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Résumé

Le Pape François se trouve aux prises avec le peuple congolais en proie à de multiples aiguillons qui, depuis belle lurette, portent atteinte à sa dignité et à son intégrité territoriale par de récurrentes tentatives de balkanisation du pays. Pour offrir proximité et suggestions à son allocutaire déboussolé, le sujet parlant s’investit de la parole dans le but d’attirer la sympathie, afin d’instaurer une complicité avec le destinataire. Ainsi, s’appropriera-t-il des figures de discours, des images, des clichées et des métaphores pour maintenir captive son attention sur le message.
En effet, ces modes d’expression qui servent de moyens d’action par la parole au même titre que les idées, les arguments, etc., méritent d’être éclairés en vue de nous dévoiler leur secret dans l’art de persuader ou de conseiller.

Mots clés : Stratégies rhétoriques, diamant, image, clichée, réseau de l’imaginaire.
Reçu le : 25 avril 2023.
Accepté le : 27 juin 2023.

Summary

Pope Francis finds himself grappling with the Congolese people, who are prey to a multitude of goads that have long been undermining their dignity and territorial integrity through recurrent attempts to balkanize the country. To offer proximity and suggestions to his bewildered addressee, the speaker invests the word with the aim of attracting sympathy, in order to establish complicity with the addressee. So, he or she appropriates figures of speech, images, clichés and metaphors to keep the recipient's attention riveted on the message.
Indeed, these modes of expression, which serve as means of action through speech in the same way as ideas, arguments, etc., deserve to be illuminated with a view to revealing their secrets in the art of persuading or advising.

Key words: Rhetorical strategies, diamond, image, cliché, imaginary network.
Received : April 25th, 2023.
Accepted : June 27th, 2023.

INTRODUCTION

Le présent article se veut une réflexion sur le discours prononcé par le Pape François, lors de sa rencontre avec les autorités, les représentants de la société civile de la République Démocratique du Congo et le corps diplomatique, au jardin du Palais de la Nation à Kinshasa, le mardi 31 janvier 2023.
En effet, l’adresse papale tombe au moment crucial de l’histoire de la nation ; c’est-à-dire à l’heure où la République Démocratique du Congo, asphyxiée par la convoitise des prédateurs, s’acharne à lutter « …pour sauvegarder sa dignité et son intégrité territoriale contre les méprisables tentatives de fragmentation du pays » (corpus, p.2, § 2).
C’est dans ce climat si morose que le prélat catholique, dans son manteau de pèlerin de réconciliation et de paix, tente d’apporter à la nation congolaise « la proximité, l’affection et la consolation de toute l’église ». Son ethos semble assez éloquent pour la cause. L’ethos est ainsi défini comme
« une notion qui appartient à la rhétorique et qui désigne la façon dont un locuteur doit se présenter afin de convaincre celui ou ceux auxquels il s’adresse. Il fait partie du trio fondamental, ethos, logos, pathos. Le discours (texte), logos, émane d’un locuteur qui bâtit une représentation de soi (ethos) à destinations d’un public qui a des attentes et des sentiments » (pathos) (Gardes Tamine et Hubert, 2011 : 76).
En fait, dans la rhétorique d’Aristote(1), l’ethos appartient avec le logos (les arguments jugés valides) et le pathos (les manières de toucher les sentiments du récepteur) à la triade des moyens employés par l’orateur pour convaincre son auditoire.
Le successeur de l’Apôtre Pierre, chef spirituel de l’Eglise catholique romaine et, de surcroît, autorité politique de l’Etat du Vatican, doit user des moyens-conventions, des stratégies de communication (les actes de parole) en vue d’atteindre sa finalité : « persuader », « convaincre » et « conseiller » le peuple congolais dans l’optique où « toute prise de parole donne lieu à un déploiement des manoeuvres propres à faire accepter un point de vue ou une argumentation » (Julien Longhi et Georges-Elia Sarfati, 2011 : 155).
Dès lors, que retenir de ces dispositifs communicationnels qui pilotent ce jeu de contraintes et d’influences ? En d’autres termes, comment fonctionnent ces moyens-conventions pour atteindre les visées du discours ?
Notre réflexion sur les « moyens-conventions » qui président cette interaction s’articule autour de deux points : les stratégies discursives et l’étude proprement dite du texte. Une brève conclusion met un terme à ce travail.

