Publications

Article détaillé

Liste des articles.

Résumé

Dans le Discours Electoral Congolais, les locuteurs n’emploient pas une langue, mais des langues. Les communications sont spontanées, ainsi les langues qui découlent de ces échanges sont, certes, du répertoire linguistique des locuteurs qui, parfois, sont dictées par les interlocuteurs. Dans le souci de garder un contact communicationnel constant, les candidats préfèrent satisfaire, dans leurs communications, les locuteurs de toutes les langues nationales. C’est ainsi que ces langues congolaises transcendent leurs limites et leurs aires géolinguistiques lors de la campagne électorale. A la différence de l’emprunt lexical, l’alternance codique apparaît comme un phénomène englobant tous les autres phénomènes qui découlent du plurilinguisme au Congo-Kinshasa.

Mots-clés : discours électoral, alternance codique, campagne électorale, langues congolaises, Congo-Kinshasa
Reçu le : 23 mai 2023.
Accepté le : 27 juin 2023.

Abstract

In Congolese electoral speeches, speakers do not use one language, but many. The communications are spontaneous, so the languages that result from these exchanges are, of course, from the linguistic repertoire of the speakers, but sometimes they are dictated by the interlocutors. In order to keep a constant communicational contact, the candidates prefer to satisfy in their communications the speakers of all the national languages. Thus, these Congolese languages transcend their limits and their geolinguistic areas during the election campaign. Unlike lexical borrowing, code-switching appears to be a phenomenon that encompasses all the other phenomena that arise from multilingualism in Congo-Kinshasa.

Keywords : electoral speech, codic switching, electoral campaign, Congolese languages, Congo-Kinshasa
Received : May 23th, 2023.
Accepted : June 27th, 2023.

0. Introduction

Les études faites sur les alternances ne se limitent que sur les trois formes : interphrastique, intraphrastique et extraphrastique. Cependant dans le Discours Electoral Congolais (désormais le DEC), nous avons remarqué deux autres types d’alternance codique que nous ajoutons aux trois déjà exploités. Cette brèche permettra de revoir le classement des alternances codiques, surtout lorsqu’il faut effectuer des études sur les langues africaines qui se partagent le français comme LE ou L2 aux côtés d’un plurilinguisme endogène. Traditionnellement, l’alternance codique résulte sur la phrase, alors elle est interphrastique, intraphrastique ou extraphrastique comme nous les analyserons dans la suite. Cependant, en analysant le DEC, nous envisageons trois à cinq catégories d’alternance codique. Si les trois premières ont déjà fait l’objet d’études, les deux dernières naissent des contacts du français avec les langues congolaises.
Il convient de souligner de prime abord que les recherches portant sur l’alternance codique (Zongo, 2004) ont fourni une terminologie abondante du fait de la complexité de chaque situation observée et/ou étudiée sous des angles divers. Dans la configuration des conversations des candidats (locuteurs) pendant la campagne électorale, l’examen de l’alternance codique constitue un observable essentiel pour mettre en évidence les caractéristiques du parler bilingue et plurilingue comme conséquence du contact de deux ou plusieurs langues. La mobilisation stratégique des ressources langagières bi - plurilingues au niveau de la conversation montre, en effet, la complexité de la tâche aussi bien au niveau de la connaissance des langues que de la capacité de communiquer en se servant de celles-ci. Comme tous les phénomènes qui découlent des contacts des langues, l’alternance codique requiert une attention particulière dans la recherche sociolinguistique du fait des particularités des caractéristiques dans les pratiques langagières de chaque communauté linguistique et des langues qu’elle emploie. En effet, l’étude de cas permet d’une manière ou d’une autre de dégager des types d’alternance codique.

