LE MATRIARCAT AFRICAIN VU DANS L’USAGE DES COUVERCLES À PROVERBES PAR
LES FEMMES WOYO
(AFRICAN MATRIARCHY AS SEEN IN THE USE OF PROVERB LIDS BY WOYO WOMEN
WOYO WOMEN)
TSHIBANGU TSHIAPOTA
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Résumé
Au sujet de la femme africaine, il se dit, et ceci continue de s’enraciner dans le narratif et l’imaginaire collectif, que celle-ci n’avait ni le droit à la parole ni le droit de s’exprimer sans entraves quand il lui semblait opportun. Il se raconte que la société africaine a organisé le musèlement de la femme. Malgré les preuves fournies par nos prédécesseurs dans les études africaines dont Cheikh Anta Diop, pour affirmer le droit de la femme à avoir autorité sur elle-même et de s’exprimer pour défendre ses droits, la légende prend le dessus sur la vérité historique et sur les faits qui prouvent le contraire. L'usage du couvercle à proverbes chez le peuple Woyo est un exemple pa-tent qui illustre la possibilité de la prise de la parole dont bénéficiait la femme africaine.
Mots-clés : matriarcat femme africaine couvercle à proverbes Woyo.
Reçu le : 5 janvier 2024
Accepté le : 8 octobre 2024
Abstract
On the subject of the African woman, it is said, and this continues to take root in the narrative and the collective imagination, that she did not have the right to speak or express herself without hindrance when she seemed appro-priate. It is said that African society has organized the muzzling of women.
Despite the evidence provided by our predecessors in African studies includ-ing Cheikh Anta Diop, to affirm the right of women to life and to express themselves to defend their rights, legend takes precedence over historical truth and the facts which prove the opposite. The use of the proverbs cover among the Woyo people is a clear example which illustrates the possibility of speaking out from which African women benefited.
Keywords: matriarchy African woman proverbs cover Woyo.
Received: January 5, 2024
Accepted: October 8, 2024
Introduction
Ce travail se base sur les preuves matérielles qui témoignent, im-plicitement ou explicitement, du droit de la femme à prendre la parole et à s’exprimer selon les valeurs égalitaires et équilibrées des sociétés africaines. Plus particulièrement, ce travail se consacre à l'analyse du couvercle à proverbes. Les dépositions de l’artiste sur ce qu’avait la femme comme pouvoir de s’exprimer sans interférence d’un quel-conque interdit de la société seront l’un des points de départ de la pré-sente réflexion.
En effet, la particularité de ce travail consiste en la problématisa-tion du droit à la parole par la femme. Savoir si elle en avait ou pas, est la préoccupation seconde. La problématisation consiste à répondre aux questions suivantes : Quand est-ce que cette question a commencé à poser problème et comment la société a-t-elle réagi face à cette réali-té ? Comment s’est-elle arrangée pour le résoudre ?
Après la récolte de la masse complexe des choses qui ont été dites à propos de notre culture, notamment la marginalisation de la femme africaine, il faudrait les décrire dans leurs configurations propres pour prouver le contraire. Il faudra par la suite, à partir des sources irréfu-tables, prouver la prépondérance de la femme africaine et voir com-ment cette prépondérance a pu exister, et comment elle a pu se trans-former à travers le temps.
J’ai eu l’initiative d’écrire cet article après mes rencontres avec les femmes notamment lors des émissions télévisées et des échanges avec des femmes des mouvements associatifs. Toutes les questions qui m’ont été posées peuvent être résumées en une seule ou deux : Pour-quoi la femme africaine était marginalisée et n’avait pas le droit de s’exprimer librement ? Ces questions des journalistes et des femmes révèlent la méconnaissance criante de l’histoire de l’Afrique.
Mes analyses partent du contexte général de la condition de la femme en Afrique à travers l’histoire puis je m’appuierai sur les ana-lyses du couvercle à proverbes des Woyo et de son usage. Cette dé-marche tire ses racines dans les travaux de Cheikh Anta Diop qui a prouvé le matriarcat et la prépondérance de la femme africaine en Ethiopie et dans toute l’Afrique noire en passant par l’Egypte pharao-nique où durant toute l’histoire égyptienne pharaonique, la femme jouissait d’une liberté totale qui est à l’opposé de la condition de la femme séquestrée de l’indo-européenne des temps classiques, qu’elle soit grecque ou romaine. On ne connait pas un témoignage de la litté-rature ou des documents historiques -égyptiens ou autres- relatant un mauvais traitement systématique des femmes égyptiennes par les hommes.
Elles étaient honorées et circulaient librement sans voile contraire-ment à certaines asiatiques. L’affection pour la mère et, surtout, le respect dont il fallait l’entourer étaient le plus sacré des devoirs (Diop, 1959 : 59).
Ce sujet s’inscrit dans l’histoire sociale comme le précise Pamphile Mabiala car il traite l’évolution des rôles et de la position sociale des femmes d’abord comme épouses avec l’usage du couvercle à pro-verbes. Puis il contribue également à la destruction des images et per-ceptions sociales misogynes qui découlent de la méconnaissance de l’histoire de l’Afrique (Mabiala 2019 : 750).
Ce travail est un instrument de travail et de lutte mis à la disposi-tion des défenseurs des droits de la femme pour mener une lutte dé-passionnée, et efficace pour réveiller le bâtisseur des nations qui sommeille dans chaque femme. Les regards doivent cesser d'être tour-nés vers l’Occident pour désespérément tenter de trouver des repères pour orienter la lutte pour la restauration de la place de la femme.
