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VERSION CILUBA-FRANÇAIS DE L’ORAISON FUNÈBRE PRONONCÉE À L’OCCASION DES OBSÈQUES DU PROFESSEUR EMERITE NYEMBWE NTITA : APPROCHE POÉTOLOGIQUE

CILUBA-FRENCH VERSION OF THE FUNERAL ORATION FOR EMERITUS PROFESSORS ON THE OCCASION
OF THE FUNERAL OF EMERITUS PROFESSOR ANDRÉ NYEMBWE NTITA

Macaire EYUPAR EPIETUNG1
Mél. : macaireeyupar@gmail.com
+(243) 815 049248

Résumé

L’oraison funèbre relève de la poésie élégiaque qui évoque les sentiments sous un mode mélancolique et nostalgique. Ce travail examine un cas concret de ce genre poétique à travers les procédés de traduction à savoir, les transpositions et les modulations et pour ce faire, nous recourons à l’approche poétologique.

Mots clés : Approche poétologique, ciluba, français, oraison funèbre, version
Reçu le : 15 septembre 2023
Accepté le : 30 mai 2024

Abstracts

A eulogy derives from the elegiac poetry which evokes feelings on a melancholic and nostalgic mode. This work examines a concrete case of that poetic genre through translation procedures notably transpositions and modulations. For doing so, we resort to the poetological approach.

Key words : Poetological approach, ciluba, French, eulogy, version
Received : September 15th, 2023
Accepted : May, 30th 2024

O. Introduction

La mort d’une personne, bien que constituant un triste événement, est souvent une occasion propice pour la création littéraire.
Depuis le moyen âge littéraire en France, la littérature débute par la poésie épique. Un peu plus tard (XIVe et XVe siècles), interviendra la poésie élégiaque, avec notamment des auteurs comme François Villon, Jean de La Fontaine, Théophile Gautier, etc(1).
Le texte sous examen est l’oraison funèbre prononcée partiellement en ciluba par le Professeur Emérite Crispin Maalu-Bungi à l’occasion des obsèques du Professeur Emérite André Nyembwe Ntita. Ce texte relevant de la poésie élégiaque a été ensuite traduit en français.
L’élégie est un poème au registre lyrique, évoquant les sentiments sous un mode mélancolique et nostalgique. Le Robert micro (2013), pour sa part, définit l’élégie comme un poème lyrique exprimant une plainte douloureuse, des sentiments mélancoliques. Crispin Maalu-Bungi (2006 : 210) classe l’oraison funèbre parmi les textes sacrés.

L’oraison funèbre relève de la poésie dans la mesure où le locuteur fait parler son coeur et exprime ses sentiments d’une manière mélancolique. Et dans le cas de figure, le Professeur Emérite Crispin Maalu-Bungi trouve des mots et des expressions justes, dans une langue véhiculaire qu’il maîtrise, pour pleurer son ami de longue date.
Cette poésie est également attestée chez d’autres peuples de la République Démocratique du Congo. Chez les Bading(2), à l’occasion des funérailles d’une personne âgée et selon son statut social, les spécialistes hommes s’illustrent la nuit dans l’exécution des chansons funèbres appelées « nzyém », un genre complexe alors que les spécialistes femmes prennent le relai pendant la journée avant d’accompagner la dépouille mortelle à sa dernière demeure avec des chants de danse appelée « mumpămbôl ».
Les textes littéraires en général et poétiques en particulier nous livrent un message plus ou moins explicite et l’on perçoit immédiatement la subjectivité inhérente à cet acte de communication, celui-ci étant l’émanation d’une culture, d’une civilisation ou d’une époque. Ainsi, pour saisir pleinement le sens des textes littéraires, il faut prendre en compte non seulement la personnalité de l’auteur, mais aussi les différents facteurs extérieurs (lieu, époque, conditions psychosociales, etc.) qui ont entouré leur production. Ainsi, la traduction des textes littéraires se heurte à quelques problèmes de « recréation » au niveau du lexique, de la syntaxe et de la prosodie.
Comment s’est opérée l’hospitalité langagière (P. Ricoeur, 2021 : 29) dans des circonstances teintées d’émotion à savoir la disparition d’un être cher ? Quels sont les procédés de traduction utilisés pour faire passer le message du ciluba en français ? Le texte poétique étant caractérisé par des figures de style, comment ces dernières ont-elles été rendues dans la langue cible ?

