qu'en face d'une autre culture ». La pluralité des cultures constitue une diversité des pensées ou des philosophies. L'identité est une appartenance à une idéologie, à un regroupement des personnes, à un idéal, à une culture, à une histoire. Hegel a approfondi la culture et le passé de son peuple. A ce titre, la philosophie africaine n'a pas tort de réfléchir sur ses proverbes, mythes et traditions. « L'occident se reconnaît toujours dans la philosophie de Hegel parce qu'elle résume son passé, décrit ses ambitions aujourd'hui et demain. Le philosophe africain doit, à son tour, porter l'histoire et le destin de son peuple », ajoute Okolo Okonda (2010 : 111). Il n’est pas sans raison d’admettre en effet, que l'identité me donne les possibilités d'ouverture grâce à l'autre, que l’interculturalité constitue une véritable rencontre et enrichissement mutuel. L'interculturalité relève de l'universalité. Elle est selon Okolo Okonda (2010 : 11) : « Une véritable rencontre qui suppose que, par-delà les différences, l’homme retrouve l’homme ». L’homme se définit et s’identifie par rapport à l’autre. Dans les différences on trouve l’élément culturel qui sert à délimiter les aires culturelles, à refaire l’histoire non écrite du contact entre les peuples. Aussi voyage-t-il de tribu en tribu, l’élément culturel se combine et se recombine avec d’autres éléments. La philosophie est fondamentalement liée à la culture et à la langue, donc à la tradition. La définition de la philosophie Africaine selon Houtondji : qui est « L’ensemble de textes écrits par les africains et qualifiés par leurs auteurs eux-mêmes de philosophiques » exclut la possibilité d'universalité. Tempels et d'autres occidentaux ont écrit sur

la philosophie africaine, il en est de même des Africains qui rédigent des thèses sur la philosophie occidentale. L'identité de la philosophie africaine doit, à proprement parler, puiser sa force dans un cas de contact entre les cultures. A en croire Herskovits (1967 : 217). : « Lorsqu'on trouve un cas de contact entre des cultures, il faut aussi admettre un certain contact humain ; seul moyen d'expansion de la culture de peuple à peuple ou de génération à génération » La culture de l'autre enrichit ma philosophie. C’est pourquoi, il y a urgence de repenser l'Afrique et de dépasser Hegel.

II.3. Repenser

l'Afrique et Hegel Les critiques hégéliennes ont contribué efficacement à l’'émergence de l’Afrique. Il s'agit d'un éveil, mieux d'un réveil sur le plan aussi bien culturel que philosophique. Il faut lire autrement Hegel, c'est-à-dire dépasser l'instance critique en vue de mieux cerner la quintessence de l’après philosophique africain. Le continent d'Afrique est confronté aux défis d'ordre culturel et scientifique. Son souhait tient toujours à sortir de la crise d'identité. Or nier la thèse de Hegel face à l'Afrique constitue toujours et déjà une injure, un frein étant donné qu’elle a contribué efficacement à une prise de conscience pour le développement du continent africain. Notre manière consiste à reconnaître Hegel pour un changement d'attitude, pour uneAfrique productrice, comme le dirait Okolo Okonda (2007 :116) : « Mon but était de traverser la pensée de Hegelen vue de forger une nouvelle identité de l'Afrique ». La thèse hégélienne s'inscrit dans le cadre de la prise de conscience et de la question de l'identité africaine. Mais l’essentiel n’est pas de prendre conscience mais de répondre à la question : qu’est-ce que nous avons fait de cette prise de conscience ?
La critique hégélienne tient à la considération de l'Afrique à travers son identité. Repenser l'Afrique et Hegel consiste à redéfinir les cultures africaines authentiques en vue de les rendre systématiques, rigoureuses ; c'est en quelque sorte, retrouver son identification véritable. Le défi est lancé aux africains de se visualiser, d'atteindre un certain niveau de philosophicité.