Nous préférons le concept "restauration" à celui d'"émancipation" parce que la femme africaine doit retrouver sa dignité d'antan et non parler d'une émancipation comme si on devait considérer que la situa-tion marginale actuelle de celle-ci est inhérente à sa nature. Les condi-tions des femmes en Afrique sont aux antipodes de celles des femmes en Europe par exemple car, l'histoire renseigne que la position margi-nale de l'Européenne lui était infligée depuis l'aube de l’histoire de l’Europe.
Le concept d’émancipation est peut-être celui qui a fait le plus de bruit parce que clamé avec agressivité par les femmes intellectuelles et, en même temps, contesté avec force et vivacité tant par les hommes que par certaines femmes d’attitude modérée, effrayés tous par cette étrange révolution féminine bien voisine d’un désir iconoclaste ou d’une révolte sentimentalement primaire et anarchiste. L’émancipation est en effet entendue comme une volonté, dangereuse et inacceptable, d’indépendance, de brisure des rapports sociaux liant l’homme et la femme (Ngoma-Binda, 2011 : 216).
En plus de l’introduction et de la conclusion, ce travail comporte trois points dont le premier est intitulé « Les Africaines : piliers de la société ». Dans ce point je veux démontrer le rôle important qu’a tou-jours joué la femme dans la société africaine. Au deuxième point inti-tulé « À quand remonterait la lutte pour l'émancipation de la femme en Afrique ? », je tente de déceler les problèmes et les changements sail-lants dans l’histoire de la femme en Afrique dont la première prise de pouvoir par une femme régnante et la tentative de renverser l’autorité des hommes par la légende des Amazonnes. Intitulé « Les objets d'art comme source de l'histoire », le troisième point réaffirme la place des objets d’arts, à l’instar des couvercles à proverbes, comme source à part entière, au même rang que les sources écrites. Au point quatre intitulé « Perception de la femme dans nos cultures », on présente la perception non-sexiste de la femme dans la société africaine. Au der-nier point, le cinquième et dernier, intitulé « Couvercle à proverbes : preuve du musellement ? », nous analysons l’usage des couvercles à proverbes et les pictogrammes qui s’y trouvent.
Nous avons fait appel à la méthode analytique. Nous avons fait une analyse du matriarcat et du droit à la parole, et une analyse de l'objet (couvercle à proverbes). Les Woyo avaient des concepts à exprimer, des conseils à donner. Ces concepts et ces conseils étaient contenus dans des formules parémiaques. Le proverbe est pour ce peuple, le support privilégié et habituel de la pensée (Sumbo, 1988 :20).
1. Les Africaines : piliers de la société
La position inférieure de la femme dans la société africaine tradi-tionnelle est un mythe qui a la vie dure. La polygamie, le système do-tal, la clitoridectomie, sont autant de faits qui ont été avancés pour soutenir cette thèse. Il va sans dire que l’interprétation de ces divers phénomènes doit être liée à un ensemble culturel et qu’en eux-mêmes ils ne prouvent rien. Les Anciens qui ont visité l'Afrique des grands empires et royaumes (Ghana, Mali), dont les voyageurs arabes Ibn Khaldoum et Ibn Batouta, ont été presque tous unanimes à affirmer que l'Afrique était caractérisée par le matriarcat et par une certaine prépondérance de la femme. Contre toute attente, il y a même des civi-lisations que l'on pourrait qualifier de foncièrement patriarcale mais qui sont cependant matrilinéaires, selon les récits ou l'histoire orale de ces peuples. Tel est le cas du peuple Luba.
Le Luba croit en Dieu, mais entre le Luba et Dieu, les ancêtres morts jouent un rôle très important comme les saints dans l’église ca-tholique. L’arbre de la grand-mère paternelle, nkambwa, est l’objet d’une forte crainte. Cet arbre est planté par le mari, mais c’est la femme qui joue le rôle de prêtre. Le luba est de ce fait en avance par rapport aux traditions judéo-chrétienne qui peinent à admettre et voir une femme occuper les fonctions de prêtresse (Ngoma, 1975 : 78).
On constate que la tendance actuelle de l’évolution interne de la famille africaine s’oriente vers un patriarcat plus ou moins atténué par les origines matriarcales de la société. On ne saurait exagérer le rôle joué dans cette transformation des facteurs extérieurs tels que les reli-gions notamment l’Islam et le christianisme ainsi que la présence tem-porelle de l’Europe en Afrique. Les Africains islamisés ou christiani-sés sont automatiquement régis, du moins en ce qui concerne l’héritage des biens, par le régime patriarcal. Les liens ancestraux se distendant par la force des exigences de la vie moderne qui disloque les structures anciennes, l’Africain se sent de plus en plus, aussi proche de son fils que de son neveu utérin (Diop, 1959 : 118-119).
Pour Aimée Gnali Mambou, les nombreux écrits jusqu'ici parus ainsi que les propos tenus sur la femme africaine, se sont surtout atta-chés à des aspects particuliers de la question, tels que la dot, la poly-gamie, etc., passant ainsi sous silence l'essentiel qui, semble-t-il, de-vrait consister d'abord à définir la place exacte de la femme dans la société. Certains ont tenté de saisir la situation de l'Afrique en la re-plaçant dans le cadre économique, sont arrivés à la conclusion que l'émancipation de la femme africaine passait par son indépendance économique. Le problème est beaucoup plus complexe.
On constate aujourd'hui que le rôle de pilier de la société exercé par la femme est de plus en plus remarquable dans la majeure partie du continent, notamment dans l'arrière-pays, loin de la pression moder-niste des grandes métropoles de l'Afrique Noire. En effet, si l'on con-sidère la situation de la congolaise qui habite les milieux ruraux, par exemple, on s'aperçoit très vite de l'indépendance économique de celle-ci vis-à-vis de son époux comme dans la société ancienne. C'est à elle qu'incombe la tâche de nourrir le foyer, de soigner les enfants, de les vêtir, etc. Pour remplir cette tâche, elle doit cultiver tous les jours dans les conditions que l'on sait, vaquer le soir aux travaux do-mestiques, et repartir à l'aube suivante pour le champ (Mambou, 1968 : 25).