1. Bref aperçu sur le paysage sociolinguistique de la RD Congo

Partant de la constitution du pays, Ishamalangenge Nyimilongo (2020c : 155) note qu’il existe d’ores et déjà un paysage linguistique congolais, constitué des langues vernaculaires des quatre langues nationales (le lingala ; le kiswahili ; le ciluba et le kikongo). En effet, la constitution classe les langues en trois paliers, à savoir langue officielle, langues nationales et langues ethniques / locales/vernaculaires.
C’est ainsi que nous déterminerons dans les lignes qui suivent l’usage, la place et l’importance de chaque palier linguistique. Nous jetons également un regard sur l’influence de l’anglais qui prend de l’ampleur depuis les invasions de l’Est du pays par des rebelles et le nombre important des Organisations internationales ou non gouvernementales qui considèrent la connaissance de l’anglais comme un atout pour y prester. Ce phénomène est quasi général dans les pays développés où la maîtrise d’une autre langue internationale s’impose.
D’où la genèse du discours alterné, métissé dans les conversations intersubjectives des Congolais. Ce phénomène prend de l’ascension dans les communications publiques de masse, notamment le cas de la campagne électorale. Ce discours alterné ou métissé n’est pas exclusivement en langues congolaises, il l’est aussi en langues congolaises et langues étrangères. Cependant, le pays est déjà multilingue comme le décrit Ishamalangenge Nyimilongo, (2020c : 156) :
Le Congo-Kinshasa est l’un de ces pays africains où le plurilinguisme est une réalité incontestable. Plus de 250 ethnies, chacune avec une ou plusieurs langues porteuses et gage des cultures. Dès lors que cette population partage un quotidien commun, le multilinguisme et/ou le plurilinguisme devient un défi pour l’interculturalité. Cependant, il existe des instances où ces langues congolaises survivent sans penser à leur disparition : c’est le cas des élections. Organisées en 2006, puis en 2011 et enfin en 2018, ces élections de la 3ème République ont été toujours groupées (présidentielle et législatives) avec une très forte participation des acteurs politiques de toute tendance confondue. La campagne électorale est alors battue selon les clivages ethnolinguistiques, régional et socio-politique. Pendant la campagne, le candidat est appelé à parcourir toute sa circonscription électorale. Dès lors beaucoup de discours charrient cette campagne électorale. Pourtant, il faut noter que le discours électoral est adapté selon les attentes de la base électorale.
Le français contribue ainsi, après la langue maternelle utilisée en dehors de l’école, au développement de la personnalité du Congolais. C’est la langue de prestige pour ses locuteurs. L’usage du français est plus fréquent dans les milieux urbains que dans les milieux ruraux. Un habitant de la banlieue qui a pour langue de communication « français » avec sa famille, serait taxé ou qualifié de clientéliste, d’orgueilleux par son entourage de par sa localisation. Le français est aussi la langue d’accès aux domaines scientifiques et techniques, c’est la langue d’ouverture sur d’autres cultures, d’autres civilisations. Cependant, le français, langue officielle, reste une langue seconde pour la plupart de ceux qui la parlent. La compétence des locuteurs du français reste très inégale, et varie principalement en fonction des milieux urbains et ruraux.
D’une manière générale, nous sommes d’avis qu’il existe un français congolais de par sa coloration régionale qui est liée, de facto, aux réalités culturelles congolaises. Cette coloration est distincte du français de l’hexagone ou d’ailleurs. Cependant, il faut noter que ce cas de coloration du français n’est pas commun à tous les Congolais, ceux qui ont un cursus de formation qualifié dépassent ces frontières du français congolais. Ce français, langue de communication électorale (en sigle, LCE), est une variété de la langue française. Son usage par les candidats pendant la campagne électorale est source d’un système linguistique complexifié, c’est-à-dire un code mixing ou switching français – langues congolaises. Ishamalangenge Nyimilongo (2020b : 84) pense que « les candidats s’approprient le français et lui font subir des modifications. Parfois, ces modifications sont telles que le français s’en trouve ignoré, voire qu’il soit dissimulé dans une phrase du discours ». Dans les cas concrets, les verbes: soutenir, voter, changer, développer, prouver, aider, …récurrents dans les discours des candidats, deviennent dans leur conjugaison avec les langues congolaises : bosoutenaki, osoutenaki, kusoutenir, bivotavota, bovotaki, ovotaki, kovoter, achangeaki, ochangeaki, tokochangeaka, tochangeaner, tudéveloppeayi, kodéveloppaka, todéveloppaki, oprouvaka, toprouvaki, koaidaka, koaidaner, toaidaki,…un mélange morpholexicologique complexe. Il en est de même à la qualification des dénominations.

2. Les types d’alternance codique
2.1. Alternance interphrastique

Les candidats ayant une maîtrise limitée de langues préfèrent employer des unités plus longues dans leurs communications. L’usage de langues se fait de la langue de la communauté à la L1 du candidat. Dans ce contexte de communication intersubjective, la pyramide linguistique congolaise reste constante. Cette alternance codique où le discours du candidat est scindé en deux parties, la première en kikongo, tandis que la seconde est en français. Ce que pense Faraj (2007 : 181) : « On est en présence d’un bilingue équilibré et une compétence égale dans les deux langues est essentielle pour que le locuteur puisse se servir de l’alternance de codes comme une stratégie de communication avec les autres sinon l’alternance de codes serait utilisée pour répondre à un déficit linguistique ».
Ci-dessous nous relevons quelques illustrations pour appuyer notre argumentation.

