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LES MUSÉES FACE AUX ENJEUX DE DÉVELOPPEMENT DURABLE : PROPOSITION DES STRATÉGIES AUX MUSÉES NATIONAUX DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
THE MUSEUMS FACING SUSTAINABLE DEVELOPMENT ISSUES: PROPOSITION OF STRATEGIES TO THE NATIONAL MUSEUMS OF THE DEMOCRATIC REPUBLIC OF THE CONGO

Élisée MUSUBAO MUMBERE 
Mél : m.musubao@gmail.com
+(243) 990 701 876

Résumé

À l’heure actuelle où tout le monde (nations, collectivités, associations, individus, etc.) est préoccupé par la matérialisation du développement durable en cherchant par quels mécanismes y contribuer, quel serait l’apport des musées ? Autrement dit, comment les institutions muséales pourraient devenir des acteurs crédibles du développement durable des communautés ? Qu’en est-il du cas des musées nationaux de la République Démocratiques du Congo ? Sont-ils des acteurs à part entière du développement durable là où ils sont installés ? Cette réflexion se donne l’ambition de proposer des réponses non exhaustives aux problématiques soulevées.

Mots-clés : Musée, développement durable, musées nationaux de la République Démocratique du Congo.
Reçu le : 5 janvier 2024
Accepté le : 13 juin 2024

Abstract

At this time when everyone (countries, collectivities, associations, people, etc.) is concerned by the materialization of the sustainable development through the searching of the ways of contribution to it, what could be the input of museums? In other words, how can museums become major actors of the sustainable development of communities? What about the national museums of the Democratic Republic of the Congo? Are they major actors of the sustainable development where they are installed? Through this paper, we aim to give some responses to this problematic up highlighted.

Keywords: Museum, sustainable development, national museums of the Democratic Republic of the Congo
Received : January 5th, 2024
Accepted : June 13th, 2024

Introduction

Sur base d’un double constat d’urgence à l’échelle mondiale, notamment sur le plan écologique (changement climatique, biodiversité, ressources fossiles, etc.) et social (inégalités, satisfaction des besoins de base, etc.), la notion de développement durable a vu le jour pour répondre efficacement à cet état de choses.
Notion issue de la commission mondiale sur l’environnement et le développement de 1987 dite la Commission de Brundtland, qui la définit comme étant un « mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

Adoptée lors de la Conférence mondiale des Nations Unies sur l’environnement de Rio en Juin 1992, cette notion de développement durable a pour objectif d’aboutir à un état d’équilibre entre trois piliers, le social, l’économique et l’environnemental.
La figure ci-dessous tirée du site internet https://www.mtaterre.fr consulté en février 2023 démontre cet équilibre :

À travers ce diagramme, se dégage clairement la corrélation fondamentale entre les trois piliers constituant aussi les enjeux de développement durable (https://www.mtaterre.fr ) :
- La qualité environnementale des activités humaines pour limiter les impacts environnementaux, préserver les écosystèmes et les ressources naturelles à long terme ;
- L’équité sociale pour garantir à tous les membres de la société un accès aux ressources et services de base (éducation, santé, alimentation, logement…) et pour satisfaire les besoins de l’humanité, réduire les inégalités et maintenir la cohésion sociale ;
- L’efficacité économique en diminuant l’extrême pauvreté et en garantissant l’emploi du plus grand nombre dans une activité économique dignement rémunérée. L’économie durable est une gestion saine des activités humaines sans préjudices pour l’homme ou pour l’environnement ;

À ces piliers s’ajoutent aussi des principes fondamentaux qui sont (op.cit. https://www.mtatrre.fr) :
- La solidarité entre les pays, entre les peuples, entre les générations, et entre les membres d’une société. Par exemple : économiser les matières premières pour que le plus grand nombre en profite ;
- La précaution dans les décisions afin de ne pas causer des catastrophes quand on sait qu’il existe des risques pour la santé ou l’environnement. Par
exemple : limiter les émissions de CO2 pour freiner le dérèglement climatique ;
- La participation de chacun, quels que soit sa profession ou son statut social, afin d’assurer la réussite des projets durables. Par exemple : mettre en place des conseils d’enfants et de jeunes ;
- La responsabilité de chacun : citoyen, industriel ou agriculteur. Pour que celui qui abîme, dégrade et pollue répare. Par exemple : faire payer une taxe aux industries et aux États qui polluent beaucoup.

