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Yatima, orpheline et fugitive, dans le roman éponyme d’Antoine Ngoy Kamango

Aurélie BULAKALI NSIMIRE[1]

ykabenga@gmail.com

Résumé

La lecture du roman Yatima[2] d’Antoine Ngoy Kamango laisse voir l’héroïne, Yatima, une écolière devenue victime de cette guerre d’invasion imposée par la coalition des voisins de la RDCongo et leurs alliés occidentaux, guerre débutée en août 1998, qui s’est accompagnée d’un long cortège d’atrocités et d’horreurs : viols et massacres ; femmes éventrées ou enterrées vivantes ; déplacements des populations et enrôlement forcé des enfants soldats, guerre et dont Colette Braeckman a pu écrire : « Près de 3,5 millions de morts en six ans de guerre de 1996-2002. 1,5 millions de déplacés de guerre. La prévalence de sida passe de 4% à 20% en zones de conflits. 800.000 enfants sous risque de la pandémie. 10.000 enfants soldats. Une dizaine d’armées en guerre ouverte. »[3].

 

Mots clés : éponyme, sociolecte, sociogramme, déplacé de guerre, conflit.

Symbole : YTM (Yatima)

 

Introduction

Avant d’aborder l’étude sur le personnage Yatima qui est le sujet de notre étude, examinons le concept de personnage. Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov font remarquer « qu’il est un être de papier parce qu’il n’existe pas en dehors du mot. Il peut représenter des personnes selon des modalités propres à la fiction parce que fiction pour fiction n’est pas esthétique »[4]. En d’autres termes, les personnages sont ainsi les masques par lesquels l’écrivain se rêve et se raconte ; comme des personnes humaines créées par Dieu, ils naissent, grandissent et meurent dans le texte.

Pour Jean Pierre Goldenstein, le personnage du roman est « un être humain, homme et femme, représenté dans une œuvre de fiction. C’est donc la personne fictive qui remplit un rôle dans le développement de l’action romanesque. Le personnage en tant qu’être de papier offre au critique l‘occasion de l’étudier tant sur le plan psychologique que sur le plan fonctionnel. Ainsi, le caractériser c’est lui donner, bien que dans la fiction, les attributs que la personne qu’il est censée représenter posséderait dans la vie réelle »[5].   

1. Condensé de Yatima

Yatima, est l’histoire d’une jeune fille, Yatima, habitant à l’Est de la RD Congo, plus précisément à Moba. Le conflit du RCD l’enlève brutalement auprès des siens pour l’amener loin de son village. Dans sa fuite, elle sauve de la mort un bébé, Milka, l’unique survivant de tout un village ; lequel devient désormais son enfant. Elle parcourt un long chemin du Nord au Sud jusqu’à Lubumbashi où elle veut se reconstruire une nouvelle vie. Yatima, une déplacée de guerre, est témoin oculaire des atrocités et des scènes de barbarie provoquées par cette guerre injuste que les envahisseurs exercent sur les hommes, les femmes, les enfants et les vieilles personnes. Devant toutes ces horreurs décrites dans ce récit, l’on ne peut que reprendre cette réflexion de Sony Labou Tansi s’exclamant à ce sujet : « Le fantastique et l’horreur ont suffisamment rempli notre vie quotidienne. Ce n’est pas la peine de n’aller les chercher que dans le roman »[6].

Tous ces événements atroces amènent Yatima à une maturité précoce et à la décision de conserver sa virginité pour l’homme qui l’épousera.

En termes de personnage féminin principal, le narrateur ne parle dans ce récit que d’une seule femme du début jusqu’à la fin de l’intrigue, afin de la mettre en évidence. Ngoy Kamango condense des scènes horrifiantes qui mènent à la mort des populations terrifiées et incapables de se défendre contre ces envahisseurs rwandais qui saccagent et rasent tout sur leur passage : habitations, végétations,  animaux et surtout les humains.  L’évolution évènementielle de Yatima dans l’intrigue est présentée ici en trois parties.