Chez les Yombe, la division sexuelle du travail est ordonnée de telle façon que les hommes font des travaux les plus risquant pour la vie quotidienne. Cependant les femmes travaillent pendant une plus longue durée que les hommes. En effet, elles doivent aller puiser l’eau potable, très tôt le matin à la source et le soir, après avoir travaillé toute la journée au foret préparer encore la nourriture à toute la famille pendant que l’homme passe sa soirée à converser avec ses amis (Ma-biala, 2023 : 28).
2. À quand remonterait la lutte pour l'émancipation de la femme en Afrique ?
Le problème de l’émancipation de la femme n’est pas récent. C'est l'une des plus vieilles querelles de l’humanité. Cependant, remontons le plus loin possible pour retracer dans la continuité les différents moments de cette querelle en Afrique. Nous allons creuser dans quelques secteurs de la vie des peuples, et particulièrement au foyer.
Les Africains n'ont pas attendu que le vent de l’émancipation de la femme leur vienne de l’Europe. Quand est-ce que la possibilité de la prise de parole est-elle devenue un problème dans notre société, et comment cette question arrivait à trouver remède ? Il faudrait opter pour le concept de « restauration » en lieu et place du concept « éman-cipation ». C’est l'occasion d'adopter et de mettre en avant le concept "restauration" car, à la lumière des faits, la société africaine nécessite une récupération de ses valeurs entre autres celle du respect profond de la femme.
D’abord, le matriarcat en Afrique n’est pas le triomphe absolu et cynique de la femme sur l’homme ; c’est un dualisme harmonieux, une association accepté par les deux sexes pour mieux bâtir une socié-té sédentaire où chacun s’épanoui pleinement en se livrant à l’activité qui est la plus conforme à sa nature physiologique.
La légende des Amazones africaines serait l’une des preuves de l’existence, semble-t-il, l’un des points de départ de la recherche, du droit d’expression des femmes qui décident de « renverser » l’ordre social en laissant leurs maris s’occuper des tâches ménagères. Les Amazones dites d’Afrique habitaient jadis la Libye. Elles ont disparu plusieurs générations avant la Guerre de Troie. Il eut, en Libye, plu-sieurs races de femmes guerrières dont les Gorgones contre lesquelles Persée a combattu. Celles-ci restent vierges pendant le service mili-taire, puis approchent les hommes et remplissent les fonctions pu-bliques. Les hommes sont tenus à l’écart de ces fonctions et de l’armée. Leur éducation était conçue de façon à ne leur inculquer que des sentiments bas, à l'exclusion de toute notion qui puisse relever le courage ou l'honneur. Après l’accouchement des femmes, ils servent de nourrices. Ils sont estropiés à la naissance pour être inaptes à porter les armes. Les femmes subissent une ablation du sein droit pour mieux tirer à l’arc. L’Amazonisme, loin d’être une variante de matriarcat, apparait comme la conséquence logique des excès d’un régime pa-triarcal outrancier (Diop, 1959 : 114).
L'histoire orale chez le peuple Yaka du Congo renseigne que dès les origines de la formation de l'État, ce sont les femmes qui y trô-naient. En effet c'est à cause de leurs indispositions fréquentes d'ordre physiologique et de lourdes charges sociales qui pesaient sur elles, qu'elles avaient laissé aux hommes la gestion quotidienne des affaires de l’Etat. Ce n’est que plus tard que les femmes ont commencé à re-chercher la récupération de l’imperium qu'elles avaient délibérément cédé. Et c’est bien entendu ici, je l’estime, l’un des points saillants de la lutte pour un large espace d’exercice de leurs ambitions comme femmes pocesseuses du pouvoir politique.
La date la plus lointaine à l’état actuel de nos connaissances, où l'on note la prise du pouvoir politique par une femme régnante, re-monte dans l’histoire de l’Afrique, en Egypte où la reine Ankhésenpé-py II épouse de Pépy Ier, puis régente en sa qualité de mère du jeune Pépy II, cinquième pharaon de la VIè dynastie (c. 2270-2200 av. n.è.) (Mathieu, 2024 : 1).
Il sied de dire que, quand nous soulignons « la récupération de l’impérium » par la femme, c’est parce qu’il est connu de tous ceux qui savent s’instruire aux bonnes sources de l’humanité que c’est la femme qui est la vraie propriétaire du pouvoir en Afrique car, c’est elle qui le détient et le distribue par ce qu’il convient d’appeler « dis-tribution matrilinéaire du pouvoir ». Ce fait découle d’une idée plus générale selon laquelle l’hérédité est efficace quand elle est d’origine maternelle.
3. Les objets d'art comme source de l'histoire
Dans Living with Africa, Yan Vansina démontre que l’Afrique a une histoire, même si elle n’a pas de documents réputés écrits selon la vision européenne de l’écriture, et que cette histoire peut être étudiée à partir des informations orales, la tradition suppléant l’absence d’archives. La question la plus pressante pour l’histoire africaine dans ses premières années d’existence était celle des sources. Si l’histoire africaine devait être l’histoire de Africains, les sources écrites ne suffi-raient pas (Vansina, 1994 : 53).
Il existait ou il existe une écriture avant l’arrivée des Européens chez les Kongo ? Oui. Nous en avons pour preuve l’écriture woyo que l’on peut retrouver sur les couvercles à proverbes. Ces derniers per-mettent donc d’étudier l’histoire des couples.
