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I. Titre de la pièce Procès à Makala

Le titre « est un élément paratextuel qui permet de distinguer une oeuvre des autres. (…). Il sert d’abord à désigner un livre, à le nommer. Parfois, il peut être fonction du lieu où se déroule le drame comme dans Procès à Makala. C’est souvent en fonction du titre qu’on choisira de lire ou non le texte. Le titre donne également des renseignements sur le contenu et/ou sur la forme de l’ouvrage »(2). En bref, le titre d’une oeuvre peut nous faire comprendre d’avance ce qui va se passer dans l’ouvrage. Par le titre Procès à Makala, l’auteur nous donne l’essentiel pour comprendre l’intrigue. A travers ce titre, l’on voit et prévoit la dénonciation du mal zaïrois par l’auteur sous de règne de Mobutu. Cela veut dire que la prison de Makala enfermait les voleurs jeunes comme adultes ; des chômeurs universitaires cambrioleurs, escrocs et assassins ; des femmes lettrées comme illettrées arracheuses des bijoux et des pagnes super wax, etc.
C’est pour ces raisons que, dans cet ouvrage, la prison de Makala se transforme en tribunal devant lequel un jeune homme de quinze ans Garçon, et trois adultes prisonniers Voleur, Assassin et Femme vont dérouler le film de leur vie. L’extrait suivant informe sur le titre : « Vous voulez, transformez alors la prison en salle de tribunal ? Mais où sont les hommes des lois ? S’il en est ainsi, ce garçon conduira le procès ». (Procès. p. 28).

2. Méthode sociocritique
2.1. Introduction

a. Définition de la sociocritique

La présente dissertation recourt à la méthode sociocritique comme outil d’analyse littéraire pour étudier la société fictive dans Procès à Makala. Elle est une méthode initiée par Claude Duchet en 1971 dans un article manifeste « Pour une sociocritique ou variations sur un incipit, (1971). Elle s'est peu à peu constituée pour tenter de construire une poétique de la socialité, inséparable d’une lecture de l'idéologique dans sa spécificité textuelle. La socialité a pour but de dégager la société des textes. La socialité, c’est l’être–au-monde du texte»(3).
La sociocritique vise à déterminer les marques ou empreintes de la société dans l’oeuvre littéraire, étant donné que, consciemment ou non, l’écrivain est susceptible d’être influencé par ce qui se passe autour de soi.

b. La sociocritique au niveau sémantique
Nous avons porté l’analyse sociocritique de notre dissertation Procès à Makala au niveau sémantique (4) qui s’appuie sur les acquis du structuralisme, du formalisme où Claude Duchet oriente l’application de la sociocritique au texte littéraire. C’est pourquoi nous utilisons, tour à tour, le schéma actantiel d’Algirdas Julien Greimas, l’analyse fonctionnelle de Claude Bremond. Cette analyse structurale balise le chemin pour aborder plus aisément la partie sur la socialité et l’idéologie de l’oeuvre.

c. L’analyse sociocritique au niveau sémantique
Cette analyse recourt au schéma actantiel de Greimas et au modèle fonctionnel de Claude Bremond en ce qui concerne la séquence de la pièce. Par conséquent, le schéma actantiel de Greimas nous aiderons à mieux expliquer les séquences et nous amènera également à décrire et à classer les actants selon ce qu’ils font et non selon ce qu’ils sont.

2.2. Le modèle fonctionnel de Claude Bremond

Pour l’analyse des séquences, Claude Bremond met en place un instrument d’analyse plus souple, intermédiaire entre la fonction (unité minimale, selon Propp) et la série (ou modèle structural), autrement dit : entre l’action que l’on peut repérer dans toutes les intrigues et la liste des actions récurrentes qui constituent l’intrigue-type. Bremond baptise cet instrument « séquence».
La séquence élémentaire articule trois fonctions, selon la distribution suivante :

Tableau de séquence d’analyse selon Claude Bremond

Fonction 1=

Fonction 2 =

Fonction 3 =

Situation ouvrant une possibilité.

  1. Actualisation de la possibilité,

ou

  1. b) Non actualisation de la possibilité.

a) Succès

ou

b) Echec.