Pour répondre à ces trois questions de recherche, nous nous inspirons de l’approche poétologique. La poétique renvoie à l’étude littéraire en tant que création verbale. Aux dires de M. Guidère (2008 : 52) reprenant à son tour Tzvetan Todorov, il existe trois grandes familles de théories de la poésie dans la tradition occidentale : « le premier courant développe une conception rhétorique qui considère la poésie comme un ornement du discours, un « plus » ajouté au langage ordinaire ; le deuxième courant conçoit la poésie comme l’inverse du langage ordinaire (…), le troisième met l’accent sur le jeu du langage poétique qui attire l’attention sur lui-même ».
Les différentes approches appliquées à la poésie occidentale sont transposées mutatis mutandis dans les genres poétiques africains.
Notre réflexion est construite autour du terme « oraison funèbre, de l’analyse des procédés de traduction et de la traduction des images.
Les versions ciluba et française de l’oraison funèbre sont placées en annexe. Et pour faciliter l’exploitation du corpus présenté sous la forme d’un poème, nous avons numéroté les vers (69 en ciluba et 68 en français).
L’intérêt de cette étude réside dans le fait qu’elle a pour langue source une langue congolaise, ce qui est assez rare.

I. L’Oraison funèbre

L’oraison funèbre, appelée aussi éloge funèbre, est un discours généralement prononcé pendant la cérémonie ou juste après les obsèques par les proches du défunt (de la défunte).
C’est un moment particulièrement difficile, émotionnel et pathétique pour les personnes appelées à prendre la parole.
L’oraison funèbre est structurée autour d’une (1) introduction où l’orateur se présente, il révèle son statut, ses liens de parenté et/ou d’amitié avec le disparu (la disparue) ; (2) du portrait du défunt (ou de la défunte) : c’est le coeur de l’intervention et (3) de la conclusion sous forme d’une citation, d’un poème, des paroles d’une chanson ou d’une anecdote.
Dans le cas d’espèce, l’intervenant introduit son oraison en français. Il dit en quelle qualité il prend la parole, ses liens avec le défunt et les bons souvenirs qu’il a gardés de l’illustre disparu.

Le coeur de son oraison funèbre, objet de notre analyse, est prononcé en ciluba, langue maternelle que l’orateur partage avec le défunt. Il s’agit de la poésie élégiaque à travers laquelle il pleure son ami intime, son frère et son collègue. Le texte est traduit en français et c’est cette version ciluba-français qui nous a inspiré en vue d’une étude de traductologie.
Cette partie du discours est conçue et prononcée en ciluba pour trois raisons stratégiques : par rapport à l’intervenant et au défunt : ce sont deux spécialistes en matière des langues et des littératures orales dont le ciluba a constitué le terrain des recherches durant plusieurs décennies. Ensuite, l’intervenant peut véritablement faire parler son coeur en ciluba, sa langue maternelle, et il n’y a pas mieux que cela. Enfin, l’auditoire est constitué majoritairement des locuteurs lubaphones avec lesquels l’orateur veut communier en leur montrant sa proximité linguistique et culturelle.

La conclusion est formulée sous la forme d’une anecdote : la mort demeure le destin réservé à tout homme. Lorsqu’arrivera la décision fatale prise par Dieu, l’intervenant est convaincu que son ami qui l’a précédé dans l’au-delà viendra l’attendre pour qu’ensemble, ils aillent vivre avec le Christ Jésus dans l’éternité. En d’autres termes, ces propos de la conclusion traduisent la complicité existant entre les deux amis inséparables.
C’est cette intimité qui sera observée à travers les procédés de traduction à savoir les transpositions et les modulations.

II. Les transpositions dans la version ciluba-français de l’oraison funèbre

La transposition est l’un de deux procédés de traduction appelés aussi « procédés techniques de traduction », « mécanismes de traduction » ou encore « opérations traduisantes ».
Nous avons traité de la question dans un article intitulé « Procédés de traduction et fidélité sémantique en langue cible »(3).

La transposition est définie comme un procédé qui consiste à remplacer une catégorie grammaticale (partie du discours) par une autre sans changer le sens de l’énoncé.
Il existe des transpositions portant sur la plupart des catégories grammaticales : verbe, nom, adjectif, adverbe et préposition. Nous analysons dans les lignes suivantes quelques cas de transpositions attestées dans notre corpus.

