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Afrique du Sud: La lutte pour un nouvel ordre politique et social.

Une étude de cas sur l’analyse d’un modèle théorique de résolution de conflit

Alphonse Kasongo Djunga[1]

alphonse.kasongo@unikin.ac.cd

Résumé

L’Afrique du Sud, depuis ses pratiques des discriminations raciales, politiques et sociales,  présente un cas intéressant d’application de la théorie formelle de résolution de conflit. À travers cette étude de cas, notre discussion montre qu’en fait ce pays présente à travers sa politique sociale et économique un cas qui nécessite une analyse multivariée pour arriver à comprendre comment est-il arrivé à une cohabitation sociale pacifique des différentes populations que composent ce pays. Cette étude de cas (l’une des méthodes qualitatives) qui est la base de notre analyse ainsi que la discussion que nous présentons ci-après ont été possibles et faites sur la base des données contenues dans l’argument présenté par Marina Ottaway (1993). South Africa: The straggle for a new order.

Washington, DC: The Brookings Institution.

Mots clés: Étude de cas, Conflit. Résolution de conflit.

Comportement Psychologique.

Changement de Comportement.

Nouvel Ordre Économique.

Nouvel Ordre Social.

Ségrégation. 

 

Introduction

Le cas de l'Afrique du Sud offre un cadre de discussion théorique intéressant sur l'analyse des conflits qui inclut les conflits violents et les conflits non violents. 

D'une part, il y avait des organisations non-violentes et religieuses (églises) qui prônaient une stratégie de non-violence pour la résolution des conflits, d'autre part, la création de l'aile militaire de l'African National Congress (ANC) en tant qu’une composante du parti politique, était une décision délibérée pour s’engager à une violence et pour persuader par la lutter contre l'utilisation par le gouvernement de forces coercitives. Ceci permettait ainsi aux deux parties en conflit d'utiliser la force soit sous la forme de protestation et de refus de reconnaître l'autorité «légale» ou dans la manière d'imposer cette autorité.

Le conflit entre ces deux parties, la population noire et la population blanche, a été causé par la pratique d'un système politique appelé apartheid. Celui-ci est un système de gouvernement minoritaire qui préconise la ségrégation des populations ainsi que la domination de la majorité par une minorité. En réponse à la politique d'apartheid, l'ANC, un parti politique représentant la population majoritaire et dominée,  avait changé sa stratégie non-violente en adoptant un type violent de résolution des conflits. Les membres du parti étaient convaincus que leurs aspirations n’étaient pas et ne seront pas satisfaites en raison de l’absence de collaboration du parti opposé, le gouvernement. Cette absence de collaboration, qui avait créé la perception de déprivation relative, avait rendu rigides les aspirations du groupe élargissant par ce fait l'ampleur du conflit.

Cette perception de déprivation relative incluant celle des besoins physiologiques (comme les besoins humains fondamentaux); ceux des intérêts politiques et économiques devenait une indication de la suppression volontaire et délibérée de toute aspiration et option disponible aux populations majoritaires (en majorité noire) par les populations minoritaire (majoritairement blanche). Ces «aspirations sont encore plus rigides lorsque le parti considère ses objectifs comme légitimes» (Pruitt, 2004, p.19) ou tout simplement au moment où il développe des sentiments de déprivation relative. La théorie formelle de résolution des conflits soutient que c'est cette divergence d'intérêts qui conduit le parti à faible pouvoir à adopter des stratégies qui permettraient à ses membres de satisfaire ou d'atteindre leurs objectifs (Kasongo, 2013). Ces stratégies incluent la violence comme l'explique la spirale conflictuelle du modèle d'escalade (Pruitt, 2004). 