1. Les stratégies discursives

De son sens originel, Larousse(2) définit le terme stratégie comme étant « l’art de coordonner l’action de forces militaires, politiques, économiques et morales impliquées dans la conduite d’une guerre ou la préparation de la défense d’une nation ou d’une coalition ». De ce fait, le terme « stratégie » réfère à une manoeuvre propre à l’ars militaris qui consiste à faire évoluer une armée jusqu’au moment du contact avec l’ennemi.
Du point de vue de la communication, l’on parle aussi de stratégie lorsque, au niveau du sujet parlant, se présente la possibilité d’alterner entre divers moyens expressifs en vue d’influencer (séduire et/ou persuader) l’allocutaire.
A en croire Romain Kasoro (2015 : 141), le terme « stratégie » est utilisé pour désigner « les moyens expressifs linguistiques ou discursifs mis en oeuvre consciemment ou inconsciemment, pour atteindre les visées assignées au discours, lesquelles (…), sont : légitimité, justesse de la parole et de l’action, crédibilité, et ralliement-fusion ». De ce point de vue, l’on peut parler de stratégies énonciatives, pragmatiques, rhétoriques et argumentatives. Pendant que les stratégies énonciatives mettent en branle « l’appareil formel de l’énonciation », E. Benveniste, (1974 : 78-88), les stratégies pragmatiques, de leur côté, « réfèrent à l’illocutoire, à l’indirectivité, à l’implicite, à la présupposition, aux lois du discours, etc. Les stratégies rhétoriques se rapportent aux figures de discours, tandis que les stratégies argumentatives se présentent comme des procédés discursifs, non point linguistiques, ayant trait au choix, à la construction, à l’agencement ou disposition des arguments ou propositions visant à persuader l’interlocuteur, à l’amener à adhérer à la thèse défendue » (Kasoro, 2015 : 141). Ces moyens expressifs linguistiques ou discursifs qui caractérisent ses différentes stratégies méritent d’être éclairés. On peut les résumer en quatre grands ensembles :
   1.1. Légitimité et légalité. Patrick Charaudeau (2005 : 50) note : « D’une façon générale, la légitimité désigne l’état ou la qualité de ce qui est fondé pour agir comme il agit. (…) Elle est ce qui donne droit à exercer un certain pouvoir avec la sanction ou la gratification qui l’accompagne. La légitimité est instituée en son principe pour justifier les faits et gestes de celui qui agit au nom d’une valeur reconnue par tous les membres d’un groupe ». Le sujet parlant, dans notre texte d’analyse, est le souverain pontife de l’Eglise catholique romaine et, de surcroît, autorité politique suprême de l’Etat du Vatican.
   1.2. Justesse de la parole et/ ou de l’action. Entendez ici, la clairvoyance et l’objectivité dans le dire et la justification du choix de l’action menée. Cette justesse de la parole et /ou de l’action peut trouver son illustration dans ce propos du Pape François (Corpus, p.2, §2) : « …Je viens à vous, au nom de Jésus, comme un pèlerin de réconciliation et de paix. J’ai beaucoup désiré me retrouver ici et je viens enfin vous apporter la proximité, l’affection et la consolation de toute l’Eglise et apprendre votre exemple de patience, de courage et de lutte ».
   1.3. Crédibilité. Selon Patrick Charaudeau (2005 :91), ce moyen expressif est « le résultat d’une construction opérée par le sujet parlant de son identité discursive de telle sorte que les autres soient conduits à le juger digne de crédit », car il faut que l’homme politique sache inspirer confiance, admiration ». Le locuteur se pose en évaluateur de son propre discours et en définie les degrés de certitude. « …Je suis ici pour vous étreindre et vous rappeler que vous avez une valeur inestimable, que l’Eglise et le Pape ont confiance en vous, qu’ils croient en votre avenir… » (Corpus p.2, §2).
   1.4. Ralliement ou fusion-idéologique. Le sujet parlant vise à se fondre avec la masse. Il est, pour ainsi dire, le porte-parole du peuple. L’expression - « Chers amis » -, aussi récurrente dans son discours, confirme cette fusion-idéologique.
Pour clore ce jeu de contraintes et d’influences, nous nous référons à Romain Kasoro (2015 : 141) qui classe les stratégies verbales en quatre catégories : les stratégies énonciatives, les stratégies pragmatiques, les stratégies rhétoriques et les stratégies argumentatives.
Etant consacré aux stratégies rhétoriques, notre propos se limitera aux figures de discours. De ces figures, ce sont les images et les clichés qui ont retenu notre attention à l’écoute et à la lecture du discours du souverain pontife.