2.1.1. Langue officielle : le français

Nous reprenons les séquences dominées par le français. Par sa cohabitation avec les langues congolaises, le français est employé à côté des langues nationales et/ou locales selon le répertoire linguistique du locuteur. Ainsi, certains candidats l’emploient plus que les langues congolaises.
« Mbala oyo biso moko tokoprendre les choses en mains. Pour nous, ce ne sont pas les 5 chantiers qui nous préoccupent, plutôt le social d’abord. Cette fois-ci nous allons prendre les choses en mains [….] » CD2006-6. Dans cet énoncé, nous remarquons un déséquilibre phrastique. Les deux langues (le français et le lingala) employées par le locuteur n’ont pas le même nombre d’éléments de la phrase. Cet énoncé est dominé par le français.
Pour le locuteur suivant, l’énoncé commence par une unité alternée, puis il passe du lingala au français dans sa communication : « Baprojets oyo ekoyebana na bakonzi soki kaka bino bovoter ngai pour qu’ensemble nous puissions faire de notre commune, notre pays un modèle en Afrique un héritage que nous ont légué nos aïeux. [Ces projets seront connus si vous votez pour moi pour qu’ensemble nous puissions faire de notre commune, notre pays un modèle en Afrique un héritage que nous ont légué nos aïeux] » CD2011-2. Dans son discours, il s’exprime dans les deux langues sans inquiétude parce qu’il les manipule selon les types de communication et dans des circonstances bien précises.
Dans cet énoncé « En ce qui concerne l’élection présidentielle, j’interpelle la population bana membre de ne pas voter qui que ce soit, mais plutôt mutu qui a le souci de la population et qui garantit l’avenir meilleur de la République Démocratique du Congo » CD2011-6, nous pouvons remarquer la dominance d’un seul idiome chez ce locuteur. Quant à la langue congolaise, son usage par le candidat est très négligeable.
Par ailleurs, dans cette phrase : « Beto na Président Kabila na bapromesse notamment des cinq chantiers yokesalama. [Nous, avec le président Kabila les promesses notamment des cinq chantiers sont en train de se concrétiser] » CD2011-7, le locuteur emploie le français et le kikongo. Mais, le kikongo ne se trouve qu’au début et à la fin de son énoncé, le reste de la phrase étant en français.
« Tumona mushindu wa kudévelopper Petites et moyennes Entreprises ti ne misoko yetu bwa développement wa bantu. [Que nous pensions développer les petites et moyennes entreprises jusqu’aux villages reculés pour le développement humain.] » CD2006-9 et « Donc, mes frères et soeurs, soyons sages et prudents mu masungula. [Donc, mes frères et soeurs, soyons ages et prudents aux votes.] » CD2011-30. Pour ce candidat de Mweka, toutes les phrases sont en français. Rien que le complément de la deuxième est en ciluba.
Pour cet autre candidat, le français domine le lingala dans sa communication : « Je vous promets de résoudre les problèmes d’eau, électricité ainsi que les infrastructures ici dans le quartier Camp Luka. Souci na ngai eza komona bino kovivre na babonnes conditions eko zala esengo pona biso nionso. [(…) mon souci est de vous voir vivre dans de bonnes conditions, ce qui sera notre joie.] » CD2018-10. Les mots en lingala sont intercalés entre unités phrastiques du français.
Cependant, nous n’avons pas repris toutes les formes longues des unités alternées du français. Notre préoccupation était d’illustrer l’alternance codique sous sa facette interphrastique où le français est largement employé par le locuteur. Ou encore les séquences du DEC où les constructions phrastiques sont longues.

2.1.2. Langues nationales : le lingala, le kiswahili, le ciluba et le kikongo

Parmi les langues que compte le Congo-Kinshasa, quatre ont le statut de langues nationales du pays. Elles jouissent d’une large diffusion dans chaque aire linguistique où elles sont en usage. Dans les illustrations d’alternance interphrastique ci-après nous montrons les constructions phrastiques dans lesquelles ces quatre langues nationales dominent sur le français.
« Mono mpangi na beno, mono kuisa kuvukana na beno sambu na kusonga beno nde mono kele mosi ya bacandidat na députation nationale ya mvula yayi […] [Je suis votre frère, je viens vous dire que je suis l’un des candidats à la députation nationale cette année.] » CD2011-7. Le locuteur emploie plus le kikongo que le français. Donc, l’alternance est davantage dominée par la langue nationale que par la langue officielle.
Dans sa communication, « L’heure tant attendue est arrivée, bwa musangu wa kumpala bwa mwana mwena Kongo asungula badirigeant bende. [l’heure tant attendue est arrivée, pour la première fois qu’un Congolais se choisisse ses dirigeants.] » CD2006-9, le candidat insiste plus sur le ciluba que sur le français. La construction phrastique est longue en ciluba parce que nous sommes dans une aire cilubaphone. Le français étant langue officielle ne peut pas manquer dans une communication de masse telle que la campagne électorale.
« Naye epai na bino ngai mwana na bino oyo boyebi na kombo ya Me Kenzo Mukendi candidat à la députation nationale, n°528, Pamba te na yoki kolela na bino bapapa, bamaman pe ba ndeko na ngai ya Lemba, yango na ye epai na bino pona kokausa mayi ya miso na bino. [Moi votre frère (enfant) connu sous le nom de Me Kenzo Mukendi, je suis candidat à la députation nationale sur la liste n°528. Je viens parce que j’ai entendu les cris d’alarme des papas, mamans et de mes frères de Lemba, raison pour laquelle, je viens essuyer vos larmes]. » CD2011-17. Le candidat communique avec ses électeurs en lingala. Aussi, comme tout intellectuel, le recours en français devient une norme pour bien communiquer. Les phrases sont alternées en français et en lingala.
Dans sa circonscription d’Idiofa, ce candidat prononce son discours en kikongo, mais certaines unités sont en français : « Mono kuzaba nde na ntuala na mono ba mbuta ya beto kuvotaka kasi bo imene kusadila beto ata mosi ve. Sambu na mono, ikele kurassurer beno que mono ata kudecevoir beno ve. [Je sais que les aînés que nous avons voté n’ont rien fait. Mais, je vous rassure que je ne vous décevrais pas.] » CD2011-14. Nous pouvons lire trois lexies du français dissimulées dans le kikongo. Il s’agit de : kuvotaka (voter), kurassurer (rassurer) et kudecevoir (décevoir).
Pour cette candidate, la langue de communication est le ciluba. Dans cet extrait de son discours : « Ce n’est pas facile, kadi citu ndi décourager nansha. Ndi nulomba bwa nuntwe nyama ku mikolo. Pantu mupeta poste wa ministre provincial, ntu muréhabiliter ma-école ne ma-hôpital. [ ce n’est pas facile, je ne me suis jamais décourager. Je vous demande de me donner un coup de pouce car lorsque je fus ministre provinciale, j’avais réhabilité non seulement des écoles, mais aussi des hôpitaux]. » CD2018-15, nous pouvons constater la construction phrastique dominée par le ciluba, malgré certains mots employés en français.
Dans les illustrations ci-dessus, l’usage des langues nationales domine sur le français. Les candidats ont préféré employer les séquences longues en langues nationales. Cette pratique est récurrente dans beaucoup de discours de notre corpus.

