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LA FAIBLESSE DES ACTES PROMISSIFS
DE SEARLE DANS LE DISCOURS POLITIQUE ELECTORAL
THE WEAKNESS OF SEARLE'S PROMISSIVE ACTS IN ELECTORAL POLITICAL DISCOURSE

Blaise BULELE KWAKOMBE*
Université de Kinshasa
b.bulele@yahoo.fr
+243 81 90 42 693

Résumé

Dans cet article, il est question de déceler la faiblesse des actes promissifs tels que conçus dans la pragmatique classique qui ne se déploient que sur le langage comme étant son objet propre. Les sciences du langage considèrent l’acte de langage comme le simple fait d’énoncer des propositions langagières. En politique, nous ne pensons pas qu’on s’arrête là. Nous avons reconnu qu’il existe, certes, des énoncés langagiers politiquement pertinents ; mais ils deviennent « acte politique » au bout de leur concrétisation évaluée par les destinataires sous réserve de leur satisfaction ou pas. C’est-à-dire, dans le domaine politique, avoir parlé (quand dire, c’est faire) ne signifie pas avoir fini d’agir. Pour ce faire, nous proposons un schéma pragmatique du discours politique électoral qui servirait de modèle en vue de rétablir la confiance mutuelle entre les acteurs politiques et leurs électeurs.

Mots-clés : Faiblesse, acte promissif, pragmatique classique, discours politique électoral
Reçu le : 10 septembre 2023
Accepté le : 7 décembre 2023

Abstract

The aim of this article is to identify the weakness of promissive acts as conceived in classical pragmatics, which are deployed only on language as its own object. The sciences of language consider the act of language as the simple act of stating linguistic propositions. In politics, we don't think we stop there. We have recognized that there are indeed politically relevant language statements, but they become a "political act" once they have been put into practice and evaluated by the addressees, subject to their satisfaction or otherwise. In other words, in the political sphere, having spoken (when saying is doing) does not mean having finished acting. To this end, we propose a pragmatic schema of electoral political discourse that would serve as a model for restoring mutual trust between political actors and their constituents.

Keywords: Weakness, promissive act, classical pragmatics, electoral political discourse
Received : September 10, 2023
Accepted : December 7, 2023

Introduction

Nous notons, avec A. Berrendonner (1981 : 9), que la « linguistique actuelle est une science en quête d’un système ». Après avoir vécu pendant longtemps « confortablement installée – du moins au plan théorique – dans le cadre de l’immanentisme saussurien, (sic !) elle a fini par s’aventurer dans l’univers de l’énonciation, avec l’ambition de le modéliser.» (Ibid. : 9).
L’auteur pense qu’en passant de la langue, structure axiomatiquement close et immanente, aux relations que celle-ci entretient avec son "milieu" énonciatif, « la linguistique a dû abandonner les postulats traditionnels qui lui permettaient de se délimiter un objet susceptible d’être étudié en soi et pour soi », (Ibid. : 9). Aujourd’hui, en sciences du langage, les linguistes parlent d’une approche (méthode) originale dite « approche ou méthode pragmatique ».
Pour C. Kerbrat-Orecchioni (2001 : 1) la pragmatique est « l’étude du langage en acte ». L’auteur entend par là « le langage envisagé comme un moyen d’agir sur le contexte interlocutif, et permettant l’accomplissement d’un certain nombre d’actes spécifiques... ». Dans ce contexte, il est difficile, nous semble-t-il, d’opposer, tel qu’on le fait souvent, la parole et l’action, il convient de considérer que « la parole elle-même est une forme d’action », (Ibid. : 1).
Par rapport à tout ce qui précède, il y a lieu d’affirmer avec cette auteure que « les paroles sont aussi des actions ». En d’autres termes :
« Dire, c’est sans doute transmettre à autrui certaines informations sur l’objet dont on parle, mais c’est aussi faire, c’est-à-dire tenter d’agir sur son interlocuteur, voire sur le monde environnant », (Ibid. : 1).