2. Etude du discours

Il importe, avant toute analyse, de préciser la portée sémantique de certains termes clés devant servir de support épistémologique et méthodologique. Il s’agit précisément des notions d’image, de cliché et d’imaginaire.

2.1. Définition des termes clés
2.1.1. L’image

Joëlle Gardes-Tamine et Marie-Claude Hubert (2011 : 100) définissent l’image comme suit :
« …Dans le domaine du langage et de la littérature, on parle d’image pour tout assemblage de mots qui suscite de telles représentations et qui permet d’aller de la vue sensible à la vue intellectuelle. L’image littéraire surgit avec tous les procédés qui se relient au souci, d’origine rhétorique, de mettre sous les yeux du public ou du lecteur : description, hypotypose…On l’associe souvent à la métaphore qui donne fréquemment des dehors concrets à des idées abstraites, mais qui en est théoriquement distincte. Contenue dans les limites strictes aux siècles classiques, l’image est devenue à partir du XIXe siècle un des traits définitoires de la poésie. Elle se fonde alors moins sur la représentation que sur la suggestion et sur le rapprochement de réalités éloignées afin d’en faire surgir une nouvelle représentation mentale et abstraite plus que sensible. »
Nous retenons aussi cette définition de Georges Mounin (1974 : 168) pour qui l’image est un « terme générique assez vague utilisé depuis le XIXe siècle pour désigner surtout les tropes fondés sur le rapport d’analogie (comparaison, métaphore, personnification, etc.), mais aussi les autres tropes, certaines figures et des nombreuses anomalies sémantiques… »

2.1.2. Le cliché

A propos de ce concept, voici ce qu’en disent Joëlle Gardes-Tamine et Marie-Claude Hubert (2011 : 36) : « Comme le terme stéréotype, celui de cliché vient de l’imprimerie. Les deux termes font allusion à un procédé de reproduction. L’invention du cliché renvoie à la nécessité d’un tirage simultané du texte et de l’image et à la reproduction aisée de celle-ci.
En littérature, le cliché est lié à l’absence d’originalité, à la banalité. Il peut consister à une collocation de termes, en une image qui s’est figée peu à peu, mais aussi en une pensée convenue ».
Pour son compte, Georges Mounin (1974 : 69) le définit comme étant un « groupe de mots, syntagme, expression, repris souvent d’un locuteur à l’autre et qui donne de ce fait l’impression d’une grande banalité. On ne peut pourtant pas dire qu’il s’agit d’une locution ou d’un syntagme figé puisque chacune de ses unités demeure autonome : le cliché a seulement tendance à devenir locution (...) ».
Souvent critiqué, le cliché peut pourtant servir à assurer la communauté de pensée d’un groupe et dans cette mesure, sous le nom de lieu commun en rhétorique, il constitue la base d’une argumentation.

