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La définition et ses problèmes à travers un inventaire d’africanismes

Gabriel SUMAILI NGAYE-LUSSA[1]

gabalise@gmail.com

 

Résumé

La lexicographie impose, entre autres tâches, la définition des unités du lexique ; des problèmes surgissent dans la réalisation de cette activité. S’agissant en particulier d’élaborer une définition des mots en usage dans le français de l’espace francophone d’Afrique, les africanismes, ces problèmes redoublent d’acuité dans la mesure où les données définitionnelles tendent à recouvrir aussi bien les aspects encyclopédiques que les aspects spécifiquement linguistiques.

Mots clés : définition- lexicographie- langue française-africanismes-congolismes.

Introduction

Les auteurs des travaux lexicographiques sur le français dans l’espace francophone du Sud ont, très tôt, été confrontés aux problèmes posés par la définition, ainsi que l’attestent les lignes consacrées à la définition par D. Racelle-Latin (coordonnatrice du projet) dans l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire (IFA, 1983, rééd.1988 : XXXI-XXXIII).

En effet, écrit l’auteure, malgré l’effort d’harmonisation des styles, certaines différences ont subsisté, vu la difficulté d’établir une limite stricte entre définition linguistique (dans la rigueur de sa formulation) et encyclopédie (eu égard à l’intérêt intrinsèque de l’information). Bien plus, tandis que l’on s’efforçait de réduire au maximum le recours à la définition circulaire, il est arrivé parfois qu’une définition ne soit pas donnée, dans les cas où le particularisme de l’entrée n’affecte pas le sens. (C’est nous qui soulignons).

Ces difficultés sont inévitables, d’autant qu’au regard de la sémantique descriptive, la définition constitue en quelque sorte la ‘carte d’identité’ d’un terme au sein d’un ensemble terminologique, lui-même appartenant à un domaine particulier. On peut considérer qu’une définition fait le lien entre une dénomination et un contenu conceptuel (U. Weinriech, 1970 : 69-86).

Cette exigence de rigueur obéit, du reste, à la nature même de la définition qui, selon la lexicologie explicative, exige rien moins que la conformité : La définition lexicographique d’une lexie, en effet, est conçue comme une périphrase analytique exacte de cette lexie (I. Mel’Cuk et A. Polguère, 2016 :61-91 ).

C’est dire combien délicats sont les soins qu’exige l’opération de définition. Chiss, Filliolet et Maingueneau (2001 : 15) préviennent celui qui, à la recherche du sens d’un mot, consulte un dictionnaire : la définition qu’il entend trouver n’est pas une donnée brute, mais le résultat d’une activité extrêmement complexe du lexicographe qui rencontre sur son chemin tous les obstacles liés à l’univers de la signification.

Plus précisément, en vue de répondre aux préoccupations de celui qui recourt au dictionnaire, la réponse que fournit le lexicographe provient des « choix concernant la sélection d’informations et [leur] présentation » (Chiss et alii, 2001 : 157).

 

1.-Définition : types, éléments et modes opératoires

1.1 La définition dans la lexicographie

Avec  le Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage (Dubois et alii, 2012 :132), nous entendons par définition, dans le contexte lexicographique, « l’analyse sémantique du mot d’entrée », constituée d’une série de paragraphes synonymiques de ce mot, lesquels recourent à des termes génériques, les définisseurs, formant un sens, une acception.

S’il est ainsi aisé de définir la définition, toutefois ses modes opératoires demeurent l’objet de fortes contestations ; et, selon les optiques théoriques, « la question du sens des unités lexicales divise les linguistes » (Lehmann et Martin-Berthet, 2000 :15).

Dès l’abord, notons que la lexicographie recouvre à la fois (Dubois et alii, 2012 : 278) un aspect technique (la pratique de confection des dictionnaires) et un aspect scientifique (l’analyse linguistique). Au total, « une pratique fort ancienne et une science récente » (Chiss et alii, 2001 :143).

La lexicographie a, en effet, précédé, et de loin, la lexicologie. Depuis plus de deux millénaires, Aristote a réfléchi sur l’art de définir, et c’est depuis le XVIè siècle que les lexicographes (R. et H. Estienne, Richelet, Furetière, Trévoux…) confectionnent des dictionnaires unilingues. Ils l’ont fait, certes, en « tâtonnant, sans méthodes ni procédés bien déterminés » (Picoche, 1992 : 138-139) par rapport à la situation actuelle.