Dans les années 70, un grand nombre d’experts et de scientifiques tirent la sonnette d’alarme quant à l’impact de l’activité des hommes sur la planète. Depuis la révolution industrielle, notre société a connu un développement sans précédent, mais sans véritablement en mesurer les conséquences de l’évolution de son mode de vie. À cela, se sont ajoutés : l’accélération des échanges avec le reste du monde (la mondialisation), l’accroissement des inégalités entre pays riches et pays pauvres, les prévisions de croissance démographiques qui visent à 10 milliards d’habitants sur la planète d’ici 2100 (https://www.mtaterre.orgfr)

Mais comment assurer demain un accès à l’alimentation et à l’eau potable, à la santé et à l’éducation pour tous ? Comment assurer la protection de la biodiversité et lutter contre le dérèglement climatique ? C’est pourquoi, il est urgent de migrer vers le développement durable qui est estimé nécessaire pour vivre dans un monde plus équitable et préserver notre planète et ses ressources naturelles.
On a bien compris ce qu’est le développement durable, quels en sont les piliers ainsi que les principes fondamentaux, mais aussi l’urgence et la nécessité pour les acteurs mondiaux d’en faire leur principal cheval de bataille en vue de mettre en place un nouveau modèle de développement. Y a-t-il donc un lien entre ce type de développement et le musée ? Dans quelle mesure les institutions muséales peuvent-elles y contribuer ?
Les musées, en tant qu’institutions culturelles, sont bien sûr concernés et méritent d’être considérés comme acteurs à part entière dans la réalisation des objectifs pour le développement durable.

Selon la définition adoptée lors de l’Assemblée générale extraordinaire de l’ICOM (Conseil International des Musées – The International Concil of Museums) du 24 août 2022 : "Un musée est une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité. Les musées opèrent et communiquent de manière éthique et professionnelle, avec la participation de diverses communautés. Ils offrent à leurs publics des connaissances." De cette définition ressortent clairement les missions prépondérantes du musée qui concourent directement ou indirectement au développement durable.

Nous basant sur les trois piliers du développement durable qui sont d’ordre économique, social et environnemental ainsi que sur les principes fondamentaux y relatifs et nous référant à la définition susmentionnée du musée, nous pensons que celui-ci contribuerait largement au développement durable des communautés et nous nous attellerons à le démontrer dans les lignes qui suivent.
Réfléchir et communiquer sur les façons d’être et d’agir passées, actuelles et futures est au centre de la mission des institutions muséales, et celles-ci peuvent jouer un rôle prépondérant dans le changement culturel que nécessite le développement durable (Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, 2011).
Poser la question de la contribution des musées au développement durable des communautés revient tout d’abord à reconnaitre le contexte global de l’apport significatif de la culture au développement durable et que nous allons ici sommairement démontrer et illustrer.

Tel que l’indique déjà la Déclaration de Hangzhou de 2013, la culture doit être mise au coeur de toutes les politiques de développement durable et devrait être considérée comme un catalyseur fondamental de la durabilité en raison de son « pouvoir extraordinaire », particulièrement lorsqu’elle est axée sur les approches centrées sur les personnes et les lieux, intégrées dans les programmes de développement et les initiatives de consolidation de la paix. Par ailleurs, en raison des contributions spécifiques qu’elle peut apporter en tant que capital de connaissances et secteur d’activité, la culture devrait également être considérée comme un moteur de développement inclusif, social, culturel et économique, et un levier au service de l’harmonie, de la durabilité environnementale, de la paix et de la sécurité (https://www.unesco.org/fr).
À la question de savoir en quoi la culture est une valeur ajoutée pour l'économie d'un pays, Irina Bokova, alors Directrice générale de l’UNESCO, répond en ces termes : « La grande force de la culture, des biens et services culturels, c'est leur double nature, à la fois économique et culturelle. Le secteur culturel crée des emplois, des revenus, des compétences, et en même temps les produits culturels portant des valeurs, des repères qui sont des leviers d'identité, de cohésion sociale, de mobilisation collective. C'est un potentiel considérable de développement économique et social. Face aux difficultés que traversent les sociétés, à la fois économiques, sociales, culturelles, il faut des stratégies capables de gérer ces aspects entremêlés. La culture apporte des réponses » (Abrial, 2023).