 1.1. La première partie : Yatima, déplacée de guerre

Yatima est le personnage principal de ce livre ; c’est sous son optique que l’ensemble de l’action est présenté. C’est le personnage sujet et narrateur du récit. Yatima part passer les grandes vacances chez ses oncles à Kongolo ; ce qui était le rêve de son père depuis longtemps. Mais lors du retour à la maison, entre Kongolo et Moba, la guerre éclate, causée par le RCD et ses alliés occidentaux. Ce conflit inattendu l’enlève brutalement auprès des siens pour l’amener loin de son village. C’est la rupture d’avec sa famille. 

Alors Yatima devient une déplacée de guerre. Elle désire atteindre Lubumbashi en fuyant la guerre. Dans sa fuite devant les envahisseurs, tout d’abord, elle se bute sur un vieux mourant qui lui indique où est Milka, un bébé qui tétait le sein de sa mère déjà  morte, l’unique survivant de tout un village qui devient désormais son enfant. Ensuite, elle parcourt à pieds un long chemin de l’Est jusqu’à Lubumbashi, avec sur son dos le bébé, en compagnie des autres déplacés de guerre : Bakeni, un jeune homme de son village en fuite aussi, veut la violer ; la folle ; une compagne de route ; la mère de son ancien professeur de français, madame Générose Ngobola ; Madame Filo, Olga, etc. Elle devient témoin oculaire des scènes de barbaries que les envahisseurs exercent sur les femmes, les enfants et les vieilles personnes.

1.2. La deuxième partie : le cadre spatio-temporel

Le cadre spatio-temporel de la guerre se situe du Nord-Est au Sud de la RD Congo. Cette deuxième partie disserte sur le parcours que Yatima a effectué de Moba à Lubumbashi. Ce parcours  cadre avec des endroits où Yatima et d’autres déplacés de guerre sont passés : Kongolo ; Moba, au bord du lac Tanganyika ; le bourg Kabunda ; Mulonde ; Pepa ; Pweto ; Polokoso en Zambie ; Kasumbalesa et enfin  Lubumbashi.

1.3. Troisième partie : l’arrivée de Yatima à Lubumbashi

Pour sa survie et celle de son bébé, dès l’arrivée à Lubumbashi comme déplacée de guerre, Yatima devient la bonne (domestique) chez Vincent et Isabelle au quartier Golf : « Nous entrâmes dans le magnifique salon calme et bien meublé, je n’en avais jamais  vu de pareil ». (YTM, p. 66).

Sa chambre de « bonne », est située à l’annexe de la villa de ses patrons. «  C’ est une pièce avec le nécessaire pour la nuit, des draps propres, un matelas en mousse épais, sur un lit à panneaux, un petit placard, trois sièges et une table basse dans un coin, un seau et un bassin accroché au mur fraichement repeint, une pendule. C’était plus que suffisant pour une fille comme moi. ((YTM, p. 67)

Sa patronne, Isabelle, est jalouse de la beauté de sa bonne, Yatima. Elle la traite de prostituée qui veut lui voler son mari. Elle pousse sa méchanceté jusqu’à convaincre les parents d’un étudiant de refuser que leur fils l’épouse : « Un jour, le patron avait fini par la reprendre, elle lui rappela la triste histoire de la domestique du quartier qui devint la maitresse de son patron, exprimant par là sa crainte de me voir séduire son mari ». (YTM, p. 89).

En plus, qualifiant Yatima de sorcière, la patronne double sa malveillance jusqu’à vouloir proposer ses filles et sœurs à Alberto qui a déjà choisi sa bonne, Yatima, comme conjointe.

« Vincent, je me demande quel type d’homme tu es ? Tu as des grandes filles, des nièces, des cousines… qui chôment sans mari et tu arranges le dossier d’une fille de mauvaise vie, (…) et par surcroît ton domestique. Vous les hommes, vous êtes comme des chiens… Le sexe d’un femme vous donne le coup de folie ». (YTM,  pp. 102-103).

Enfin, à Lubumbashi, le destin la lie à un Européen, Alberto, un agent du HCR qui adopte Milka et les amène tous deux en Amérique au « Costa Rica, l’un des rares pays au monde où nous n’avons pas vu un soldat armé (…) ». (p. 108). Ce qui est un soulagement et un équilibre moral et psychologique pour cette jeune dame qui a subi tant de souffrances durant des années. Et c’est là qu’elle livre à son mari le secret de cet enfant que tous prenaient pour son propre fils.

2. Traits physiques et moraux de Yatima

Ce paragraphe nous informe sur les traits physiques qui indiquent leur valeur symbolique bien que cela soit le fruit de l’imagination des auteurs.