Pour démontrer ces faiblesses de la « pragmatique classique », nous partons de cette affirmation de C. Viktorovitch (2021 : 12) selon laquelle dans le système démocratique « … les citoyens demeurent titulaires d’un véritable pouvoir politique : celui de désigner les dirigeants. Même la plus pessimiste des analyses ne peut nier l’existence de ce fragment de liberté authentique : à l’instant précis de l’élection, les électeurs disposent de la capacité de faire un choix entre plusieurs candidats ». Mais pour que ces derniers soient en mesure de prendre une décision éclairée, il va bien leur falloir s’appuyer sur les discours qui leur sont proposés par les différents candidats.
En effet, une précision mérite d’être donnée sur le syntagme « pragmatique classique » pour une meilleure compréhension. Les actes promissifs de la pragmatique classique, dans le contexte de cette étude, renvoient à la conception austinienne (Austin, 1962) et surtout searlienne (Searl, 1972) dans Quand dire, c’est faire et Les actes de langage.
Nous sommes d’avis, comme tant d’autres spécialistes de la pragmatique, que le phénomène interactif est indissociable de la vie sociale. Il se réalise par le langage et/ou la langue. C’est dans ce contexte, en effet, que l’on peut considérer l'usage de la langue ou du langage comme faisant partie intégrante de l'interaction humaine.
Cet article sera structuré en trois points essentiels. Le premier point présentera un bref aperçu historique de la pragmatique. Dans le deuxième point, nous essayerons d’indiquer la faiblesse des actes promissifs de la pragmatique classique et leur réadaptation dans le discours politique électoral. Enfin, nous proposerons un schéma pragmatique adapté au discours politique électoral.

1. Bref aperçu historique de la pragmatique

Nous inspirant de l’oeuvre de J.M. Gouvard (1998 : 4), nous pouvons rappeler ici que le terme « pragmatique » a pour racine le mot grec « pragma », qui signifie "action". C’est de là que l’auteur fait dériver « pragmatikos », qui renvoie à tout ce qui est « relatif à l’action ».
Pour ce qui concerne son usage en français, J.M. Gouvard (1998: 4) note :
« Ce terme fut tout d’abord employé dans le domaine juridique, et c’est dès le Moyen Age, dans l’expression "pragmatique sanction" (pragmatica sanctio en latin médiéval), qui désignait un édit visant à régler une affaire importante, en proposant des solutions concrètes et définitives ».
Et, dans le domaine scientifique, ce terme a été utilisé à partir du XVIIème siècle pour désigner « toute recherche ou découverte susceptible d’avoir des applications pratiques » (J.M. Gouvard, 1998 : 4).
J.M. Gouvard nous fait constater que ce terme est passé dans le langage courant, et il s’emploie dans des expressions telles que « c’est un esprit pragmatique » ou « c’est un pragmatique », pour désigner quelqu’un qui est enclin à trouver des solutions concrètes et réalistes. En philosophie, d’après lui, on a appelé pragmatique :
« Toute démarche qui pose que la représentation – ou "l’idée"- que nous avons d’un phénomène n’est constituée que de l’ensemble des aspects pratiques de ce phénomène : ses conséquences sur le monde réel et/ou les actions qu’il est possible de lui appliquer » (J.M. Gouvard, 1998 : 4).

Ceci a conduit, dans les années 1930, C. W. Morris à établir un lien entre cette conception philosophique que l’on qualifie de « pragmatisme » et l’analyse des signes, en particulier, des signes linguistiques.
En 1969, M. Foucault, dans son Archéologie du savoir, ouvre de nouvelles perspectives à l’analyse de discours, en s’interrogeant sur les rapports existant entre les pratiques discursives et les pratiques sociales. Et, à son tour, F. Armengaud (1990 : 18), s’interrogeant sur l’objet de la pragmatique, pense qu’il s’agit « de traiter des rapports les plus généraux entre l’énoncé et l’énonciation, entre les phrases et leurs contextes ».
Situé au confluent de plusieurs disciplines, le vocabulaire de la pragmatique provient de plusieurs sources. En effet, la pragmatique est loin de se constituer en une discipline autonome et unifiée, aucun consensus omnium n’ayant conduit les chercheurs à délimiter ses frontières, ni à présenter ses hypothèses. La pragmatique constitue un riche carrefour interdisciplinaire pour les linguistes, les logiciens, les sémioticiens, les philosophes, les anthropologues, les psychologues, les sociologues, etc. En effet, certains entendent par pragmatique, la tâche d’intégration du comportement langagier dans une théorie de l’action. D’autres l’appréhendent dans un rapport avec la communication, voire avec toute espèce d’interaction entre les organismes vivants. Pour d’autres, enfin, elle est la science de l’usage linguistique en contexte ou, plus exactement, l’usage des signes en contexte (F. Armengaud, 1985 : 5).
Il y a lieu de préciser avec A. Reboul et J. Moeschler (1992 : 40) que la pragmatique dite intégrée, telle que l’a décrite Oswald Ducrot (1972), part de l’idée selon laquelle « les significations linguistiques sont affectées par les conditions d’usage elles-mêmes codifiées et inscrites dans la langue ». Cela pourrait se vérifier dans les expressions adverbiales comme "franchement", "entre nous", etc. En effet, la signification de ces expressions tient à l’acte de langage qu’elles décrivent et modifient, et non au contenu des phrases dans lesquelles elles apparaissent.