En ouvrant les travaux du Forum des ministres de la culture de l’UNESCO en 2019, l’avis de Madame Audrey Azoulay, actuelle Directrice générale de l’UNESCO, corrobore cela en ces termes : « Face aux fractures mondiales et à la paralysie de certaines plateformes institutionnelles, [la culture] constitue un langage commun qui fait tomber les barrières » (https://www.unesco.org/fr).
Lors d’un évènement de haut niveau à l’Assemblée générale des Nations Unies en 2013, le Secrétaire général de l’époque, Ban Ki-Moon, a estimé que « trop de programmes de développement bien intentionnés ont échoué parce qu’ils ne tenaient pas compte des contextes culturels » (Ibid.). Ceux-ci doivent pourtant être considérés et méritent d’être pris en compte spécifiquement pour une meilleure atteinte des Objectifs pour le développement durable car chaque communauté revêt non seulement des caractéristiques géopolitiques mais aussi socio-culturelles qui lui sont propres.

Dans son rapport intitulé Notre diversité créatrice, paru en 1996, la Commission mondiale de la culture et du développement indique que le défis que l’humanité est appelée à relever est d’adopter de nouvelles formes de pensée, de nouvelles façons d’agir, de nouvelles façons de s’organiser en société, en un mot, de nouvelles façons de vivre. Il s’agit aussi de promouvoir différentes voies du développement, en étant conscient de l’influence des facteurs culturels sur la manière dont les sociétés conçoivent leur avenir et choisissent les moyens de le réaliser (Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, 2011).
Après ce bref aperçu illustratif du rôle de la culture dans le développement durable, démontrons à présent par quelles stratégies les musées contribuent aux trois enjeux majeurs du développement durable.
Il importe toutefois, de préciser que selon qu’il existe une pluralité de types de musées, leurs missions respectives sont aussi spécifiques et diversifiées. Les réflexions que nous avançons ici se veulent être générales et s’inscrivent dans une perspective systémique et nécessiteraient la prise en compte de la spécificité de chaque musée pour leur meilleure application.

I. Pour la qualité environnementale

Nul n’ignore que la pression démographique, l’industrialisation à outrance, l’agriculture intensive, l’utilisation abusive des énergies fossiles ont des conséquences désastreuses sur la planète terre que nous habitons. Comment préserver l’environnement de la terre dans les temps aussi difficiles et aux problématiques aussi complexes que nous connaissons ? Il importe, comme on l’a souligné plus haut, de repenser notre système de gestion de la biodiversité en migrant de nos systèmes actuels de surexploitation vers de nouveaux systèmes de préservation et de régénérescence des écosystèmes. Ceci doit passer par des mesures étatiques et régionales pour une large réussite, mais débute, reconnaissons-le, par une prise de conscience à l’échelle individuelle ou locale. Cette prise de conscience serait le fruit d’informations et des connaissances que l’on acquiert sur les problèmes que connaît présentement notre planète et les dangers qu’elle court.
Les institutions muséales constituent des lieux privilégiés d’échange et de partage des connaissances sur de nombreux sujets concernant les grands enjeux contemporains. Elles renseignent le public sur des questions diverses notamment celles liées à l’environnement ou à l’écologie et contribueraient donc à la prise de conscience environnementale.
L’exemple typique est celui des Musées des sciences de la nature où l’on trouve l’évolution du monde animal ou végétal et d’autres aspects des sciences de la nature pour souligner d’une part l’interdépendance entre l’homme et la nature et d’autre part les transformations de la nature à travers le temps (Bakua-Lufu, 2020 : 40).
Collectant des informations sur la diversité biologique et sur la disparition des écosystèmes, ces musées sont ainsi devenus de véritables centres de recherches et des lanceurs d’alerte sur les modifications de l’environnement.
En ce qui concerne la République Démocratique du Congo, comme actions à mener pour cette prise de conscience environnementale, citons par exemple l’organisation des journées d’échanges scientifiques (conférences, colloques, entretiens, etc.) et la tenue des expositions permanentes, temporaires ou itinérantes sur des thèmes environnementaux comme : À la découverte de la richesse de la biodiversité végétale de la Réserve de la Tshopo, Plaidoyer pour la préservation des espèces animales de la Mangrove du Kongo Central, Comprendre le changement climatique à l’ère du numérique, Les corollaires du déboisement de la forêt équatoriale dans la région de Bandundu, Vivre avec le volcan Nyiragongo, Actions pour la transition énergétique, Application de l’économie bleue en RDC, etc.