Dans cette partie de notre dissertation, nous étudierons une vue descriptive de Yatima telle qu’elle est présentée par l’auteur au cours de son déplacement en fuite devant les envahisseurs rwandais. Nous y constatons que le personnage Yatima présente plusieurs visages qui évoquent son comportement, son caractère, son éducation, etc.

Tout d’abord, il est question des traits physiques et moraux de l’héroïne dans le développement de l’action romanesque. Ensuite, nous parlerons de son âge, de son nom, de son habillement, de son alimentation ainsi que de sa valeur symbolique. Et à la fin,  nous donnerons son statut, sa profession et le rôle qu’elle joue dans l’évolution de l’intrigue. Toutes ces caractéristiques de l’héroïne sont le « désignateur fondamental du personnage. Ils remplissent plusieurs fonctions essentielles. Tout d’abord, ils « donnent vie » au personnage comme dans la vie réelle, ils fondent son identité. Par-là même, ils contribuent à produire un effet de réel »[7]. Ils sont commentés par l’auteur en fonction de l’être et du faire du protagoniste  pendant la guerre. Donc à travers ces caractéristiques de Yatima, Ngoy Kamango crée des mots pour exprimer le vécu quotidien du personnage de Yatima et des autres déplacés de guerre. Les vocables utilisés cadrent avec la mentalité et le comportement de l’héroïne explicitement ou implicitement dans le texte.

2.1. Traits physiques et moraux

De ce comportement dont elle fait montre à travers tout son trajet de déplacement, nous pouvons déduire dans ses traits physiques et moraux  décrits par l’auteur qu’elle est  maternelle (p. 47),  brave (p. 105), d’une grandeur d’âme (p. 05), chrétienne (p. 107), responsable (p. 108). Ce sont ces caractéristiques positives qui suggèrent sa conduite excellente que lui reconnaît aussi Vincent, son patron au quartier Golf à Lubumbashi.

2.2. Age       

Malgré son jeune âge, 19 ans, Yatima est orpheline de père et mère à cause de la guerre (p. 59). Sa détermination est d’échapper aux agresseurs, pour atteindre un endroit où elle trouvera la paix malgré les peines rencontrées en chemin avec un bébé au dos.

 

2.3. Nom

Nous remarquerons que le nom commenté de l’héroïne fonctionne en interaction avec son être et son faire. C’est ce qu’Yves Reuter appelle motivation du nom. « Ce qui signifie concrètement que le nom programme et synthétise en quelque sorte ce qu’est et ce que fait le personnage »[8]. Yatima n’est pas un simple nom donné au hasard; Ngoy Kamango l’a donné en swahili parce qu’il sert à désigner symboliquement le rôle que joue le personnage qui le porte dans l’évolution de l’intrigue. Ce nom est en swahili, parce que l’auteur, du Haut-Katanga,  l’a puisé dans le milieu où il vit. C’est un nom de prédilection, c’est-à-dire qu’il présage le destin du personnage qui le porte. Il comporte donc une signification particulière, dans une intention précise. Le lexème « Yatima » est un mot swahili qui signifie orphelin de père ou  de mère ou de deux. Dans le contexte de notre travail, Yatima a perdu son père et sa mère, tous deux tués par les envahisseurs. Cet extrait le prouve : « Enveloppée (Yatima) d’une terrible solitude, (…) : où serait présentement ma famille ? Que sont devenus mes parents, mes frères (…) ». (YTM, p. 13).

2.4. Alimentation

Pendant son déplacement, Yatima se nourrissait, suivant l’endroit où elle le pouvait, avec les autres victimes, elle se reposait un peu avant de continuer sa route. Elle a mangé tour à tour : bouillie au sorgho (p. 17) ; poissons frais, manioc  (p. 44) ; pain (p. 62) et a bu : de l’eau (p. 66) ; du fanta (p. 66). C’est cette nourriture de misère, d’infortune, qu’on lui sert avec les autres réfugiés pour avoir un peu de force nécessaire en vue de poursuivre leur chemin. Yatima le dit dans ces lignes :

« La guerre ! (…). Ce gros bourg s’appelle Kabunda, une espèce de halte pour les fugitifs. Nos hôtes préparèrent pour nous une appétissante bouillie au sorgho ». (YTM,  p. 17).

