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L’AMOUR DANS LA LITTERATURE MAGHREBINE FRANCOPHONE A TRAVERS LA BOITE A MERVEILLES D’ALMED SEFRIOUI
LOVE THROUGH ALIOUM SEFROUI’S LA BOITE A MERVEILLES IN FRENCH-LANGUAGE
MAGHREB LITERATURE

Marie-Philomène BABONGISILA KUZINGANA*
Philobabongisila@gmail.com

Résumé

La littérature maghrébine francophone nous offre la boîte à merveilles d’Almed Sefrioui pour décortiquer le champ lexical de l’amour décrit par l’auteur. Il nous donne une peinture pittoresque de la vie populaire maghrébine au lendemain de la colonisation française. Cette littérature est en grande partie cette danse de désir mortel devant un miroir fabriqué par l’occident, retournée souvent en quête d’amour et de revendication d’une reconnaissance éperdue.

Mots clés : amour, boite à merveilles, Maghreb, littérature maghrébine francophone.
Reçu le : 30 septembre 2023
Accepté le : 7 décembre 2023

Abstract

French maghreb literature offers us Ahmed Sefrioui’s. La boite à merveilles, to dissect the lexical field of love described by the author. He gives us a picturesque of popular life in the Maghreb in the aftermath of french colonization. French-language literature from the Maghreb is largely a dance of mortal desire in front of mirror made by the west often turned inside out in search of love and a desperate demand for recognition.

Key words: love, wonder boxes, Maghreb, French-speaking Maghreb literature.
Received: September 30, 2023
Accepted: December 7, 2023

Introduction

La littérature maghrébine est aussi bien arabophone, francophone que berbère, car la société maghrébine témoigne d’une multiplicité de langues à savoir, la langue arabe, berbère, tamazight et le français. Laroui RK (2002 : 48-59) Le confirme clairement en écrivant :
« L’histoire du Maghreb nous installe devant une modalité sociolinguistique du contact des langues. La langue arabe et les parlers berbères sont en contact avec la langue de la colonisation. Cette situation a généré une production littéraire très diversifiée ».
De ce fait, elle assiste à un contact et une richesse linguistiques. La littérature maghrébine francophone est notre champ de prédilection dans la présente étude à travers l’oeuvre d’Almed Sefrioui. Elle est née durant la colonisation dans les trois pays du Maghreb (Tunisie, Algérie et Maroc) où les auteurs majoritairement dialectophones ont été amenés à s’exprimer par écrit en langue française, le plus souvent faute de maîtriser suffisamment l’arabe dit classique. Elle est le fait des efforts de francisation surtout scolaire. Cette littérature née dans un contexte historique reflète la complexité, la diversité et la richesse du pays. (Laroui, 2002 : 49).
L’année 1954 est souvent retenue comme la date de naissance de la littérature marocaine en langue française. Elle correspond à la publication de la boîte à merveilles d’Ahmed Sefrioui et du Passé simple de Driss Chraibi.
Cette littérature se construit autour de quelques thèmes majeurs qui ont marqué cette période tels que l’exil, l’amour de la patrie, le choc des cultures, la quête de l’identité, les traductions, le folklore, la vie quotidienne, l’acculturation, etc. C’est ainsi que Charles Bonn (1996 : 38) déclare : ‘‘La littérature maghrébine de langue française est en grande partie cette dense de désir mortel devant un miroir fabriqué par l’Occident. Miroir qu’on ne cesse de briser et de reconstituer, pour mieux souligner le simulacre d’un projet qui se retourne le plus souvent en quête d’amour et de revendication d’une renaissance éperdue ».
Cette citation nous permet de clôturer ce bref aperçu général de la littérature maghrébine francophone pour aborder le condensé de cette oeuvre en étude.

1. Contenu sémantique global de l’oeuvre

Le roman d’Ahmed Sefrioui est une peinture pittoresque de la vie populaire maghrébine. C’est une oeuvre autobiographique qui retrace l’histoire d’un enfant évoquant son enfance passée à l’ancienne Medina de Fès. Sidi Mohammed, un enfant de 6 ans, menait une vie tranquille auprès de sa mère, femme au foyer, et son père Tisserand. La grande partie du livre parle des voisins, des amis de la famille, de leurs habitudes, leurs problèmes, leurs vies quotidiennes et particulièrement de Lalla Aicha, la meilleure amie de sa mère qui a souffert de l’ingratitude de son époux. La précarité de la vie de Sidi fut troublée par la perte de la bourse de son père, une bourse qui contenait tout son capital. Ce qui obligea le père à travailler dans les champs pour reprendre son travail. Pendant son absence, la mère et l’enfant visitaient des musées pour demander aux saints de les rendre sains et saufs. Leur voeu fut exaucé, un mois après le départ du père, les choses s’arrangèrent progressivement.
La boîte à merveilles que possédait Sidi Mohammed représentait un véritable réconfort quand il avait des ennuis, c’était synonyme d’accès à son propre monde. Sidi découvre l’hostilité du monde et la fragilité de son petit corps.