En effet, le recours aux forces de police et le refus du gouvernement de répondre aux besoins de l’adversaire ont conduit à une spirale de violence. Ce modèle, comme l'explique Pruitt (2004, p.96), «soutient que l'escalade résulte d'un cercle vicieux d'action et de réaction dans lequel, dans ce cas, les parties considèrent l'autre camp comme l '« agresseur »parce que cela les rend mieux eux-mêmes ou leur groupe ». Les militants de l'ANC cherchaient à se défendre / se protéger des brutalités ou des agressions policières tandis que la police jugeait ces actions comme une résistance et des représailles exigeant donc une force plus forte pour contenir les «protestations» et maintenir l'ordre public. Et comme «les spirales de conflit sont souvent difficiles à arrêter une fois qu'elles ont commencé parce que chaque partie a le sentiment que le fait de ne pas riposter sera perçu comme un signe de faiblesse» (Pruitt, 2004, p. 97), cette spirale d'actions et de réactions a conduit à plus de confrontation avec comme conséquence que les parties s'éloignent de plus en plus d'une résolution pacifique.

 

I. Méthodologie de travail          

Nous analysons et discutons ci-après  le (s) conflit (s) impliqué (s) pendant la lutte pour un nouvel ordre dans la société sud-africaine telle qu'elle est présentée par Marina Ottaway dans son argumentaire sur South Africa, The Struggle for a New Order. L'exercice se fait à l'aide d'un instrument appelé SPITCEROW (acronyme pour: sources, parties, enjeux, tactiques, changements, élargissement, rôles des autres parties, issue du conflit et identification du «gagnant»). Le SPITCEROW est l’une des techniques de la méthode d’étude de cas. 

1. Étude du conflit:

a. Les origines du conflit

Les inégalités sociales et économiques ont créé une perception de déprivation (à la fois absolue et relative) pour la population noire qui, par rapport à ses homologues blancs et indiens, avait un statut de vie très bas, en plus du système d'assujettissement politique et de colonialisme qui était sévèrement ressenti par les Noirs. C'étaient là la source évidente de conflit. La lutte pour le partage du pouvoir et les droits politiques de la majorité des Sud-Africains dominées par leur homologue minoritaire étaient les sources cachées du conflit. Apartheid était le mot clé du système. C’est-à-dire, un système dans lequel la minorité blanche contrôlait les quatre cinquième des terres et des ressources économiques sur le cinq sixième de la population du pays composée de noirs. Cette domination et ce refus de partager le pouvoir ont conduit le parti de la majorité à ne pas reconnaître (respecter) la légitimité, l'autorité et le pouvoir de la minorité. Le parti au pouvoir avait de ce fait, utilisé tous les moyens, y compris la coercition, pour persécuter le comportement dit «récidiviste» pour maintenir l'ordre public. 

Ainsi, cet usage de la force avait créé une spirale de conflit conduisant à un type de conflit de violation et de non-respect des droits de l'homme. Ce dernier avait fini par captiver l'attention de la communauté internationale.

b. Les parties au conflit

«Les conflits étaient entre les populations blanches et noires» (Ottaway, 1993, p.10).

Ils étaient incarnés par le gouvernement sud-africain représenté par le Chef État SudAfricain Frederik W. de Klerk et l'African National Congress (ANC) représenté par son chef Nelson Mandela. Il faudrait noter ici que «l'ANC était aussi le symbole de la représentation d'autres organisations antiapartheid. Cela comprend la branche militaire de l'ANC, le Mouvement Démocratique de Masse » (Ottaway, 1993, p. 42) et les organisations religieuses. Il faut ajouter également le fait que les inégalités sociales avaient été aussi à la base du conflit entre noirs et blancs car elles ont également engendré un mouvement antiapartheid.

A long terme, l'organisation de la réunion démocratique en Afrique du Sud avait donné aux deux parties en conflit une plate-forme leur permettant d’exposer leurs positions et leurs intérêts qui étaient en totale opposition l'un de l'autre. Les négociations devaient être menées sur la base de ces positions et intérêts.