 « A Pweto, il fallait vite préparer un repas pour moi et Milka. (…). Le maigre repas fait de tubercules cuit à l’eau était prêt ». (YTM, p. 44).

2.5. Habillement

Avant la guerre, Yatima se distingue par la simplicité dans son habillement. Pour se rendre chez ses oncles à Kongolo, elle portait de nouveaux habits sans maquillage (p. 65). Pendant la guerre, le seul habit qu’elle avait sur elle s’est usé ; c’est ainsi qu’en arrivant à Pweto, elle rencontre madame Filo pour laquelle elle travaille. Et cette dernière lui achète des vêtements de friperie (p. 67) et des chaussures d’occasion     (p. 68).

2.6. Statut et Valeur symbolique

La valeur symbolique montre qu’un personnage peut être représenté au-delà de lui-même. Fille bien éduquée chez ses parents, sa détermination malgré son jeune âge, est d’échapper aux agresseurs pour atteindre un endroit où elle trouvera la paix, malgré les peines rencontrées en chemin avec un bébé au dos. Yatima se distingue par sa bonne conduite constante tout au long de sa  route en fuite devant les envahisseurs : « Mes parents furent de pieux croyants catholiques, ainsi nous avons vécu dans une ambiance chrétienne des moments de joie, de bonheur et d’amour. A 17 ans je montais en cinquième année des études pédagogiques. Jusqu’à cet âge, je n’avais jamais connu d’homme, à cause de l’éducation reçue en famille ». (YTM, pp. 107-108).

Vincent, son patron au quartier Golf à Lubumbashi, lui reconnaît aussi.sa bonne et excellente conduite : «Ces désignations dues aux circonstances de la vie, correspondent à ses qualités morales que lui reconnaît Vincent (…), si elle retient mon attention, c’est par ses habitudes, je me demande même si cet enfant est sien. Elle a une grandeur d’âme sans limite, un comportement exemplaire. Je ne pense pas qu’elle soit hypocrite comme les autres filles de notre maison et même du quartier (…). (YTM, p. 103).

Elle fut également appréciée par Alberto, un Américain du HCR qui l’épouse et l’amène au Costa-Rica : « En arrivant à Lubumbashi, le destin lie Yatima à un Européen Alberto de la HCR qui adopte Milka et les amène en Amérique à « Costa Rica, l’un des rares pays au monde où nous n’avons pas vu un soldat armé (…) ».  (YTM, p. 108).

Ainsi, à la suite de ce qui précède, nous avons dégagé plusieurs types de symboles qu’incarne Yatima. Malgré son jeune âge, elle symbolise vraiment l’honnêteté, la dignité, la fermeté, la pureté, la stabilité, la maturité, la bonne éducation, le courage, la vertu, la soumission. A vrai dire, ses traits physiques dévoilent son for intérieur qui représente sa valeur symbolique.

En effet, le comportement de Yatima est de plus en plus louable, suivant la description de ses traits, de son habillement et de son attitude vis-à-vis des autres déplacés de guerre, du bébé Milka, de ses patrons et de son mari.

2.7. Idéologie de Yatima

La jeune fille Yatima, modèle de l’éducation morale congolaise pour la conservation de la virginité comme valeur culturelle positive, s’est battue pour le règne de la paix au sein de la nation congolaise qui en est le principal bénéficiaire, pour le nouveau-né adopté et pour elle-même.

3. Sociolectes 

D’après Wikipédia, sociolectes, c’est « l’ensemble des formes et moyens d’expression d’une langue caractéristiques d’un groupe social. Cela veut que c’est le langage utilisé dans une société pour exprimer les évènements sociaux qui se passent à un moment donné dans la société ». Yatima est un roman d’actualité, qui nous transporte dans l’Est de la RD Congo où prédominent la guerre et l’insécurité depuis 1998 jusqu’à ce jour. Les indices textuels dans Yatima dénoncent une société en proie à la guerre. Ngoy Kamango y trace un tableau macabre, plein des péripéties funestes, qui décrit les souffrances du peuple congolais dans cette partie du pays.

