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Résumé

Dans les usages quotidiens des locuteurs, on s’aperçoit des innovations dues à la dynamique socio-langagière en contexte de l’écologie linguistique dans l’espace francophone du Sud. Pourtant, les études portant sur l’étymologie demeurent rares. Comment comprendre cette désaffection des chercheurs ? Le présent article tente, non pas de répondre à cette interrogation, mais de dégager un certain nombre de difficultés qui jonchent le parcours de celui qui entreprend les recherches en ce domaine. Des éléments de réflexion sont présentés, après l’examen des exigences méthodologiques des recherches en étymologie et un regard sur neuf inventaires identifiant des unités lexicales qui se rapportent à la R.D. Congo.

Mots clés : écueils, étymologie, francophonie, recherches, R.D. Congo.
Reçu le : 31 mai 2023.
Accepté le : 27 juin 2023.

Abstract

In the francophone space of the South, whereon nevertheless perceives a linguistic dynamism on the part of the speakers, studies bearing on etymology remain rare. How to understand this disaffection of researchers?
The present article attempts, not to answer this question, but to identify some difficulties which litter the course of the one who undertakes research in this field.
Elements of reflection are presented, after examination of the methodological requirements of research in etymology and a hard look at nine inventories identifying lexical units relating to the D.R. Congo.

Keywords : difficulties, etymology, Francophone space, research, D.R. Congo.
Received : May 31th, 2023.
Accepted : June 27th, 2023.

Introduction

Dans l’espace de la Francophonie du Sud, singulièrement en République démocratique du Congo, malgré le dynamisme des pratiques quotidiennes (et peut-être même à cause de cela ?), il s’observe, parmi les études consacrées à la langue française, un intérêt peu marqué pour l’étymologie des mots en usage par les locuteurs. Très rares sont, en effet, dans l’état actuel de nos connaissances, les recherches qui abordent l’étymologie pour elle-même. Les quelques indications d’ordre étymologique dont nous disposons sur des unités lexicales du français en Afrique sont à la fois épisodiques et, surtout, indirectes (à l’occasion des travaux portant sur d’autres sujets).
Cet état des choses n’est pas sans nous interpeller, d’autant que dans la « Présentation » de l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire (Equipe IFA, 1988 : XXXI), s’agissant des informations sur les étymologies relatives aux langues africaines, D. Racelle-Latin a affiché prudence et réserve, dans l’attente « d’un approfondissement de la recherche ». Le problème se double par la présence de quelques contradictions à travers les indications étymologiques figurant dans certains travaux récents, comme nous le montrerons plus loin.
Voilà pourquoi il nous a paru opportun, voire urgent, non pas de présenter une étude des étymologies mais d’explorer le terrain et d’en épingler en quelque sorte les écueils.
Au chapitre II (consacré au statut lexicologique du mot), R. Eluerd (2000 : 58) écrit : « La néologie est la première dimension historique du statut lexicologique du mot. » Et l’auteur de poursuivre : « Se trouvent associées à la néologie les questions d’étymologie et de datation des nouvelles unités. » (Eluerd, 2000 :59).
Qu’elle soit définie comme étant « le processus de formation de nouvelles unités lexicales » (Dubois et al., 2012 : 322), ou envisagée comme chez J.-F. Sablayrolles (2020 : 21) selon une conception « large et scalaire », en tant qu’« une innovation quelle qu’elle soit, par rapport au savoir intégré d’un locuteur », toujours est-il, ainsi que l’avaient souligné Pruvost et Sablayrolles (2019 : 23), que « la néologie raconte l’histoire d’une société et de sa langue ».
Reflétant donc l’histoire de la société, le phénomène de la néologie, tout comme les questions qui lui sont associées, notamment l’étymologie, ne saurait laisser indifférent.
Et ceci d’autant que l’on attend généralement de l’étymologie qu’elle apporte bien des éléments d’information : « Datations, changements de sens, altérations phonétiques, attestées ou quelquefois reconstruites, autant d’informations que doit fournir une étymologie bien conduite, autant d’exigences méthodologiques aussi. » (Brucker, 1988 : 26).
Des contraintes d’ordre pratique nous imposent une limitation : nos investigations ne concernent que les inventaires élaborés sur l’Afrique centrale, en rapport avec les étymologies des unités lexicales dûment identifiées comme relatives à la République démocratique du Congo.
Notre étude évolue à travers trois points. A partir de la revue des considérations théoriques sur l’étymologie, telles qu’elles peuvent se dégager des modèles linguistiques contemporains, il sera question de relever le plus de données actuellement disponibles sur les indications étymologiques fournies, ce qui nous permettra de mettre à jour les difficultés inhérentes à cette tâche pour baliser, le cas échéant, la voie.

