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LA PLACE DE ZAMENGA BATUKEZANGA DANS LA LITTÉRATURE CONGOLAISE DE LANGUE FRANÇAISE
ZAMENGA BATUKEZANGA’S PLACE IN FRENCH-LANGUAGE CONGOLESE LITERATURE

Jean NSONSA VINDA
Mél : jeannsonsa@yahoo.fr
+(243) 998 208 474

Résumé

Boudé au début par la critique universitaire qui l’a accusé d’amateurisme en littérature, Zamenga Batukezanga, écrivain prolifique, est aujourd’hui le plus connu et son oeuvre est la plus lue de toute la production littéraire de la République Démocratique du Congo.
En combattant le préjugé longtemps entretenu en sa défaveur, le présent article vise à conférer à cet écrivain la place qu’il mérite dans la littérature congolaise d’expression française.

Mots clés : Place, Écrivains intellectuels et écrivains pour masses, Idiosyncrasie, Boursouflures, Alambiqué
Reçu le : 25 mars 2024
Accepté le : 30 mai 2024

Summary

Shunned at first by my academic critics who accused him of amateurism in literature, Zamenga Batukezanga, a prolific writer, is today the best known and his work is the most widely read of all the literary production of the Democratic Republic of Congo.
By combating the prejudice that has long been maintained against him, the article aims to give this writer the place he deserves in French-language Congolese literature.

Key words: Place, Intellectual writers and writers for the masses, Idiosyncrasy, Bloating, Alambiqué
Received : March 25th , 2024
Accepted : May 30th, 2024

1. Introduction

A la parution des premières oeuvres littéraires de Zamenga Batukezanga, la critique - surtout universitaire - était restée circonspecte à l'égard d'un écrivain vu comme un intrus dans le domaine de belles lettres. Il est apparu comme un amateur produisant une littérature brouillonne. Mais au fur et à mesure que ses publications augmentaient et que son lectorat devenait plus important, Zamenga Batukezanga est devenu « sans aucun doute le plus connu et le plus lu des hommes de lettres zaïrois (congolais) » (1984, 23).

2. Du mépris à l’acceptation

Cependant pour certaines personnes, cette notoriété ne reflétait que l'audience des masses comme l'a observé Alain Ricard :
« Dans ce champ littéraire commencent à s'opérer des effets de distinction: Mudimbe est un écrivain pour intellectuels Zamenga est un écrivain pour les masses, pourtant tous deux partagent les mêmes préoccupations, ce qui fonde bien un champ littéraire » (1996, 138).

Cette distinction entre écrivains pour intellectuels et écrivains pour masses n'est pas pertinente comme l'a sous-entendu d'ailleurs Alain Ricard lui-même dès lors que, situés dans un même contexte, les écrivains ont les mêmes préoccupations. Certes, la manière d'exprimer ces préoccupations diffère mais pas en fonction du destinataire. C'est plutôt par rapport à l'idiosyncrasie particulière de chaque écrivain. V.Y. Mudimbe qui est pétri de culture française et qui a une maîtrise parfaite de la langue française produit une oeuvre plus expressive, c'est-à-dire plus connotative que celle de Zamenga qui avait une connaissance moyenne de la culture et de la langue françaises. Cette différence donne l'impression que l'un écrit pour les intellectuels et l'autre pour les masses. Pourtant, si les masses s'intéressent particulièrement à l'oeuvre de Zamenga, c'est parce que celle-ci est dénuée de boursouflures alors que celle de Mudimbe est écrite dans un style alambiqué.
Le degré de connotation étant moindre dans l'oeuvre de Zamenga, certaines personnes en font une lecture documentaire, perception renforcée par un style primesautier caractérisé par la linéarité événementielle, ce qui est une conséquence de l'impatience à témoigner. Cela conduit à accorder la prééminence à l'analyse socio-historique au détriment du signifiant, de la perfection du langage.

En tout cas, la motivation compositionnelle est faible chez Zamenga comme d'ailleurs chez certains autres écrivains congolais, notamment chez Muamba Kanyinda qui n'a pas échappé à l'appréciation de Maryse Condé :
« Faut-il s'indigner des fautes de syntaxe, des facilités, pléonasmes…qui émaillent chaque page ? » (1982,122).

Si d'autres écrivains congolais produisent des oeuvres émaillées des carences syntaxiques et stylistiques, pourquoi Zamenga est pratiquement le seul qui semble déplaire aux censeurs et puristes congolais ? N'est-ce pas là la rançon de son succès ? Lye M. Yoka lui rend justice en ces termes :
« Malgré sa faconde et son énorme succès, Zamenga n'a pas toujours bénéficié des faveurs des travaux universitaires ou des publications littéraires en vue. Disons tout de suite qu'à cause du caractère « inclassable » de ses récits, les critiques purs et durs l'ont boudé, s'ils ne l'ont pas simplement méprisé » (2008, 135).

Depuis cette observation de Lye M. Yoka, la situation a changé entretemps. Le mépris dont faisait l'objet l'oeuvre de Zamenga n'existe plus. Cette inversion de la vision de l'oeuvre de Zamenga est explicable par le postulat selon lequel la littérature est un système de connotation. Ceux qui n'avaient pas accepté l'oeuvre de Zamenga dans la catégorie littéraire en avaient fait une lecture documentaire. Mais ils ont fini par comprendre que le connoté n'est pas absent de cette oeuvre.