À travers ces activités qui font intervenir des scientifiques et des professionnels, le public deviendra au courant des causes du changement climatique et des conséquences y relatives et serait informé sur les actions adéquates à prendre pour y répondre avec efficacité.
Il faut aussi noter que les musées doivent eux-mêmes rimer avec les principes fondamentaux du développement durable et constituer un exemple typique de leur mise en application au sein même de leur gestion. Dans cette optique, la Société des Musées Québécois (SMQ) propose des stratégies suivantes pour la performance environnementale au sein des musées :
- L’économisation de l’électricité en utilisant le minimum d’énergie comme l’achat d’ampoules DEL ou fluocompactes et de minuteurs pour gérer la consommation ;
- La réduction de la consommation d’énergie pour la climatisation en remplaçant par exemple les thermostats traditionnels par des versions électroniques programmables.
- La réduction des pertes de chaleur par la mise sur pied des tests d’infiltrométrie servant à mesurer l’enveloppe thermique des bâtiments ;
- La révision des systèmes d’éclairage pour réduire l’impact environnemental de l’utilisation énergétique (Société des Musées Québécois, 2012).
L’autre élément non négligeable est celui de la transition énergétique que les musées devraient d’office appliquer en utilisant l’énergie solaire comme principale source d’électricité en leur sein.

Soulignons en fin de compte qu’il existe aussi, depuis maintenant plus de quarante ans, un processus participatif appelé souvent écomusée, parfois musée communautaire, qui considère la totalité du territoire et de son patrimoine, y compris environnemental, comme l’objet de la prise de conscience, de l’éducation, de l’information et de la participation active de toute la communauté, quels que soient l’âge et le statut social et professionnel de ses membres (Moutos et Varine, 2019).

L’écomusée constitue donc en quelque sorte un outil communautaire efficace de valorisation et d’éducation pour l’environnement écologique et social, à travers l’utilisation de la ressource patrimoniale, considérée comme un bien commun. Ce bien commun se distingue des collections des musées et des listes de monuments et de sites protégés par son caractère vivant et son appartenance à la communauté qui s’en reconnaît responsable, notamment par sa participation à l’écomusée. L’autre point fort de ces musées communautaires est le fait d’aborder l’environnement de façon interdisciplinaire, à partir de la réalité du terrain et de l’écoute des savoirs, de l’expérience et des attentes des habitants. Ils en font une dimension structurelle de tous les processus qui contribuent au développement soutenable du territoire. Ils mettent ainsi en place plusieurs outils pour atteindre leur but. Il s’agit entre autres de (Moutos et Varine, 2019) :
- L’inventaire participatif où l’on convie la population à identifier de façon consciente et raisonnée ce qu’elle considère comme son patrimoine naturel, culturel, matériel et immatériel.
- Les actions de valorisation du patrimoine initiées ou promues par les écomusées, qu’il s’agisse d’expositions, de parcours de découverte accompagnés ou non, de productions artistiques, artisanales, industrielles ou commerciales utilisant les ressources naturelles locales combinées aux savoir-faire traditionnels et aux nouvelles demandes sociales (tourisme, circuits courts, gastronomie...).
- La gestion du patrimoine, donc de l’environnement existant et de sa transformation dans le cadre du développement du territoire, doit être partagée entre la population, les autorités publiques et les autres parties prenantes concernées.
- L’interprétation des données scientifiques est un autre rôle de l’écomusée, médiateur dans les domaines de l’environnement, de l’écologie, des concepts de subsidiarité et de soutenabilité. Elle en rend les termes et les données compréhensibles pour la population locale, et inversement traduit les connaissances, la mémoire et l’expérience des habitants en données utilisables pour la recherche scientifique et la décision politique.
- La valorisation du paysage, C’est-à-dire que toute action, notamment pédagogique, en matière de paysage doit impliquer les habitants du territoire, pour tenir compte à la fois de leur perception spontanée et de la nécessité de faire évoluer cette perception, pour la rendre consciente, raisonnée et détachée d’une vision exclusivement statique et esthétisante.