II.1 Syntagme nominal →syntagme verbal

V18 Mowe mayi mushale dibyabya
Te voilà bien lavé

En effet, la traduction littérale de ce vers est :
On l’a nettoyé à l’eau, il est devenu propre
Le nom « mayi » est rendu en français par le syntagme verbal (lavé), le verbe « est » étant sous-entendu.
V22 Mulongeshi wa bana mufundi wa mikanda
Tu étais enseignant et auteur de nombreux livres
Le nom « mulongeshi » (enseignant) est traduit en français par le syntagme verbal « tu étais enseignant ».

II.2 Syntagme verbal → syntagme nominal

V.53 Waya bimpe Nyembwe Ntita
Bon voyage Nyembwe Ntita
V.54 Waya bimpe mulume mukuuku
Bon voyage cher ami
V.55 Waya bimpe dinanga dyanyi
Bon voyage Nyembwe l’intrépide

Dans ces trois vers, le verbe « waya » (va) est rendu par le nom « voyage ».
V.56 Walwa kungakidila dituku dinafwa
Viens m’accueillir le jour de ma mort.
« dinafwa » est l’équivalent du syntagme verbal « je mourrai ». Il est traduit en français par le syntagme nominal « ma mort ».

II.3 Syntagme verbal → adjectif qualificatif

V.19 Mwindile mashinyi bwa kuya ku Dibindi
Prêt à te rendre à Dibindi
V.32 Midile Nyembwe micyoke
Epuisés d’avoir pleuré leur géniteur.

Dans le vers 19, « mwindile » est un syntagme verbal équivalant à « il a attendu ». La traduction française de ce syntagme verbal est la suivante « prêt » qui est un adjectif qualificatif alors que dans le second exemple (V32), le syntagme verbal « micyoke » (ils sont fatigués) est traduit par l’adjectif « épuisés ».
Cas particuliers de transposition
Ils concernent le chassé-croisé et l’étoffement.

1. Le chassé-croisé

On appelle « chassé-croisé » une double transposition où l’on a à la fois changement de catégorie grammaticale et permutation syntaxique des éléments sur lesquels est réparti le sémantisme.
V.4 Moyi mutuma kudi Munganga
Le salut que t’adresse Munganga
Littéralement, en ciluba la phrase veut dire :
« Le salut envoyé à toi par Munganga ».

Le changement de catégorie grammaticale concerne le participe passé « mutuma » devenu syntagme verbal « que t’adresse » et le complément d’objet indirect « te » (mu-) précédant le radical verbal –tum (envoyer).
V26 Mbuyi Mariya Tshiteya ke mwena-kwebe
Ta femme s’appelle Marie Mbuyi Tshiteya
Littéralement : Mbuyi Mariya Tshiteya est ton épouse.
La permutation syntaxique consiste au fait que le sujet (Mbuyi Mariya Tshiteya) et l’attribut du sujet « mwena-kwebe » (épouse à toi) changent de position dans la version française.

2. L’étoffement

Le terme d’étoffement est réservé au type de transposition qui consiste à introduire un syntagme nominal (SN) ou un syntagme verbal (SV) pour traduire une préposition, un pronom ou un adverbe interrogatif.
V3 Itabaku moyi shêne wanyi wa mu nshingu
(Accepte salutation chaîne de moi à mon cou)
Accepte le salut, chaîne que je porte au cou.

Dans la version française, on a introduit un syntagme verbal « que je porte » après le syntagme nominal « chaîne » pour traduire « wa » (de).
V.48 Lufulwabo ne Ndomba kanyinda, mwena Tshitolo
(Lufulwabo et Ndomba Kanyinda, de lignageTshitolo)
Lufulwabo et Ndomba Kanyinda, du lignage de Tshitolo.

Dans le passage du ciluba en français, le traducteur a inséré le syntagme nominal « du lignage » pour traduire la préposition « mwena » (de).
V.64 Nzambi nkayende ngwaswika munafwa
(Dieu seul dira comment je vais mourir)
Dieu Seul décidera de la façon dont j’irai le rejoindre.
On notera que l’adverbe interrogatif (comment), sous-entendu dans la version ciluba est traduit par le syntagme verbal ou la relative « dont j’irai ».