Toutefois, la perplexité persiste chez certaines personnes comme chez J.-L. Joubert qui assimile l'écriture de Zamenga à un art naïf :
« Dans son art naïf de romancier documentaire, Zamenga Batukezanga retrouve la fonction élémentaire de toute littérature : offrir à une société le lieu où elle puisse se regarder et se penser » (1982, 102).

L'analyse de J.-L. Joubert contient une comparaison implicite entre l'écriture peu connotative de Zamenga et le style tarabiscoté de certains écrivains fortement assimilés à la culture française parmi lesquels on trouve des pasticheurs. Zamenga se situe aux antipodes de ceux-là, ce qui était un motif de fierté pour lui :
« J'ai été agréablement surpris à Paris où j'ai appris - avec un peu trop d'honneur -que je figure parmi les écrivains africains qui tentent de prouver que l'Afrique peut avoir une expression propre. Mon oeuvre paraît originale, ne suivant aucun modèle connu jusqu'à présent » (1983, 124-125).

Ainsi, Zamenga prétendait que son oeuvre est originale parce qu'elle ne se réfère à aucun modèle. Il aurait dû préciser en disant : « à aucun modèle de littérature française » puisqu'il est avéré qu'il a été influencé par le conte traditionnel africain, ce qui explique sans doute la forme réduite de la plupart de ses oeuvres narratives. Cependant, sans vouloir méconnaître l'influence du conte, il y a lieu de souligner que la structure d'une oeuvre littéraire découle des nécessités internes de l'écrivain et du public. Or, le « pavé » romanesque rebute autant l'écrivain que le lecteur qui, tous deux, recherchent de plus en plus la concision comme l'a confirmé H.-F. Imbert :
« Le roman court est à la mesure d'une époque qui vit sous le signe de la vitesse et de l'intensité. Plus qu'une structure, il est prise de conscience » (1980, 24).

Cette prise de conscience a-t-elle existé chez Zamenga ? Nous pensons que, comme nous venions de l'affirmer, la forme réduite des oeuvres narratives de Zamenga induit la résurgence du conte traditionnel. En fait, quand Zamenga se défendait de ne suivre aucun modèle, il ignorait qu'il était sous l'influence de la tradition africaine, ce qui confère à son oeuvre l'originalité dont il se prévalait, et fait de lui le symbole d'une littérature qui, tout en utilisant une langue étrangère, s'enracine dans la culture autochtone face à des écrivains extravertis qui s'adressent principalement à un public étranger dont ils sollicitent l'attention et l'approbation.

Zamenga a su transcender le dilemme né de l'affrontement entre tradition et modernité. Tout en s'ouvrant à la littérature de langue française, il est resté singulièrement fidèle à la tradition dont on découvre des traces à travers ses textes.
La simplicité de l’action et le recours fréquent à la fantasmagonie rapprochent ses oeuvres narratives du conte. C'est à bon escient que Lye M. Yoka qualifie Zamenga de « conteur populaire » (2008, 135), ce qui le distingue des autres écrivains congolais.

En effet, Zamenga a été marqué par l'influence des conteurs traditionnels qu'il a dû fréquenter dans son enfance passée dans le milieu rural. De ces conteurs, il a retenu le récit merveilleux qui exprime la sagesse et la connaissance de la vie.
Ainsi, Zamenga apporte sa part d'authenticité à la littérature congolaise de langue française. Il figure parmi les écrivains qui sont des références obligées permettant de constituer l'ensemble organique de la littérature congolaise de langue française. En effet, on ne peut pas penser à cette littérature sans évoquer Zamenga.

Conclusion

Dans toute littérature nationale, il y a un certain nombre de noms qu'on ne peut occulter lorsqu'on aborde le problème de la définition différentielle du génie littéraire d'un pays par rapport à celui d'autres pays.
La place que tient Zamenga dans la littérature congolaise de langue française n'est plus à démontrer, dès lors que ses oeuvres se trouvent dans les grandes bibliothèques de la RDC et du monde et qu'elles font même l'objet des thèses de doctorat.
Qu'on le veuille ou non, Zamenga est une des références obligées pour la définition différentielle de la littérature congolaise de langue française.

Bibliographie

- Kadima-Nzuji Mukala, La littérature zaïroise de langue française (1945-1965), Paris, Ed. Karthala, 1984.
- Ricard, Alain « Histoire d’âmes et autobiographie au Zaïre », in Martine Mathieu (Dir.), Littératures autobiographies de la Francophonie, Paris, L’Harmattan, 1996.
- Condé, Maryse, « Muamba Kanyinda, « Pourriture » in Notre-Librairie, n°170, septembre 1982, p.122.
- Yoka Lye Mudaba, « Batukezanga Zamenga, le conteur populaire », in Notre-Librairie, n°170, septembre 2008, p. 135.
- Joubert, J. L., « Zamenga Batukezanga, Les hauts et les bas…Bandoki (les sorciers) », in Notre-Librairie, n°63, janvier-Mars 1982.
- Zamenga Batukezanga, Chérie Basso, Kinshasa, Saint-Paul Afrique, 1983.
- Imbert, H.F., « De la nouvelle au roman court », in Orientation de recherches et méthodes en littérature générale et comparée, Montpellier, université Paul Valery, 1980.

Par Jean NSONSA VINDA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024