Il n’est donc pas étonnant que la pratique de la définition se soit trouvée confrontée aux méthodes modernes de la linguistique, qui l’ont affinée. De cette confrontation, il a résulté entre autres, pour la linguistique moderne, que ce n’est plus tant l’opposition aristotélicienne entre définition de mots et définition de choses qui prévaut, mais l’opposition entre définition linguistique (retenant ce qui est utile pour le fonctionnement de la langue) et définition encyclopédique (visant la connaissance exhaustive du type de référent) (Picoche, 1992 :140-141).

 

1.2 Les types de définitions

Il en a aussi résulté une multiplicité de types de définitions, selon le point de vue adopté et les procédures mises en œuvre.

M.-F. Mortureux (1992 : 60-74) ne regroupe qu’en deux les types de définition : paraphrastiques et métalinguistiques. Pour sa part, J. Picoche (1992 : 138-155) en présente trois : relationnelle, substantielle, prototypique. De même J.-L. Chiss et alii (2000 : 151-152) retiennent  trois types de définitions : logique, nominale, structurale.

Et tandis qu’A. Lehmann et F. Martin-Berthet (2000 : 15-47) classent les définitions en quatre types (par inclusion, morphosémantique, synonymique, métalinguistique), cette classification atteint jusqu’à cinq types (par équivalences, par inclusions, morphosémantiques, partitives, phrastiques) chez F. Gaudin et L. Guespin (2000 : 140-151).

Il ressort de ce qui précède que la frontière est parfois tenue entre catégories. Par exemple, A. Lehmann et F. Martin-Berthet (2000 : 15-42), tout en partant de trois procédés de définitions, à savoir : par inclusion, par analyse sémique, par prototype), débouchent sur les quatre types mentionnés ci-dessus.

Ces divergences sont inévitables, dans la mesure où la classification est tantôt basée sur l’aspect formel du définisseur (nominale vs phrastique, synonymique vs structurale), tantôt sur la diversité des modes d’analyse du contenu sémantique des entrées. 

1.3 Eléments et modes opératoires

Une schématisation de l’évolution des théories et pratiques modernes de la définition est possible. Le modèle aristotélicien (basé sur le genre prochain et les différences spécifiques, donnant les définitions dites logique, par inclusion, hyperonymique) a montré ses limites (Lehmann et Martin-Berthet (2000 : 20-21). En effet, il ne peut traiter l’ensemble du lexique, notamment : les mots grammaticaux (car, que…) qui doivent relever d’une autre procédure définitionnelle ; les mots généraux, vagues, les primitifs (être, chose, personne, objet) non analysables, qui servent eux-mêmes d’incluants pour définir les autres ; enfin, ce modèle convient plutôt aux noms, et très peu aux verbes, adjectifs, pronoms…

A la fin des années 1950, la sémantique structurale, en quête d’unités élémentaires de la signification, a recherché la « clé des significations dans les relations qu’elles entretiennent entre elles » (Nickees, 1998 : 206) en procédant à l’analyse du signifié en traits sémantiques (calqués sur le modèle phonologique des traits distinctifs). C’est l’analyse sémique (A.-J. Greimas, E. Coseriu, B. Pottier) ou componentielle selon la version américaine (J.-J. Katz et J. Fodor).

La définition basée sur les sèmes a certes son utilité (Nyckees, 1998 : 210-223) : elle affine les définitions sémantiques, l’archisémème correspondant à l’hyperonyme et le sémantème à la différence spécifique ; elle reste pratique pour l’étude d’un champ générique donné. Mais elle a aussi ses limites (Nyckees, 1998 : 232-237) : la part de l’intuition dans l’extraction des traits pertinents ; la  désignation des sèmes par des mots non définis eux-mêmes ou des mots trop complexes par rapport à la signification recherchée ; le nombre extrêmement élevé de sèmes qu’il faudrait mobiliser pour une description totale du lexique d’une langue.