2.1.3. L’imaginaire

Par imaginaire, nous considérons « l’ensemble des représentations suscitées par le sujet communiquant aux fins de transporter l’esprit du destinataire en dehors du monde réel ou humain, dans le monde des animaux, des objets, des prodiges, de la fiction, du surnaturel, etc., avec l’intention de mieux exprimer, expliquer, juger, endoctriner, persuader en se passant même d’arguments, de preuve, de démonstrations » (Romain Kasoro, 2015 : 148).
Par conséquent, la portée sémantique de ces trois concepts tels que définis ci-dessus, suscite une motivation à étudier les images et les clichés d’un discours. Comme le confirme Romain Kasoro (2015 : 134), « le recours aux figures, même lexicalisées, vise la beauté, l’ornement : le locuteur produit un discours orné pour se rendre agréable, intéressant à suivre ; pour s’attirer la sympathie, instaurer une complicité avec le destinataire. Ornements du discours, les figures, même usées, même banalisées, agissent sur le destinataire à l’instar des idées, des formes phatiques, des arguments, etc."
A la question de savoir à quels domaines de l’imaginaire le Pape François recourt-il pour charmer, persuader son auditoire, l’analyse nous a aidé à relever quelques dimensions ou réseaux de l’imaginaire dans son discours du 31 Janvier 2023.

2.2. Analyses des différentes dimensions de l’imaginaire

Il importe de rappeler ici les visées que le Pape François (Corpus, p.2, §2) assigne à son discours : « …je viens à vous, au nom de Jésus, comme pèlerin de réconciliation et de paix. J’ai beaucoup désiré me trouver ici et je viens enfin vous apporter la proximité, l’affection et la consolation de toute l’Eglise et apprendre de votre exemple de patience, de courage et de lutte ». C’est une noble mission. Pour ce, le Pape se sert du diamant, une symbolique qui rappelle la dimension cosmique par le fait que la représentation s’inspire de l’univers le plus proche. En effet, Kazi-Tani (2011 : 25) parle de trois dimensions dans tout symbole : la dimension cosmique (car la figuration s’inspire de l’univers environnant), celle onirique est étroitement liée aux souvenir des personnages et d’une manière générale, à la vie inconsciente enfin, la dimension poétique, révélée par le travail proprement dit sur la langue qui transforme le mot le plus simple et le plus concret en un mot « extraordinaire ».
En effet, l’histoire(3) nous relate que l’origine du diamant remonte à la Grèce antique, où les Grecs appelaient cette pierre précieuse « adamas », ce qui signifie invincible, indomptable, indestructible. Les Grecs de l’Antiquité portaient des diamants aux combats comme symbole de force et avec la conviction que les diamants les rendaient invincibles. Les diamants sont connus depuis longtemps à travers l’histoire pour leur force et leur beauté. Ils sont considérés comme la pierre des champions.
En outre, surnommé « Fruit des étoiles » par les Indiens, cette pierre est véritablement un cadeau du ciel. Sa beauté pure fit rêver les plus grands joailliers. C’est un minéral le plus prisé du monde au regard de nombreuses vertus qu’il regorge(4).
Dès lors, le diamant s’avère être l’une des pierres précieuses, rare par ailleurs dans plusieurs coins du monde, mais avec une grande concentration dans le sous-sol de la République Démocratique du Congo. La symbolique du diamant construit le faisceau du message papal et s’offre pour livrer quelques réseaux de l’imaginaire du discours dans sa globalité. L’étude du texte révèle huit vertus du diamant dépeints par le Pape François avec comme visée la remise en relief des valeurs intrinsèques du peuple congolais longtemps ternies. Il est question de réveiller la conscience collective du peuple congolais devant lui permettre de revisiter ses potentialités en vue d’une lutte sans merci vers la reconquête de sa dignité. Ci-dessous, nous pouvons remarquer les différents réseaux de l’imaginaire qui constituent le noeud de l’adresse papale.