2.1.3. Langues ethniques

Lorsque nous parlons des langues ethniques, nous traitons les alternances dans lesquelles les énoncés sont en langues ethniques et parfois en français ou en langues nationales.
« Mpala bukosh’obitien ashol kum. Tunvuanganayi, ndi nulomba bwa nusungule Kabila. [Pour la première fois de se choisir un président. Entendons-nous, je vous demande de voter pour Kabila]. » CD2006-9. Dans cet extrait, le candidat emploie le ciluba et le bushoong dans sa communication. Les deux langues employées par le locuteur, sont les seules de communication de masse du territoire de Mweka. Dans cet énoncé, le français est effacé par le ciluba et le bushoong. C’est un symbole d’identité culturelle devant sa base ou ses électeurs.
Dans sa circonscription de l’Equateur, ce candidat emploie le lingala et le lomongo dans son discours : « Bokulaka losako (x2) Nao tatia nyambe na lolenge lotopo nde nguya olongi tokumane lelo kotala mboka na biso ezo kopesa mawa po ete tozali na molobeli te. [Mes salutations respectueuses. En regardant l’allure que prend notre pays, ça fait mal et pitié car nous n’avons pas d’interface.] » CD2011-9. Pour les électeurs, le fait que le candidat parle ou esquisse la langue de la communauté, est un signe de fierté pour les locuteurs de ladite langue.
« Mono mpangi na beno, nafanda awa na Kisenso. [Je suis le vôtre car j’ai habité Kisenso] » CD2018-1, le candidat a recouru aux kikongo et lingala pour communiquer avec ses électeurs. En pleine capitale, le locuteur emploie son kikongo pour s’attirer les électeurs-locuteurs de cette langue. Il s’identifie auprès de ces locuteurs comme l’un des leurs, ce qui lui permet de se faire accepter et séduire les électeurs kikongophones de ce quartier de Kisenso.
Cependant, dans cet extrait : « Kisina tunina ngo kifulu kio, diambu di mambu matadidi campagne électorale, disi ditunata musola ba mfumu basi didiatisa nsi » CD2011-16, le candidat emploie son kiyombe et recourt au français comme emprunt de nécessité. Le mot « campagne électorale » n’existant pas dans nos langues congolaises, il se sent obligé d’emprunter le terme du français pour pallier et compasser cette lacune linguistique.
« Lamboya Djoyanga confiance lenyu comme osonami wanyu la Lodja comme vous le savez j’étais député en 2006 parmi les trois députés élus en 2006 je pense que dimi mbele député lonyenyisha tolembételo lomandat akami. [Faites-moi confiance comme je le fais à Lodja comme vous le savez, j’étais député en 2006 parmi les trois députés élus de 2006, je pense que je suis le seul député qui a bien fini son mandat.] » CD2011-20, le candidat emploie l’otetela et le français dans sa communication. Le Sankuru, à l’époque, était l’un des territoires de la province du Kasaï oriental où le locuteur pouvait parler en ciluba et en otetela. Mais, dans ce cas-ci, il parle en otetela et en français.
Thiam (1997 : 33) renseigne que l’alternance interphrastique dite aussi phrastique est une alternance de langues au niveau d’unités plus longues, de phrases ou de fragments de discours, dans les productions d’un même locuteur ou dans les prises de parole entre interlocuteurs.
Par ailleurs, les candidats locuteurs ayant une maîtrise linguistique limitée recourent de plus en plus à cette première catégorie d’alternance codique pour pallier les lacunes langagières. Ainsi, on trouvera un discours construit avec des phrases de plus en plus longues par le candidat pour dépasser ces lacunes linguistiques que nous relevons à notre niveau comme des stratégies langagières pour persuader leurs interlocuteurs qui sont d’office les électeurs.