Généralement, on regroupe sous le terme "pragmatique" un ensemble imposant de théories et d’approches qui ont pour point commun l’étude de l’usage du langage, par opposition à l’étude du système linguistique. Contrairement à la linguistique qui envisage l’étude du système, en lui-même, la pragmatique se propose, quant à elle, d’étudier, dans les énoncés, tout ce qui implique la situation de communication.
Cependant, du point de vue de la communication, la pragmatique s’intéresse à l’étude des signes dans leurs rapports avec leurs utilisateurs. A partir de cette définition, nous pouvons constater que la pragmatique se positionne, dans la trilogie de C.W. Morris, comme l’un des trois modes d’appréhension du langage à côté de la syntaxe qui concerne les relations entre les signes et de la sémantique qui traite du rapport des signes avec le monde.
Envisageant le langage comme phénomène à la fois discursif, communicatif et social, la pragmatique suppose la prise en compte de ce qu’on fait avec les signes, au-delà du fait de communiquer (cf. Dictionnaire Encarta 2009). C’est-à-dire qu’au-delà des éléments intralinguistiques, la pragmatique prend aussi en compte des facteurs extralinguistiques.

2. Les faiblesses des actes promissifs de Searle et leur réadaptation au discours électoral

Partant de la genèse de cette nouvelle discipline, et au regard des démonstrations théoriques faites par J. L. Austin (1962) et J. R. Searle (1969), sur les actes de langage, il se révèle, finalement, que la pragmatique classique se déploie sur le langage comme étant son objet propre. Elle étudie les mécanismes du langage qui traduisent une certaine activité. On pourrait même dire que les actes de langage ne sont finalement que le langage lui-même en acte.
Maintenant que la pragmatique s’est appliquée à d’autres disciplines et à d’autres contextes de vie, ne doit-on pas constater l’inadaptation des actes de langage à ces champs nouveaux et envisager la possibilité d’autres outils pragmatiques beaucoup plus adaptés à ces derniers? Bien plus, chaque discipline particulière n’impose-t-elle pas à la pragmatique sa propre requalification, notamment en ce qui concerne les instruments d’analyse ? Si ce questionnement est légitime, le domaine politique n’a-t-il pas raison d’exalter son côté très pratique et revendiquer une redéfinition de la notion d’acte de langage ?

En effet, les sciences du langage considèrent l’acte comme le simple fait d’énoncer des propositions langagières. Nous ne pensons pas que la politique s’en arrête là. Certes, il existe des énoncés langagiers politiquement pertinents ; mais ils deviennent « acte politique » au bout de leur concrétisation évaluée par les destinataires sous réserve de leur satisfaction ou pas. C’est ainsi que l’évaluation de l’acte politique se fait au moyen d’un autre acte politique, celui du vote pour déterminer si oui ou non dans les intervalles donnés, les discoureurs ont agi ou pas. Dans le contexte électoral, l’acte politique est fondé sur la légitimité populaire de l’énonciateur. L’acte politique se trouve aux deux pôles, c’est-à-dire celui de l’énonciateur et celui de sa légitimation auprès des destinataires de son énoncé.

Pendant que les théoriciens du langage affirment que « dire, c’est faire », nous constatons, en revanche, qu’en politique, cette affirmation est loin d’être adaptée à la lettre. Puisque dans le domaine politique, avoir parlé ne signifie pas avoir fini d’agir. Mais ce n’est qu’une étape dans le processus de l’agir. Les attentes matérielles des destinataires constituent en politique l’étape finale d’agir. Car c’est au bout du processus d’évaluation que l’acte énonciatif du départ peut être déclaré « réussi » ou « non réussi ».
Le déroulement de l’acte politique est pourtant soumis à un certain nombre de conditions, la participation citoyenne, l’absence des situations exceptionnelles perturbatrices de l’acte politique et la stabilité du système coopératif du développement.
Ainsi, nous estimons théoriquement que le schéma pragmatique du discours politique électoral ci-dessous peut donc servir de modèle en vue de rétablir la confiance mutuelle entre les acteurs politiques et leurs électeurs.