2.2.2. L’imaginaire de luminosité (p. 2 ; § 3)

Le paragraphe 3, à la page 2 de notre corpus d’analyse reprend la symbolique du diamant au travers de l’une de ses vertus : « la beauté lumineuse », expression d’une valeur inestimable dévolue au peuple congolais. Le prélat catholique lance, pour ainsi dire, au peuple congolais, un appel à une prise de conscience de ses potentialités. Cet appel se concrétise au travers de formes d’intimation. Emile Benveniste (1974 : 84) définit les formes d’intimation comme étant « les ordres, appels conçus dans des catégories comme l’impératif, le vocatif impliquant un rapport vivant et immédiat de l’énonciateur à l’autre dans une référence nécessaire au temps de l’énonciation ». Ci-dessous ces formes d’intimation usitées par le Pape:
- Courage, frère et soeur congolais !
- Relève-toi,
- Reprends dans tes mains, comme un diamant très pur, ce que tu es, ta dignité, ta vocation à garder en harmonie et en paix la maison que tu habites,
- Revis l’esprit de ton hymne national,… en rêvant et en mettant en pratique ses paroles : ‘Par le dur labeur, nous bâtirons un pays plus beau qu’avant, dans la paix’ ».
Nous pouvons noter dans les trois dernières formes d’intimation la structuration anaphorique des verbes dont le préfixe – re - marque l’insistance pour le renouvèlement d’une action. Bien plus, la dernière forme d’intimation - revis l’esprit de ton hymne national, - fait noter la finesse du sujet parlant par le recours à la polyphonie en vue de crédibiliser son propos. C’est une forme de ralliement ou fusion idéologique qui génère un vif sentiment de patriotisme, un sentiment d’éveil national, un sentiment incitatif à l’action. En fait, la « polyphonie est un mot emprunté en linguistique et en théorie littéraire à la musique, où il désigne la superposition des plusieurs voix ou parties indépendantes » (Gardes Tamine et Hubert, 2011 : 156-157).

2.2.3. L’imaginaire de l’opulence (p. 2 ; § 3)

Le deuxième réseau de l’imaginaire prend corps dans cet extrait du discours du Pape : « Chers amis, les diamants, généralement rares, abondent ici. L’abondance du diamant en République Démocratique du Congo symbolise la richesse matérielle qui, par ricochet, représente la richesse spirituelle dont le réceptacle s’avère être « le coeur, source de développement, de paix, de justice, de pardon, de concorde, de réconciliation, d’engagement et de persévérance pour mettre à profit les talents reçus ». Epris de pensées de paix, de justice, du pardon et du développement, le Pape exprime son souhait qui se matérialise au travers des volitifs :
- Que chaque Congolais se sente appelé à jouer un rôle!
- Que la violence et la haine, (…) sentiments inhumains et antichrétiens, n’aient plus de place dans le coeur et sur les lèvres de quiconque.

2.2.4. L’imaginaire du diamant ensanglanté (p.2 ; §4)

« Le poison de la cupidité a ensanglanté le diamant ». Nous avions, dans l’imaginaire précédant, évoqué la symbolique de l’opulence que représente le minerai du diamant en République Démocratique du Congo. Cette richesse n’est point sans attirer la honteuse convoitise du colonialisme économique : l’exploitation de l’Afrique par des méthodes asservissantes. D’où le paradoxe rendu par cette autre métaphore du Pape : « Le fruit de sa terre le rendent « étranger » à ses habitants » (p. 2).

En effet, ce paradoxe suggère une antilogie, définie par Ricalens-Pourchot (2011 : 30) comme étant : « une figure de contraste qui présente deux idées antithétiques (…). Elle est considérée parfois comme une erreur ou une hésitation entre deux idées, parfois comme un manque de logique qui conduit au non-sens ». En lieu et place de l’enrichissement, du développement, de la paix, de la justice, etc., que peut procurer le phénomène diamant, ironie du sort, ce minerai aux vertus multiformes occasionne plutôt l’asservissement, la pauvreté et les autres maux similaires. Pour consoler les congolais, le Pape se sert de ces formes d’intimation en vue d’interpeller la mesquinerie du monde économique :
- Retirez vos mains de la République Démocratique du Congo,
- Retirez vos mains de l’Afrique,
- Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser (Corpus, p. 3).