F1 = désir déplaire
F2 = conduite de séduction
F3 = succès ou échec

3. Socialité dans Procès à Makala

Dans cette étude sociocritique, le contexte socio-politico-économique a démontré que l’oeuvre mimétique étudiée est produite de la société réelle qui l’a inspirée. Il y a complexité qui existe entre la fiction et la société, Mikanza cherche à mettre l’accent sur la légèreté des moeurs de la société postcoloniale zaïroise/congolaise observée jusqu’au haut du sommet de la nation, car les hommes, les femmes, les jeunes hommes, les jeunes filles, n’échappent pas à ce phénomène social

3.1. Relevé et analyse des personnages

Dans cette partie, nous allons démontrer combien chaque personnage aspire à une vie de qualité suivant le milieu dans lequel il vit. Cependant, puisqu’il n’y arrive pas, il finit par être écrasé par la médiocrité de la vie car il est ligoté dans des exigences sociales et familiales.
- Garçon est le personnage principal de ce récit. Il est jeté en prison parce qu’il a copié les mauvaises conduites des adultes après la séparation de ses parents. « Non, je ne veux pas. Sortez-moi d’ici. Non, oh ma pauvre maman, viens au secours de ton pauvre enfant. Je suis innocent». (Procès, p. 18). En prison, le jeune garçon est pris comme président de séance. Et ils font leur propre procès. Il représente la justice et le débat entre eux quatre est arbitré par lui.
- Voleur termine ses études. Il reste chômeur malgré son gros diplôme de Licence comme son cousin. Il a marché jusqu’à user ses souliers mais il n’obtient rien. Sa demande d’emploi est rejetée par les chefs du personnel car il n’a pas d’argent pour les corrompre et il n’est pas fils ou connaissance d’un dignitaire « bana ya, ndeko ya » (6). Ce texte le confirme : « - Bonjour, Patron … - J’ai vu une pancarte devant vos bureaux. - Mais … Comment êtes-vous venu, mon frère ? – A pied, mon frère … - Je n’ai pas d’argent pour acheter les papiers. – Mon Dieu, et moi qui n’ai pas d’argent. Que faire mon frère. Rien, il n’y a pas de place pour vous ». (Procès, pp. 34-37). Il vole dans la maison du voisin pour satisfaire les besoins de sa femme, on l’attrape et on le nomme Voleur.
- Assassin est aussi sans emploi. Il cherche mais en vain : « Bonjour Patron, j’ai lu dans le journal que vous embauchez. – Je regrette. Toutes les places sont déjà prises. - Parce que je n’avais pas le bonheur de naitre dans la même région que lui. (Procès, pp. 33-34). Il tue son épouse parce qu’il l’attrape en flagrant délit sur leur lit conjugal avec un autre homme qui lui donnait plus d’argent que lui, d’où son nom Assassin.
- Cousin du Voleur est « un garçon de mon village qui vivait en ville depuis longtemps. Il avait l’air de vivre largement bien. Il pourrait me nourrir et m’acheter des vêtements. Mon cousin faisait partie d’une bande des voleurs.et (…). – Et vous avez accepté d’y entrer aussi ? – Oui, la vie s’améliorait. Tous les plaisirs (…). Une vie facile. La boisson, le chanvre ». (Procès, pp. 38-39). Pendant la deuxième République, Voleur, abandonné par ses parents, est parti rencontrer son Cousin, chômeur aussi, avec un diplôme de Licence, qui était devenu un cambrioleur. C’est son cousin qui l’a initié à voler, à fumer du chanvre et à s’enivrer d’alcool :
- Parents, ils sont « devenus des irresponsables à cause du chômage et des salaires médiocres. Incapables de scolariser et d’entretenir leurs enfants. Ils les abandonnaient à eux-mêmes ». (Procès, p. 48)
- Femme est une fille bien éduquée chez ses parents, Ses parents, sans emploi ni autres ressources pendant la deuxième République trouvent le salut dans son mariage avec un jeune homme riche qui vient de l’Europe, en exigeant une dot exorbitante. L’héroïne nous en parle de façon pathétique : « Evoquant ma bonne éducation et mes études qui allaient être sacrifiées, mon père exigea du jeune homme une dot exorbitante et tout fut consommé Un mois après, j’étais dans le toit conjugal ». (Procès, p. 50).
- Première femme : est la mère de Femme prisonnière. Elle est peinte comme « une femme soumise, sans défense, ni autorité, attachée aux traditions ancestrales. Elle est mise à l’écart de toute décision et n’a pas droit à la parole. On décide sur sa vie et sa mort ». (Procès, p.53), même si elle est innocente comme le cas de sa fille Femme.
- Deuxième Femme n’est pas heureuse et est une bonne femme dans son foyer, malgré son métier de prostituée. C’est elle qui reçoit Femme chez elle dans sa fuite de son toit conjugal et la conduit à la débauche. Un jour, Deuxième Femme pousse Voleur, son mari à cambrioler parce elle n’a pas des beaux habits et des bijoux, bien que son mari lui remet le tout de son salaire chaque « le vingt » du mois.
- Troisième Femme » est la conjointe d’Assassin. Elle est une figurante. On ne la voit sur la scène que quand elle commence à suivre les mauvais conseils de Quatrième Femme. Troisième Femme se méconduit et un jour son mari la trouve dans son lit avec un amant et la tue.
- Quatrième Femme est aussi une figurante. Elle est la cause de la mort de son amie « Troisième Femme ». Elle la pousse à l’infidélité alors que cette dernière était heureuse avec son mari et ses enfants.
Cette partie de notre étude témoigne la vérité sur la déchéance des héros et héroïnes qui constituent leurs caractéristiques dominantes entraînées par celles de la société qui reflète la dégradation dans laquelle ils évoluent.