En fonction de leur nature d’ancrage aux lieux et de leurs buts de la protection ainsi que de la valorisation des patrimoines de ces derniers à travers le concours de tous, les écomusées sont un bel exemple de la matérialisation des principes fondamentaux de développement durable que sont la participation, la responsabilité, la solidarité et la précaution.

II. Pour l’équité sociale

Selon la définition du Robert numérique, l’équité est une notion de la justice naturelle dans l'appréciation de ce qui est dû à chacun. De cette définition ressort l’aspect d’impartialité dans l’application de la justice, c’est-à-dire que celle-ci doit être égalitaire pour tous les citoyens sans distinction aucune basée sur leur race, leur âge, leur genre, leur appartenance ethnique, idéologique, religieuse ou philosophique et ne devrait nullement faire preuve d’aucun favoritisme ni d’un quelconque privilège à un groupe d’individus au détriment d’un autre.
Sur le plan social, l’équité se traduirait par le principe majeur d’inclusivité dans la gestion de la chose publique, c’est-à-dire que toutes les couches sociales participent de manière directe ou indirecte à la prise des décisions politiques les concernant.

L’autre élément important serait la jouissance par tous des richesses nationales par la garantie d’accès à tous aux besoins primaires, notamment à la sécurité alimentaire, à l’eau potable, à l’énergie électrique, aux soins de santé de base, à l’éducation, à l’emploi décent, au logement, à la protection et à la sécurité sociale. Il s’agirait de la mise en place d’un système politique et social où tous les individus comptent et sont considérés de manière égale.
Parmi les indicateurs de la démocratie, on note la mise en place d’une gouvernance garantissant la jouissance des biens de liberté, d’égalité, de justice, et de participation de tous ou, du moins, du plus grand nombre possible de citoyens à l’action de gestion des affaires publiques (Ngoma-Binda, 2010). Ainsi, constate-t-on que la démocratie serait aussi une parfaite illustration de la mise en application de l’équité sociale telle que voulue et entendue par l’Agenda 21 définissant les 17 Objectifs pour le développement durable.

Au sein d’une institution muséale, le principe d’inclusivité devrait être de mise en garantissant à tous un accès gratuit ou à moindre coût au patrimoine naturel et culturel désormais considérés comme des biens communs. Le principe d’inclusivité au musée renvoie à la considération de toute personne quel que soit son âge, son genre, sa profession à avoir accès au patrimoine. Les défavorisés, les vulnérables comme les personnes à mobilité réduite ne devraient pas non plus être laissées de côté mais être conviées. À travers les journées portes ouvertes par exemple, il serait souhaitable de consacrer une journée entière d’accès libre à toutes les personnes à mobilité réduite afin qu’elles découvrent le patrimoine.