Parler du témoignage implicite de l’artiste- producteur des objets supports de la culture nationale d’un peuple- n’affirme-t-elle pas la non-existence du problème de la prise de parole par la femme ou de la possibilité de la femme de prendre la parole en public ou devant son frère ou son mari ou encore tout homme ? L’artiste était-il au courant de ce débat ?
Quelques sculpteurs s'étaient fait une réputation flatteuse et on ve-nait parfois de loin leur passer commande. Ceux du village de Ma-taampa ma Ngoyo étaient renommés. Le thème était évidemment in-diqué par le client, en raison de la situation qu'il désirait illustrer. Sou-vent la figure centrale suffisait à le satisfaire car, c’est elle qui compte avant tout et c'est en fonction d'elle qu'on ajoutait d'autres figures. Le sculpteur pouvait proposer lui-même les sujets secondaires pour faire un couvercle plus beau, si toutefois le client était disposé à consentir un prix plus élevé (Cornet, 1980 : 33).
Ce qu’il faut noter c’est qu’en parlant de l’artiste, il faudrait inclure également la femme car il y a dans la répartition des productions artis-tiques une catégorie de techniques de production d'objets réservée exclusivement à l’homme et une autre catégorie réservée à la femme notamment la poterie, le tissage, la vannerie, etc. Ceci indique à suffi-sance l’apport de la femme comme artiste et témoin. Cette évidence nous confirme son rôle d’acteur et non de simple aide- qui forme avec l’homme par la symbiose de leurs efforts la totalité et la com-plémentarité.
La femme n’est pas restée sous le joug de l’homme. Le couvercle à proverbes est demeuré un langage visuel et un dispositif puissant pour dénoncer et faire savoir les sentiments de la femme. Ainsi donc la femme pouvait dire ce qu’elle ressentait, ce qu’elle estimait être juste, et dénoncer toutes sortes d’injustices faites à son égard. Ce couvercle qu’utilisait la femme chez les Woyo peut être considéré comme un instrument d’éducation car, en l’utilisant, la femme voulait orienter le comportement de son mari à faire du bien et à éviter le mal, en élevant sa conscience. Utiliser les couvercles à proverbes signifie que la femme possédait les moyens pour s’exprimer et de prise de position devant la société.
Que devons-nous comprendre par le droit à la parole, comment est-ce qu’il faut comprendre la question dans son contexte naturel qu’est l’Afrique ? Qu’est-ce qu’on entend par droit à la parole ou le droit de s’exprimer ? y avait-il des dispositifs qui l’empêchaient de s’exprimer librement : des dispositifs tels que la dot que l’homme verse dans sa famille pour la prendre en mariage ? Le joug de la dot est-ce une réali-té ou un mythe ?
Les couvercles à proverbes ont pour but de transmettre des mes-sages par le truchement des proverbes. Les enquêtes montrent qu'il existe deux applications privilégiées : l'une à l'usage interne des fa-milles, l'autre au service des chefs. Cela n'exclut pas d'autres emplois, mais ils sont plus rares et généralement moins souvent garantis par des témoignages concordants. En ce qui concerne la famille, le couvercle exprime soit des recommandations, soit des reproches. À cet effet, tout en participant au devoir de mémoire, le couvercle à proverbes joue le rôle de témoin clé de l’histoire du genre et de la femme, il aide à comprendre l’indicible après avoir compris son sens.
4. Perception de la femme dans nos cultures
Au regard de la place que réserve l’artiste à la femme dans sa pro-duction, à ma première observation des objets d’arts à l’IMNC je l’avais attribué à un simple souci d’embellissement de l’artiste comme le ferait tout profane et ceux qui ne maitrisent pas la culture africaine. L’artiste voulait-il attirer la curiosité et plaire aux consommateurs de son art ? Je ne le pense pas, surtout si l'on considère le caractère utili-taire de l’art chez les Africains. Sans forcément avoir comme intention première de rechercher le beau, toute production devait servir à un but. L’omniprésence de la femme dans l’art est une preuve de la considéra-tion dont bénéficiait celle-ci de la société et c'est une façon de lui don-ner la parole.
Chez les Kongo, la femme occupe une bonne place dans les évé-nements importants tels que dans les récits de la création, dans la créa-tion des dynasties, les migrations, l’occupation et la gestion du terri-toire. La prédominance du visage féminin qui se remarque sur la ma-jorité des objets est due aux considérations que la société lui confère. Sculptée comme statue, masque, sceptre, trompette en ivoire, poteau gardien et sur les couvercles à proverbes, les poires à poudre, ainsi que sur les planches initiatiques, la femme trouve sa raison d’être dans les tréfonds du rôle prépondérant qu’elle joue ou de la place qu’elle oc-cupe dans la communauté (Tshibangu, 2016 : 28).
Il est remarquable de constater, lorsqu’on interroge l’histoire afri-caine dans son ensemble, une émancipation de la femme avec comme conséquence qu’on ne pourra pas d’une manière très certaine dire quand est-ce que la société pris conscience de libérer l’espace en faveur de la femme. Cette évidence renvoi à considérer l’hypothèse d’une culture africaine fondamentalement féministe dès la création comme l'expliquent les récits de création du monde un peu partout en Afrique.
Faisons remarquer la prise de parole par la femme dans les lieux de culte en Afrique. La femme n’est pas condamnée au silence dans les lieux de prière et de culte, au contraire c’est elle qui y joue le rôle clé en se positionnant comme intermédiaire entre les vivants et l’au-delà. Dans le système religieux elle incarne le monde naturel et surnaturel, le monde des ancêtres et des esprits de la nature.