3. Proposition du schéma pragmatique du discours politique électoral

Le schéma pragmatique proposé ci-dessus mérite une brève explication. Il est question de la pragmatique, appliquée au domaine politique. C’est de ce grand ensemble théorique, représenté par la case suprême que découle notre champ d’application, à savoir le discours politique électoral. Les deux cases intermédiaires correspondent, à gauche, à l’acte énonciatif du candidat et son élection et, à droite, à l’accomplissement de l’acte énonciatif de l’élu. La quatrième case dite évaluative, postule l’évaluation sous-forme d’un contrôle de conformité entre l’acte énonciatif du candidat et l’action y correspondante de l’élu.
Plus généralement, les énoncés électoraux sont promissifs (1), formulés en termes de baumes thérapeutiques aux maladies sociales (2), de réponses aux questions posées (3), de solutions aux problèmes du peuple (4). Il s’en suit que l’évaluation est une sorte de vérification des promesses accomplies (1), des maladies réellement guéries (2), des réponses effectivement apportées (3) et des problèmes dont on peut dire qu’ils sont vraiment résolus (4).

Le destinataire (l’électeur) se présente ici comme le juge de l’élu, de son action et des effets de cette action. Etant au coeur de la pragmatique politique électorale, l’évaluateur (l’électeur) devra, après jugement, manifester sa satisfaction ou son insatisfaction (non satisfaction). Il est donc souverain dans le contexte démocratique où se déroule l’élection.
Les deux pieds du schéma indiquent ce qu’a été la décision du juge : « Tu as réussi parce que tu as traduit en actions sociales tes énoncés promissifs » ; « Tu as échoué parce que tu ne t’es limité qu’aux promesses ».

Conclusion

L’objectif de cet article était celui de déceler la faiblesse des actes promissifs de la pragmatique classique qui ne se déploie que sur le langage comme étant son objet propre ; c’est-à-dire, qui étudie les mécanismes du langage qui traduisent une certaine activité. Nous avons fait observer, dans cette acception, que les actes de langage ne sont finalement que le langage lui-même en acte. En effet, les sciences du langage considèrent l’acte comme le simple fait d’énoncer des propositions langagières.
Par contre, en politique, nous ne pensons pas qu’on s’en arrête là. Nous avons reconnu qu’il existe, certes, des énoncés langagiers politiquement pertinents ; mais ils deviennent « acte politique » au bout de leur concrétisation évaluée par les destinataires sous réserve de leur satisfaction ou pas.
Pendant que les théoriciens du langage affirment que « dire, c’est faire », nous constatons, en revanche, qu’en politique, cette affirmation est loin d’être adaptée à la lettre. Puisque dans le domaine politique, avoir parlé ne signifie pas avoir fini d’agir. Mais ce n’est qu’une étape dans le processus d’agir. Les attentes matérielles des destinataires constituent en politique l’étape finale d’agir. Car c’est au bout du processus d’évaluation que l’acte énonciatif du départ peut être déclaré « réussi » ou « non réussi ».
Finalement, pour élucider les faiblesses de la théorie de J. L. Austin dans le discours politique électoral, nous avons proposé un schéma pragmatique qui servirait de modèle en vue de rétablir la confiance mutuelle entre les acteurs politiques et leurs électeurs.

Bibliographie

- ARMENGAUD, F., (1985), La pragmatique, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? ».
- ARMENGAUD, F., (1990), La pragmatique, Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? ».
- BERRENDONNER, A., (1981), Éléments de pragmatique linguistique, Paris, Éditions de Minuit.
- DUCROT, O., (1972), Dire et ne pas dire. Principes de sémantique linguistique, Paris, Hermann.
- FOUCAULT, M., (1969), Archéologie du savoir, Paris, Gallimard.
- GOUVARD, J.M., (1998), La pragmatique, Outils pour l’analyse littéraire, Paris, Armand Clin.
- KERBRAT ORECCHIONI, C., (2001), Les actes de langage dans le discours, Paris, Nathan.
- REBOUL, A. et MOESCHLER, J., (1992), La pragmatique aujourd’hui. Une nouvelle science de la communication, Paris, Editions du Seuil.
- VIKTOROVITCH, C., (2021), Le pouvoir rhétorique. Apprendre à convaincre et à décrypter les discours, Paris, Editions du Seuil.

Notes

(1) Cette réflexion sur "Les bases théoriques en analyse de discours" est disponible sur http://www.chaire.mcd.ca/. Consulté le 17 novembre 2013.
(2) Cette définition du terme Pragmatique est tirée du Dictionnaire Microsoft® Encarta® 2009.

Par Bulele Kwakombe Blaise, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024