3.2. Le langage des personnages

Les formes langagières et expressives, que nous exposons à travers cette étude, se rapportent uniquement aux paroles prononcées par les protagonistes dans la pièce. Ils transforment la prison alors en tribunal devant lequel Garçon et les trois adultes justifient leur présence derrière le barreau. Selon Pierre Guiraud ces formes relèvent de la stylistique génétique qu’il définit comme étant « les rapports de l’expression avec l’individu ou la collectivité qui la crée et qui l’emploie »(7).
Le langage de cet ouvrage est un langage de révolte (8) : révolte contre soi-même, révolte contre la décision des parents, révolte contre la société, révolte des faibles contre des puissants, etc. Pius Ngandu ajoute ceci que « le langage se conçoit comme une arme de révolte, comme un espace de toutes les violences et comme un lieu privilégié de la parole » (9). Ce langage, que présentent l’homme et la femme zaïrois dans cet état de martyre, est très choquant. Et voyons-le dans les lignes suivantes :

3.2.1 Le langage de révolte

1° Garçon accuse la société et les parents de devoir pousser les jeunes à l’immoralité : « Abandonné par son père, Garçon s’est rendu chez le mari de sa mère qui l’a chassé aussi parce qu’il est devenu fumeur des chanvres ». (Procès, pp. 40-45). C’est pourquoi Garçon en entrant en prison se proclame innocent.
2° Voleur se plaint d’être victime des parents, de la société et de sa femme : « Hélas oui ! Moi aussi j’ai été victime dès l’enfance : victime de mon père, victime de mon frère et victime de frais scolaires. Ensuite, victime de la femme qui … «. (Procès, p. 47). Ensuite, « (…), victime de la corruption et du tribalisme, le voilà devenu voleur ». (Procès, p.86). Sa femme par ses larmes le pousse à cambrioler. Et, il s’est ainsi retrouvé en prison : « N’est-ce pas que sur dix prisonniers sept le sont à cause d’une femme ? Ce serpent » ? (Procès, p. 46).
3° Femme dénonce les parents, son mari et la société d’être à base de ses malheurs. Elle est :
- victime de l’appauvrissement des parents par le Gouvernement zaïrois et du mariage précoce à 16 ans : « Evoquant ma bonne éducation et mes études qui allaient être sacrifiées, mon père exigea du jeune homme une dot exorbitante et tout fut consommé. Un mois après, j’étais dans le toit conjugal ». (Procès, p. 50).
- victime d’une dot excessive : « Sa faute (père) était d’avoir exigé une dot excessive. M’ayant ainsi vendu, il ne pouvait plus faire de remontrances à son beau-fils ». (Procès, p. 51).
- martyre du mauvais traitement du mari : Cette dernière nous relate la méchanceté de son mari : « Hélas, après cinq mois de vie commune, je n’avais toujours pas conçu. Mon mari s’est mis à boire et je devais tous les jours payer les conséquences de son ivresse. Tout mon corps n’était plus que contusions. A la fin, n’y tenant plus, j’ai fui le toit conjugal. (…), elle se réfugie chez ses parents qui l’ont simplement renvoyée » (Procès, p. 51)». - victime des chefs du Personnel, elle le relate dans ce passage quand elle cherchait le travail : « L’accueil des deux premiers chefs du personnel à qui je me suis adressée m’a glacée d’effroi. Je me rendais suffisamment compte que s’ils accepteraient de m’engager, en retour ils exigeraient de moi une reconnaissance qui serait un déshonneur ». (Procès, p. 52). Sous la dictature de Mobutu, les femmes doivent avoir des rapports sexuels avec les chefs ou devenir leurs « deuxièmes bureaux » (10), si elles sont célibataires. Les mariées sont obligées de devenir des amantes des chefs pour conserver leurs places pourvu qu’elles nourrissent leurs familles.
- victime de crime, elle se condamne d’avoir tué son bébé ; elle est incapable de nourrir son bébé avec le peu d’argent qu’elle gagne dans la prostitution, elle avorte. C’est qui explique son emprisonnement : « Quand l’homme est venu me rendre visite à l’hôpital j’étais encore inconsciente. S’étant présenté comme mon mari, on lui a raconté que j’avais provoqué volontairement… et que c’était un garçon. Le pauvre homme faillit devenir fou de rage et de douleur ». (Procès, p. 64). Elle ajoute : « Me voici seule au monde… Un coeur sadiquement brisé à jamais par vengeance … une vengeance qui a pour résultat la mort de mon enfant… Vous pouvez cracher sur moi, assassin… Vous pouvez insulter une mère indigne. Une mère assassin de son enfant ; de son propre sang ». (Procès, p. 66).
- victime de la prostitution : « Qu’est-ce qui m’a poussée à mener une telle vie ? Devrais-je mourir de faim et circuler nue ? ». (Procès, p. 56).
4° Troisième Femme se plaint devant son mari Voleur qui ne parvient pas à satisfaire ses besoins en ces termes : « Depuis que je suis avec vous et votre le ″ « vingt » (11) ″, ne voyez-vous pas que je suis la mode comme une ombre ? Vous voulez que je vieillisse avant l’âge ? Regardez mes mains : celles d’un coupeur des noix de palme. Laissez-moi rire avec votre le ″vingt″ ». (Procès, p. 43).