Au musée, les questions de genre ne devraient pas non plus être reléguées au dernier plan, mais demeurer d’actualité pour briser le clivage existant encore entre les hommes et les femmes dans l’exercice de leurs droits. Cela pourrait se traduire par l’engagement d’un nombre important de femmes dans le personnel administratif, scientifique et technique du musée, mais aussi par leur responsabilisation à la tête des projets en cas de mérite avérée. Ceci renvoie au principe de parité homme-femme qui nécessite d’être appliqué dans la gestion et le leadership des institutions muséales.

En cas des conflits sociaux, les musées pourraient aussi servir d’éléments mitoyens pour assurer non pas la séparation mais la communication, l’échange et la cohésion entre communautés à travers l’organisation des événements culturels tels que des foires, des festivals, des expositions où la rencontre entre populations est facilitée, où les cultures sont partagées et mises en valeur et où la paix sociale est réinstallée. Les musées jouent ainsi un rôle fédérateur des communautés.
L’équité sociale au musée s’accompagne aussi du principe de solidarité intergénérationnelle, intercommunautaire voire interinstitutionnelle pour une large réussite des programmes mis en oeuvre.

III. Pour l’efficacité économique

L’accent est mis ici sur les activités économiques garantissant les droits humains et préservant l’environnement. Ceci renvoie au huitième objectif pour le développement durable qui est de promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous (CNUCED, 2018).

Bien que les musées n’aient pas un caractère lucratif, ils pourraient en revanche jouer un rôle de premier plan dans le soutien à l’économie créative locale notamment en exposant les oeuvres des artistes locaux ou en créant des fonds de soutien à la création locale. Ceci pourrait se faire aussi par l’organisation régulière des concours artistiques.
Ils pourraient aussi constituer une source d’occupation des jeunes en organisant pour eux des formations qualifiantes dispensées gratuitement, mais aussi en les employant dans le cadre des activités majeures ayant lieu au musée comme dans le marketing.
Il est aujourd’hui reconnu que l’économie créative est l’un des secteurs à la croissance la plus rapide au monde, offrant un travail décent, en particulier aux femmes et aux jeunes (https://www.unesco.org/fr).

Selon quelques chiffres clés, 3,1% du produit intérieur brut (PIB) mondial provient des ICC (Industries créatives culturelles) ; 389,1 milliards USD sont générés par l’exportation des biens et services culturels en 2019 soit deux fois plus qu’en 2015 ; 29,5 millions d’emplois dans le monde sont créés par les ICC et engagent plus de jeunes de 15 à 29 ans que tout autre secteur, 48,1% des travailleurs sont des femmes dans le secteur de la culture et du divertissement (Ibid.).
L’apport culturel, ici des institutions muséales, à l’efficacité économique ne devrait donc pas être négligée, mais pris en compte, valorisé et soutenu pour largement contribuer au développement durable.

IV. Cas de la République Démocratique du Congo

Selon leur statut juridique, on pourrait dire qu’il existe deux types de musées en RDC. Les musées nationaux et des musées privés ou des collections privées. Alors que cette dernière catégorie est gérée par les particuliers, la première est sous la gestion de l’Institut des Musées Nationaux du Congo (IMNC) qui est un établissement public à caractère scientifique et culturel créé par l’Ordonnance présidentielle N° 70-089 du 11 mars 1970.
Pour rappel, cet établissement avait pris sous sa gestion les musées créés pendant la période coloniale et qui fonctionnaient encore dont le musée d’art et de folklore de Luluabourg (Kananga) et le musée folklorique de Coquilhatville (Mbandaka) (Bakua-Lufu, 2020, p. 32).

D’autres musées nationaux ont vu le jour après, notamment le Musée National de la RDC (2019), le Musée d’Art contemporain et Multimédias (2015), le Musée National de Kikwit (2011), le Musée National de Boma
(2011), le Musée National de Butembo (2015), le Musée National de Bukavu (2018), le Musée National de Goma (2018), le Musée National de Kalemie (2021), le Musée National de Kolwezi (2020), le Musée National de Lubumbashi (1977 ?), le Musée National de Tshikapa (2020), le Musée National de Mbanza Ngungu (2020).