Dans l’univers Kongo, la femme symbolise, métaphysiquement, les secrets de la nature, les lois de l’univers et les forces mystérieuses cachées. Elle peut devenir devineresse, herboriste, exorciseuse, guéris-seuse et prêtresse, car, elle possède un mystérieux pouvoir agissant qui neutralise les forces occultes. Elle incarne la puissance et l’incontournable pouvoir qui libèrent, capitalisent et contrôlent les forces cachées de l’univers. Elle canalise cette puissance sacrée et surnaturelle, dont les notions de la politique, de la religion et de la magie s’interpénètrent. Elle reflète cette conception religieuse qui ré-vèle que le monde a commencé avec la femme et il finira avec la femme (Tshibangu, 2016 : 46).
Dans plusieurs récits de la création en Afrique, la femme est au centre, et on ne cherche pas à la reléguer au second plan à l’instar des traditions judéo-chrétienne et arabe qui la présentent sous un faux jour, comme une créature supplémentaire avec pour simple rôle d’aide à côté de l’homme. Il suffit de lire dans toute la littérature de ces peuples, depuis le livre de la Genèse (de la Bible) pour s’en rendre compte.
La transformation ultérieure de la situation de la femme dans la so-ciété africaine a fait penser à plusieurs observateurs que la femme a toujours été marginalisée en Afrique. Cela n’est pas vrai. Présenter une portion tardive de l’histoire de la femme comme une généralité n’est qu’une entorse à la vérité historique, comme on peut lire dans les lignes suivantes : « La marginalisation de la femme est due au type de regard de l’homme sur la femme. D’une nature particulière (tout comme l’est l’homme), la femme a généralement été et est encore couverte de toutes sortes de qualificatifs discriminatoires de graves préjugés injustes. Dans presque toutes les sociétés du monde, la femme est décrétée incapable de grand travail et est confinée au rôle, jugé mineur, de s’occuper du ménage, des enfants et de la prière (les Allemands disent que les femmes n’ont à s’occuper que des trois K : Kuche, Kinder und Kirche, c’est-à-dire de la cuisine, des enfants et de l’église) … Elles sont exclues de ‘grandes’ tâches’ pour être confinées dans des rôles ménagers, ou embauchées pour des postes subalternes et mal rémunérés » (Ngoma-Binda, 2015 : 15).
Des faits des siècles derniers laissent entrevoir les habitudes miso-gynes en Europe, héritées des générations après générations. Le cas d’Olympe de Gouges illustre bien nos propos. Guillotinée en 1793, cette dernière a été à la fois auteure de la fameuse Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791) et une adversaire résolue de mise en esclavage des Noirs (Mabiala, 2019 : 747).
Nous devons garder à l’esprit que la situation de la femme en Afrique est un exemple quasiment aux antipodes de la situation de la femme en Allemagne et en Europe. Quelques similarités ultérieures et tardives dans l’histoire de l’Afrique et celle de l’Europe ne permettent pas de mêler les deux sociétés.
On sera plutôt d’accord avec Ngoma-Binda quand il fait remarquer que la division sexuelle des tâches, des statuts, et donc aussi des privi-lèges et inégalités est un fait universel qui est loin d’être spécifique à la société africaine. Contrairement à l’idée répandue par le regard oc-cidental sur l’Afrique, dans la société africaine traditionnelle la femme a en général occupé une place importante en ce qui concerne l’organisation des relations ainsi que l’accomplissement des fonctions culturelles, sociales et politiques (Ngoma-Binda, 2015 : 28).
Couvercle à proverbes : preuve du musellement ?
Dans l’opinion, d’aucuns estiment que le couvercle à proverbes est un exemple qui illustre le musellement de la femme dans la société kongo. Est-ce l’usage du couvercle à proverbes est une marque de suppression du droit à la parole ? Pouvons-nous admettre que l’existence du couvercle à proverbe est un témoignage de l’artiste qui prouve l’absence du droit à la parole chez la femme dans la société ?
Chez les woyo, le proverbe est un support privilégié et habituel de la pensée. Il est d’usage constant. Quand les yeux se posent sur une plante, quand un oiseau ou un animal traversent le sentier, souvent le proverbe jaillit comme instinctivement, tirant de l’incident une leçon morale. Il y a des proverbes pour tous les moments de la vie, pour toutes les situations qui adviennent, communes ou fortuites. » (Cornet, 1980 : 21).
Les mataampha ou couvercle à proverbes sont des objets taillés en bois, en forme de disques ou de planchettes. La grande majorité des couvercles est circulaire ; quelques-uns sont plus ou moins elliptiques. Ces couvercles couvrent des marmites en terre-cuite et de récipients en bois. Ces couvercles sont couverts de signes figuratifs qui sont sculptés, gravés ou pyrogravés. Les proverbes sont en outre représen-tés par des éléments d’architecture, des monuments funéraires, des calebasses, des mouchoirs, des tambours, des mortiers, des étendards, et divers objets familiers ou de prestige. La technique de la représenta-tion est avant tout la sculpture ; il faut y ajouter des gravures, la brode-rie, la peinture et les perles. (Cornet, 1980 : 31). Ces symboles, seuls ou en association avec d'autres, rappellent des proverbes, disent des devises et transmettent des messages de toutes sortes qui entretiennent les relations humaines.
Au-delà de l'usage au foyer (aspect qui concerne ce travail), le cou-vercle à proverbes est également utilisé dans plusieurs autres circons-tances, notamment les relations internationales ou les relations entre États. On note que le chef en possède également une collection : les idéogrammes représentent dans ce cas des insignes de pouvoir, des faits et événements historiques, des devises personnelles ou en rapport avec un aspect du pouvoir. Certains messages, comme les devises, sont ainsi sculptés pour soi-même, pour confirmer sa propre identité. D'autres, par contre, le sont à l'intention de l'entourage.