Depuis la fin des années 1970, des théories relevant de la psycholinguistique (E. Rosch) et de la philosophie du langage (H. Putman) envisagent la catégorisation des référents sous l’angle de la typicité ; elles avancent que les catégories ne sont pas homogènes, les propriétés d’ensemble pas toujours vérifiées (Lehmann et Martin-Berthet, 2000 : 30-32). C’est ainsi qu’en sémantique référentielle, G. Kleiber traite de la notion de prototype : au sein d’une catégorie, la base n’est plus les propriétés partagées, mais « le degré de ressemblance avec le meilleur exemple ou meilleur représentant de la catégorie », ce qui condense un ensemble de propriétés ou attributs typiques de la catégorie (Lehmann et Martin-Berthet, 2000 : 32).

Le stéréotype, c’est « la description d’un membre normal de la classe naturelle, présentant les caractéristiques qui lui sont associées ». Ces propriétés n’étant que conventionnelles, parfois inexactes, le stéréotype correspond donc à l’image sociale partagée de l’unité lexicale (Lehmann et Martin-Berthet, 2000 : 34).

Prototype et stéréotype ont en commun de rassembler les traits centraux de la catégorie, les traits saillants, de décrire positivement le contenu du sens lexical. Leurs avantages : souplesse du modèle définitionnel et vision positive du sens lexical ; par la relation de désignation, les deux notions enrichissent et rejoignent la vision logique traditionnelle, tandis que, par sa relation de signification, l’analyse sémique privilégie l’approche différentielle.

   

2.-Le « Petit lexique kinois » de F. Belorget

2.1 Considérations générales

Nous abordons, à présent, le « Petit lexique kinois » que F. Belorget a rédigé et publié dans Autrement, ce qui nous permet de passer en revue les définitions qui y sont présentées. 

Le magazine Autrement, revue culturelle paraissant à Paris, aux éditions du même nom, a consacré son numéro hors série du 9 octobre 1984 au thème « Capitales de la couleur : Dakar-Abidjan-Lagos-Douala-Kinshasa ». Ce titre est manifestement inspiré du recueil poétique de Paul Eluard, Capitale de la douleur, publié en 1926 (Demougin, 1985 : 274).

Bruno Tillette, qui a conçu et dirigé la rédaction de ce numéro spécial, se proposait de présenter la vie et l’expression des locuteurs du français à travers les cinq capitales politiques ou économiques (du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, du Nigeria, du Cameroun et du Zaïre -aujourd’hui République démocratique du Congo). Au total, trois pays de l’espace francophone, un pays anglophone et un pays à la fois francophone et anglophone, de cette Afrique peuplée d’hommes de couleur.

F. Belorget, en poste, à l’époque, au Centre culturel français de Kinshasa, a présenté dans ledit numéro, à la page 156, un entrefilet intitulé « Petit lexique kinois ». Il est certain que ses fonctions au Centre culturel lui ont permis de côtoyer les Congolais francophones, d’observer leur mode de vie ainsi que leur langage et d’en noter les particularités. Il n’est certes pas exclu que celles-ci avaient aussi cours parmi les Français résidents au Zaïre.

En outre, il convient de relever que 1984, c’est un an après la publication de l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire (IFA) que F. Belorget, de par sa position, ne pouvait ignorer.

Les deux colonnes du « Petit lexique kinois » comprennent, par ordre alphabétique, 35 entrées. On peut répartir de la manière suivante l’ensemble des entrées par catégories grammaticales :

  • 10 verbes, dont 2 locutions verbales (battre le meeting et faire le match) ;
  • 25 noms, dont 2 noms composés (chômeur américain et article 15), 1 sigle (B.P.) 1 acronyme (SIDA) et 2 apocopes (croco et labo). L’ellipse y figure en bonne place, car 3 noms, dont Lambert et poussin, tiennent respectivement lieu de [banque] Lambert et de [petit] poussin. Ensuite lutteur : il est certain que, dans l’usage, ce terme ne fait pas référence à la lutte traditionnelle (l’équivalent de la lutte gréco-romaine), mais plutôt à la lutte [pour la survie].