1. De l’étymologie
1.1 L’étymologie : aspects et principes

L’étymologie, que Le dictionnaire de linguistique et des sciences du langage (Dubois et al., 2012 : 187) définit comme étant « la recherche des rapports qu’un mot entretient avec une autre unité plus ancienne qui en est l’origine », a pendant longtemps été limitée à la seule connaissance de l’origine des mots, consistant à retrouver l’étymon primitif. L’on sait que cette conception a été battue en brèche dès le XIXè siècle, par l’apport successif des principes phonétiques de la méthode historique et comparative, des formulations des néo-grammairiens, et des découvertes de la géographie linguistique (Dubois et al., 2012 : 187-188 ; Brucker, 1988 : 3-4).
Par la suite, la sémantique devenant une discipline autonome (Bréal, 1883), la réforme saussurienne en a accentué l’orientation scientifique, de même que les travaux de W. Meyer-Lübke (1935) sur l’étymologie des langues romanes et l’oeuvre colossale de W. von Wartburg (1922-1978) sur la langue française, jusqu’aux tendances récentes résultant des travaux, notamment, de J. Gilliéron, P. Guiraud et K. Baldinger.
Parmi les avancées apportées à l’étude de l’étymologie au XXè siècle, notons, avec C. Brucker (1988 : 13-15) : la distinction entre l’étymologie-origine et l’étymologie-histoire du mot, ce qui a enrichi l’ancienne méthode, car « c’est à travers l’histoire du mot qu’on remontera aux origines » ; l’orientation structurale des recherches étymologiques met la sémantique à la disposition de l’étymologie, car l’histoire du mot implique l’évolution de tout le système ; enfin, la prise en compte de l’aspect sociologique, à la recherche du rapport reliant l’histoire du mot à celle de l’homme.
Ainsi, au nombre des bases qui assurent le fondement de l’étymologie correcte, C. Brucker (1988 : 28) place tant les dispositions du linguiste dans son travail (s’appuyant sur les données linguistiques et les éléments extralinguistiques) que les préalables méthodologiques (la première attestation du mot dans un corpus restant « la clé de l’histoire du mot ».
Aussi I. Tamba-Mecz (1998 : 13) peut-elle insister sur la nécessité de prendre en compte les transformations du mot, ses « mutations successives ». Aussi, pour sa part, V. Nyckees (1988 : 64) définit-il l’étymologie comme « l’étude de l’origine et de l’évolution des unités du lexique (mots, locutions), tant pour leur forme que pour leur signification, depuis leur état le plus anciennement accessible ».
Du reste, V. Nyckees (1998 : 64) l’affirme : « il n’est pas d’origine sûre pour un mot sans une connaissance certaine de son évolution ultérieure », et inversement, ce sont ces connaissances étymologiques qui nous fournissent la perspective des significations composant notre univers, permettant de « retrouver à l’oeuvre, jusque dans les formes souvent opaques des langues modernes, les principes fondateurs de cette cartographie du monde déposée dans notre culture de façon immémoriale grâce au langage » (Nyckees, 1998 : 65).

1.2 L’étymologie populaire

A propos de l’étymologie populaire : J. Dubois et al. (2012 :188-189) y voient « le phénomène par lequel le sujet parlant, se fondant sur certaines ressemblances formelles, rattache consciemment ou inconsciemment une forme donnée à une autre forme avec laquelle elle n’avait aucune parenté génétique ».
Elle consiste, d’après F. de Saussure (1969 : 238) aux tentatives d’expliquer approximativement un mot embarrassant (dont la forme et le sens sont peu familiers) en le rattachant à quelque chose de connu. Et le linguiste genevois de conclure ainsi les quatre pages qu’il consacre à l’étymologie populaire : « L’étymologie populaire n’agit donc que dans des conditions particulières et n’atteint que les mots rares, techniques ou étrangers, que les sujets (s’) assimilent imparfaitement » (Saussure, 1969 : 241).
Dans cette étymologie populaire, dite aussi fausse motivation (Lehmann et Martin-Berthet, 2000 :105-106), la ressemblance de forme accidentelle conduit à trouver au mot une motivation qui n’est pas la vraie. Les mots construits sont, à cause de leur structure interne qui les met en relation avec un ou plusieurs mots de la langue, relativement motivés, par opposition aux mots simples ; c’est pourquoi dès que le locuteur perd cette motivation (démotivation), il lui faut absolument une remotivation.
Cette notion de motivation ne saurait se comprendre sans se référer à la notion saussurienne de l’arbitraire du signe (Saussure, 1969 : 182) : entre l’arbitraire absolu (ou l’immotivé) et l’arbitraire relatif, « l’esprit réussit à introduire un principe d’ordre et de régularité dans certaines parties de la masse des signes, et c’est là le rôle du relativement motivé ». C’est ce qui fait dire à S. Ullmann (1969 : 115) que la motivation morphologique et la motivation sémantique peuvent être résumées sous le terme de motivation étymologique, qui pousse le locuteur à expliquer « le mot en le rattachant à un ou plusieurs autres éléments du lexique ».
Tout se passe donc comme si c’était « le sentiment de l’usager », d’après sa compétence morphémique, qui guide, écrit J. Rey-Debove (1998 : 198-199), usager dont la tendance est de « refuser l’opacité » ; et c’est ce « souci de désopacification » qui, pour permettre au locuteur de retrouver une explication, produit la « morphoétymologie sauvage ».
Par ailleurs, la place de l’étymologie dans le champ linguistique est, en elle-même, source d’ambiguïté ; certes, ses préoccupations diachroniques rattachent l’étymologie à la linguistique historique (Nyckees, 1998 : 64) : phonétique et morphologie historiques, lexicologie et sémantiques historiques… Toutefois, une question mérite d’être posée : les études d’étymologie, telles que, du moins, nous les lisons sur le français en Afrique noire, n’auraient-elles pas tendance à privilégier l’aspect synchronique ?
Nous allons à présent nous pencher sur un certain nombre de travaux qui fournissent, de biais, l’étude étymologique.