Rappelons que les couvercles à proverbes se retrouvent chez les Woyo. Ce peuple de l'Afrique centrale se retrouve au Congo (Kinsha-sa) et en Angola. Les mataampha représentent sous une forme symbo-lique les problèmes encourus dans un couple. La jeune mariée en re-çoit une collection en cadeau de noces : les proverbes qui y sont trans-crits se réfèrent à la vie familiale et conjugale. La règle de la politesse exigeait le respect de la femme à son mari. Est-ce que cette marque de respect doit être confondue à la résignation ou faire penser à un quel-conque joug de l’homme sur la femme ? Non. La marque de respect que présente la femme à son mari par le fait de ne pas lever sa voix sur l’homme fait croire aux profanes et à ceux qui ne se sont pas suffi-samment imprégnés de la culture pacifique et inoffensive qui caracté-rise la vie quotidienne en Afrique, à un prétendu musellement de la femme.
Par ailleurs, le couvercle à proverbes peut être utilisé par la tante maternelle du mari. La tante maternelle assure le repas qui va marquer la mise en ménage définitive de son neveu, elle apporte un des mets dans un plat que couvre le couvercle sculpté. Ce dernier est interprété immédiatement par tous, ou, si cela est nécessaire, par quelque membre de l’assistance expert en la matière. Il s’agit de conseils à la jeune femme quant à ses devoirs de maitresse de maison (Cornet, 1980 : 33).
La communication par les mataampha entre la femme et son mari se passe de manière simple, sans complication ni cérémonie spéciale. Par exemple dans le foyer, lorsque l'épouse veut exprimer un désir à son mari, elle utilise, pour lui servir le repas, le couvercle dont les motifs illustrent l'objet de son désir.
Un détail important à relever est le fait qu'en Afrique, la vie éco-nomique et le ménage sont sous l'emprise de la femme. Le repas est censé être servi que par la femme, celle-ci est la maîtresse de maison au sens économique du terme. C'est elle qui dispose de tous les ali-ments et personne ne peut y toucher, même le mari, sans son consen-tement. Il est fréquent qu'un mari ait sa portée des aliments préparés par sa femme, auquel il n'ose pas toucher sans l’autorisation. Entrer dans la cuisine est une déchéance pour l'homme en Afrique Noire. À ce titre, la femme exerce en quelque sorte une emprise économique dans la société africaine (Diop, 1954 : 129).
Lors d’une brouille conjugale, la femme couvrait la nourriture qu’elle avait préparée pour son mari avec un couvercle orné de per-sonnages qui exprimaient, par les proverbes qu’ils illustraient, les rai-sons de son mécontentement afin d’y remédier. Au cas contraire, le divorce était prévisible.
La finalité du geste posé par la femme doit retenir l’attention. Ici il faut remarquer la liberté d'action et le pouvoir de se séparer d’un mari insensible aux remarques et avertissements de celle-ci. Notons la pos-sibilité pour la femme de décider le divorce malgré la dot versée par l’homme dans la famille de celle-ci. Ce qui exclut toute idée du joug qui pèserait sur la femme par la dot. Cette situation de l'Afrique est loin d'être le cas dans les sociétés patriarcales comme l'Europe où la femme perd le droit sur sa propre personne dès que le mariage est prononcé.
Un regard introspectif de notre société signale qu’elle est traversée par une crise profonde. Et l’un des aspects les plus importants de cette crise est celui de la morale. La menace de cette crise est encore plus grave quand nous savons qu’elle touche maintenant les couches de base, les noyaux de rayonnement et de ressourcement de tout équilibre harmonieux, à savoir les foyers conjugaux. Le dialogue entre con-joints n’existe presque plus. Epoux et épouse sont devenus comme de vraies marionnettes vivant côte à côte et incapables de communiquer. La chaleur conjugale, la notion de complémentarité ont disparu. Une telle situation entraine les conséquences néfastes : les enfants ne re-çoivent plus l’amour de leurs parents, leur présence est d’ailleurs nui-sible. Nous voulons montrer au cours de notre réflexion comment la société traditionnelle woyo s’est efforcée de créer des conditions favo-rables à un dialogue permanent entre époux et épouse en vue d’un équilibre harmonieux du ménage et de la société, à travers le cou-vercle à proverbes.
Dans la mesure où le peuple woyo s’est trouvé aussi devant une crise ménagère et qu’il s’est efforcé de la surmonter en créant ces ob-jets, nous pensons que cette expérience peut ouvrir des pistes de solu-tion à ce problème de rapports conjugaux aujourd’hui (Sumbo 1988 : 18).
Le couvercle renferme des préceptes de la vie en société. Il peut être utilisé dans le ménage par une épouse. La plupart des couvercles à proverbes comptent des figures diverses faisant référence à des pro-verbes multiples. Un principe essentiel les régit : tous les proverbes sont subordonnés à un proverbe principal. Les proverbes ne sont pas simplement juxtaposés, mais forment un ensemble structuré dont la signification est gouvernée par le proverbe dont le symbole occupe le centre du couvercle.
Nomenclature des signes et interprétation des signes retrouvés sur différents couvercles à proverbes. Ci-dessous, quelques pictogrammes et les idées auxquelles ils renvoient.
Exemple 1 :
Image 1 : Couvercle à proverbes woyo ; forme circulaire avec picto-grammes (Extraite de Faik-Nzuji, 1996 : 51).