 

2.2 Les données définitionnelles du « Petit lexique kinois »

Pour définir les 35 entrées, Belorget utilise différents procédés que nous passons en revue ci-dessous :

2.2.1 La définition par synonymie

C’est le recours à une autre unité lexicale ayant avec l’entrée une relation d’équivalence sémantique. Ce procédé s’emploie en cas de différence de niveau de langue. Simple, il consiste en un seul vocable : abattoir : ‘lupanar’ ;

barrer : ‘tuer’ ;

poussin :’gigolo’ ;

quado : ‘vulcanisateur’ ;

varier : ‘se fâcher’.

 

Il va sans dire que le mot définissant par synonymie doit être usuel, facile à comprendre ; sinon, l’objectif ne saurait être atteint.

  Au total, le « Petit lexique kinois » compte 12 entrées comportant ce type de définition, les 5 entrées indiquées ci-dessus ayant un synonyme unique. Deux autres ont une synonymie multiple :

coopération :’corruption’, ‘arrangement’,

américain est défini à la fois par synonymie (‘un original’) et par antonymie (‘non-conformiste’).

Quatre termes sont définis par une périphrase :

bailler : ‘en avoir marre’,

bocquer :‘boire la bière’,

cailler :‘faire l’amour’,

faire un match :‘faire l’amour’.

 

2.2.2 La définition morphosémantique

Outre la synonymie, la définition morphosémantique se retrouve aussi dans le « Petit lexique kinois ». Réservée aux mots construits, elle renvoie généralement à la forme de base du mot d’entrée.

Trois mots, au moins, sont ainsi définis :

ambianceur :’celui qui fait l’ambiance…’ ;

lutteur : ‘un type qui vit de petits boulots et qui n’a pas de métier fixe’.

migueliste : ‘celui qui a vécu en Europe’ ;

A propos de Migueliste, les indications de P. Tete Wersey (2005 : 84), qui fournit pour sa part le « mode d’emploi » des congolismes,  éclairent davantage : « Migueliste : Miguel est le terme par lequel les Congolais désignent l’Europe. Le Migueliste est le Congolais qui vit en Europe. On l’appelle également mikiliste, celui qui a vu du pays (de mikili, les mondes, en lingala). »

2.2.3 La définition par inclusion

Cette définition se compose de 2 parties : l’incluant (désignant la catégorie, le genre) et les caractéristiques spécifiques. Une dizaine d’entrées sont définies par inclusion.

Il s’agit de :

abacost : ‘costume national zaïrois au col mao’

bureau : ‘la maîtresse d’un homme, généralement numérotée’

chômeur américain : ‘personne qui vit bien sans travailler de façon constante’

croco : ‘le contrôleur de fula-fula…

kadhafi : ‘vendeur d’essence au marché noir… 

labo : ‘une chambre servant de rencard pour les amoureux’

thomson: ‘le bus des étudiants, par extension, tout ce qui n’est pas cher

wembley : ‘un lit confortable où on peut faire un bon match’.

 

 

 

2.2.4 La définition métalinguistique

Type malaisé à définir, la définition métalinguistique relève du signe ; elle est caractérisée par une rupture de construction avec le mot entrée.

On la trouve souvent introduite par ‘se dit de’, ‘s’emploie pour’, ‘surnom donné à’, ou par une indication de la catégorie grammaticale.

Cas rarissime dans le « Petit lexique kinois », car cette définition ne se rencontre qu’une seule fois : article 15 : ‘débrouillez-vous !

3.-Problèmes définitionnels dans le « Petit lexique kinois »

Après les considérations générales et ces données définitionnelles qui caractérisent le « Petit lexique kinois », voici un certain nombre de problèmes que suscitent ces définitions ; ces problèmes se retrouvent tant dans la structure des entrées que dans leur contenu. 

3.1 Prépondérance des indications encyclopédiques

La préoccupation encyclopédique est très frappante à la lecture des données réunies dans le « Petit lexique kinois ». Ces données viennent immédiatement à la suite de la définition, sans indication particulière sauf, à deux reprises, les parenthèses. Et la part y réservée l’emporte même, souvent, sur la définition.