1.3 Quelques travaux de référence

Conformément à l’option levée dès l’introduction, notre choix s’est porté, singulièrement, parmi les inventaires relatifs à l’Afrique centrale, sur les unités du lexique dûment identifiées comme relatives à l’espace de la République démocratique du Congo.
Notons dès l’abord que les mots concernés ne sont pas toujours d’origine française, mais, généralement, africaine. Ceci signifie donc que bon nombre parmi eux appartiennent à la catégorie des emprunts. Toutefois, il est heureux que nous puissions disposer d’une poignée d’études consacrées à l’une ou à l’autre de ces deux catégories ; ces études nous servent ainsi de repères.
Des travaux, rencontres et échanges entre les équipes de plusieurs centres de recherche en Afrique francophone, en vue d’une mise en commun des données, ont abouti à la publication du riche Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire (Equipe IFA, 1983, réédition en 1988) déjà mentionné.
Et à la suite des turbulences de la démocratisation en Afrique depuis la décennie 90, une indiscutable vitalité a accentué et accéléré la particularisation du français, d’un pays africain à l’autre, selon le contexte de chaque espace national, entraînant la publication des sommes de ces variétés pays par pays.
Diansonsisa Mwana Bifwelele (1982 :1-35) a déjà élaboré, à Lubumbashi, une typologie des lexies d’origine française dans le français zaïrois/congolais. Quant aux emprunts, nous disposons de l’excellente étude que Nyembwe Ntita (2006 : 211-224) y a consacrée. Mentionnons en outre, de W. Bal (1981), l’article répertoriant les mots d’origine portugaise dans quatre langue bantoues du Zaïre (le lingala, le kikongo, le pende et le ciluba), mots dont certains se retrouvent également dans le français de l’espace congolais (capita, lavadeire, matabiche).
Incontournable est l’ouvrage de Sesep N’Sial (1993), devenu un classique, sur le français zaïrois/ congolais, et dont l’auteur (Sesep N’Sial, 2021) vient d’approfondir l’aspect de la variation sociale et morphosyntaxique.
Enfin, nous avons personnellement déjà consacré un certain nombre d’études sur la problématique des particularismes du français dans notre pays, entre autres dans la littérature coloniale belge (Sumaili, 2022 : 17-39) et, pour la période de la transition entre la IIè et la IIIè République (Sumaili, 2015 : 97-106).
Néanmoins, tant pour les lexies d’origine française que pour celles provenant des langues africaines, vu la complexité et l’évolution des tendances créatrices, il doit être tenu compte de la typologie des matrices lexicales telle que présentée par J. Pruvost et J.-F. Sablayrolles (2019 : 95-114), tout en intégrant les réflexions pertinentes qu’a émises J.-F. Sablayrolles (2020 : 21-32).

2. Regard sur quelques inventaires

Comme inventaires, nous disposons d’une bonne dizaine de travaux, étalés sur une quinzaine d’années, soit entre 1995 et 2009 ; pour la plupart, il s’agit de travaux réalisés sur les pays de l’Afrique centrale (le Burundi, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo/Brazzaville, le Gabon et le Tchad), voisins de la RDCongo.

2.1 Pierre Dumont et Bruno Maurer (1995)

Dans le cadre de la sociolinguistique du français en Afrique noire, P. Dumont et B. Maurer (1995 : 48) donnent un aperçu riche mais limité à quelques unités, du secteur lexical des particularités du français en Afrique centrale :
- capita (du pg. « capitao », mot attesté en littérature notamment chez A. Gide, courant dans le français de l’ex-Afrique équatoriale française et des anciennes colonies belges, désignant un Africain conducteur de caravane, chef d’équipe, contremaître, chef de petit village.
- barza (Zaïre, Burundi et Rwanda), signifiant ‘véranda, galerie entourant la maison, terrasse ouverte’. Ce mot vient du swahili « barza » ou » baraza », qui l’aurait reçu lui-même de l’arabe de Mascate « barza », ‘vestibule, portique, véranda, lieu de réception’, probablement apparenté ou emprunté à l’hindi « baroza », vestibule.
- tchop, ‘nourriture, repas’, mot d’origine anglaise, attesté notamment dans le français du Zaïre, du Burundi et du Rwanda mais aussi en créole anglais du Cameroun, en espagnol de l’ex-Guinée espagnole et, déjà au milieu du XIXè siècle, en négro-anglais de la côte occidentale de l’Afrique.
- potopoto, mot répandu dans toute l’Afrique noire francophone, attesté depuis 1890 dans l’ouest africain, connu aussi en créole anglais du Cameroun de même qu’en espagnol de Guinée. Romain Gary l’emploie dans ses Racines du Ciel, Léopold-Sédar Senghor l’enchâsse dans sa célébration du fleuve Congo : « Tam-tam toi tam-tam des bonds de la panthère, de la stratégie des fourmis / Des haines visqueuses au jour troisième surgies du potopoto des marais » (Ethiopiques). Ce mot d’origine africaine est pris dans diverses acceptations (sic), les unes physiques :’marais vaseux, boue, mortier, pisé, mélange d’aliments réduits en purée’, les autres abstraites, figurées : ‘mélange (un potopoto musical), ‘pot-pourri, affaire embrouillée, gâchis’.

2.2 Claude Frey (1996)

Etudiant la lexicographie et la culture du Burundi, C. Frey (1996 : 17) donne comme particularismes adstratiques empruntés au swahili :
- sombe ‘plat d’origine zaïroise’
- pili-pili ‘piment’.

2.3 Edema Atibakwa Baboya (1998)

Dans sa thèse de doctorat consacrée à l’étude lexico-sémantique des particularismes du français au Zaïre/Congo, Edema Atibakwa Baboya (1998 : 245 et 250) remet en question l’origine d’ « article 15 » qui, selon l’auteur, a commencé par signifier ‘sauve qui peut’, avant de porter l’actuelle signification de ‘système D’ :
« Cette lexie est née, à notre connaissance, lors de la guerre civile muleliste (1964-1966). Elle était utilisée chaque fois que l’armée régulière n’était plus capable de protéger les populations civiles des attaques des rebelles… ».
Et non d’un quelconque article de la « Constitution de l’Etat séparatiste du Sud-Kasai (Bakwanga, comme le suggère une source de l’IFA (1987 :20).
Ce particularisme aurait été produit, à l’oral, comme suit : Article 15 : [moto na moto abatela makila na ye]… Dès que nous entendions la formulation « article 15 », la suite était comprise sans être expressément forrmulée ».