Néanmoins, la cacophonie dépeinte par ce flagrant paradoxe se retrouve quelque peu jugulée par les formes d’intimation reprises ci-dessous, structurées anaphoriquement et renforcées par les volitifs pour enfin procurer au peuple congolais de l’espérance : l’une des caractéristiques du discours religieux.
- Que l’Afrique soit le protagoniste de son destin!
- Que le monde se souvienne des désastres commis au cours des siècles au détriment des populations locales et qu’il n’oublie pas ce pays ni ce continent.
- Que l’Afrique, sourire et espérance du monde, compte davantage :
- Qu’on en parle davantage,
- Qu’elle ait plus de poids et de représentation parmi les nations!

2.2.5. L’imaginaire de la chimie de l’ensemble (p. 3-4 ; §3-4)

« Revenons à l’image du diamant. Une fois travaillé, sa beauté provient également de sa forme, de ses nombreuses facettes harmonieusement disposées ». Faire allusion aux nombreuses facettes lumineuses du diamant est une figuration qui évoque le « pluralisme typique ». Ce pluralisme typique est une richesse particulière de la République Démocratique du Congo au vu de sa diversité ethnique à l’instar de sa biodiversité. Cette richesse lui confère un caractère polyédrique. En effet, l’adjectif « polyèdre » tire son étymologie du grec polus : nombreux, et hedra, base. C’est une figure constituée de portions de plans (les faces) ayant des frontières communes (les arêtes)(5).
Peu avant son discours en République Démocratique du Congo, le Pape François a recouru à la même symbolique pour appeler « l’Etat américain à plus de responsabilité, à la solidarité(6) » :
« Pour que la mondialisation profite à tous, nous devons penser à mettre en place une forme « polyédrique » en soutenant une saine lutte pour que soient mutuellement reconnue l’identité collective de chaque peuple, la nation et la mondialisation elle-même, d’après le principe selon lequel tout vient avant les parties, et ceci afin d’arriver à un état général de paix et d’harmonie. » (Le 02/mai/2019).
Cette invitation à la solidarité ou mieux encore à l’altruisme nous rapproche de Terrence, écrivain romain de l’antiquité qui disait : « homo sum ; humani nihil a me alienum puto(7) » que l’on peut traduire par : « Je suis homme ; et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».
En utilisant la même symbolique dans un contexte presque similaire, le Pape recommande aux Congolais d’entretenir la « nécessaire chimie de l’ensemble » pour éviter de tomber dans le tribalisme et la confrontation susceptibles d’alimenter des spirales des haines et de violence. Pour crédibiliser son propos, le sujet parlant recourt à la rhétorique de la polyphonie par un proverbe luba (8) : « Bintu bantu » qui signifie : « la vraie richesse, ce sont les personnes et les bonnes relations entre elles ». Sur ce, le conseil du Pape aux Congolais passe par cet appel au renoncement à toutes sortes d’agressivité, de prosélytisme et de contrainte en tant que moyens indignes de liberté humaine. Deux groupes sociaux sont visés par cet appel papal : les confessions religieuses et les membres de la société civile. L’une des caractéristiques du discours religieux c’est l’intertextualité (8). En effet, tout discours religieux est basé sur un autre discours. L’orateur construit son discours d’après des textes sacrés(9). Le propos du Pape sur la liberté est appuyé par le texte biblique de 2 Corinthiens 3, 17 qui stipule ce qui suit : « Or, le Seigneur c’est l’esprit ; et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté ».

