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Analyse structurale de Le pagne noir, conte de Bernard Dadié

Grégoire Mulamba Tshisumba[1]

Résumé

Cette étude est une application de la méthode structurale à l’un des contes de Bernard Dadié : Le pagne noir. Elle revêt un caractère didactique pour une initiation à l’analyse des textes littéraires. Cette analyse présente l’auteur et son œuvre, le contenu du conte, le schéma quinaire, le schéma actanciel, la conclusion qui dégage la phrase de la configuration actancielle ainsi que l’idéologie.

Mots clés : le schéma quinaire, le schéma actanciel, l’idéologie.

Introduction

L’œuvre littéraire offre au chercheur plusieurs orientations possibles pour sa lecture : il peut analyser les structures discursives, narratives ou actancielles. Il peut aussi étudier le temps et l’espace.

Notre analyse du conte le Pagne noir de l’écrivain ivoirien Bernard Dadié déchiffre les structures narratives et actancielles. Elle dégage aussi l’idéologie.

Nous présentons, après l’auteur et son œuvre, le contenu du conte, le schéma  quinaire ou l’univers événementiel, la fable narrative que Genette[2] appelle « énonciation historique, événement raconté, signifiant », comprenant les péripéties qui ont émaillé le parcours de la petite Aïwa, le schéma actanciel mettant en jeu les six actants ainsi que l’idéologie qui donne une leçon morale que le récit adresse à la communauté notamment africaine.

1. L’auteur et son œuvre

Bernard Dadié est né en 1916 à Assinie, en Côte d’Ivoire. Il est mort au cours du mois de mars 2019, à l’âge de 103 ans. Son œuvre est abondante et diversifiée. Elle comprend les contes, les poèmes et les romans, publiés aux Editions Seghers et Présence Africaine.

Afrique Debout, poèmes, 1950.

Légendes Africaines           , contes, 1953.

Le pagne noir, contes, 1955.

La ronde des jours, poèmes, 1956.

Climbié, roman, 1956.

Un Nègre à Paris, roman, 1959.

Hommes de tous les continents, roman, 1967.

Patron de New-York, roman, 1964.

La ville où nul ne meurt, Théâtre, 1969.

Monsieur Thôgo Nini, théâtre, Théâtre, 1970.

Béatrice du Congo, Théâtre, 1970.

Iles de tempête, Théâtre, 1973.

Commandant TAUREAULT et ses Nègres, Nouvelles, 1980.

Les jambes du fils de Dieu, Nouvelles, 1980.                  

2. Le contenu du conte

Le pagne noir relate la douloureuse histoire d’une orpheline, Aïwa, dont la venue au monde a coïncidé avec la mort de sa mère.

Le remariage de son père a été, pour la petite fille, la cause d’une vie de tortures, de privations. Non contente de la voir, la marâtre lui donne un pagne noir et lui demande de le laver pour qu’il devienne aussi blanc que le kaolin.

La petite fille partit et franchit plusieurs étapes sans succès. Elle ne cessa d’implorer sa défunte mère en chantant :

« Ma mère, si tu me voyais sur la route

                               Aïwa ô ! Aïwa !

  Sur la route qui mène au fleuve

                               Aïwa ô ! Aïwa !

  Le pagne noir doit devenir blanc

  Et le ruisseau refuse de le mouiller

                               Aïwa ô ! Aïwa ! » (p.20).

 

Après avoir eu du mal dans ses mains pleines d’ampoules, Aïwa se remit à chanter et à peine avait-elle fini de chanter qu’elle vit sa mère lui tendre un pagne blanc, plus blanc que le kaolin et prendre le pagne noir.

A la vue du pagne blanc, la marâtre trembla de peur et non de colère car elle venait de reconnaître l’un des pagnes blancs qui avaient servi à l’enterrement de la première femme de son mari. La petite fille, Aïwa, souriait. Abordons l’univers événementiel.

 

3. Les faits ou l’univers événementiel

 

La charpente de ce récit est constituée à partir des faits ci-après :

  • La naissance d’Aïwa et la mort de sa mère.

La naissance de la petite fille coïncide avec la mort de sa mère. Aïwa est orpheline et son père, veuf.

 

  • Le remariage

La marâtre entretient des relations tendues avec la petite fille malgré sa gentillesse et sa bonne humeur.

 

  • Le départ du toit familial

Sur l’ordre de sa marâtre, Aïwa prend le pagne noir et s’en va le laver pour qu’il devienne blanc.