2.4 Christian Schmitt (1998)

C. Schmitt (1998 : 287 et 289) examine les suffixes qui contribuent à la formation des noms de personnes en français africain ; il relève :
- ambianceur : personne qui met de l’ambiance
- descendeur : noceur ; personne qui a l’habitude de quitter le travail
- jocoleur :’étudiant qui a l’habitude de préparer lui-même ses repas dans sa chambre’.
- jocoliste : ‘étudiant qui se prépare lui-même ses repas dans sa chambre’.
- lumumbiste : partisan de Lumumba et de sa doctrine
- muleliste : partisan de Mulele, de son action de rébellion
- salongiste : personne qui participe au salongo (travail collectif)

2.5 Karine Boucher et Susanne Lafage (2000)

K. Boucher et S. Lafage ont dressé l’inventaire du français au Gabon, un inventaire riche en realia des domaines culturel, botanique, zoologique. L’on peut y lire, entre autres :
- abacost, n.m. (slogan zaïrois lors de campagnes en faveur de l’authenticité). ‘Costume masculin constitué d’un pantalon et d’une veste en tissu léger, non doublée et portée sans chemise ni cravate’.
- bokilo, n.m. Fréq. (du lingala), fam. ‘Nom donné à une personne de nationalité congolaise.
- katangaise, n.f. Syn. Prostituée, belle de nuit, bord de mer, coupeuse, iodée, sao, tchoin, vendeuse ; v. bordelle
- mon mari est capable, loc. nom. Disp., oral, mésolecte, basilecte. Tissu coûteux que seul un homme riche est capable d’offrir à son épouse.
- ndombolo, n.m., Fréq. (du lingala). 1. ‘Postérieur, fesses d’une femme’. 2. ‘Danse venue du Congo’.
- zaiko, variante zaïcos, n. + adj. Vieilli, oral, fam. ‘Nom donné à la musique de danse originaire de la République démocratique du Congo, ex-Zaïre’.

2.6 Ozias Ndonda Tshiyayi (2005)

En rapport avec l’exigence identitaire des transporteurs congolais qui se créent un langage, O. Ndonda Tshiyayi (2005 : 69-73) a analysé certains termes de leur lexique :
- faux-tête : Il s’agit des personnes qui sont exemptées de payer les frais de transport. Suite à un arrangement conclu entre le gouvernement de Ngunz-a-Karl-i-Bond et les transporteurs, les militaires, les secouristes et les fonctionnaires de l’administration publique bénéficient de la gratuité du transport en commun. En conséquence, ces catégories de personnes occasionnent un manque à gagner important pour les transporteurs. D’où ce qualificatif de « faux tête ». Ainsi, pour prévenir le chauffeur, le convoyeur lui dit : « kotelema te, faux-tête ! », c’est-à-dire « Ne t’arrête pas, c’est une personne qui ne paiera pas ! ». Ce sens est fondé sur un principe métonymique étant donné que « tête », comme partie de l’homme, est employée pour désigner la personne elle-même.
- malewa : mot emprunté au kiyombe et qui signifie ‘nourriture’ dans cette langue. Dans le jargon des transporteurs, ce mot a deux sens. Malewa signifie à la fois ‘nourriture’ (comme en kiyombe) et ‘l’endroit où l’on s’alimente, le restaurant’. Ainsi, peut-on dire : Malewa eza déjà (« La nourriture est déjà prête ») ou Bambila bake malewa (« Les policiers sont allés au restaurant »).
- nzete : Pour les transporteurs, nzete signifie ‘l’argent, et particulièrement le billet de 100 Francs congolais’. Tout comme un arbre est constitué des racines, du tronc, des branches et des feuilles, le billet de 100 Francs est la somme de plusieurs sous-multiples (5 FC, 10 FC, 20 FC et 50 FC). C’est de ce rapprochement que vient la métaphore.
Nzete à l’origine désigne ‘un arbre, une plante’. Ici dans le jargon des transporteurs, nzete renvoie à une somme de 100 FC. Il s’agit d’une comparaison métaphorique au point de vue des composants : un arbre est composé des racines, du tronc, des branches et des feuilles, tout comme cent francs congolais sont une sommation de ses sous-multiples qui sont 5 Fc, 10 Fc, 20 F et 50 Fc dits « camars ».
- ray : En français, le mot « rail » désigne une barre d’acier qui sert à supporter et à guider les roues d’un train. Dans le jargon des transporteurs qui assurent le transport en commun à Kinshasa, il signifie la partie du bus comprise entre la cabine et la première rangée des bancs. Normalement, cette partie permet aux passagers du premier banc de poser leurs pieds, mais dans les lignes à forte affluence de voyageurs (Kingasani, UPN, Rond Point Ngaba…), les convoyeurs placent généralement quatre passagers debout dans cette partie du bus. Les expressions « korayé » ou « kotonga ray » signifient placer des passagers dans la partie du bus appelée rail.