L’un des aspects qui caractérise l’écriture de ce livre, est la qualité de son expression, c’est-à-dire que le narrateur utilise un langage clair et simple pour être mieux compris par tous, l’homme cultivé comme celui de rue. Le langage que pratique le narrateur reflète des horreurs et de la cruauté assassine de la guerre de coalition rwandaise et alliés.

Voici quelques textes qui retracent le climat de guerre ; les tableaux macabres, tels qu’ils sont vus et décrits par l’héroïne, illustrent, successivement, l’éclatement de la guerre :

L’éclatement de la guerre :

 « Le jour de retour fut douloureux, la séparation difficile. (…). Les deux mois (de vacances) étaient vite passés. (…). Nous connûmes sur la route très sinueuse, une panne de moteur à quelques kilomètres de Moba. Il fut décidé de nous rendre au grand village à 15 km de distance. (…). Après trois heures de marche, une rafale bien nourrie, suivie de plusieurs expositions de roquette troubla notre gaité. (..). Mais lorsque ces crépitements à l’arme automatique et les explosions devenaient permanents, c’était un sauve-qui-peut général ». (YTM, pp. 108-109).

 

La mort d’un vieillard :

 « J’entendis peu après des gémissements non loin du lieu où j’étais cachée. Curieuse, je m’approchai prudemment et constatai que c’était un vieux, gisant sur le sol et qui saignait de partout, il se tordait de douleur. Ayant pressenti ma présence, il essaya de retenir son souffle (…). De sa bouche ensanglantée, le vieillard tenta d’articuler (…) mais la voix ne vient pas. (…), l’homme m’indiqua un lieu où il y a une scène horrible et arriva à prononcer avec peine quelques mots ; il y a un bébé là-bas,  un bébé épuisé (…) et qui continuait à téter la mère égorgée ». (YTM, p. 7).

La mère du bébé baignant dans son sang :

«Une mère morte avec, à son côté, son bébé vivant, émeut Yatima.  L’enfant a échappé on ne sait comment, tétant le sein de sa mère qui ne se réveillera plus.  L’image de sa mère inerte sur le sol dans un bain de sang, la carotide ouverte de bout à bout ». (…).  Sur la plaie béante de la mère, une vraie nuée de mouches. Certainement l’enfant ne pourrait plus rien tirer de ce sein flasque et refroidi. Elle l’arrache du sein maternel et se met à fuir avec lui en sautant des cadavres « des vieux, des tout-petits, mêmes des femmes, victimes inoffensives. Que c’est ignoble! Elle suit d’autres fuyards en empruntant des sentiers détournés ». (YTM, pp. 7-8). 

Des spectacles apocalyptiques :

« De ma cachette, je pus voir un spectacle d’apocalypse : des villageois hommes et femmes de tout âge, traînaient çà et là égorgés. Les armes blanches avaient servi au carnage. J’avais du mal à reprendre le souffle tant le tableau était terrifiant. Je fus tirée de là comme projetée par un ressort par des gémissements rauques d’un homme en train de mourir. (…), c’était un vieil homme (…) grièvement blessé à coup des baïonnettes ». (YTM, p. 108).

« La compagne de route, croise par hasard Yatima et lui relate les atrocités vécues sur son chemin mais pour elle l’heure n’est pas aux jérémiades inutiles, nous voulons vivre. Jamais je n’oublierai ce spectacle d’apocalypse, c’est la première fois que je vois les entrailles humaine ». (YTM, p. 13).

 « Une vieille dame d’une soixante-dizaine d’ans essaie de sauver sa vie devant les envahisseurs ruandais. Elle est en train de pleurer. C’est un drame pour des personnes âgées. Personne ne peut rien pour elle car chacun veut sauver sa vie. Et personne ne peut venir au secours des nécessiteux.  Abandonnée à elle- même, elle tente de se sauver mais ne pouvant  plus  elle s’arrête courbée sur sa canne et adresse à Dieu sa prière : Où irai-je pleurer mes petits-fils tués ? Qui va m’enterrer ? Non, je ne veux pas mourir sans sépulture (…) ».  (YTM, pp.  8-9).

« Une dame folle qui habitait non loin de chez nous » en fuite des hostilités depuis le Sud-Kivu avec ses bagages en désordre sur la tête, Fatima se demande comment dans son état de folie, elle sait qu’il y a la guerre. Elle s’évade également devant les envahisseurs rwandais. Comment cette femme remarque-t-elle (…) les dangers de la guerre prenant ainsi sa fuite ? Raisonne-t-elle comme nous ? Qu’est-ce qui fait alors qu’elle arrive à perdre la raison jusqu’au point de se déshabiller en public?» (YTM, p. 39).