2. L’intitulé : ‘‘La boîte à merveilles’’

Le titre est l’élément paratextuel révélateur du contenu, du domaine ou de la nature de l’information véhiculée par l’auteur pour son lecteur. Philippe Hamon l’appelle « un horizon d’attente », c’est-à-dire que le lecteur fait des suppositions sur le contenu de l’oeuvre à lire, il y a un lien étroit entre le titre et l’oeuvre. Pour Arzioukat Fella (2002 : 71), « le titre est un message codé en situation de marché : il résulte de la rencontre d’un énoncé romanesque et d’un énoncé publicitaire ; en lui croisent nécessairement littérarité et socialité : il parle de l’oeuvre en termes de discours, mais le discours social en termes de roman ».
En déchiffrant ce message codé de La boîte à merveilles de Sefrioui, nous réalisons que ce titre est composé de deux noms reliés par une préposition constituant ainsi une phrase nominale. Le premier mot est écrit au singulier et le second au pluriel. La boîte se dit en général de tout assemblage de bois, de cuivre, de fer ou autre matière, destiné, soit à contenir, soit à revêtir ou encore à affermir d’autres pièces. Le mot ‘‘merveilles’’ renvoie à une chose qui suscite l’étonnement et l’admiration en raison de sa beauté, de sa grandeur, de sa perfection ou de ses qualités exceptionnelles.

Dans le roman, il s’agit d’une boîte où le petit Sidi Mohammed range des objets usés, qui sont d’une grande importance pour lui, parce qu’ils constituent le monde de ses rêveries et de son imaginaire dû à sa situation d’enfant seul et unique dans sa famille.
Ce titre de Boîte à merveilles nous renvoie à l’allégorie de la caverne, entre autres le Mythe de caverne qui oblige l’homme à quitter le monde, à le faire quitter du monde sensible pour accéder au monde des idées. Cette boîte considérée comme la caverne et merveilles comme le mythe symbolise le monde parfait dans lequel règne le bonheur de l’homme. Ainsi, l’auteur nous montre que le bonheur ne se trouve pas ailleurs mais en nous-mêmes.
Loin d’être le cri de la commercialisation, le titre constitue le résumé laconique du contenu de l’ouvrage incitant le lecteur à siroter l’oeuvre avec beaucoup de délectation.

3. Le champ lexical de l’amour

Etant la capacité de ne savoir-faire aucune distinction entre l’autrui et soi, l’amour est le désir de devenir comme l’autre, de vouloir partager le bonheur de soi et de se solidariser au malheur de l’autre. Gandhi Mahatma (1958 : 16) le souligne bien :
‘‘Je n’ai connu aucune distinction entre parents et inconnus, entre patriotes et étrangers, entre blancs et hommes de couleur… Je peux dire que mon coeur a été incapable de faire de telles distinctions’’.
Parmi les concepts que nous retenons pour ce champ lexical, nous citons l’amitié, l’affection, la fraternité et la solidarité (la compassion).

3.1. L’amitié

L’amitié est un terme affectueux qui exige un usage scrupuleux d’autant plus qu’elle se diffère des autres formes de relation regroupant deux personnes ayant pour fin un épanouissement affectif. Elle consiste cependant à se confier à l’autre, d’une relation pédiculaire sans contrainte ni méfiance quelconque.
‘‘Dès notre arrivée, Lalla Aicha nous servit des gâteaux et du thé à la menthe. Elle parla ensuite de ses douleurs de jointures qui la taquinaient de nouveau, d’une rage de dents qui l’avait rendu folle la semaine dernière, de son manque d’appétit’’. (LBM, p.21).
Par cet extrait, l’amitié se caractérise par le geste de générosité manifestée par la donation des gâteaux à ses hôtes et par la confiance existant entre eux pour leur parler de ses douleurs.