2.7 Ndjerassem Mbai-Yelmia Ngabo (2005)

Ndjerassem M.Y. N. (2005) a fait paraître l’important inventaire du français au Tchad dans lequel on peut épingler :
- deuxième bureau : n.m. inv. Ecrit, oral, fréq., tous milieux, Maîtresse, femme entretenue par un homme généralement à l’insu de son épouse… « Chassez le naturel, il revient au galop. Aussi le phénomène de « maîtresse » en France et de « deuxième bureau » en Afrique constituent-ils de nouvelles formes de polygamie » (Tchad et Culture, novembre 1998). Rem. : l’emploi de ce terme au pluriel reste invariable. D’autre part, on dit aussi sous une forme abrégée : « bureau ».
- dombolo, ndombolo, ndomboloé : (du lingala) n.m., écrit, oral, fréq., tous milieux. Danse d’origine congolaise (ex-zairoise) à la mode depuis 1997. « Il y a quelques jours, un ami me confiait qu’un jeune homme de 18 ans avait détourné la copine de son père, grâce à son savoir-faire en « ndomboloé ». L’inverse s’était déjà produit quelques mois auparavant » (Contact, 16-09-1997)… « Il était 19 heures. Les haut-parleurs [d’un cabaret] crachaient à profusion du Dombolo pimenté et excitant les buveurs étaient en extase (…) (Le Temps, 14-20/07/1999). V. Bikoutsi, makossa, pachanga, soukous, zaïko, zouk.
- groupe choc : n.m., écrit, oral, fréq., tous milieux. Groupe d’animation politique chargé de donner, par des chansons et danses, une atmosphère de fête lors des cérémonies officielles, des meetings et manifestations politiques. « La forteresse Habré que chantaient ses groupes chocs d’animation politique formés par Mobutu s’écroula comme un château de cartes » (Douumgor, H.M., 2002, p.121) SYN. : groupe d’animation. V. Animation politique.
- mario : n.m., écrit, oral, fréq., tous milieux. (Nom que le musicien ex-zaïrois Franco a donné dans une de ses chansons à un jeune homme qui se faisait entretenir par des femmes). Gigolo. « En général, ne vont au PV [pari-vente=tontine] que les femmes légères. Elles y vont d’abord pour s’amuser, s’éclater comme on le dit. A l’occasion elles tromperont leur époux, voire entretiendront à gros frais de jeunes garçons, couramment appelés « Mario » (Le Temps, 08-03-1995).
- potopoto, poto-poto, pot-pot : (de Poto-Poto, nom d’un quartier populaire de Brazzaville) n.m., écrit, oral, fréq., tous milieux. 1° Sol boueux… 2° Terre argileuse malaxée avec de la paille, servant à la construction des maisons…
- zaïko : n.m., écrit, oral, fréq., tous milieux. Danse d’origine congolaise, une variante du soukouss. « C’est vrai que dans les bars, les jeunes préfèrent se défouler sur du Zaïko et du makossa plutôt que sur les tubes [du musicien tchadien Chiquito] » (N’Djamena Hebdo, 05-08-1991).

2.8 Omer Massoumou et Ambroise Jean-Marc Queffélec (2007)

O. Massoumou et A. J.-M. Queffélec ont inventorié le français en République du Congo [Brazzaville] sous l’ère pluripartiste. Rien de plus normal que de trouver, dans cet inventaire du pays à la capitale la plus proche de Kinshasa, une abondante moisson des mots en usage en République démocratique du Congo :
- abacost, abacos, abacoste, abas-cost, abas-coste (du fr. du Zaïre, contraction de à bas le costume) n.m. Sorte de veston sans col porté par des hommes. Fabriqué en tissu léger, il possède en général des manches courtes et se porte sans chemise ni cravate. On connaît également les démêlés célèbres de Joseph Athanase Kabaselle dit Grand Kallé, Muluba et lumumbiste fieffé, accusé d’avoir porté la cravate en plein Bruxelles alors que la mode obligatore pour tout « citoyen » était l’abacoste (La Rue meurt, 3/4/97).
- angoualima (du nom d’un voleur réputé dans les années 1980 à Kinshasa) Voleur, bandit. Comme quoi, à Ouesso tous les criminels, voleurs, Yankées, Angoualima, Chégués et autres malfaiteurs peuvent encore danser et boire… Mais jusqu’à quand ? A qui la faute ? (Le Pays, 17/08/01).
- Kadhafi, kadafhi, khadafi, kaddafi, kaddhafi (du nom du Président libyen ; emploi originaire de la République démocratique du Congo) n.m. Vendeur d’essence ou de gaz à la sauvette. Le pouvoir a pris une mesure pour le moins curieuse, celle de lancer la police à la chasse des « kaddafi », ces vendeurs d’essence sur le trottoir, particulièrement à Bacongo et Makélékélé (La Rue meurt, 12/6/97).
- Onze (ligne-) (expression créée en raison de la ressemblance entre les deux chiffres 1 composant le nombre 11 et les deux jambes d’un marcheur) loc. nom. Marche, déplacement à pied. On ne nous paie pas la bourse, on est obligé de prendre la ligne onze (oral, forgé). Il demandait quel bus fait la ligne onze ; il ne sait pas que c’est marcher à pied (oral, forgé). Disponible, oral, scolarisé. V. faire le piéton.
- mario (du nom du héros d’une chanson du chanteur zaïrois Franco) n.m. Gigolo, jeune homme qui se fait entretenir par une femme mariée plus âgée que lui. Mario : Jeune diplômé sans emploi issu d’une famille pauvre et qui passe sa vie enfoui sous les jupons d’une richissime maîtresse capable de lui assurer le manger, le boire et le dormir en échange d’un vol régulier au septième ciel (Lexique tabou du Congolais ambulant, in Maduku, 29/4/91).
- [thomson] mosséka, mosseka (du kituba) n.m. Chinchard, poisson de mer. Par exemple, donner tout cet argent pour la préparation des Diables-rouges. Une équipe qui ne mange que du Mosseka ou Tomson et qui n’est pas mise au vert (L’Observateur, 16/06/05). Assez fréquent.
- ya Jean (préfixe « ya » des langues congolaises + prénom chrétien : nom d’un personnage d’une chanson à la mode) n.m. Brochette de viande. Ya Jean : brochette de crise à Brazzaville et à Kinshasa (confectionnée avec les bas morceaux de viande) appelée ainsi par allusion à une chanson zaïroise racontant la complainte d’une dame abandonnée par « Ya Jean » (c’est-à-dire « grand frère » Jean). (Dorier-Kouvouama-Apprill, 1998, 257). Disponible. V. coupé-coupé, gamoutch, ngamoundélé.