Yatima, mère adoptive de Milka :

 « C’était un vieil homme agonisant (…) grièvement blessé (….). C’est lui(…) qui m’indiqua la présence de Milka. Je l’ai pris pour le sauver et dès lors, il est devenu mon enfant. Je n’ai dévoilé à personne mon secret … Il est devenu mon enfant.  Alors que je ne connaissais pas encore  d’homme ». (YTM, pp. 108-109).

 

Ce roman  relate les pénibles moments que vivent Yatima et les autres personnages déplacés de guerre à l’Est de la RD Congo. Par la description de ces scènes macabres, l’auteur veut conscientiser l’autorité pour faire sortir le peuple congolais de ces souffrances impitoyables de la guerre.

LEst de la RD Congo, dans cette partie de notre pays, il y a un disfonctionnement dans la société qui amène des populations de lEst à vivre chaque jour dans le cauchemar. Ces scènes dhorreur permettent de réfléchir sur le sens de la vie que la méchanceté humaine brise par la guerre. Il faut en vivre pour connaître les méfaits.

Tout Congolais, au sujet de cette guerre dagression, sait que Mzee Laurent Désiré Kabila avait prophétisé quelle sera longue, populaire et pénible. Cette prophétie tient la route. Mzee avait raison parce que les populations vivent dans un chaos sans issue à lEst du pays jusqu’à ce jour.

 

4. Sociogrammes

Le sociogramme,  « c’est le thème principal, un noyau autour duquel gravitent, par le travail de construction de l’auteur, d’autres thèmes secondaires ou sous-thèmes en vue de créer une situation typique. Bref, le sociogramme est l’ensemble des problèmes sociaux créés, posés et vécus dans l’œuvre littéraire »[9].

Dans ce paragraphe, le « thème central » ou « le noyau », c’est le personnage principal Yatima qui décrit le calvaire qu’elle subit par la guerre menée par des rebelles rwandais à l’Est du pays. C’est autour de ce noyau que gravitent d’autres sous thèmes qui sont les personnages secondaires et figurants que nous découvrirons dans les lignes suivantes.

4.1. Quid de Yatima pendant ce moment de cruauté assassine

Le meneur d’action est Yatima, le personnage principal de l’histoire. Elle est le narrateur de sa propre vie. Elle se distingue des autres personnages  parce que l’ensemble de l‘histoire se construit autour d’elle, de ses actions et de ses choix. C’est sur lui que repose la réussite ou l’échec de l’histoire. En bref, ce personnage joue un rôle important dans la société du roman.  Le parcours de sa vie a deux points :

 

4.1.1. La vie en famille

Chez ses parents, l’héroïne a bénéficié d’une très bonne éducation comme elle le relate sus-dessous :

 « Je suis aînée d’une famille de 6 enfants dont 2 filles et 4 garçons. Mon père (…) s’appelait Ali et ma mère Sifa. Je suis née à Moba, à l’Est de la République Démocratique du Congo au bord du lac Tanganyika (…), qu’on appelait Baudouinville (…). Mes parents furent de pieux croyants catholiques, ainsi nous avons vécu dans une ambiance chrétienne des moments de joie, de bonheur et d’amour. A 17 ans je montais en 5ème année des études pédagogiques. Jusqu’à cet âge, je n’avais jamais connu d’homme à cause de l’éducation reçue en famille. » (YTM, pp. 107-108). L’auteur a donné peu de renseignements sur la vie de Yatima chez ses parents. Passons à sa vie de refugiée de guerre qui est l’objet de notre étude.

4.1.2. Yatima déplacée de guerre

Comme tout Congolais devant des envahisseurs, Yatima fuit. Sur sa route, elle rencontre des folles et des vieilles personnes qui essayent de sauver leur vie mais n’y peuvent plus et n’ont personne pour les aider car « c’est, sauve qui peut ». Et un hasard la fait trouver un bébé, qu’elle nomme Milka, le seul escarpé de ce village entre Kongolo et Moba : « J’ai pris l’enfant pour le sauver et dès lors il est devenu mon enfant. Je n’ai dévoilé à personne mon secret. » (YTM, p. 110).