III. Les modulations

D’après H.Chuquet et M.Paillard (1989 : 26), la modulation se définit, de façon très générale, comme un changement de point de vue. Celui-ci intervient au niveau du mot, de l’expression ou de l’énoncé pris globalement.
Notre intérêt est porté sur la traduction des figures que Didi Manteza (2016 :3) définit comme étant « des moyens qui donnent (…) à l’orateur (…) la possibilité de recréer et de colorer sa conférence, son oraison, etc. En effet, comment pourrait-on convaincre la raison ou toucher le coeur, sans faire usage des figures de style ? »
Les figures de style décelées dans le corpus sont les suivantes : l’apostrophe, la métaphore, l’épiphonème, la synecdoque, la répétition et l’apposition.

III.1 Modulation par l’apostrophe

L’apostrophe est une figure de style par laquelle l’orateur, au milieu de son discours, se détourne de ceux à qui il parle, pour s’adresser tout à coup à quelqu’un d’autre.
L’apostrophe peut avoir pour destinataires les êtres présents ou absents, vivants ou morts, animés ou insensibles. Elle est attestée dans les vers 1 à 5, 7 à 9, 12 à 26, 41 à 51, 53 à 56 et 65 à 68.
Après avoir planché sur les généralités et quelques aspects de la présentation du défunt, l’orateur s’adresse directement à lui (1 à 5) et parfois pour briser la monotonie, il intercale quelques vers reprenant des dictons populaires, des sagesses populaires, des conseils ou encore il procède dans cet intermède à la brève présentation des proches de l’illustre disparu, notamment sa chère épouse (V.27 – 42).

III.2 Modulation métaphorique

La métaphore est une comparaison abrégée, elle transporte un mot de sa signification propre à une autre signification, en vertu d’une comparaison qui se fait dans l’esprit.
V.3 Shêne wanyi wa mu nshingu
Chaîne à moi à le cou
« chaîne que je porte au cou »

La chaînette portée au cou fait désormais partie intégrante de la personnalité, de l’individu. L’orateur utilise cette comparaison entre lui et le défunt (sa chaîne) pour montrer le lien indéfectible et les bonnes relations entre les deux compagnons. De même que le cou ne peut pas se séparer de sa chaîne, de même l’orateur et l’illustre disparu ont été très liés.
V.28 Ntundu mufike wa kapita bakunze
Antilope noire qui se trouve au-dessus des antilopes rousses
Antilope-noire-qui-dépasse-les rousses

L’épouse du défunt, au teint sombre, est comparée à l’antilope noire et les deux partagent les mêmes qualités corporelles à savoir la couleur de la peau, la beauté, la taille, etc.
V.36 Ashale dikunji ne cyeyemenu cyebe !
Qu’Il soit désormais ta colonne et ton appui.
De la même façon que la colonne et d’autres appuis soutiennent des bâtisses ou autres éléments, le Seigneur est désormais la personne la mieux indiquée pour venir en aide à la veuve, car le mari qui jouait autrefois ce rôle n’est plus.

III.3 Modulation par l’épiphonème

L’épiphonème est une sorte d’exclamation jetée, sous forme de sentence, à la fin d’un raisonnement ou d’un récit.
Nous pouvons l’illustrer à travers les deux derniers vers (68, 69) où l’on retrouve une exclamation conclusive découlant d’un raisonnement cohérent et logique, mené par l’orateur déjà à partir du vers 58 : La vie sur terre de deux compagnons inséparables aura pour terminus la vie éternelle avec Jésus-Christ !

III.4 Modulation par la synecdoque

La synecdoque est une figure de style qui consiste à mettre en relation la partie avec le tout dans un rapport d’inclusion.
Les vers 24 et 25 attestent la synecdoque généralisante :
V.24 Nyembwe lwakenda matunga bwendenda
Nyembwe, tu as parcouru le monde.
V.25 A batoke ne a bafike
Tu as vu toute l’Europe, tu as vu toute l’Afrique.
L’orateur voudrait insister ici sur le fait que son collègue et ami avait, de son vivant, sillonné de nombreux pays du monde (V.24) et aussi ceux de l’Europe et de l’Afrique (V.25).