3.2.2. Langage de lutte pour l’émancipation et pour l’égalité

Garçon le dit : « Souvenez–vous de notre procès. Ainsi que de nos relations. La société … pourrait s’améliorer ». (Procès, p. 88). Et Femme ajoute : « Je suis aussi pour les idées nouvelles. L’émancipation et l’égalité (…) ». (Procès, p. 72). En bref, ces quatre femmes et deux hommes adultes et un garçon, le plus jeune, ont comme idéologie de chercher à se libérer et à libérer le peuple congolais par tout le moyen, le sexe, le vol, l’assassinat, pourvu qu’ils réussissent. En bref, leurs paroles sont autant de griefs et de mise en garde qu’ils adressent aux dignitaires, aux parents et aux responsables du pays.
Fonction du sexe
Mikanza nous donne à voir le rôle que joue le sexe dans Procès à Makala. Pour se venger de l’homme, la femme a pris la décision de se jouer des coeurs des hommes en couchant avec eux sans amour ou en devenant « deuxième bureau » pour sucer leur argent. Tout ce qu’elle poursuit, c’est l’argent, avoir de l’argent, de l’argent de la souillure pour se vêtir, se nourrir, entretenir sa famille, qu’elle soit mariée ou pas ; pour se procurer du travail et un bon salaire, des perruques, des maisons, des voitures, une bonne situation dans la vie, voyager dans les pays étrangers, etc.
Les textes suivants l’affirment ;
- Femme loue la prostitution en disant :
« Nous ne sommes pas des mendiants. Si chaque travail mérite son salaire, sachez qu’un salaire gagné sans effort brûle les doigts ». (Procès, p. 63). La femme mikanzienne trouve que la prostitution est un métier comme les autres. Dès que l’amant accepte, ils s’entendent sur le prix et après ce travail, la putain reçoit son salaire. Car l’Etat congolais n’a plus de travail à donner ni un salaire décent pour les parents qui travaillent.
« Le souvenir des souffrances endurées à cause d’un homme ; à l’idée que j’agissais contre une décision de faire souffrir les hommes pour me venger et pour ne plus souffrir moi-même lorsque l’homme actuel m’abandonnera comme un habit usé ». (Procès, p. 63). Femme continue: « Nous voyions là, mon amie et moi, l’occasion d’appauvrir notre soupirant. Et je croyais mieux préparer le terrain afin qu’au moment opportun, il souffre davantage. » (Procès, p. 64). Ici, la femme recourt aussi au sexe pour se venger contre les hommes qui la rejette après leur rencontre. Cette haine elle la porte sur ces hommes qu’elle connaît pour quelques minutes et qu’après la délaisse.
- Troisième Femme conseille à Femme de se donner à la prostitution :
« Ma chère, vois-tu, le monde est fait de sorte qu’il faut chercher à vivre et non à se lamenter sur une situation passée. Tu as mieux. Tu as un corps et lui (sexe), les hommes le paient plus cher que le diplôme ». (Procès, p. 52).
« Et pourquoi, je te le demande ? On n’est plus au temps de nos grand’ mères où régnait la loi″ d’un poids, deux mesures″. Nous devrions nous résigner à voir nos hommes s’offrir des moments de détente tandis que nous vieillissons avant l’âge accablées par la fatigue ». (Procès, p. 72). Dans les deux textes ci-dessus, Troisième Femme initie Femme à la débauche au lieu de la voir se lamenter par manque d’argent. Pour elle, le sexe paie bien et mieux que les diplômes avec un salaire insignifiant du « vingt ».
- Garçon reproche à Troisième Femme de refuser le mariage pour la vie de souillure :
« Ainsi donc, vous vous offrez comme un objet de plaisir, mais vous refusez celui qui veut vous offrir une vie honnête dans le mariage ». (Procès, p. 58). Ici, Troisième femme vend son corps pour l’argent. Elle s’offre à tout homme qui est disponible pour avoir un peu d’argent en vue de se nourrir, se vêtir, payer le loyer, etc.,
Tout compte fait, ces odieux aspects déréglés démontrés (des avortements, vengeances, chômage, emprisonnement, prostitution …) des adultes et jeunes dans notre pays demeurent sans solution jusqu’à nos jours. Ils accélèrent le sous-développement plutôt que de promouvoir le développement.