 

  • Le voyage

Le parcours est émaillé des faits merveilleux et des obstacles à surmonter.

 

  • L’apparition de sa mère

La mère de la petite fille apparaît et lui tend un pagne plus blanc que le kaolin.

  • Le retour

Aïwa rentre, victorieuse.

 

4. Le schéma quinaire

 

Le schéma quinaire comprend les étapes suivantes : l’état initial, un événement perturbateur, une suite de transformations, un événement équilibrant et l’élément final ou mieux encore l’état initial (ei), la force de transformation (ft), la dynamique de l’action (da), la force équilibrante (fe) et l’état final (ef)[3].

 

    1. L’état initial 

 

Nous examinons le cadre de l’intrigue en relevant le lieu, l’époque et les personnages.

 

      1. Le lieu

 

L’action se déroule en famille où l’orpheline est en proie à des scènes de violence. Elle connaît des rebondissements au cours du long voyage effectué pour que le pagne noir devienne blanc. Lisons les lignes suivantes :

« Et elle était battue à cause de sa bonne

humeur, à cause de sa gentillesse (p.19).

« Elle marcha pendant des lunes et des

lunes, tant de lunes qu’on ne s’en

souvient plus » (p.21).

 

      1. L’époque

 

Les tourments connus par la fille se situent après le remariage de son père. Le passage ci-après situe l’action.

« Le mari, à sa femme, fit des funérailles

grandioses. Puis le temps passa et

l’homme se remaria (p.18).

 

      1. Les personnages

 

Dans ce récit, deux catégories de personnages se distinguent : les personnages animés et les personnages inanimés. Dans la première catégorie, citons Aïwa, sa marâtre, source de traumatismes que va connaître la petite fille, ainsi que sa mère dont l’intervention fut salutaire. La deuxième catégorie comprend les cours d’eau (l’eau du ruisseau, du fromager, de la source, du bananier) les crapauds, les chimpanzés, les fournis, les oiseaux, les insectes, les arbres … Le passage ci-après évoque ces personnages

« Elle était maintenant dans un lieu

vraiment étranger. La voie devant elle

s’ouvrait pour se refermer derrière elle.

Les arbres, les oiseaux, les insectes,

la terre, les feuilles mortes, les feuilles

sèches, les lianes, les fruits, tout

parlait » (p.21).

 

    1. Un événement perturbateur

 

L’événement perturbateur, c’est le remariage. Aïwa connaît alors une période de dures épreuves. Ainsi le signifie cet extrait :

« De ce jour commença le calvaire de la

petite Aïwa. Pas de privations et d’affronts

qu’elle ne subisse ; pas de travaux pénibles

qu’elle ne fasse » (p.18).

    1. Une suite de transformations

 

Dans son parcours à la recherche du pagne blanc, Aïwa va de péripétie en péripéties.

 

4.3.1. Première péripétie : L’eau du ruisseau

 

L’eau du ruisseau n’offrit pas une réponse favorable à Aïwa car le pagne noir demeurait sec comme le souligne cette phrase :

« Aïwa replongea le linge noir dans l’eau

et l’eau refusa de le mouiller » (p.19).

 

4.3.2. Deuxième péripétie : L’eau du fromager

 

En ce lieu, des fourmis présentaient un décor qui faisait peur. Courageuse, Aïwa plongea le pagne noir dans l’eau. Cette dernière fut pareille à la première. Parcourons ce passage :

« … et tout autour de cette eau de

gigantesques fourmis aux princes

énormes, montaient la garde. […]

Dans cette eau jaune et limpide,

l’orpheline plongea son linge noir

que l’eau refusa de mouiller » (p.20).

 

      1. Troisième péripétie : L’eau de la source

 

Poursuivant son chemin, Aïwa arriva au village des chimpanzés. Indignés, ils l’autorisèrent à laver son pagne. Mais hélas ! l’eau de la source fit comme celles qui l’ont précédée. Ainsi le remarque cette phrase :

« Mais l’eau de la source, elle aussi,

refusa de mouiller le pagne noir » (p.25)

 

      1. Quatrième péripétie : L’eau du bananier

 

L’eau du bananier, elle, mouilla le pagne noir. Malgré les efforts déployés par l’orpheline, le pagne noir demeura noir. Le passage ci-après est explicite :

« Aïwa prit de cette eau, la jeta sur le pagne noir.

Le pagne noir se mouilla. Elle mit deux lunes à

laver le pagne noir qui restait noir (p.22).