III.5 Modulation par la répétition

La répétition est une figure de style qu’on emploie pour insister sur quelque vérité, ou peindre la passion ; elle suppose un esprit fortement occupé de son objet, et répète souvent le mot qui exprime l’idée.
L’orateur attaque son discours par une répétition faisant appel à la salutation, car nous connaissons la valeur symbolique de cet acte langagier dans les cultures négro-africaines :
V1-3 : Itabaku moyi………..Accepte la salutation…
V8-9 : Mudya nende…Ton ami… : dans ces vers, l’orateur souligne la valeur et la place de l’amitié dans la culture luba.
V53 – 55 : « Waya bimpe » : « Bon voyage ». Ces vers préparent la fin de l’oraison funèbre d’autant plus que l’orateur prend conscience d’une séparation qui est inéluctable et malgré tout, il nourrit l’espoir de rencontrer un jour son ami qui l’a précédé, tous deux étant des chrétiens.

III.6 Modulation par l’apposition

L’apposition est une figure de style qui apporte un complément d’information dans un rapport d’équivalence.
V.26 Mbuyi Mariya Tshiteya ke mwana-kwebe
V.27 Nzuji munene Kalonji mwena Mpunga
V.28 Ntundu mufike wa Kapita bakunze

Traduction française:
V.26 Ta femme s’appelle Marie Mbuyi Tshiteya
V.27 Juge célèbre descendante de Mpunga-du lignage- de KalonjiV.28 Antilope-noire-qui-dépasse-les-rousses

Les vers 27 et 28 sont en apposition au vers 26 et ils apportent un complément d’information concernant l’épouse de l’illustre disparu.
Du point de vue traductionnel, les figures de style permettent de passer du mental au verbal, bref elles contribuent à déboucher sur une traduction artistique, c’est-à-dire celle qui permet d’établir la dominante et de choisir au plus juste ce qui doit être sacrifié en langue cible.

Conclusion

La mort a toujours constitué, en Afrique comme ailleurs, une occasion propice d’exprimer des sentiments douloureux et mélancoliques. L’expression de ces sentiments a donné naissance à la poésie dite élégiaque. Ce travail a consisté donc à examiner la version ciluba-français de l’oraison funèbre prononcée par le Professeur Emérite Crispin Maalu-Bungi à l’occasion des obsèques du Professeur Emérite André Nyembwe Ntita et nous en avons tiré quelques considérations d’ordre traductologique.
Nous servant de l’approche poétologique, nous avons relevé la richesse traductionnelle de ce texte poétique au regard des procédés de traduction qui y sont attestés.
Sur le plan traductionnel, nous dirons avec M. Guidère (2008 : 54) que « pour ne pas se prisonnier de l’original, le traducteur ne doit pas se focaliser sur un aspect en particulier du poème, ni sur le sens, ni sur les sons, ni sur les im, ages. Il faut simplement prendre conscience que le texte forme un tout et le traducteur doit absolument redonner à ce tout, dans sa propre langue, sa fonction, en respectant la forme et la pensée ».
Pour tout dire, la traduction poétique envisage une recréation au sens fort du terme.

Notes

1. Pour d’amples informations, on pourra lire avec intérêt Jacques Gob, Pages classiques des grands écrivains français. Des origines à nos jours, édition revue par R. Lespire, Bruxelles, De Boeck, 1968. Les auteurs comme Charles d’Orléans (1394-1465), François Villon (1431- ?) se sont intéressés à la poésie élégiaque, F. Villon a composé en 1463, la « Ballade des Pendus », au moment où, emprisonné, il s’attendait à être pendu.
2. Les Bading habitent le secteur de Kapia, Territoire d’Idiofa, Province du Kwilu. Nous avons consacré deux articles à la poésie élégiaque chez les Bading selon qu’il s’agit des chants exécutés par les hommes ou les femmes :
- EYUPAR, E.M., Nzyém : chants de deuil des Bading : essai d’analyse ethnolinguistique, Kinshasa, CELTA, 1994, 40 p., Collection « Travaux et Recherches ».
- EYUPAR, E.M., « Les chansons féminines des sites funéraires chez les Bading : Approche métafolklorique », in Revue Africaine des Sciences de la Mission (RASM), 7, 1997, p.123-143.
3. Les procédés de traduction ont fait l’objet de notre article scientifique que nous avons publié dans les Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Kinshasa, N˚XXII (2021). Nous avons opté pour la répartition bipartite proposée par H. Chuquet et M. Paillard (1989) après avoir démontré les faiblesses des sept procédés énumérés par J.P. Vinay et J. Darbelnet (1958). M. Guidère (2008) établit une démarcation entre les modes de traduction (adaptation, explicitation, compensation) et les procédés de traduction proprement dits (transposition et modulation).