2.9 : Ladislas Nzesse (2009)

Présentant le français au Cameroun de 1990 à 2008, L. Nzesse nous offre les quelques illustrations ci-après :
- deuxième bureau n.m. « Femme qui a des relations sexuelles avec un homme auquel elle n’est pas mariée ; amante ». Pour une somme de 300 000, Michel C., 49 ans, a tenté hier de mettre fin à la vie de son deuxième bureau. La scène est survenue au lieudit « Ecole de police » à Yaoundé (Cameroun tribune, n°9012/5211, 2008 : 8). Fréquent.
- -ndombolo (popularisé au Cameroun par la musique congolaise) n.m.
« Danse originaire du Congo-Kinshasa lancée au moment de l’arrivée de Laurent Désiré Kabila au pouvoir. Les femmes callipyges l’exécutent en exhibant leurs énormes bassins ou en les remuant de façon lascive ». La nouvelle musique camerounaise est fortement influencée par le ndombolo (100% Jeune, n°43, 2004 : 4).

3. Eléments de réflexion

Après ce tour d’horizon des neuf inventaires, voici venu le temps de livrer un certain nombre de réflexions inspirées de cet examen. Nous présentons d’abord quelques observations, avant de donner les constats qui s’en dégagent. C’est le lieu de rappeler (voir l’Introduction) que le présent article n’a pas pour visée de présenter l’étymologie des syntagmes relevés, mais d’épingler les écueils à partir de ces unités lexicales observées, pour jeter ainsi les jalons sur cette voie manifestement jonchée de difficultés.

3.1 Observations

   ① Article 15
       Récuser l’antériorité de la signification ‘système D’pour privilégier la signification ‘sauve qui peut’, cela ne revient-il pas à inverser le sens de l’histoire ? La question, en effet, qu’il conviendrait de se poser est la suivante : lequel de ces deux événements a précédé l’autre en RDCongo : la rébellion muleliste qui a embrasé le pays de 1964 à 1966 ou la proclamation de l’autonomie de l’Etat du Sud-Kasai (Bakwanga) le 8 août 1960 ? (Voir Ndaywel è Nziem, 1998 : 576).
Les auteurs de l’IFA (Equipe IFA, 1988 : 20) firent preuve de sagesse en retenant, pour l’expression « appliquer l’article quinze », la signification conforme à la réalité historique, c’est-à-dire ‘se débrouiller’ (voir Sumaili Ngaye-Lussa, 1974 : 16, note 13). Du reste, peut-être faudrait-il remonter dans le temps et chercher parmi les différentes manières d’exprimer le système débrouille (« système D ») qui recourent à « article ». La voie demeure ouverte.

   ② Jocol, jocoler, jocoleur, jocoliste
       Ce mot valise et ses dérivés ne sauraient guère se comprendre, sans qu’on se donne la peine de remonter à l’ouverture (médiatisée) d’un restaurant, par un couple d’évolués prénommés Joseph et Colette (JoCol), à Kinshasa, dans la commune de Dendale (actuellement Kasa-Vubu), sur l’avenue de l’Enseignement, au dernier trimestre de l’année 1958. Les conditions hygiéniques dûment reconnues par l’administration coloniale, le contexte de l’éclosion d’une classe moyenne africaine, l’emplacement privilégié juste en diagonale du célèbre Cultrana (Centre de culture négro-africaine, aujourd’hui disparu ; c’est sur ce site qu’a été érigé le stade des Martyrs de la Pentecôte), tous ces facteurs, joints aux faits que les repas y étaient servis à des prix très abordables et que tant les évolués que, occasionnellement, certains étudiants de l’Université Lovanium le fréquentaient, tout cela a rendu célèbre le restaurant JOCOL.
Et sur la Colline inspirée, fonctionnait aussi, au rez-de-chaussée entre les homes VII et VIII, un restaurant qui pratiquait des prix bas par rapport à ceux du Restaurant central. En échange d’un bon du Restaurant central, l’étudiant pouvait obtenir de quoi se payer un repas au Jocol et un bonus.
Le sens indiqué, à savoir : ‘étudiant qui a l’habitude de préparer lui-même ses repas dans sa chambre’ est repris de Sesep N’Sial (1993 :45), lequel a signalé, sauf erreur de notre part, les usages des étudiants du Campus universitaire de Lubumbashi. Ce qui indique qu’un glissement de sens s’était déjà opéré.

   ③ Kadhafi
       C’est tout naturellement que les locuteurs ont, par antonomase, recouru au nom du président de la Libye (pays membre de l’Organisation des pays exportateurs du pétrole), eu égard à son penchant à proposer la vente des produits pétroliers de son pays, pour désigner les vendeurs à la sauvette du carburant dans les parages des stations-service de la ville, pratique interdite mais incontournable lors des pénuries à la pompe. (Voir Sumaili Ngaye-Lussa, 2015 : 100-101).

   ④ Descendre, descente, descendeur
       Tout comme jocoleur, il convient de noter que descendeur (atteint de descendite) relève du langage estudiantin. Descendre a été utilisé pour désigner le fait, pour un étudiant de l’Université Lovanium (bâtie, comme on le sait, sur la Colline inspirée), de quitter le site pour « descendre » à la cité ou en ville, pour aller guindailler (belgicisme)…
Toutefois, que descendeur en arrive à signifier ‘personne qui a l’habitude de quitter son travail’, il y a de quoi être surpris. A moins de considérer que, par extension, le mot descendeur en est arrivé à signifier la personne qui sèche son travail, comme l’autre séchait les cours.