D’autres musées nationaux récemment ouverts par Décision du Directeur Général de l’IMNC, sont encore à l’état embryonnaire. Il s’agit du Musée National de Kisangani (2022), le Musée National de Kenge (2022), le Musée National d’Ilebo (2022), le Musée National d’Inongo (2022), le Musée National de Walikale (2022), le Musée National de Beni (2020), le Musée National de Kindu (2023), le Musée National de Lumumba ville (2021), le Musée National de l’Armée (2022), le Musée National de Lodja (2021), le Musée National de Bandundu ville (2022), le Musée National Rumba (2023), le Musée National de Matadi (2023). La RDC compte donc à ce jour au total 27 musées nationaux.
Notons toutefois, que ces musées connaissent de grandes difficultés de fonctionnement suite notamment au manque de bonnes infrastructures pour la conservation du patrimoine, au manque d’équipements matériels au sein des services, au manque de subventions de la part du Gouvernement, au manque de formation continue en faveur du personnel, etc. (Bakua-Lufu, 2020 : 34).

Qu’en est-il de l’apport de ces musées au développement durable des communautés où sont-ils implantés ?
Dans le contexte de difficulté où ils se retrouvent, ces musées peinent à réaliser un meilleur rendement quant à l’atteinte des objectifs leurs fixés et seraient incapables de devenir des acteurs à part entière du développement durable de leurs milieux. Toutefois, il sied de signaler certaines actions qu’ils entreprennent et qui concourent au développement durable.
À titre illustratif, citons l’exposition permanente tenue au Musée National de la RDC et qui s’intitule "Vivre ensemble pour la cohésion nationale". Cette exposition constitue un reflet de la culture et de l’identité des populations congolaises et un lien entre les aïeux et la génération actuelle. Il s’agit là d’un bel exemple de l’équité sociale, des principes d’inclusivité et de participation.
Notons aussi, qu’au sein des musées nationaux où les salles d’exposition sont ouvertes et opérationnelles, se tiennent régulièrement des visites guidées à l’attention d’un public hétérogène. Ceci est une matérialisation de l’accès au patrimoine garanti à tous sans distinction ni discrimination aucune. En effet, partout où ils sont implantés, les musées nationaux sont des lieux de culture privilégiés où les communautés viennent découvrir leur patrimoine. Ils participent ainsi à la sauvegarde et à la promotion des patrimoines des communautés.

Considérant le rôle social du musée, on tient également compte de son rôle éducatif qui est non négligeable en ce sens qu’il constitue un lieu culturel de partage des savoirs. « Le musée est non seulement un édifice destiné à conserver le patrimoine culturel matériel et immatériel, mais aussi et surtout un espace scientifique et éducatif, un milieu propice à la transmission des connaissances ». Malheureusement, il est constaté dans le milieu de nos populations et même dans l’environnement scolaire et universitaire, que les musées ne sont pas encore considérés comme des temples de savoir. Ils sont encore assimilés à des édifices destinés à garder des objets anciens et surannés ; objets dont la société n’a par conséquent plus besoin. C’est là une conception erronée de l’institution muséale qui ne stimule pas nos populations à saisir et à mesurer l’impact social des musées, encore moins leur action éducative (Kulengula et Mutambudi, 2010 : 124).

V. Stratégies à mener par les musées nationaux de la RDC

Quelles stratégies entreprendre pour que les musées nationaux de la République Démocratique du Congo deviennent des acteurs crédibles du développement durable des communautés ? Nous en proposons ici quelques-unes qui ne sont pas exhaustives :