1. Un pied posé sur une pointe
2. Un oiseau
3. Un crabe
4. Un chien
5. Un baobab
6. Un léopard
7. Un couteau de parade à double tranchant
8. Un homme avec un moustique sur son épaule
9. Deux chèvres attachées à un pieu.
Organisation des messages de quelques pictogrammes :
Un pied posé sur une pointe. Il fait connaître le contexte de l'emploi du couvercle : toute circonstance requérant la prudence. Plusieurs signes secondaires placés autour de ce signe principal le renforcent ou explicitent le message qu'il véhicule. Un pied posé sur une pointe. Signe principal rappelant le proverbe : Le chiendent est en colère parce qu'on lui a marché dessus.
Explication : De l'image concrète rendue par le signe se dégage l'idée générale selon laquelle on subit toujours les conséquences de ses actes irréfléchis. Utilisé par la femme, ce signe serait une mise en garde sévère envers son mari. Pour qui se livre sans vergogne à mar-cher sur les droits de la femme, après un tel avertissement, il se sentira obligé à se rebiffer pour reconnaître à sa femme sa place lui reconnu par la société.
Cette image, si forte en symbolique, montre comment la société africaine a toujours choisi de régler pacifiquement les différends au sein des couples, sans tambour ni trompette. Un étranger non initié à cette culture pourrait facilement arguer que la femme est muselée dans son foyer car, il n'aurait jamais entendu la femme hausser la voix sur l'homme. Ce qui est plutôt le contraire. Ce geste posé par la femme à travers le couvercle à proverbes qu'elle dépose pour couvrir le rayon de repas de son mari, est de loin plus significatif.
L'oiseau : L'oiseau, qui s'en va, doit revenir.
Ce proverbe met en garde contre la solitude de celui qui quitte sa famille et décide de vivre loin des siens. Il conseille en outre qu'il ne faut jamais quitter sa famille sans raison valable et que, si on est obli-gé de le faire, il faut revenir de temps en temps pour se ressourcer.
La solitude est prohibée en Afrique, tant pour la femme que pour l'homme. Un solitaire est toujours mal perçu en Afrique, contraire-ment à l'Europe où vivre seul est plus qu'une valeur. En Afrique, même dans des conditions où le nombre de filles est supérieur à celui des garçons, il est mal perçu de trouver une fille vivre seule. C'est ce qui a parfois justifié le fait que les hommes pouvaient en prendre plu-sieurs et faire d'elles ses épouses.
L'assolitude (antonyme de solitude) est, en Afrique, jumelle de l'hospitalité. Une société où il n'y avait presque pas d'hôtels ou des lieux isolés d'hébergement, l'accueil d'un visiteur ou d'un passant in-connu est plus qu'une joie pour la famille accueillante. L'hospitalité africaine veut qu'un visiteur, qu'on le connaisse ou pas, soit toujours le bienvenu et si besoin il y a, celui-ci peut passer un temps de repos ou de séjour. Ce temps, il ne le passera pas loin de la case, plutôt dans la chaleur de l'intérieur de la case de la famille d'accueil. C'est pour dire que la mise à l'écart d'un individu n'est pas propre à l'Afrique qui n'a pas connu des systèmes carcéraux ou des prisons. Ceci illustre que la solitude de celui qui tente de s'éloigner de sa famille est bannie.
Au foyer, l'homme qui lit ces signes figuratifs sur le couvercle du bol de son repas, est averti que son rôle de gardien du foyer n'est pas rempli quand il s'éloigne de sa femme (qui lui sert ce repas) ainsi que de ses progénitures.
L’oiseau à la tête tournée.
Une femme pouvait présenter ce couvercle à son mari pour lui dire que si elle était maltraitée, elle pouvait très bien retourner dans sa fa-mille. Comme le dit le proverbe montrant l'oiseau à la tête tournée :
" d'où je viens, n'y retournerai-je pas ? Ai-je mangé quelqu'un ?" (Je peux repartir chez moi, je n'ai rien à me reprocher).
La femme avait même la possibilité de saisir la justice pour sollici-ter le divorce. Ceci est une illustration d’un grand pouvoir que possé-daient la femme woyo en particulier et la femme africaine en général. C’est un exemple que l’on ne retrouve presque pas dans l’histoire de l’Europe.
Exemple 2
Image 2 : Représentation du noix palmiste, du fruit « filu », un homme avec un des bras cassés et deux fruits « Ntumpu Mvemba », diamètre : 14,50 cm (Extraite de Sumbo 1988 : 3).
Explication
Je pars au tribunal si tu continues à me maltraiter ! Ce couvercle est destiné à un époux en train de se méconduire et de prendre sa femme pour un simple objet. Que l'homme ne s'étonne pas des difficultés dans le ma-riage, qu'il sache que l'erreur est propre à l'homme et qu'il se rappelle tout ce qui lui est défendu en tant qu’époux en relation avec une femme pour ne pas compromettre son ma-riage. Plus concrètement ce couvercle consti-tue une invitation adressée à l'époux pour qu'il cesse de maltraiter sa femme.
Le pouvoir de rompre le mariage qui était reconnu à la femme afri-caine n’est pas possible dans la tradition judéo-chrétienne. Je n'ai vu nulle part dans la Bible où l'on autorise à la femme de rompre son ma-riage. L'exemple de ce couvercle est largement instructif quant au pouvoir qu'avait la femme de rompre avec un homme qu'elle jugeait irresponsable.
Selon Cheikh Anta Diop, en Afrique la femme peut divorcer, la famille naturelle reste toujours le milieu de sécurité sociale en cas de nécessité. En plus, la femme conserve son totem, c'est-à-dire, son animal domestique ; donc son nom de famille naturelle après le ma-riage, sa personnalité juridique. Tandis qu'ailleurs dans le monde indo-aryen, la femme abjure ses dieux domestiques devant l'hôtel des dieux du mari, elle perd donc son nom de famille pour porter celui du mari, chose que l'Afrique a copié abusivement (Diop, 1981 : 143).