Bibliographie

- CHUQUET, H. et PAILLARD, M., Approche linguistique des problèmes de traduction anglais-français, Ophrys, Paris, 1989.
- DUBOIS, J. et al., Le dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris Larousse, 2012.
- EYUPAR, E.M., « Conventions sémantiques comparées dans la version français-lingala de deux textes constitutionnels congolais », in Pensée Agissante, vol.28, n˚51, juillet-décembre 2020, p.225-237.
- EYUPAR, E.M., « Fonctionnement syntaxique du verbe « être/kozala » en français et en lingala.
- Applications au domaine traductologique », in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, N˚XXI, Presses de l’Université de Kinshasa, 2020, p.325-341.
- EYUPAR, E.M., « Traduire et vulgariser la Constitution en langues nationales : une nécessité pour la promotion de l’Etat de droit en République
Démocratique du Congo », in Revue Africaine de la Démocratie et de la Gouvernance (RADG), Kinshasa, vol.8, N˚1&2, 2021, p.186-203.
- FONTANIER, P., Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977.
- GOB, J., Pages classiques des grands écrivains français des origines à nos jours, Bruxelles, De Boeck, 1968.
- GUIDERE, M., Introduction à la traductologie. Penser la traduction : hier, aujourd’hui, demain, Bruxelles, De Boeck, 2008.
- KAMBAJA, E.M., « L’adaptation comme stratégie de traduction chez le médiateur culturel, in Editura Universitatii din Suceava, 2010, p.85-94.
- KAMBAJA, E.M., « L’environnement cognitif du traducteur et l’interdisciplinarité dans la pratique de la traduction », in Synergies Roumanie, n˚6, 2011, p.29-40.
- LADMIRAL, J.R., Epistémologie de la traduction in M.Salah (dir), Traduire la langue, traduire la culture, Paris, Maisonneuve et Lerose, 2003.
- MAALU-BUNGI, C., Littérature orale africaine. Nature, genres, caractéristiques et fonctions, Bruxelles, Peter Lang, 2006.
- MANTEZA, W.K.D., Les figures de style, l’art d’embellir: discours, mémoires, Médiaspaul, Kinshasa, 2016.
- Ricoeur, P., Sur la traduction, Paris, Les Belles Lettres, 2021, Coll. Traductologiques.

ANNEXE :

ORAISON FUNEBRE PRONONCÉE A L’OCCASION DES OBSEQUES DU PROF EMERITE A. NYEMBWE NTITA PAR
Pr Crispin MAALU-BUNGI (28/06/2023)

Le Prof. Malembe Tamandjak, Président du COPROFEM empêché, m’a chargé de le représenter à ces obsèques. En son nom, au nom de son comité et au mien propre, je présente non sans émotion, mes condoléances les plus attristées à la famille biologique du Prof émérite A. Nyembwe Ntita, à l’APUKIN et à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines à laquelle il appartenait.

Admis à l’éméritat en décembre 2022, A. Nyembwe espérait, comme tous les membres de ce corps, jouir des avantages légaux attachés à cet honorifique grade auquel il a accédé par la grande porte. Malheureusement, la maladie qui l’a terrassé une année durant ayant finalement mis fin à son désir légitime de vivre, cette funeste nuit du 20 juin dernier, André s’en est allé, hélas sans rien voir venir ! Par ma voix, les Emérites de RDC dans leur ensemble lui rendent hommage et, comme un seul homme lui disent, vu leur âge : A bientôt, cher collègue Nyembwe Ntita.

Auguste assemblée, en plus d’être mon collègue, A. Nyembwe était aussi mon ami, il était mon frère. Dans ma langue qui était également la sienne, un adage dit qu’« un ami vaut plus qu’un frère » et la bible de renchérir « L’ami aime en tout temps, dans le malheur il se montre un frère » ! (Prov. 17 : 17). André Nyembwe était un homme de bien, intègre, charitable et d’une générosité légendaire. J’ai expérimenté ce dernier trait de caractère à maintes reprises pendant la vingtaine d’années que j’ai passées avec lui au CELTA, lui DG et moi DS. Laissez-moi vous partager un souvenir que ma famille n’est guère près d’oublier et dont elle lui est à jamais redevable. En effet, en 1992, au plus fort de la crise qui sévissait en milieux universitaires, mon fils aîné fit une crise de malaria cérébrale et nous n’avions pas le moindre sou ni rien à vendre, comme nous le suggérait un proche parent ! Voilà que comme un ange, André rend visite au malade et en quittant, il nous laisse une enveloppe contenant quelques devises qui nous permirent de payer les médicaments et d’honorer la facture. Aujourd’hui ce fils est orthopédiste à Erasme, célèbre hôpital de l’Université libre où il opère les colonnes vertébrales et autres malformations des petits Belges. Revenant de Naples le 26 mai dernier, à Bxl National où ce fils est venu me prendre, il m’a demandé les nouvelles de son sauveur et m’a dit : papa, quand tu seras de retour, dis-lui bonjour de ma part. Et c’est ce que j’ai tenté de faire une fois revenu de ce voyage, à Kinsuka-pêcheurs, mais hélas cela n’a pas été possible, puisque mon ami dormait dans sa chambre ! Alors quoique dans ta bière, alors de ta bière.