- La diversification des types musées nationaux en vue d’élargir leurs missions et répondre de manière efficace et spécifique aux enjeux actuels de la recherche et du développement durable ;
- Pour préserver les sites naturels et historiques, il importe de créer des écomusées pour que les communautés d’où ils sont implantés participent à leur sauvegarde et à leur valorisation. Ceci permettra une appropriation du patrimoine par les communautés locales et constituera un levier pour leur implication active à sa protection ;
- L’organisation régulière au musée, des journées scientifiques grand public sur des thèmes touchant aux grands enjeux contemporains à savoir l’environnement (le dérèglement climatique, la transition énergétique, etc.), le social (le genre ou l’égalité homme-femme, les droits humains, l’intelligence artificielle, etc.) et l’économie (la cryptomonnaie, l’industrie créative, l’économie bleue, l’économie verte, etc.). Ceci pour assurer un partage des connaissances sur des questions des temps actuels ;
- Sous ces mêmes thèmes devraient aussi être conçues et tenues au musée des expositions temporaires et permanentes et en dehors du musée des expositions itinérantes pour permettre une appréhension aisée et soutenue d’informations et des savoirs relatifs à ces thèmes là ;
- En tant qu’acteurs de cohésion et de paix sociale, les musées nationaux doivent organiser des événements (festivals, foires, etc.) où la diversité culturelle est mise en valeur et où les communautés se rencontrent, dialoguent et mettent fin aux conflits ;
- Que tous les musées nationaux se dotent d’un Plan de développement durable pour intégrer au sein de leur gestion les principes fondamentaux de développement durable ;
- Que l’État subventionne les musées nationaux afin qu’ils réalisent leurs projets de recherche ;
- Que l’État dote les musées nationaux des infrastructures de qualité afin qu’ils assurent une conservation optimale des patrimoines.

Conclusion

Le musée en tant qu’institution culturelle, espace privilégié de rencontre et d’échange des connaissances, lieu significatif de la protection et de la valorisation des patrimoines des peuples est bel et bien un acteur crédible du développement durable et il y contribue largement. Cela est matérialisé non seulement par ses innombrables apports aux enjeux de développement durable que sont la qualité environnementale, l’équité sociale et l’efficacité économique, mais aussi par la mise en application des principes fondamentaux y afférents qui sont la participation, la responsabilité, la précaution et la solidarité.

À propos des musées nationaux de la RDC, il est constaté qu’ils peinent à réaliser efficacement leurs missions suite aux multiples embûches auxquelles ils sont heurtés (manque d’infrastructures adéquates, insuffisance de ressources matérielles et financières, manque de subventions de la part de l’État, manque de formation en faveur du personnel, etc.). Dans cette situation d’incapacité, ils n’arrivent pas non plus à être des acteurs à part à entière du développement durable comme souhaité. Toutefois, notons qu’ils mènent des actions non négligeables qui concourent tant soit peu au développement durable. Le travail reste donc à faire en vue de les rendre des véritables acteurs de développement durable pour nos communautés.

Bibliographie

I. Ouvrages

- Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, Développement durable. Guide pratique pour les institutions muséale, Québec, Canada, 2011.
- BAKUA-LUFU BADIBANGA, Introduction à la muséologie, Kinshasa, Ed. IZEIDI, 2020, 131 p.
- La Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), La réalisation des objectifs de développement durable dans les pays les moins avancés (Recueil des politiques envisageables), Nations Unies, 2018.
- Société des Musées Québécois, L’écoresponsabilité: conseils pratiques pour les responsables d’institutions muséales, SMQ, 2012.
- MANTOS, Yara et VARINE, Hugues (de), La contribution des écomusées à l’éducation à l’environnement : Le cas de l’Ecomusée de la Serra de Ouro Preto (Brésil), Université du Québec à Montréal, 2019.

II. Articles scientifiques :

- NGOMA-BINDA P. Élie, « Pensée et pratique de la démocratie en Afrique postcoloniale : cinquante ans avant et après », Kinshasa, in Congo-Afrique, n° 448, Octobre 2010 [version numérique : version 1.02 (1961-2015)].
- KULENGULA A. et MUTAMBUDI V., « Art, culture et éducation », in Art et Philosophie, La quête de l’Absolu à l’aube du troisième millénaire : Mélanges en l’honneur du professeur Mgr Théodore MUDIJI MALAMBA GILOMBE, Kinshasa : Université Catholique du Congo, Kinshasa, 2010, 255 p.

III. Webographie

1. https:/www.mtaterre.fr consulté en février 2023 ;
2. https://www.unesco.org/fr consulté en mars 2023.

 

Par Élisée MUSUBAO MUMBERE, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024