2.2.6. L’imaginaire de la réflexivité du diamant (p. 4, § 1-2)

« Le diamant dans sa transparence, rétracte admirablement la lumière qu’il reçoit. » La réflexivité du diamant implique sa transparence, sa capacité à dissiper les ténèbres environnantes. Les responsables Congolais sont invités à agir avec une clarté cristalline dans l’exercice de leurs fonctions car, dit le Pape, « Le pouvoir n’a de sens en effet que s’il devient service » (Corpus, p., 4). Le Pape incite, pour ainsi dire, au rejet de certains antivaleurs : L’autoritarisme, les gains faciles, la soif d’argent.
En outre, le prélat catholique lance un vibrant appel visant à :
- Favoriser les élections libres, transparentes et crédibles ;
- Rechercher le bien commun ;
- Renforcer la présence de l’Etat et que les gouvernants se rapprochent du peuple non pas par calcul ou par exhibition, mais par service (Corpus, p. 4).
Pour plus de crédibilité à son logos sur le respect de la justice, le Pape recours à la superposition d’autres voix. C’est l’illustration assez éloquente de la polyphonie ou de l’intertextualité, une astuce assez usitée dans le discours religieux :
- « Si la justice n’est pas respectée, que sont des Etats, sinon des bandes de voleurs » (Saint Augustin, De civitate Dei, IV).
- « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ! » (Matthieu 5, 6).
Dans son manteau de dirigeant religieux, le prélat catholique use de stratégies du discours religieux du fait que ce type de discours se caractérise par « une pratique qui exprime un système de croyances et de valeurs transmises et validées par des pratiques sociales à l’intérieur d’une communauté par les membres qui y participent »(10). Ces astuces du discours religieux sont une source de persuasion qui peuvent être utiles bien au-delà du domaine de la linguistique. Deux aspects caractérisent ce type de discours : l’intertextualité et l’autoritarisme(11). En effet, le discours religieux est un discours autoritaire et exclusiviste qui ne laisse pas de place pour des médiations et pondérations. Ce type de discours est persuasif par excellence car il n’a de locuteur qui détient la parole. Le « tu » devient un simple récepteur n’a aucune possibilité de réfuter et de modifier ce qui est dit.

2.2.7. L’imaginaire de la transformation (p. 4-5 ; § 3)

« Un diamant sort de la terre authentique mais brut, nécessitant un travail ».
Pour offrir sa luminosité, le diamant est appelé à être taillé et poli. Ladite figuration représente les enfants congolais comme des diamants les plus précieux devant bénéficier d’une action éducative sans relâche si le pays doit compter sur un avenir radieux. L’invitation du Pape est lancée aux dirigeants politiques et autres représentants de la société civile à s’investir sérieusement dans l’éducation de la jeunesse congolaise au travers de la forme d’intimation ci-dessous :
- « Il est urgent d’y investir afin de préparer des sociétés qui seront fortes si elles sont bien instruites… » (p.5).
Par ailleurs, le vécu quotidien des enfants congolais s’avère être paradoxal. En effet, la conjonction de coordination – « mais » - à valeur oppositive présente une antilogie développée au travers de cette réaction du chef spirituel de l’Eglise catholique :
- Beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école ;
- Combien, au lieu de recevoir une éducation digne de ce nom, sont exploités ;
- Trop d’entre eux murent, soumis à des travaux asservissante dans les mines ;
- Combiens de filles sont marginalisées et violées dans leur dignité… (p. 5).

Bien plus, le prélat catholique ne se contente pas seulement de dénoncer cet horrible fléau, mais il encourage davantage, par des formes d’intimations, le peuple congolais à préserver ce « don de l’espérance » que sont les enfants quand il dit : « Les enfants, les jeunes filles, les jeunes sont le présent de l’espérance, ils sont l’espérance : ne permettons pas que celle-ci soit effacée, cultivons-la avec passion! » (5).