II.4. Appréciation critique

La prise de position de Hegel constitue un éveil de conscience à la fois philosophique et culturelle africaine, un surgissement d’une pensée radicalement critique et autocritique, un centre d’intérêt des idées innovantes en vue de la formation intégrale de l’Africain. Il s’agit en effet d’un discours supposé porteur d’une mission spéciale susceptible de nous interpeller pour la construction véritable de la société dite africaine. L’incapacité de se prendre en charge, de se gérer, de se gouverner est une réalité indubitable en Afrique. Cette incapacité se justifie par le fait que l’Afrique surtout subsaharienne continue à rester à genou, à rêver, pendant que son sous-sol est extrêmement riche. L’Occident, quant à lui, s’impose, maintient l’Afrique dans une situation de pauvreté. Elle crée des mécanismes de dépendance afin que l’Afrique se soumette à ses caprices. L’Africain a réclamé hier son droit en indépendance, aujourd’hui, incapable de se diriger. Cependant, celui qui se lève pour le progrès, pour la vérité est souvent réduit au silence au point d’être poussé (adossé) contre mur. Que faire pour détruire l’entreprise hégélienne pro-colonialiste ? L’Africain doit cesser de se plaindre et travailler d’arrache-pied en vue, non seulement de préparer ses moyens de défense, mais aussi d’attaquer tout discours occidental. L’Afrique doit déclarer son autonomie à la manière d’un monde oriental (Chine, Inde, Japon). D’où l’urgence s’impose afin de promouvoir le panafricanisme (s’habiller, manger, parler, penser, …, en Africain) et cultiver l’esprit de créativité. Par ailleurs, si l’occident se glorifie aujourd’hui, il doit par-dessus tout l’admettre que hier, c’est en Egypte qu’il est venu se former. Ainsi, si le monde, évoluant dans une dynamique cyclique, le place à un certain seuil, le devoir de mémoire oblige, il doit faire allégeance à ce vieux continent (berceau de l’humanité) qui l’a bercé jadis. Mais aussi, l’Afrique de son côté, doit sortir de son sommeil dogmatique, et mettre à profit son savoir-faire, elle doit faire le pas vers l’Occident, non pas à la recherche d’un mieux-être pour s’y installer de gré ou de force, mais d’user de sagesse pour puiser du génie occidental afin de mieux repenser le continent Africain. C’est dans cette perspective que nous permettons de citer Towa (1971 : 59) qui dit : « Et cette nécessité nous ramène au point de départ de notre affrontement avec l’Occident, époque où nous cherchions avec tant d’ardeur à rétablir l’équilibre des forces en nous emparant du secret de la victoire de l’Occident » L’Afrique doit redéfinir son paradigme de richesse et de développement, car obsédé par l’immensité scandaleuse de ses richesses, le vieux continent trime dans la misère la plus noire au fond d’un grand trou rempli d’or. Il est temps que l’Afrique, de par ses dirigeants et ses populations, encourage l’entrepreneuriat en lieu et place d’un intellectualisme qui se révèle de plus en plus stérile et incapable de relever le grand défi auquel elle est confrontée. Notre lutte permanente consiste à appliquer les propos de Towa (1971 : 59) qui stipule : « Nous sommes en quête de quelque chose qui nous manque, et non de ce que nous aurions déjà ».

Conclusion

Au terme de notre étude, nous retenons deux points essentiels dont l’approche nihiliste soutenue par Hegel qui rejette catégoriquement l'existence de la philosophie en Afrique d’une part et l’approche panafricaniste d’autre part, laquelle approche soutient et confirme l’existence de la philosophie en Afrique mieux la raison même, une preuve identitaire de l’Afrique. Pour Hegel, l'Africain est dépourvu de tout raisonnement, incapable de se prendre en charge et de construire sa société sans l'apport des autres (Européens). Il importe de noter que les critiques de Hegel, permettent à la philosophie africaine de remonter vers son passé antique (Antiquité égyptienne), de dialoguer avec elle-même, pour mieux prendre conscience d'elle-même. C’est pourquoi il y a possibilité d'affirmer l'existence et l'émergence d'une philosophie africaine. De ce qui précède, nous arrivons à l’évidence de l'existence de la philosophie africaine. Il s'ensuit que l'Afrique a, d'une manière ou d'une autre, participé à la genèse de la philosophie. Cette dernière a progressivement évolué grâce aux apports des chercheurs occidentaux, orientaux et surtout Africains eux-mêmes. Cheik Anta Diop nous propose une réflexion approfondie, objective et sans complaisance sur l'origine des sciences africaines. Il met en valeur l'apport de la grande civilisation d'Egypte dans les domaines (Géométrie, Algèbre, Astronomie, Philosophie). S'agissant de l’interculturalité, nous avons évoqué Okolo qui parle d’une culture qui ne semble s'identifier qu'en face d'une autre culture. Ainsi la pluralité des cultures constitue une diversité des pensées ou des philosophies. Le contact des cultures est le seul moyen d'expansion des cultures de peuple à peuple. La culture de l'autre enrichit ma philosophie.
Hegel a fait de l’Européanisme, mais ses critiques ont contribué efficacement à l'éveil, mieux, au réveil de l'Afrique. Repenser Hegel consiste à lancer un défi culturel contre la prétendue supériorité culturelle du colonisateur, c'est aussi le dépasser pour une nouvelle identité africaine.

Par Serge MUTEKE KIBA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024