 

 

 

    1. Un événement équilibrant : l’apparition de la mère d’Aïwa

 

Déçue, Aïwa se remit à chanter en interpellant sa mère :

Ma mère, viens me voir !

                   Aïwa ô : Aïwa !

Le pagne noir sera blanc comme le kaolin

                   Aïwa ô ! Aïwa !

Viens voir mes mains, viens voir ta fille !

                   Aïwa ô ! Aïwa !

La chanson finie, sa mère intervient comme l’indique cet extrait :

« A peine avait-elle fini de chanter que voilà

sa mère qui lui tend un pagne blanc, plus

blanc que le kaolin. Elle lui prend le linge

noir et sans rien dire, fond dans l’air » (p.22).

 

    1. L’élément final : le retour victorieux d’Aïwa

 

Le retour d’Aïwa fut victorieux car elle a ramené le pagne blanc à la marâtre. Ce qui fut pour elle une surprise. Cet extrait en dit long :

« Lorsque la marâtre vit le pagne blanc, elle

ouvrit des yeux stupéfaits. Elle trembla, non

de colère cette fois, mais de peur » (p.22).

 

Le schéma quinaire

 

Etat initial

Elément perturbant

Les transformations

Elément

Equilibrant

Etat final

Naissance

Aïwa orpheline, 

Mort de sa mère.

Le remariage

L’attitude de la marâtre d’Aïwa.

L’eau du ruisseau

L’eau du fromager

L’eau de la source

L’eau du bananier

Apparition de la mère d’Aïwa  avec un pagne blanc.

Aïwa rentre munie d’un pagne blanc, plus blanc que le kaolin.

Cette eau ne mouille pas le pagne noir.

Cette eau, elle aussi, ne mouille pas le pagne noir.

L’eau de la source, elle non plus, ne mouilla pas le pagne noir.

Cette eau par contre mouilla le pagne noir mais ne le blanchit pas.

 

  1. Le schéma actanciel

 

Le schéma actanciel a été mis sur pieds par Julien Greimas. Selon Dubois, J. & al (1973 :8), on appelle modèle actanciel d’un récit un modèle par lequel on peut rendre compte d’une structure narrative par les rapports institués entre les actants ou protagonistes d’un récit, d’un mythe, etc., représentés par des êtres animés ou non-animés. Il comprend 6 actants à savoir le destinateur, l’objet, le sujet, l’adjuvant, l’opposant et le destinataire.

5.1. Le destinateur

 

C’est celui qui pousse à agir. Dans ce conte, ce rôle est rempli par la marâtre. En effet, ne voulant pas avoir la petite Aïwa dans ses parages, elle fait tout pour l’éloigner d’elle en lui donnant une tâche difficile, celle de laver le pagne noir pour qu’il devienne aussi blanc que le kaolin. Parcourons le passage ci-après :

« Tiens ! Va me laver ce pagne noir où tu

voudras. Me le laver de telle sorte qu’il

devienne aussi blanc que le kaolin » (p.19).

 

5.2. L’objet

 

L’objet motive l’action et représente le but de la quête du sujet. L’objet recherché, c’est le pagne blanc. Aïwa exprime cela dans sa chanson :

« Le pagne noir doit devenir blanc.

Et le ruisseau refuse de le mouiller

Aïwa ô ! Aïwa ! » (p.20)

 

    1. Le sujet

 

C’est le personnage qui accomplit l’action et qui est à la quête de quelque chose. C’est Aïwa qui est le sujet. Elle accepte d’exécuter la mission lui confiée par la marâtre. Lisons cette phrase :

« Enfin, Aïwa prit le linge noir et partit ». (p.19).

 

    1. L’adjuvant

 

C’est le personnage qui aide le sujet dans la réalisation de sa tâche. Dans ce conte, nous pouvons citer les chimpanzés, l’eau du bananier et sa défunte mère. Parcourons les lignes ci-après :

« Les chimpanzés, après s’être tous et longtemps

frappé la poitrine de deux mains en signe

d’indignation, l’autorisèrent à laver le pagne

noir dans la source qui passait dans le village

(p.21). voilà que sa mère lui tend un pagne blanc,

plus blanc que le kaolin » (p.22).

 

    1. L’opposant

                              

C’est le personnage qui entrave l’action du sujet. Dans ce conte, citons les différents cours d’eau. Ils n’ont pas été au secours de la petite fille. Notons aussi les crapauds, les fournis … dont la présence faisait peur à Aïwa. Lisons cette phrase :

Par Gregoire MULAMBA TSHISUMBA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024