2.2.8. L’imaginaire de l’environnement (p. 5, § 1)

« Le diamant, don de la terre, appelle à la sauvegarde de la création, à la protection de l’environnement ». Cette figuration du cosmos minéral et sous-sol du Congo appelle une autre métaphore : « situé au coeur de l’Afrique, la République Démocratique du Congo abrite l’un des plus grands poumons verts du monde, qui doit être préservé. C’est une allusion faite, à juste titre, à la richesse environnementale que la flore congolaise offre au monde pour lutter contre le réchauffement climatique. Dubois et ali. (2012 : 26) définit l’allusion, comme « une figure de rhétorique par laquelle on évoque une personne ou une chose connue sans la nommer ». Pour exhiber sa proximité au peuple congolais par une prise en compte de sa cause, le Pape appelle le monde économique, entendez ici la communauté internationale, à une collaboration seine au profit de l’Afrique en général et, de la République démocratique du Congo en particulier. La visée discursive du Pape est de « contribuer à une croissance sociale effective pour surmonter les graves problèmes comme la faim et les maladies qui entravent le développement… » (p. 5).

2.2.9. L’imaginaire de l’invincibilité (p. 5, § 2)

« Enfin, le diamant est le minéral d’origine naturelle qui présente la plus grande dureté. Sa résistance aux produits chimiques est très grande ». Cette dernière figuration du discours du Pape François est un épilogue qui projette sur l’invincibilité des congolais en dépit de violentes et récurrentes attaques dont ils constituent l’objet. Les Congolais n’ont-ils pas raison de dire : « RCD eloko ya makasi ? »(12). L’adresse papale est lancée pour encourager les congolais à ne point s’enfermer dans le cercle vicieux de la résignation, en tant que victime expiatoire, mais plutôt à embrasser un nouveau départ social courageux et inclusif. C’est une invitation à une prise de conscience de ses potentialités au regard de sa situation existentielle.

Conclusion

Notre réflexion sur les aspects rhétoriques du discours papal devant la nation congolaise a comme objet l’analyse d’un discours dans l’espace socio-politique de la République Démocratique du Congo en proie à une ébullition qui embrase la société dans sa globalité.
En effet, l’étude a porté sur l’un des aspects de la rhétorique du discours : les images et les clichés au travers de leur force de persuasion comme stratégies qui commandent le jeu de contrainte et d’influences au même titre que les idées, les arguments, etc. L’analyse du texte du discours a prouvé à suffisance le pouvoir d’action de ces représentations et clichés pour captiver l’attention du récepteur, toucher son coeur, l’émouvoir, réveiller ses vifs sentiments pour l’inciter à l’action. L’antilogie demeure l’astuce rhétorique assez frappante pour la persuasion.
Pour se faire, le Pape François s’est servi de la symbolique du diamant, une représentation qui rappelle la dimension cosmique par le fait que la figuration s’inspire de l’univers plus proche. Le pape vise une remise en relief des valeurs intrinsèques du peuple congolais afin de permettre à ce dernier de revisiter ses potentialités pour une lutte sans merci vers la reconquête de sa dignité. Tenant compte de ses multiples vertus, la symbolique du diamant, véritable colonne vertébrale du message papal, offre huit réseaux de l’imaginaire :
- L’imaginaire de luminosité ;
- L’imaginaire de l’opulence ;
- L’imaginaire du diamant ensanglanté ;
- L’imaginaire de la chimie d’ensemble ;
- L’imaginaire de la réflexivité ;
- L’imaginaire de la transformation ;
- L’imaginaire de l’environnement et
- L’imaginaire de l’invincibilité.

De ce fait, l’alliage « ethos - logos – pathos » est mis en branle pour produire des effets, des sentiments qui poussent à l’action, entendez ici, la prise de conscience, pour le congolais, de sa situation existentielle, le vif sentiment de l’éveil national, le patriotisme, l’altruisme, l’essor du développement au travers des formes d’intimations et autres volitifs.
Enfin cet alliage « ethos – logos – pathos » permet de révéler, dans cette adresse papale, les caractéristiques d’un discours tant politique que religieux.

 

Par Damien SHAMBO OPOKA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024