2.2. Alternance intraphrastique

Elle est dite intraphrastique selon Thiam (1997 : 34), lorsque des structures syntaxiques appartenant à deux langues, lesquelles coexistent à l’intérieur d’une même phrase, c'est-à-dire lorsque les éléments caractéristiques des langues en cause sont utilisés dans un rapport syntaxique très étroit, du type thème – commentaire, nom – complément, verbe – complément, etc.
« Mpo ya makambo matali bokolongono bwa nzoto oyo to bengi na lopoto santé, tozali na nkokoso ya ba-hôpital na mboka na biso. [En ce qui concerne les soins de santé, nous avons des défis à relever dans notre pays]» CD2006-2. Dans cet extrait, « santé et hôpital » sont parmi des compléments de la phrase. Nous remarquons que le sujet et le verbe de ces propositions sont en lingala.
Pour ce candidat, le sujet et son verbe sont en lingala alors que l’attribut est en français : « nazali candidat député na maponomi oyo ezali koya to pe ba-élection na lopoto to français. [Je suis candidat député aux prochaines élections] » CD2006-5. Ces constructions des éléments de la phrase en multilinguisme sont les effets des sociétés congolaises. Il faut ajouter que le locuteur est lingalaphone, tandis que ses interlocuteurs ne sont pas tous des lingalaphones natifs et qu’ils peuvent ne pas comprendre le vocabulaire lingala, il recourt aux termes en français pour expliquer les termes du lingala.
« […] pe munu ke fuisa beno nsoni pe kudécevoir beno ve. [Puis, je ne vous décevrais pas] ». CD2011-20. Dans la phrase, nous avons deux compléments d’objet, l’un en kikongo et l’autre en français.
Il faut distinguer l’alternance intraphrastique de l’emprunt. Tenant compte de la contrainte de l’équivalence énoncée par S. Poplack (1998) cité par Thiam, l’auteur justifie que l’alternance peut se produire librement entre deux éléments quelconques d’une phrase, pourvu qu’ils soient ordonnés de la même façon selon les règles de leurs grammaires respectives. Cependant, comme nous pouvons le constater à propos des emprunts, les locuteurs ne respectent pas tous la grammaire des langues pendant leurs communications.
« […] pona kondima korépondre na lokasa invitation na ngai na o esika. [Pour avoir accepté de répondre à mon invitation en ce lieu] » CD2018-6. La grammaire traditionnelle du français nous enseigne que lorsque deux verbes se suivent le second se met à l’infinitif. Cependant dans cet exemple, nous avons deux verbes en deux langues différentes qui n’ont pas la même grammaire. D’une part, « kondima » est l’infinitif présent du verbe « accepter » en lingala, d’autre part « (ko) répondre » est aussi à l’infinitif présent. Le locuteur les emploie sans conjuguer l’un de ces deux verbes.
Il s’agit notamment de l’insertion de substantifs, de verbes utilisés avec un système de détermination et de spécification lingala où les monèmes de systèmes (déterminants préfixaux, morphèmes de nombre, affixes de modes, de temps, d’aspect, etc.) sont en général pourvus par le lingala.
« Nzambe apambola bino, Nzambi anubeneshe, Mungu ababariki, Nzambe bikala na beno. [Que Dieu vous bénisse] » CD2018 -14. Les quatre langues nationales sont représentées dans cet énoncé. Le locuteur passe d’une langue nationale à une autre pour transmettre le même message, afin de gagner la sympathie de ses interlocuteurs.