Sept exemples figurent parmi les plus éloquents :

  • ambianceur : ‘…ainsi on estime que Kinshasa est la capitale de l’ambiance et que des quartiers entiers sont en pleine activité et animation, de 23 heures à 6 heures du matin presque tous les soirs.’
  • B.P. : ‘… On trouve écrit à l’intérieur des boutiques : « Le B.P. est mort, le client l’a tué. »’
  • bureau : ‘…généralement numérotée (première, deuxième). Beaucoup de femmes ont pour fonction d’être deuxième bureau de riches citoyens zaïrois.’
  • Kadhafi : ‘…Profession très répandue à Kinshasa.’
  • Miguel : ‘…Tout le monde rêve d’aller à Miguel.’
  • tailler le caillou : ‘…(Ne pas oublier que le sous-sol zaïrois recèle des trésors).’
  • thomson : ‘(suite à une campagne publicitaire de la société Thomson qui vantait les bas prix de ses appareils radios).’

   Certes, il faut bien tout mettre en œuvre pour éclairer la lanterne de celui qui, à la recherche de la définition d’un mot, interroge le dictionnaire. Car, ayant pour but de clarifier, d’expliquer,  la définition est « une proposition qui met en équivalence un élément définissant et un élément défini » (Erreur ! Référence de lien hypertexte non valide. consulté le 15/10/2021).

Toutefois, la profusion des indications encyclopédiques ne laisserait-elle pas voir que ce lexique est plutôt destiné à la consommation extérieure, en l’occurrence touristique ?

3.2 Les données étymologiques

Manifeste est le souci d’apporter des éclaircissements étymologiques  en dépit de la brièveté du « Petit lexique kinois ». L’auteur a proposé, pour plus de 5 entrées, une étymologie :

abacost : ‘… vient de « à bas le costume ».

damer : ‘…Ce mot vient du jeu de dames : damer un pion : le manger.

lambert : ‘…dérivé de Banque Lambert (Banque belge)

londonienne : ‘…en lingala, londe signifie ronde dans le sens de : une fille fait la ronde. Rien à voir avec les femmes de Londres.

thomson : (voir ci-dessus).

Il est intéressant de noter que ce sont les mots ou significations censés ne pas se trouver dans un dictionnaire du français de France qui bénéficient, ici, de l’étymologie. Toutefois, l’on s’attendrait à ce que d’autres mots, tels que balados, Miguel et quado soient, eux aussi, accompagnés de pareilles indications.

Bien plus, pourquoi l’auteur n’est-il pas remonté, notamment dans les cas de « poussin » et « quado », jusqu’à :

  • « Petit poussin » (cfr « Mwana nsusu », pièce à succès de Tshitenge Nsana, jouée en 1983 par le Théâtre de chez nous de l’Office zaïrois de radiodiffusion et de télévision-OZRT),
  • et jusqu’à « quado », que l’IFA (1983 : 311) avait déjà défini comme suit : « QUADO (du nom des propriétaires de la Maison du pneu à Kinshasa : Kirst et Cohadon) n.m. inv. ZA. Service annexe mais plus ou moins indépendant d’une station-service, qui s’occupe principalement de la réparation (et parfois de la vente) des pneus et chambres à air pour les voitures.»  L’illustration de cet emploi, l’IFA l’a tirée du quotidien Salongo, paraissant à Kinshasa, daté du 03-03-1978 : « C’est dire que la crise bat son plein actuellement. Avec tous ses corollaires : le vol des pneus, la surenchère sur le marché des pneus (des pneus généralement rechapés, mais présentés par les quados comme neufs), etc. ».

Ajoutons : la désignation de l’activité de rechapage de pneus par le nom du garagiste (antonomase) jadis installé au centre-ville, est corroborée tant par R. de Maximy (1984, passim) que par Yoka Lye Mudaba (1996 : 528).  

3.3 L’article indéfini

Cinq noms sont précédés d’un article, en l’occurrence l’article indéfini : un abacos, un Américain, un chômeur américain, un ambianceur, un croco.

Il s’agit, pour l’essentiel, des tout premiers mots de la liste. L’auteur aurait-il abandonné, pour les nombreux autres noms de la liste, cette pratique à la fois lourde et inhabituelle en lexicographie ?