4. Contexte socio-politique du Zaïre et Idéologie de l’auteur

Dans cet article, l’idéologie de Mikanza nous permet de comprendre les réalités sociales, politiques et économiques dans lesquelles il a vécu. Il les a puisées dans le temps de la deuxième République sous le règne de Mobutu et les a transformées en réalité. C’est dans ce sens que notre étude sociocritique s’est intéressée à cette interaction entre l’oeuvre littéraire et la société qui l’a engendrée, tout en mettant l’accent sur le texte lui-même et la socialité telle qu’elle s’y crée et s’y développe. Il s’agit de restituer au texte sa teneur sociale.
Procès à Makala s’inscrit dans le contexte postcolonial. Après le coup d’état de Mobutu de 1965, la RD Congo a connu un long temps de désolation très poussée d’après les lignes suivantes inspirées et décrites dans Procès à Makala :
Cette pièce nous informe sur l’esprit du Zaïrois au temps de Mobutu et du Zaïrois et du Congolais actuel. L’auteur critique négativement les moeurs du peuple sous Mobutu. Ces critiques restent valables jusqu’à ce jour. Mikanza n’aménage pas le climat familial, social et politique du pays dans lequel, il a été. Les riches devenaient de plus en plus riches et le peuple de plus en plus pauvre. Au cours de séances d’animation politique, autrement dit, savoir chanter et danser en se faisant remarquer devant l’autorité politique (Mobutu et sa suite), était devenu une condition sine qua non pour avoir du travail, pour accéder à la promotion et à un poste politique important (Ministre, DG SG, et j’en passe). Hommes, femmes comme jeunes sont chosifiés par le pouvoir. A part les enfants et les connaissances des mouvanciers (« bana ya, ndeko ya »), comme le disaient les kinois, qui trouvaient le travail, un bon salaire, et la bonne éducation appartiennent qu’à eux.
Dans le contexte et à travers des protagonistes de la pièce Procès à Makala que l’écrivain dénonce le mal zaïrois. Il veut éveiller la conscience de son peuple et restaurer un nouvel ordre social, économique et politique dans le but de créer une autre société transformée où régneront la démocratie, la justice, la paix et la liberté.
La crise économique mondiale est souvent un argument facile pour justifier toutes les formes de violence endurées par la population congolaise/zaïroise et même africaine vers la banalisation, particulièrement pour justifier la mauvaise foi des dirigeants au pouvoir qui violent les droits du peuple. Tous ceux qui veulent réagir sont immédiatement torturés et tués.
Le problème posé dans cette pièce après l’indépendance, demeure encore d’actualité aujourd’hui, plusieurs années après l’accession de la nation zaïroise/ congolaise à la souveraineté nationale.