2.3. Alternance extraphrastique

Nous parlons d’alternance extraphrastique lorsque les segments alternés sont des expressions idiomatiques, des proverbes (on parle aussi, pour ces cas, d’étiquettes). Dans les conversations ordinaires, les locuteurs ont tendance à recourir aux proverbes, aux pensées de grands auteurs pour appuyer leurs idées dans l’argumentation. Il en est de même pour les candidats députés qui recourent aux proverbes et aux grandes idées-forces que le monde véhicule.
Dans cette phrase : « Na monoko ya mboka na nga tolobaka boye [ibua buna evo kabuako]. [Dans ma langue, nous disons : est-il vrai ou faux ?] » CD2006-4, le candidat recourt à un adage du kiyaka pendant sa communication. Ainsi, nous avons deux langues dans cette phrase : le lingala et le kiyaka. Cette communication se passe à Kinshasa. Le candidat y emploie la langue de sa contrée. Il n’a pas oublié son identité culturelle quand bien même il se trouve à Kinshasa.
Par ailleurs, certains candidats se réfèrent à la Bible : « ndenge Bible elobi Bayaka o ndako ya nzambe maboko pamba te. [Comme il est écrit dans la bible, one ne vient pas mains vides dans le temple de Dieu]» CD2006-1 et CD2011-3. Cet argument est cité deux fois par deux candidats. Comme nous l’avons dit précédemment, la RD Congo est un Etat laïc dominé par le christianisme à 80%. Alors pour duper les électeurs, les candidats s’amènent avec des dons et autres biens à offrir à leurs électeurs. Ils se cachent derrière leurs actions caritatives pour acheter la conscience des électeurs. Nous pouvons dire que le candidat cherche à valoriser son électorat en le hissant au niveau de l’église à laquelle il faut offrir des dons.
Prenant pour modèle le président honoraire des USA, ce candidat dit : « Président moko ya Etats-Unis, alobaka : « Yes, we can ». [Un certain président américain avait dit : oui, nous pouvons]» CD2011-11. Cette pensée est le déclencheur politique de cet homme d’Etat. Le rêve et l’audace de croire à la réussite ont poussé Barack Obama jusqu’à la présidence. Le candidat emprunte l’expression idiomatique de l’anglais.
L’entreprise congolaise « Régideso » a pour ou devise L’eau c’est la vie. Ce dicton est de plus en plus en usage lorsque les populations congolaises ne sont plus ravitaillées régulièrement par cette société. Dès lors, les candidats emploient cette devise dans leurs discours pour montrer la nécessité de l’eau dans la vie de l’homme. Ainsi, dans l’énoncé « Soki bovoter ngai premièrement nakokotisa mayi parce que balobaka « l’eau c’est la vie ». [Si vous votez pour moi, avant toute chose je ferai le raccordement des eaux car on dit : l’eau c’est la vie] » CD2011-25, nous avons une devise d’une société qui a pris l’allure d’un proverbe dans la pensée congolaise.
Sous son règne, l’ancien président congolais LD Kabila ne cessait de dire : « Ne jamais trahir le Congo ». Les candidats qui espèrent prendre pour modèle cet homme politique, empruntent souvent sa vision ou sa pensée. Nous l’avons trouvé dans la communication : « Alors po na yango, na lingi nazala molobeli na bino, comme l’avait dit Kabila le père : « Je ne trahirai jamais le Congo. [C’est ainsi que je voudrais vous dire comme l’avait dit Kabila le père : Je ne trahirai jamais le Congo] » CD2011-27. Ce candidat prend l’engagement, non seulement de ne pas trahir sa base ou ses électeurs durant son mandat à l’hémicycle, mais également il s’inscrit dans la lignée de LD Kabila, Président populaire qui fut assassiné par les ennemis du Congo ou ses ennemis. Ce dicton renoue la confiance entre le candidat et ses électeurs.
Cependant, la culture occidentale n’est pas négligée par ces hommes politiques. Ce candidat fait mention de la culture occidentale dans sa communication où il dit : « Po ete bafrançais baloba : « rien de ce qui est grand ne peut être l’oeuvre d’une seule personne. [Car les Français disent (…)] ». CD2011-29. C’est une invitation lancée à ses électeurs pour un soutien participatif. Pour atteindre ses objectifs assignés et concrétiser les besoins sociaux de ses électeurs, il préfère un travail de collaboration. Il le dit en français.
Dans sa communication, ce candidat se réfère à sa culture qui est aussi la culture de ses électeurs. Il s’exprime en disant : « Batu bamba ne : « kusungula kulenga, sungula wa moyo mwimpe ». [On nous a appris ceci : le meilleur choix est d’élire un homme social] ». CD2011-30. Pour le peuple luba du Kasaï, le meilleur choix serait celui porté sur un candidat généreux. Quelqu’un qui est de bonne volonté et qui pense aux siens. Toute sa construction phrastique est faite en ciluba. Il poursuit cette fois-ci en empruntant un proverbe français. Il souligne : « Fiche nya cianana, adhérer nombreux bwa twenza dietu dimwe mutubo bamba : « l’union fait la force » [Les fiches sont gratuites, adhérer nombreux pour qu’ensemble nous formions un bloc comme on l’est dit : l’union fait la force]. CD2011-30. Pour lui, il faut choisir un candidat généreux. Il faut également le soutenir en adhérant massivement à son parti politique. Dans la deuxième expression idiomatique, il emploie le ciluba et le français.
Par ailleurs, ce candidat recourt à la culture congolaise en ces termes : « Na slogan na ngai nalobi : « soso surtout ya mboka, akendaka mosika te. [Dans mon slogan je dis ceci : la poule domestique ne va pas loin] ». CD2018-5. Dans sa communication, le locuteur emploie deux langues, à savoir : le français et le lingala. Il est celui qui restera toujours proche de sa base ou de ses électeurs à tout moment. Il prend pour modèle un coq, car dit-on, le coq finit par retrouver le domicile de son maitre au quotidien.
Dans cette même logique de la culture congolaise, nous avons dépouillé l’extrait : « Balobaka : « ndako o fandi te okoyeba esika etangaka te c’est-à-dire mutu akoyoka pasi na biso koleka biso moko aza te. [ On dit ceci : il est difficile de connaître si la toiture suinte si vous n’habitez pas la maison] ». CD2018-7. Pour se rassurer du mauvais état de la toiture, il faut attendre la saison de pluie pour s’en rendre compte et ne peuvent le connaître que ceux qui habitent la maison. Alors, le candidat veut parler de son rapprochement avec sa base. Parce qu’il habite avec cette base, ce qui signifie qu’il connaît aussi ses problèmes. Il emploie le lingala et recourt au français pour évoquer la fonction métalinguistique de la communication.
Chaque locuteur employait les expressions idiomatiques de son choix et qui lui semblaient nécessaires pour concilier ses aspirations politiques à sa communication éventuellement pour persuader les électeurs. Étant de différentes origines, ce candidat recourt à sa L1 pour transmettre ses idées. « Baat ba bwany ane : « baat ibaan baat. [Les sages disent : les femmes aussi sont capables] » CD2018-15, pour elle, les sages ont tout à fait raison lorsqu’ils disent « les femmes aussi sont des personnes ». Il emploie le bushoong.
Pour terminer cette partie, nous avons l’extrait : « Bato ya falancia balobaka : « un seul doigt ne lave pas le visage. [Les Francophones disent : un seul doigt ne lave pas le visage] », lisusu : « l’union fait la force » CD2018-12. Le locuteur emploie deux proverbes français. Il se réfère à la culture française tout en interpellant ses électeurs à la participation de tous pour gagner les élections. Puis, il insiste sur l’union qui est une oeuvre de tous ou une réussite du groupe. Il recourt au français et au lingala dans sa communication.

   3. Pour une revisitation de l’analyse d’alternance codique en contexte africain

       Dans le contexte africain, nous pensons qu’il est nécessaire de faire une autre lecture des alternances codiques. Le français n’étant pas une langue d’origine africaine, celui-ci évolue dans le continent comme une langue (totalement) étrangère dont les Africains se sont appropriés. En conséquence, le contact de ces langues en présence donne une nouvelle lecture de l’étude.
Pour ce faire, le français en contact avec nos langues congolaises nous amène à repenser la théorie de classification des alternances codiques. Ainsi, nous avons : les alternances intralexicales et les alternances transcodiques ou translinguales.