Un autre fait caractéristique du matriarcat africain et sur lequel on s’est mépris jusqu’ici, est la dot donnée par l’homme à la femme tan-dis que nous assistons à la coutume inverse dans les pays européens. Cette coutume, incomprise en Europe, a fait penser que la femme est achetée en Afrique Noire comme si un Africain disait aujourd’hui que la femme achète l’homme en Europe.
En Afrique, la femme occupant une place prépondérante grâce au matriarcat, c’est elle qui reçoit une garantie sous forme de dot dans l’alliance qu’est le mariage. Ce qui prouve qu’elle n’est pas achetée (esclave), elle n’est pas rivée à la maison conjugale par cette dot ; si le mari est vraiment fautif, le mariage peut être rompu. Contrairement à la légende ce sont les travaux les moins durs qui sont réservés aux femmes.
Le matriarcat est à la base de l’organisation sociale en Égypte comme dans le reste de l’Afrique Noire. Par contre, on n’a jamais pu prouver l’existence d’un matriarcat paléo-méditerranéen qui serait l’apanage d’une race blanche En Grèce, la succession fut tout au plus, patrilinéaire, de même qu’à Rome. On peut remarquer l’absence de reines dans l’histoire grecque, romaine, perse. Par contre, à ces époques reculées, les reines sont fréquentes dans toute l’Afrique Noire. Au début de la civilisation occidentale, les rois francs prendront petit à petit l’habitude de régler leur succession à l’avance, à l’exclusion de toute notion de matriarcat. C’est ainsi qu’en Occident, les droits politiques sont transmis par le père ; ce qui ne veut pas dire qu’une femme est inapte à les recevoir (Diop, 1954 : 126).
Chez les Yombe, la dot garantissait le maintien du couple. Elle n’était pas perçue comme un prix d’achat de l’épouse mais plutôt comme une indemnisation matrimoniale pour les parents qui perdaient une force de travail. Elle obligeait l’homme à ne pas facilement se débarrasser d’une femme que les membre du clan avaient épousée pour lui. A l’occasion du mariage de sa fille, le père récupère une par-tie de la dot qu’il avait payée pour épouser sa mère (Mabiala 2023 : 41).
Exemple 3 :
Image 3 : Couvercle à proverbes woyo, repré-sentant un homme et un bananier, diamètre 16 cm « nkama » (Extraite de Sumbo 1988 : 3).
(À travers ses images, la femme invite son mari à un examen de conscience : - d’abord elle insiste sur le fait qu’on s’empare d’une proie à un endroit et qu’on jouit ailleurs ; - ensuite il est offert à l’époux qui fait l’objet d’avances de la part d’une femme peut-être plus belle que l’épouse légitime ; qu’il se mé-fie car il ne s’agit pas d’un événement tempo-raire, cette femme est susceptible de défaire le mariage.
Bref, il faut se méfier des femmes qui ont une apparence sédui-sante ; elles n’en sont que plus nuisibles.
- les deux symboles : homme et bananier « nkama » ont le même proverbe : « Nti uliila mabeembe : nkama, bu ukwaanga ko ». (L’arbre qui alimente les colombes est le bananier nkama, les colombes ne peuvent pas les cou-per).
Explication : l’homme attache beaucoup plus d’importance aux choses secondaires qu’aux choses primaires. La femme proteste en disant : moi ton épouse légitime, j’ai toujours bien fait le ménage, je travaille pour la croissance de notre richesse et tu ne t’occupes pas même pas de moi, où est le sérieux ? Comment se fait-il que tu aies beaucoup plus d’affection pour les concubines et que tu prennes beau-
coup plus soin d’elles que de moi qui t’ai toujours servi avec zèle ? Fais un examen de conscience ; saches la vie de ces femmes est ins-table, aujourd’hui elles sont ici et demain là-bas (Sumbo 1988 : 33).
Conclusion
Je crois avoir répondu aux préoccupations des femmes journalistes, militantes, et défenseures des droits des femmes relatives à la place que la femme occupait dans notre société. Nous l’avons appuyé à par-tir des travaux de Cheikh Anta Diop, qui avait prouvé l’existence du matriarcat africain comme un dénominateur commun à toute l’Afrique. Le matriarcat est parmi les traits communs dans la société africaine. La société africaine présente une unité culturelle réelle res-tée vivace sous des apparences trompeuses d’hétérogénéité.
Je pense que les femmes ont désormais entre leurs mains, un outil scientifique qui leur permet de mener une lutte à partir de leur propre histoire.
L’histoire joue en fin son rôle de répondre aux problèmes du présent à partir de la connaissance sur l passé.
Les regards des femmes doivent cesser d’être souvent tournés hors du continent africain. Les femmes africaines en général et congolaises en particulier ont maintenant la possibilité de se référer aux repères qui sont leurs mères et s’arc-bouter sur ces dernières pour revendiquer la restauration de leur dignité perdue. La légende de la femme afri-caine toujours marginalisée tombe. La référence pour une « émancipa-tion » de la femme africaine cesse d’être le combat mené par les femmes européennes. La situation de la femme woyo qui avait le droit de s’exprimer librement refait surface et est prête à se porter comme référence en plus des exemples qu’il y a dans l’histoire de l’Afrique.
Il est démontré dans ce travail que la femme avait pleinement le droit de s'exprimer, sans interférence aucune. L'usage du couvercle à proverbes en est une illustration forte et irréfutable. La prépondérance de la femme dans la société africaine dans son ensemble ne fait l'ombre d'aucun doute. Ni la dot, ni la religion, ni l'éducation moins encore la tradition n'ont jamais été des barrières.
Bibliographie
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Par TSHIBANGU TSHIAPOTA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024