L’amitié se traduit également à travers la gentillesse, l’hospitalité, la salutation matinale et l’accueil.
‘‘J’entendis finalement ma mère dire d’une voix pressante : Entre Fatma ! Entre et donne-le-lui toi-même, à moi il refusera, il est si entêté ! Enre donc ! Fatma Bziouya parut. Elle tenait à la main un bol fumant. Elle s’approcha de moi, me fit un large sourire et me demanda : comment te sens-tu ce matin ? » (LBM, p. 72).
Nous retrouvons le concept « amitié » de façon récurrente dans La boîte à merveilles traduisant une réalité obsessionnelle. D’où sa manifestation sous plusieurs facettes dans le texte.

3.2. L’affection

Elle s’entend comme le sentiment d’aimer quelqu’un avec attachement ou tendresse, et qui nous porte à vouloir son bien-être ou son bonheur. C’est une amitié ou un amour non passionnel ou romantique.
« Ma mère me recouchait avec des gestes tendres, des phrases affectueuses » (LBM, p.39).
Ici, la mère témoigne de l’amour maternel qu’elle porte pour son fils, c’est l’amour filial.
L’affection est plus forte quand elle est source de l’épanouissement de l’autre, de sa joie, de son bonheur tant matériel, moral que spirituel.
« Le matin, je me préparais pour partir à l’école, ma mère m’en empêcha. Elle m’expliqua qu’elle avait besoin de moi pour l’accompagner à la Kassaria, le marché des tissus. Il était temps de songer à mes habits de fête. J’applaudis avec enthousiasme » (LBM, p. 39).
L’amour revêt également une dimension plus importante dans les relations humaines. Elle se traduit par la fraternité.

3.3. La fraternité

Elle évoque le lien de parenté qui unit les enfants, frères et soeurs, nés des mêmes parents.
Outre cette première acception, la fraternité est cette liaison étroite que contractent ensemble ceux qui, sans être frères, se traitent néanmoins comme des frères. Les extraits ci-dessous nous édifient :
« Zoubida, je n’ai plus personne au monde, tu es mon amie, tu es ma seule famille. Le fils du péché pour qui je me suis dépouillée, m’a abandonnée pour prendre une seconde femme… Mon fils va mourir, ô mes amies, âmes soeurs, mon fils ! Sauvez mon fils ». (LBM, p.67).
Considérant l’idée selon laquelle tous les humains, hommes et femmes, sont égaux et méritent égale dignité et égale considération, la fraternité est exprimée dans ce texte par cette illustration :
« Cet Abdelkader, ce fils de l’adultère, ce disciple de Satan ne possédait pas une chemise propre quand… Moulay Larbi le prit comme ouvrier dans son atelier à Mechatine. Il le traita avec bienveillance, lui prêta de l’argent, le reçut souvent à déjeûner ou dîner » (LBM, p.25).
Un autre axe de l’amour qui a retenu notre attention dans cette analyse textuelle est la solidarité.

3.4. La solidarité

La solidarité est davantage une notion extensible qu’un concept, un mot valise… Une notion qui véhicule une contrainte morale à la fois à l’individualisme et l’égoïsme, définit Pierre Ansay (2000 : 223).
La boîte à merveilles nous donne un témoignage fort d’une philanthropie intense par l’entremise de ces mots :
« Nous pouvons peut-être te venir en aide. Cesse de pleurer, tu nous déchires le coeur. Toutes les femmes entourèrent Rahma la malheureuse. Elle réussit enfin à les renseigner : Zineb avait disparu, perdue dans la foule. En vain, sa mère avait essayé de la retrouver dans des petites rues latérales, Zineb s’était volatilisée, le sol l’avait engloutie et il n’en restait pas la moindre trace. La nouvelle de cette disparition se propagea instantanément dans le quartier. Des femmes inconnues traversèrent les terrasses pour venir prendre part à la douleur de Rahma et l’exhorter à la patience. Tout le monde s’est mis à pleurer bruyamment. Chacune des assistantes gémissait, se lamentait, se rappelait les moments particulièrement pénibles de sa vie, s’attendrissait sur son propre sort ». (LBM, p.17).
Cette solidarité se manifeste également après les retrouvailles de Zineb, à travers la contribution des voisines aux préparatifs du déjeuner prévu pour les mendiants, ainsi qu’à travers l’entraide entre différentes classes sociales représentées par cette oeuvre de charité.
« Le jeudi suivant, Rahma, pour remercier Dieu de lui avoir rendu sa fille, organisa un repas pour les pauvres. Toutes les femmes de la maison lui prêtèrent leur concours. Lalla Kanza, la chouafa, aidée de Fatuma la plus dévouée et la plus fidèle de ses disciples, lavèrent le rez-de-chaussée à grande eau, étendirent par terre des nattes et des tapis usés ». (LBM, p.19).
La solidarité, selon l’auteur, consiste à ramener les hommes à vivre à l’unanimité en repensant à la carrure de leur semblable, leur spécificité leur permettant d’apporter leur pierre pour la construction de l’édifice.