2.4. Alternance intralexicale

Les morphèmes de la classe des intralexicales sont formés soit par dérivation (préfixe, suffixe ou infixe), soit par composition. Les locuteurs empruntent dans toutes les langues pendant leurs conversations intersubjectives. Ainsi, nous disons que l’alternance ne se limite pas aux unités phrastiques, elle va jusqu’aux unités lexicales simples. Ci-dessous nous montrons cette catégorie d’alternance codique dans le DEC :
De toutes les catégories grammaticales, c’est le verbe qui subit plus de modifications en intra. L’infinitif présent « souffrir » devient « musouffra, basouffraki » dans son intégration par des locuteurs lingalaphones. Nous trouvons les préfixes lingala mu- souffra pour désigner un souffrant. Le mu- a le sens d’un déterminant. Par contre, ba- qui s’adjoint au verbe a la nature du pronom personnel « ils ». Dans le deuxième cas, nous avons le suffixe –aki toujours du lingala. Le cas est similaire pour les expressions : Badirigeaki (ils ont dirigé) (CD2018-4) de l’infinitif présent « diriger ». Les préfixes ko- et to- ont une autre sémantique. Le ko- exprime le verbe soutenir à l’infinitif passé. Le to- est un pronom personnel à la première personne du pluriel. Tels que : « Kosoutenaka, Tovotaki » (CD2018-5), bacontractaki (CD2018-6) du français intégré au lingala. Ce lingala devient « francisé ».
Il en est de même du kikongo où nous avons recensé les cas de : kuvotaka, bovota vota (CD2018-9). Le préfixe ku- du kikongo renvoie au passé dans ces énoncés. Il a la nature d’un pronom personnel. Tandis que le bo-, est un personnel du lingala.
Certains préfixes du lingala s’adjoignent aux autres du français pour former ce que nous avons appelé la bipréfixation à la congolaise à l’aide du pronominal. Tels que dans les exemples : kosesouvenir (CD2018-7) qui marque l’infinitif présent du verbe « se souvenir » ; asorganiser (CD2011-13) est le verbe pronominal « s’organiser ».
« eko-écrire, okovivre » (CD2018-3) toujours à l’infinitif présent de « écrire et vivre » et malgré leurs graphies, ces deux verbes renvoient à un futur proche. Cet usage des lexies intralexicalisées est récurrent dans les conversations ordinaires des Congolais.
Lorsqu’un sujet maîtrise plusieurs langues, la conséquence serait de trouver dans ses conversations intersubjectives des traces de ces idiomes. Le multilinguisme congolais touche presque toute la population. Des fois, les sujets communiquent en alternance linguistique sans s’en rendre compte. Les unités lexicales françaises se dissimulent dans les langues congolaises, c’est-à-dire des langues nationales aux langues locales. Pour Amossy (2010 : 14), qu’elle soit programmée ou spontanée, la présentation de soi et sa communication apparaissent alors comme constitutives des interactions qui sont au fondement de la vie sociale.