   ⑤ Potopoto
       Parmi les mots fréquemment utilisés dans les écrits de la colonisation, poto-poto figure certainement en bonne place. L’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire (Equipe IFA, 1988 : 303) signale son expansion au Cameroun, en Centrafrique, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Tchad, au Togo, jusqu’en Belgique. A quoi donc serait due cette récurrence ? Plutôt : quels aspects négatifs de l’Afrique poto-poto ne connotait-il pas ? Cependant, de quand date la création du quartier Poto-poto de Brazzaville, pour que la boue consécutive aux marais asséchés donne son sémantisme à cette unité lexicale ? Ne serait-ce pas plutôt l’inverse ?

   ⑥ Tomson
        Cette graphie (sans h) induit l’ignorance des indications fournies par F. Belorget, Directeur du Centre culturel français à Kinshasa, relatives à la campagne que mena la compagnie Thomson-CSF à Kinshasa en vendant à bas prix et à crédit des postes récepteurs de radio en 1979-80 (lors du séjour du président V. Giscard d’Estaing au Zaïre). Pour appréhender la trajectoire qui a abouti à la désignation du poisson de mer par le nom de cette société française, il y a lieu de se reporter à l’analyse que nous en avons faite récemment (Sumaili Ngaye-Lussa : 2021 : 37-38) ; en substance, ce « dénominateur commun, à savoir la connotation ‘à bas prix’, a servi de base pour le transfert de sens, à partir des appareils récepteurs de radio jusqu’au poisson pêché en haute mer, en passant par les bus estudiantins. »

   ⑦ Ligne onze
       Dans la ville de Kinshasa, le système du transport en commun a été organisé tôt : la société Transport en commun de Léopoldville (TCL, devenue en 1971 OTCZ), fut créée avant l’indépendance par décret du 7 janvier 1958, complété par l’ordonnance n°62/313 du 25 juillet 1958, dont le réseau de lignes quadrillait l’espace kinois d’alors avec l’existence théorique d’une ligne Lemba-Marché central.
Mais quel esprit a agi en sorte que les habitants de la commune de Lemba, singulièrement, soient réfractaires à l’usage de ce moyen de déplacement ? Car, comme on le sait, la ligne onze n’a jamais fonctionné ; et, donc, elle n’a jamais existé. Voilà ce qui a inspiré l’étymologie populaire, qui y a vu la marche à pied.
Dans ce même esprit, les habitants de Lemba se sont montrés également réfractaires à l’usage des autres moyens de locomotion, tels que les bus fula-fula d’André Motors [Mutambayi] (devenu Auto Services Zaïre) et autres kimalu-malu.
Fula-fula et kimalu-malu, voilà encore, dans le domaine du transport en commun, deux mots composés qui, outre leur sème commun de rapidité, de vitesse à tout prix, attendent d’être explicités.

3.2 Constats

a) La vogue de la musique de la R.D.Congo a exercé une influence indiscutable sur l’expansion du langage (danses, personnages, orchestres) en Afrique centrale.
b) Sont aussi remarquables la vitalité et jusqu’au changement de signification, notamment, de descendeur, ambianceur...
c) Il n’est pas exclus qu’une réalité sociale et le vocable la désignant soient concomitants entre les deux capitales les plus rapprochées du monde ; la réalité et/ou le vocable peuvent, inversement, précéder sur l’une des rives du pool. De telles situations (kiri-kiri, ya Jean ?) revendiquées de part et d’autres sont plus malaisées à décanter, vu les susceptibilités.
d) Le nombre élevé des noms propres (de personnes, de lieu, d’ethnie…) qui sont à la base de créations lexico-sémantiques est susceptible d’entraîner une diversité d’interprétations dans la mesure où la réalité n’est pas maîtrisée : angualima, bindomanie, ebola, koweit, quado, prince, sakombi, salomon, yuma… S’agissant des animaux (okapi, bonobo…) le fait que leur milieu naturel de vie est aisé à circonscrire, ne devrait pas poser de problème majeur quant à la langue d’origine.
e) Le nombre tout aussi élevé des emprunts faits aux langues africaines est un écueil, du fait de : la multiplicité de ces langues, l’ignorance de ces langues, la rareté des dictionnaires africains fiables (à fortiori des dictionnaires étymologiques de ces langues), la quasi-inexistence d’études lexicales portant sur ces langues où, semble-t-il, priorité a été accordée aux aspects de description phonologique, morphologique et syntaxique.