Pendant ces moments d’errance et de déplacement, Yatima devient l’objet de moquerie et la proie de demande de jouissance sexuelle de tous les mâles qu’elle croise sur son passage, comme Bakeni, un jeune homme de son village en fuite aussi qui veut la violer suivant en cela l’exemple des militaires congolais. Mais elle est épargnée par le fait qu’elle porte le bébé.

Devenue précocement, mère et  femme d’une grandeur d’âme, elle n’a pas jeté ce bébé en cours de route, bien qu’elle fût maltraitée et méprisée comme fille mère partout où elle passait. Au contraire, elle donne toute sa confiance et l’espoir de vivre à ce petit rescapé de guerre.

Yatima arrive à Lubumbashi où elle se réfugie après avoir subi  des intimidations et des bastonnades, etc. Là, elle devient d’abord une « bonne » au quartier Golf, chez Vincent et Isabelle. Et dans la suite, elle devient une épouse exemplaire d’Alberto. Elle fait la joie de son époux et de Milka. Son époux adopte cet enfant et Yatima lui donne le nom de sa mère, Kahozi, décédée, tout comme de son père, Roger Kipili, tous deux décédés, tués par les agresseurs.

 5. Relations avec  d’autres déplacés de guerre

Les autres personnages apparaissent au fur et à mesure, dans le roman en fonction des actions que mène l’héroïne dans le récit. Ils ne sont pas impliqués dans l’action principale. Ils apparaissent suivant le rôle qu’ils jouent auprès de Yatima dans le texte. Ils viennent la soutenir dans sa quête : fuir les agresseurs rwandais jusqu’à Lubumbashi. Nous découvrirons tout à tour ses compagnons de fuite :

  • Ali et Sifa, le père et la mère de Yatima ne sont pas visibles sur scène car ils sont morts le même jour, tués par les agresseurs rwandais. Le narrateur  parle d’eux quand il est né. C’est sa maman qui lui donna le nom de Yatima.
  • Yatima avec les autres personnages (hommes, femmes, jeunes, vieillards)  poursuivent la route sans s’arrêter avant qu’ils ne soient sûrs d’être loin des agresseurs.
  • A Kabundale gros bourg, une espèce de halte pour les fugitifs déplacés de guerre ; ils entrent chez .la mère de Générose Ngobola, son ancienne professeur de français, qui accueille avec joie Yatima et les autres fugitifs. Elle porte un regard de compassion sur elle et l’enfant qu’elle transporte au dos, en les soignant et en les nourrissant durant leur séjour chez elle. Yatima quitte Kabunda et atteint Pweto en passant par Kalemie.    
  • A Pweto,, elle fait connaissance d’Olga et  Filo qui vont jouer un rôle important en ces moments pénibles de sa vie. Toutes deux commerçantes et proxénètes habitent Lubumbashi et viennent acheter à Pweto des poissons à revendre. Frivoles, elles veulent profiter de la beauté de Yatima en voulant la livrer à leurs amants pour leur profit. Elle refuse ces ignobles avances car sa virginité est réservée à l’homme qui va l’épouser.
  • Après un temps dans cette cité, les Rwandais s’annoncent. Olga sauve Yatima et Milka des mains des agresseurs en les emmenant en  Zambie. C’est là, qu’elle prend un camion qui les dépose à Lubumbashi, toujours, avec le bébé.
  • A Lubumbashi, une dame du quartier Golf, Isabelle, l’épouse de Vincent, la remarque et l’engage comme bonne de ses filles. Le fils aîné du patron, fasciné par sa beauté lui propose beaucoup d’argent pour s’amuser avec elle. Yatima refuse. Mami est célibataire, fille d’Isabelle et de Vincent aussi, elle incarne la gentillesse et la tendresse envers Yatima. Elle est la première à connaître les fiançailles d’Alberto et Yatima et encourage celle-ci. Quant à Sylvie, elle  est victime de sa vie de désordre. Elle est sacrifiée par son copain, le fils aîné d’Isabelle qui préfère qu’elle meure à sa place. Yatima venait lui rendre visite à l’hôpital avant sa mort.

Lors de son mariage, l’héro&i

Par Aurelie BULAKALI NSIMIRE, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024