En ciluba

1 Itabaku moyi Nyana wanyi Nyembwe Ntita
2 Itabaku moyi tutwanyi mwena-dyanyi,
3 Itabaku moyi shêne wanyi wa mu nshingu,
4 Moyi mutuma kudi Munganga,
5 Munganga Pôlu Kaleeta!
6 Kwetu badi bamba nenku:
7 Mulunda webe mmutambe mwanenu,
8 Mudya nende ka mmfwisha,
9 Mudya nende kena kudila majangi!
10 Baya babungi kêna kufwila cipuuka,
11 Baya babungi wakalala ne nzala yende !
12 Nyembwe Ntita,
13 Nyembwe lekela nkusenge,
14 Nkutwe nansha abidi cyanana :
15 Udi Muk’odile Ngoy mwana muluba wa Kabamba,
16 Mulume wa citupa wa mpala cijengu,
17 Mwimpe kumona wa kajiki nzala yende,
18 Mowe mayi mushale dibyabya,
19 Mwindile mashinyi bwa kuya ku Dibindi!
20 Nyembwe uvwa kambi kupa,
21 Cyanza citu cyalwa cinya!
22 Mulongeshi wa bana mufundi wa mikanda,
23 Mikanda yakushala nzubu tente!
24 Nyembwe lwakenda matunga bwendenda,
25 A batoke ne a bafike !
26 Mbuyi Mariya Tshiteya ke mwena-kwebe,
27 Nzuji munene Kalonji mwena Mpunga
28 Ntunda mufike wa kapika bakunze,
29 Baaba mmulele bisumbu,
30 Nsongalume ne mishikankunde,
31 Nyoy’eyi mituule,
32 Midile Nyembwe micyoke !
33 Jaki Mbuyi wakushasa mukamba,
34 Kupula binsonji yayi,
35 Tangidila Wa-misumba,
36 Ashale dikunji ne cyeyemenu cyebe !
37 Bak’ Odile nudi bapile,
38 Nwakudya Nyembwe Ntita,
39 Nwakudya munene wa kwenu,
40 Cibawu kayi cinwafuta cyajikija myadi yetu ?
41 Nyembwe mmufw’anyi mmulale
42 Anyi mmuye ku Bakwanga ?
43 Cyakufwa ncinyi Nyembwe Ntita,
44 Kushiya balunda mituta ne mbombo,
45 Banubadi nwenda nabu,
46 Nudya, nunwa nwela nsombi,
47 Ke Bushabu Encyene, Sesep Kamile ne Sabine mule nshingu,
48 Lufulwabu ne Ndomba Kanyinda, mwema Tshitolo,
49 Mulumb’a Kalonga ne Maalu-Bungi wa Kaleeta,
50 Matumele ne Makolo Muswaswa,
51 Mpoy Kamulayi ne Danyele Mutombo !
52 Kubala umwe se nkudibala tuutu !
53 Waya bimpe Nyembwe Ntita !
54 Waya bimpe mulume mukuuku,
55 Wapa bimpe dinanga dyanyi,
56 Walwa kungakidila dituku dinafwa,
57 Même Lungeny’a Kaleeta,
58 Maalu cyena mumanye dinaya kumona bakaya ku bajangi,
59 Cyena mumanye dinaya kumona bakaya ku bajangi,
60 BaaCyakananga ne baaKamba Mukuuku,
61 Ne nafwa munya, butuku nansha mu dinda,
62 Ne nafwa mu kanyunyi, mu mâyi anyi ku mulungu,
63 Ne nafwa lwa cimpicimpi ciyi mubeele,
64 Nzambi nkayende ngwaswika munafwa !
65 Nyembwe Ntita ulwe kungidila tuutu,
66 Nyembwe ungele diboku mu nshingu,
67 Tuye kumona Yezu muswibwe,
68 Tusombe nende kashidi ne cyendelele !
69 Bana betu kimmômw’anyi…