Conclusion

De ce qui précède, il est possible de tirer une certaine synthèse, même à titre provisoire, de la manière suivante :
1. Quelques travaux d’historiens montrent l’indiscutable intérêt diachronique de l’étymologie, notamment ceux de F. Bontinck (1967) sur les « makuta » et de Mumbanza mwa Bawele (1973) sur l’ethnonyme « bangala ». Le linguiste ne devrait pas ignorer l’apport auxiliaire de l’histoire dans l’étymologie, comme l’affirme Mbulamoko Nzenge Movoambe (1988).
2. Si pour la langue française le fonds primitif auquel se rattachent les étymons remonte parfois dans la nuit des temps, tel ne devrait point être le cas pour localiser et identifier la genèse des mots en usage dans le français congolais. Nous avons particulièrement insisté (Sumaili Ngaye-Lussa, 1975) à l’occasion des Premières Journées d’Histoire tenues à Lubumbashi en 1975, sur l’importance d’examiner le jeu très complexe des influences que, d’une part, les langues congolaises exercent les unes sur les autres et, d’autre part, les influences entre ces langues et le français, influences qui servent de véhicule aux innovations soit lexicales, soit sémantiques. Nous nous proposons d’y consacrer une étude plus détaillée.
3. Cette tâche sera ainsi rendue aisée pour les emprunts faits à des langues dites locales, africaines… mais non autrement identifiées. A ce sujet, A. Clas (1985 : 48), qui a dirigé l’équipe des recherches en lexicographie et terminologie, a noté la difficulté à propos des informations étymologiques sur l’origine des mots provenant de langues sans tradition littéraire écrite. L’auteur ajoute que « même la notion de stock authentique est floue, car elle peut inclure les mots d’une langue voisine. L’interaction entre les langues qui sont génétiquement et géographiquement apparentées est un phénomène bien connu ». Ces propos peuvent se révéler d’une grande utilité au chercheur qui se lance sur ce terrain. Dans le même ordre d’idée, s’inscrit cette autre remarque méthodologique formulée par J. Pruvost et J.-F. Sablayrolles (2019 : 113) : « Il convient de distinguer la langue à laquelle on emprunte et la langue d’origine », ce qui est le cas pour, notamment, safari, souvent glosé comme emprunté par le français à l’anglais qui, en fait, l’a lui-même emprunté au swahili.
4. Leçon importante à tirer : se méfier de l’étymologie populaire, laquelle, sous quelque apparence séduisante, présente des motivations qui cependant ne résistent pas à une analyse philologique. Cela peut être illustré par les deux cas ci-après :
   a) mosenzi (en langue lingala ; pluriel : basenzi), fréquent dans des écrits coloniaux, que l’étymologie populaire a rattaché à un village au Kongo-central, Musinsi : les ressortissants de ce village auraient été considérés comme arriérés, d’où mosenzi ‘sauvage, primitif, non civilisé’. Alors que le mot mshenzi (en langue swahili, ‘barbare, sauvage’) était connu avant la colonisation occidentale, venant du mot persan « Zenj » qui désignait le pays des Noirs (d’où Zanzibar, ‘pays des Noirs, continent des Noirs’). Ce mot a subi par la suite des transformations phonétiques selon les lieux.
   b) coupage, phénomène bien connu dans les milieux journalistiques et qui renvoie à la somme d’argent remise au journaliste-reporter par les organisateurs afin de couvrir l’activité et en rendre élogieusement compte à la rédaction. L’explication de ce terme varie. Certains en font remonter la pratique à l’année 1963, la rattachant au Secrétaire d’Etat aux finances, François Kupa ; cependant, selon une autre explication, coupage serait un calque sémantique de la langue swahili : « kukata midomo » (‘couper les lèvres de quelqu’un, le corrompre pour qu’il se taise’). Cette seconde interprétation a toutefois l’avantage d’éclairer le passage de K à C.
5. Il revient aux chercheurs en étymologie de rassembler des matériaux pour apporter l’éclairage. Dans cet exercice, ils ne devraient pas perdre de vue, notamment, l’action de l’hindubill sur le lingala ; à ce sujet, Edema Atibakwa Baboya (2006 : 17-40) s’est interrogé avec justesse : L’indubill a-t-il été un laboratoire des particularismes lexicaux du français de Kinshasa ?
Ils devraient tenir compte, en outre, du rôle joué par la Force Publique (les premiers soldats en furent les Zanzibarites), dont la langue était le kiswahili jusqu’à la révolte de Luluabourg. Ndaywel è Nziem (1998 : 306) donne le contexte de ce changement de langue, l’une des conséquences des nombreuses rébellions des indigènes : « Plus important encore, il [le candidat colonisateur] revit la physionomie globale de la Force Publique, et donc de la future armée congolaise. Alors qu’au point de départ elle était constituée essentiellement de ressortissants des régions arabisées, donc de l’Est du pays, elle fut par la suite plus sélective dans ses zones de recrutement et s’intéressa aux Bangala. La langue des militaires cessa d’être le swahili et tout militaire swahiliphone dut renoncer à son identité linguistique, pour s’intégrer à la grande famille des lingalaphones. »
C’est en 1930 que le lingala deviendra la langue officielle de la Force Publique (Nzoimbengene, 2013). Tout cela a amené le RP. R. Van Everbroeck (1969 : 54) à signaler, dans Le lingala parlé et écrit, plus de 20 mots comme « étrangers » au lingala, ajoutant d’ailleurs que cette liste n’a point la prétention d’être complète. Le regret que l’on éprouve à ce sujet est que l’origine de ces mots étrangers n’ait pas été dûment mentionnée, tout au moins suggérée.
6. L’une des voies de sortie consiste à mener la tâche par équipe polyvalente, pluridisciplinaire, englobant au moins les aspects de la langue française, des langues africaines, d’anthropologie, d’histoire, etc. L’autre voie de sortie : que l’étymologie occupe la place qui lui revient dans le concert des branches linguistiques, tant dans le cadre de l’enseignement que dans celui des recherches et publications.
7. Pour ce qui est de la dispersion en Afrique (centrale) des particularismes congolais, Edema A.B. (1998 : 250) a déjà signalé que beaucoup de mots nés dans le français du Zaïre/Congo ont connu une expansion d’emploi en Centrafrique, au Rwanda et au Burundi ; il sied de mener, à cet effet, une exploration à travers les pays frontaliers de la R.D.Congo.
8. Enfin, il est souhaitable que soit mis à la disposition des chercheurs le fonds commun composé notamment des données étymologiques et constituant la « banque de données » dont question dans l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire (Equipe IFA, 1988 : XXVI et XXXI), afin de relancer et affiner les études y afférentes.

Par Sumaili Ngaye-Lussa Gabriel , dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024