3.4 Niveau de langue, domaine d’emploi et fréquence

Rédigés en langue française, les définitions figurent pourtant sans indication de niveau de langue, de domaine d’emploi, ni de fréquence. Le lecteur est, dès lors, tenté de s’interroger ou d’extrapoler : les mots faisant partie du « Petit lexique kinois » revêtiraient-ils tous une coloration familière ? Serait-ce là le critère qui a prévalu à leur sélection ?

D’autant que plus de 10 entrées (ou leurs significations) appartiennent singulièrement, de près ou de loin, au champ de la sexualité : ambianceur, abattoir, battre le meeting, bureau, faire un match, londonienne, labo, poussin, SIDA, wembley.  

3.5 Contexte ou exemples

Certaines définitions sont illustrées par des contextes. Ceci ne concerne que 4 cas ; parmi eux, du reste, l’exemple donné pour le premier mot s’avère inapproprié (ambiance au lieu d’ambianceur) :

Ambianceur : ‘…On vit dans une ambiance.’

B.P. : ‘…Le B.P. est mort, le client l’a tué.’

Miguel : ‘…Tout le monde rêve d’aller à Miguel.’

Retour : ‘…Un serveur vous rend le retour.’ 

Si 3 de ces contextes sont réputés forgés par l’auteur, du moins le deuxième est la citation fidèle de pancartes des boutiques.

3.6 Hiatus dans les définitions

Deux cas méritent que l’on s’y arrête, vu l’inadéquation des définitions fournies. Il s’agit de :

-Article 15 : ‘Débrouillez-vous !’

Outre le fait que ‘Débrouillez-vous’ ne définit pas Article 15 (à moins d’un métalangage, à expliciter), nous estimons utile de rappeler la précision que nous en avons déjà donnée (Sumaili 1974 : 16, note 13) :

 « Article 15 de la Constitution du Sud-Kasaï (Bakwanga), dont la rumeur s’accorde à donner  une stipulation fort laconique : « Débrouillez-vous » - mais qui ouvre la porte à une latitude d’action !... »

-Vestonner : il est clair que la définition donnée « avoir trouvé du travail, ainsi on peut se permettre l’achat de nouveaux habits » est, pour le moins, elliptique.

En effet, ni un nouvel emploi, ni l’achat d’habits ne sauraient servir de définition au mot « vestonner ».

Ce dernier se traduirait plutôt par ‘arborer de nouveaux habits’, le reste étant plutôt l’expression d’une cause, d’une circonstance !

Un troisième cas concerne le mot fula-fula, qui, bien qu’utilisé comme incluant pour définir croco, semble avoir échappé à toute définition, rendant ainsi obscurs les éléments de compréhension du mot entrée croco, lui-même une apocope non signalée.

Pourtant, l’IFA (1983 : 158) définissait ainsi fula-fula : n.m. ZA péj. Camion de marchandises couvert, d’aspect souvent vétuste, que l’on transforme en car en y installant les banquettes et en perçant de petites ouvertures latérales servant de fenêtres. » Et l’exemple donné : « Sur le boulevard, il attendait son car, de préférence un bus ou un fula-fula », Salongo, n°326, 08-06-1976 » (…). ENCYCL. Ce véhicule très rapide sert de transport urbain et interurbain. »

S’agissant de croco, le même IFA (1983 : 100) renvoie à Ngando, dont il sied d’observer que la définition donnée (IFA, 1983 : 261) élargit le domaine d’usage, bien au-delà du fula-fula :

« NGANDO, n.m. inv. ZA. Contrôleur dans les véhicules de transport en commun. » Et l’illustration, une fois de plus, est tirée du quotidien Salongo paraissant à Kinshasa : « (…) une citoyenne qui est montée à bord a immédiatement tendu un billet de 1 zaïre au receveur qui lui répondit qu’il n’avait pas de monnaie. Il l’invita cependant à descendre à l’arrêt suivant pour éviter des ennuis avec les ‘ngando’ » (Salongo, 10-06-1976).  

En bref, le décryptage de croco[dile] est aisé. Ce symbolisme de contrôleurs des véhicules de transport en commun chargés d’appréhender tout fraudeur, remonte au roman du Congolais Paul Lomami-Tchibamba, Ngando (le crocodile), paru à Bruxelles, aux Editions Georges A. Deny en 1948, œuvre qui avai

Par Sumaili Ngaye-Lussa Gabriel , dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024