Conclusion

Cette étude sociocritique de la pièce Procès à Makala a restitué l’oeuvre dans son contexte social, politique et économique au temps du président Mobutu. C’est à travers cette société fictive ou société littéraire que nous avons découvert la société congolaise/zaïroise de ce temps. Car la fiction est produite de la société réelle qui l’a inspirée, d’où il y a complexité qui existe entre la fiction et la société réelle. Par conséquent, dans son oeuvre, Mikanza, cherche à mettre l’accent sur la légèreté des moeurs de la société zaïroise observée jusqu’au haut du sommet de la nation. Ce qui insinue qu’à cette époque, la dépravation des moeurs avait atteint son paroxysme surtout chez les jeunes. A force de mal se conduire, les femmes, les hommes et les jeunes gens entrent aussi en prison, dans la rue, dans tout ce qui incarne le mal. Les parents ne s’occupent plus de l’éducation des jeunes. Ces derniers deviennent des laissés pour compte.
Procès à Makala du dramaturge congolais Mikanza Mobyem est un cri de détresse et de demande de secours pour mettre fin à ce dérèglement des moeurs très accentuée. Cet article montre que même si l’objet n’est pas atteint totalement par l’actant-sujet. En réalité, malgré les injustices sociales qui ont engendré les scandales des adultes pour leur irresponsabilité envers les jeunes. Garçon, Femmes, Voleur et Assassin en sortant de la prison recherchent l’éradication des moeurs perverties pour le mieux-être du peuple zaïrois.

Notes
1. Pierre BARBERIS « La sociocritique », in Introduction aux méthodes critiques pour l’analyse littéraire, Paris, Bordas, 1990, p. 153.
2. Joëlle GARDES TAMINE et Marie-Claude HUBERT, Dictionnaire de critique littéraire, Armand Colin, 2004, p. 224.
3. Claude, DUCHET, « Positions et perspectives », in Sociocritique, Paris, Nathan, 1979, Passim.
4. Claude BREMOND, Logique du récit, Paris, Seuil, 1973 ; Algirdas-Julien GREIMAS, Sémantique structurale, Paris, Larousse, 1966, p. 175 ; Nicole EVERAERT-DESMEDT, Sémiotique du récit, Bruxelles, De Boeck, 2000.
5. Nicole EVERAERT-DESMEDT, Sémiotique du récit, Bruxelles, De Boeck, 2000, pp. 40-45.
6. Les vocables « bana ya, ndeko ya » sont tirés du milieu kinois sont plus populaires et utilisés par les jeunes comme par les adultes depuis la deuxième République du président Mobutu jusqu’à ce jour. Ces mots cadrent avec la mentalité et le comportement des Congolais/Zaïrois. Ils désignent « les enfants de…, les frères ou soeurs de… ». C’est cette catégorie des personnes qui ont seuls le droit d’être engagées avec un bon salaire et d’avoir une bonne éducation scolaire et sociale.

7. Pierre GUIRAUD, La stylistique, Paris, PUF, 1961, p. 42.
8. PAUL ROBERT, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Editons Le Robert, Paris, 1992, p. 1710.
9. Pius NGANDU NKASHAMA, Enseigner les littératures africaines, L’Harmattan, Paris, 2000, p. 10.
10. Le lexème « deuxième bureau » est une forme de polygamie qui a vu naissance en RD Congo/Zaïre, à l’époque de la deuxième République. C’est une expression utilisée pour désigner une maîtresse d’un homme riche qui espère remplacer soit la première épouse soit la « nième bureau ». Dans ce passage, « Femme » nous confirme qu’elle est « deuxième bureau », « makango ya » : « Je ne suis qu’un ″deuxième bureau ». Deuxième ou cinquième bureau, tu es dame ». (Procès, p. 84). Elles ruinaient ces hommes par leurs exigences financières exagérées. « Certains parents encourageaient leurs filles à être deuxième, troisième, ou énième « bureau » à condition qu’elles leur amènent de l’argent ». (Procès, 62). Pour qu’une femme ait le travail, la promotion ou un bon salaire, elle doit être « deuxième bureau », notamment. Plusieurs jeunes filles congolaises n’hésitent pas à prendre les maris ou les fiancés des autres.
11. « Le vingt », sous la dictature mobutienne, d’après Mikanza, est le jour de paie pour les employés de l’Administration publique du Zaïre. (Procès, p. 43). Le vocable « le vingt » veut dire que pendant la deuxième République le salaire payé chaque vingtième jour du mois était très médiocre jusqu’à ce jour.

Par Aurelie BULAKALI NSIMIRE, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024