2.5. Alternance translinguale ou alternance transcodique

Nous remarquons dans le cadre de toutes ces alternances susmentionnées, qu’il y a une autre catégorie qui passe d’une langue à une autre en incluant une langue de transit dans une même phrase. (Amossy, 2010) note : « L’art de persuader pourrait se limiter à une technique qui autorise les plus habiles à manipuler leur auditoire ». Les candidats qui manipulent plusieurs codes ont l’avantage de persuader leurs électeurs.
Dans les phrases suivantes, nous avons trois langues, à savoir : le français, le lingala et le kikongo. « Mbote na beno, munu mpangi na beno Chantale kukwikila muke lomba lusadisu na beno, beno pesa munu bavoix sambu mu vanda représentante na beno na députation, c’est-à-dire quoi Ezali lisolo ya bino na ngai po nazala molobeli na bino kuna na parlement. [Je vous salue tous, je suis votre soeur Chantale. Je sollicite votre aide pour que vous me prêtiez vos voix afin que je sois votre représentante au parlement] » CD2011-2, la candidate emploie le kikongo à Kinshasa pour des raisons d’authentification au sein de cette base car le kikongo est la langue de la majorité des membres du PALU. D’ailleurs, on ne cesse de dire que c’est le parti des ressortissants de l’ancienne province du Bandundu, actuelles provinces du Maï-ndombe, Kwilu et Kwango. Elle emploie non seulement le kikongo, mais aussi le français et le lingala.
En effet, il y a certains candidats qui emploient même quatre langues dans une même phrase, parfois pour dire la même réalité : « Ba tatu wa mamu betwabueeeh, bampangi ya luzolo ebweee, jambo yenu, bana mayi mbote na biso. [Mes soeurs et frères, je vous salue] » CD2011-25. Nous avons le ciluba, le lingala, le kiswahili et le kikongo. Ce candidat de Kinshasa emploie toutes ces langues nationales au début de son discours pour éveiller ses électeurs et séduire les locuteurs de ces langues. Il faut ajouter que son public est hétérogène, il veut donc se rendre sympathique auprès de son public.
Par ailleurs, le constat est presqu’identique au début de chaque discours où chaque candidat salue ses électeurs en deux ou trois langues. Cette stratégie langagière rencontre les électeurs de tous ces parlers. Le candidat témoigne son attachement envers ces populations locutrices de ces langues auxquelles il recourt pour introduire son discours de campagne. « mbote na bino, ebwe, jambo, betwabu …[Je vous salue] » CD2018-1. Nous avons toutes les quatre langues nationales.
D’autres candidats ont employé les langues nationales et locales dans leurs communications sans faire mention du français. « Batatu ne bamamu moyo wenu awu ! Eeeh moyo ! moyo kabidi ! wababa wamama wanduku, jambo ! Baluung ciy’iii ! bwesa ! balung ka maan’eeeh ? Maan’ ! [Mes soeurs et frères, je vous salue]» CD2018-15. Dans cette phrase, il y a usage du ciluba, du kiswahili et du bushoong. Dans ce même territoire, un autre locuteur a utilisé trois langues dont le ciket, le ciluba et le français dans l’un de ses discours électoraux des élections de 2006. « Mpala bukosh’obitien ashol kum. Tunvuanganayi, ndi nulomba bwa nusungule Président Kabila bwa Territoire wetu aya kumpala . [Pour la première fois de se choisir un président. Entendons-nous, je vous demande de voter pour Kabila pour le développement de notre territoire]» CD2006-9. L’usage des langues non seulement dépend du locuteur, mais la base ou la communauté joue un rôle très important. C’est cette communauté qui dicte la langue au candidat s’il veut réellement être suivi.
Dosquet & al. (2017 : 144) notent que la famille demeure un vecteur de socialisation politique fort, bien que non isolé et donc parfois indirect, (…). Pour ces auteurs, le candidat a pour famille sa base ou ses électeurs. De préférence, c’est de la langue de cette base que ce dernier doit se servir pour bien transmettre son message. Ainsi, les interlocuteurs auront le même code.
« Mbote na beno, munu mpangi na beno Chantale Kukwikila muke lomba lusadisu na beno, beno pesa munu bavoix sambu mu vanda représentante na beno na députation, c’est-à-dire quoi Ezali lisolo ya bino na ngai po nazala molobeli na bino kuna na parlement. [Je vous salue tous, je suis votre soeur Chantale. Je sollicite votre aide pour que vous me prêtiez vos voix afin que je sois votre représentante au parlement] ». CD2011-2. Kinshasa, comme les autres centres urbains du pays, est le lieu d’interculturalité. Les Congolais de toutes les provinces y vivent. Cette candidate emploie trois langues : kikongo, lingala et français.
Les langues sont employées par les candidats non plus selon leurs aires géographiques, mais dans tous les sens. Même les candidats de la ville de Kinshasa recourent à toutes les langues nationales : Bapapa, bamaman pe bilenge mbote (x3), wababa, wamaman, wanduku, jambo (x3), bampangi na mono ebweee (x3), bana wa mwena Kasai moyo wenuawu, moyo kabidi. [Papa, maman et jeune, bonjour]CD2011-17. Nous avons les quatre langues nationales dans le discours du candidat. Un autre candidat emploie quatre langues dans la ville de Tshikapa, cette fois-ci, il ajoute le français en dépit de trois langues nationales : « Mwana mwena Tshikapa moyo ! Moyo kabidi ! jambo yenu ! bampangi na munu, ebwe eeeh ! Merci. Mes chers compatriotes, le moment des élections est arrivé. [Habitants de Tshikapa, bonjour. Merci, mes chers campatriotes (…)] » CD2018-7. Cependant, « Batata, bamama, bilenge mibali pe basi mbote na bino, ebwe, jambo, betwabu ! Kinsenso oyeee, MLC oye, opposition oye. [Papa, maman et jeunes hommes et jeunes filles, bonjour à tous.] » CD2018-1, ce candidat emploie cinq langues dont la langue officielle et les quatre nationales dans la ville de Kinshasa. A Mweka, la candidate formule son au revoir en français, lingala, ciluba, kikongo et kiswahili : « Merci na bino banso. Nzambe apambola bino, Nzambi anubeneshe, Mungu anubariki, 
Nzambe bikala na beno. [Merci à vous tous, que Dieu vous bénisse] » CD 2018 -15. Les villes et les chefs-lieux de provinces congolaises vivent un multilinguisme constant des populations en provenance de tout le pays. Ces peuples vivent ensemble et partagent leurs cultures. Et la langue étant la base d’une culture, elle se transmet vice versa.
Si les autres candidats se sont limités aux langues de la pyramide linguistique congolaise, ce candidat est passé du français à l’anglais en passant par le lingala. Nous avons l’extrait : « Président moko ya Etats-Unis, alobaka : « Yes, we can ». CD2011-11. L’anglais intervient dans un contexte inédit. Le locuteur cite un homme d’Etat.

Conclusion

Parcourant notre corpus, tous les DEC sont dans un contexte du plurilinguisme aménagé. Les langues de toute la pyramide linguistique sont en usage par les candidats pendant la campagne. Les phrases sont en français–langues nationales, en français-langues locales ou encoure en français–langues nationales–langues locales. Bref, toutes les langues du pays sont en usage pendant cette période.
Le rôle joué par le contact de langues dans le changement linguistique produit toutes ces alternances codiques que nous venons d’analyser dans la mesure où les processus considérés comme pertinents dans ces situations atteignent les emprunts, les interférences, etc. Nous les considérons comme des stratégies langagières des candidats.

 

Par Alain ISHAMALANGENGE NYIMILONGO, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024