« J’avais le coeur gras. Fatma Bziouya et moi nous partîmes à Moulay Idriss. Dans de pareilles circonstances, il faut frapper à la porte de Dieu et des saints. Cette porte cède toujours devant les affligés. Une vieille femme surprit notre douleur, elle nous en demanda notre motif. Nous la mîmes au courant du triste événement. Elle nous prit par la main et nous emmena à Dar Kitoun, la maison des Idrissides, lieu d’asile de toutes les abandonnées. Là, nous trouvâmes Zineb. La moggadama l’avait recueillie et nourrie pour l’amour du créateur. Elle eût un rial de récompense et nous la remerciâmes pour ces bons soins. Rahma retrouva toute sa gaieté lorsque sa fille lui fut rendue. » (LBM, p.18).
Certes, la solidarité demeure au centre des oeuvres majeures inscrites dans la littérature du monde telle que Du Contrat social publié en 1762 de Jean-Jacques Rousseau, qui, après avoir compris que l’homme constituait un loup pour l’homme, jugea bon de faire appel à l’autre par ce fameux contrat en vue de lui ôter cette nature vicieuse.
En outre, dans L’Appel à l’autre (2021 : 16) de Ngoma-Binda, un recueil des nouvelles regroupant plusieurs thèmes fait référence à l’altruisme, par le canal de Philosolidaire.
« Non, je suis religieuse. Le Seigneur m’a dit : je t’envoie servir, car la beauté admirée soulage les coeurs des malades sur terre ; la tendresse efface les douleurs des haines en circulation des veines humaines des hommes solitaires en tristes désespérances ; l’amour invisible médecine tonique d’âmes souffrantes ».

Conclusion

Nous nous sommes focalisée sur la littérature maghrébine francophone qui est un champ de recherche insuffisamment exploré jusqu’à ce jour par nos chercheurs (enseignants et étudiants). Et pourtant, elle est d’une richesse inestimable et pourra enrichir la francophonie et sa littérature par rapport à nos univers culturels purement africains.
Le Maghreb littéraire est très riche et fascinante. Ainsi, nous pensons éveiller la conscience et encourager les chercheurs dans cette voie de la quête de l’autre Afrique aussi éloignée qu’elle nous est très proche.

Par le thème de l’amour dans La boîte à merveilles d’Almed Sefrioui, nous jetons les jalons d’une autre étude abordant les thèmes majeurs, en l’occurrence la superstition et la solitude. Le champ lexical de l’amour a retenu notre attention. L’amour sous ses différentes facettes (amitié, affection, fraternité et solidarité) est une vertu fondamentale et existentielle de la société humaine ancrée dans la culture africaine et qui caractérise la littérature jouissive du Maghreb. Cet amour reflète la société réelle. L’oeuvre littéraire d’Almed Sefrioui s’inscrit dans cette démarche sociologique du Maroc des années 40.

Bibliographie

1. ACHOUR, C. et BEKKAT, A., Clefs pour la lecture des récits, convergences critiques II, Alger, éd. Telle, 2022, Cité par ARZIOUKAT Fella.
2. ANSAY, P., La ville des solidarités, Bruxelles, Charleroi, Evo, 2002.
3. BONN, Ch., Le roman algérien de langue française : Vers un espace de communication littéraire décolonisé, Paris, Le Harmattan, 1996.
4. GANDHI MAHATMA, Tous les hommes sont frères, Paris, Gallimard, 1958.
5. LAROUI, R.K., « Les littératures francophones du Maghreb », in Quebec-français, n°127, 2002.
6. NGOMA-BINDA, L’Appel à l’autre, Kinshasa, Belles Lettres Africaines, 2021.
7. SEFRIOUI, Almet, La boîte à merveilles, Paris, Le Seuil, 1954.

Webographie

- www.lorientationlittéraire.com/article-détails.php?cid=31nid=309 du 03 septembre 2023 à 6h45’.
- https://www.erudit.org.journals du 07 juillet 2023 à 8h30’.
- https://fr.m.wikipedia.orgwiki du 08 juillet 2023 à 12h.
- https://dilap.comculturearabe du 20 octobre 2023 à 6h.

Par Marie-Philomene BABONGISILA KUZINGANA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024