Traduction française

1 Accepte le salut, cher ami Nyembwe Ntita,
2 Accepte le salut, très cher compagnon,
3 Accepte le salut, chaîne que je porte au cou,
4 Le salut que t’adresse Munganga
5 Munganga Paul Kaleeta !
6 Chez-nous on a l’habitude de dire :
7 « Ton ami vaut plus que ton frère »
8 « Ton ami ne peut être livré à la mort »
9 « Ton ami n’est pas à trahir »
10 « L’époux de nombreuses femmes, on ne peut en être jaloux »
11 « L’époux de nombreuses femmes dort souvent affamé » !
12 Cher Nyembwe Ntita
13 Laisse-moi te louanger,
14 Laisse-moi t’adresser quelques éloges :
15 Nyembwe, tu es descendant de Odile, Ngoy-mwana-muluba-fils-de-Kabamba,
16 Homme à la taille moyenne et au visage ovale,
17 Le bel-homme-que-les-femmes-ne-se-lassent-guère-d’envier,
18 Te voilà bien lavé,
19 Prêt à te rendre à Dibindi !
20 Nyembwe tu donnais sans compter,
21 Et la main du bénéficiaire devenait trop petite !
22 Tu étais enseignant et auteur de nombreux livres,
23 Désormais abandonnés dans ta demeure !
24 Nyembwe tu as parcouru le monde,
25 Tu as vu toute l’Europe, tu as vu toute l’Afrique !
26 Ta femme s’appelle Marie Mbuyi Tshiteya,
27 Juge célèbre descendante de Mpunga-du-lignage-de-Kalonji,
28 Antilope-noire-qui-dépasse-les-rousses,
29 Mère d’une nombreuse progéniture,
30 Mère de garçons et de filles,
31 Les voilà tous là,
32 Epuisés d’avoir pleuré leur géniteur !
33 Jacky Mbuyi te voilà aujourd’hui veuve,
34 Essuie tes larmes,
35 Compte sur ton Seigneur,
36 Qu’il soit désormais ta colonne et ton appui !
37 Descendants de Odile vous êtes condamnables,
38 D’avoir mangé Nyembwe Ntita,
39 D’avoir mangé un grand personnage de votre lignage,
40 Quelle amende payerez-vous qui puisse sécher nos larmes ?
41 Nyembwe est-il mort ou s’est-il simplement assoupi ?
42 Est-il parti à Bakwanga ?
43 De quoi es-tu mort mon cher Ntembwe Ntita,
44 Abandonnant une multitude de camarades,
45 Avec lesquels tu te promenais,
46 Mangeais, buvais et taillais bavette ?
47 C’est Etienne Bushabu, Camille Sesep et Sabine la géante,
48 Lufuluabu et Ndomba Kanyinda, du lignage de Tshitolo,
49 Mulumba-fils-de-Kalonga et Maalu-Bungi-fils-de-Kaleeta,
50 Matumele et Makolo Muswaswa,
51 Mpoyi Kamulayi et Daniel Mutombo,
52 Citer un seul c’est citer tous les autes, dit un adage !
53 Bon voyage Nyembwe Ntita,
54 Bon voyage cher ami,
55 Bon voyage Nyembwe l’intrépide,
56 Viens m’accueillir le jour de ma mort,
57 Moi Lungenyi-fils-de-Kaleeta,
58 Maalu, je ne connais ni le jour ni comment je vais mourir,
59 Le jour où j’irai voir mes ancêtres,
60 Les Cyakananga et les Kamba-Makuku,
61 Mourrai-je en plein jour, la nuit ou à l’aurore,
62 Mourrai-je dans un avion, par noyade ou empoisonné,
63 Mourrai-je brusquement sans avoir souffert,
64 Dieu seul décidera de la façon dont j’irai le rejoindre !
65 Nyembwe Ntita, tu viendras m’attendre,
66 Me passer le bras autour du cou,
67 Et nous irons voir Jésus-le-bien-aimé,
68 Pour vivre éternellement avec lui !

              Je vous remercie !

Par Macaire EYUPAR EPIETUNG, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024