2. Les questions en litige

La fin des inégalités sociales et économiques était le problème évident en litige. L'ANC voulait voir une intégration totale de la population noire dans les représentations politiques et une allocation équitable des ressources sociales et économiques à tous les Africains vivant en Afrique du Sud. Cependant, la question cachée était le transfert du pouvoir de la minorité blanche à la population majoritairement noire et en particulier aux dirigeants de l'ANC; le brassage de l’armée par l’intégration des militaires de l'ANC dans l'armée nationale; l’infusion culturelle et l’intégration multiraciale et linguistique (culture et identité). D'un autre côté, le gouvernement voulait voir un système qui assimilerait le pouvoir entre la majorité et la minorité, en particulier celui des dirigeants blancs actuels. Ainsi «tout en poursuivant formellement la politique de la patrie, le NP a entamé en 1976 une longue recherche d'un système politique qui préserverait le pouvoir blanc tout en satisfaisant également les demandes des noirs» (Ottaway, 1993, p. 91). Pour régler ces différends, le pays avait tenu sa première Convention pour une Afrique du Sud Démocratique (CODESA). Sauf que «l'organisation de cette conférence de réconciliation nationale et surtout la conférence dont la constitution devait être le résultat et le nouveau gouvernement d'unité nationale formé a été un échec. Il s'agissait d'un effort délibéré d'offuscation de la part du gouvernement et de négligence quant aux détails de la part de l'ANC »(Ottaway, 1993, p. 8). L'une des raisons qui justifient l'échec de la conférence était que de Klerk ne voulait pas partager le pouvoir avec le mouvement antiapartheid. De plus, l'absence d'un facilitateur neutre entre les parties n'a pas aidé à faciliter le processus de négociation. Le Parti National (NP) avait l'intention de continuer à gouverner le pays jusqu'à ce que la nouvelle constitution soit adoptée. Il avait refusé de doter et de reconnaitre le pouvoir d’un gouvernement intérimaire. Le refus a été considéré comme un mouvement stratégique possible pour contrôler et manipuler le résultat des élections constitutionnelles ainsi que la formation du gouvernement qui résulterait de cette nouvelle constitution.   

II. Tactiques que les parties utilisent les unes contre les autres

Les tactiques utilisées par les mouvements de libération et antiapartheid étaient principalement liées à la mobilisation de masse comme les marches de protestation, les extravagances funéraires et les sermons d'église. En outre, ils ont également utilisé la pression internationale et diplomatique. L'ANC a également utilisé la lutte armée comme des représailles et d'autres manifestations violentes qui ont finalement forcé le gouvernement à négocier. D'un autre côté, le gouvernement avait présumé annulé certaines lois d'apartheid en même temps qu'il a été souligné que les actions militaires de l'ANC étaient des actes de terreur. «NP a accusé l'ANC de soutenir le communisme et de plaider en faveur d'une politique économique étatique. Cette tactique avait empêché l'ANC de recevoir autant de financements étrangers qu'auparavant » (Ottaway, 1993, p. 44). Additionnement, le NP avait stratégiquement exigé que l'ANC abandonne son orientation militaire et devienne strictement un parti politique. L’objectif était d’affaiblir l'ANC car cette stratégie visait à laisser pouvoir coercitif entre les mains du NP.

En plus de cette dernière stratégie, le gouvernement avait feinté l’abrogation de l'apartheid, sans avoir abrogé son propre pouvoir. Cependant, l’action du gouvernement résultait par l’application de la politique de création de «patries» avec l'intention de réduire l'unité de la majorité Noire. L’astuce était de donner à ces patries non-blanches un certain pouvoir économique les rendant ainsi plus viables que le reste de la communauté noire. Ces communautés «'non-blanches' (Ottaway, 1993, p.10) ont ensuite été divisées en colons et asiatiques, et devaient coexister en plus des dix groupes ethniques africains différents». L'essence de cette stratégie était de transformer l'Afrique du Sud d'un pays dans lequel une minorité tenait la majorité à distance en un pays de minorités différentes. Néanmoins, en essayant d'accentuer les clivages et d'imposer une conscience ethnique, le gouvernement a involontairement uni les Noirs dans leurs efforts pour lutter contre la pratique de l'apartheid. Suite à cette tactique, l'ANC avait suspendu sa participation aux discussions constitutionnelles.

Par la suite, la décision de l'ANC de se retirer du débat sur la constitution et la tactique de division du gouvernement ont généré une spirale de violence pour laquelle les deux parties se sont accusées de ne pas vouloir résoudre le conflit. Entre-temps, la division au sein de l'ANC s'est intensifiée de plus en plus car elle avait été bien accueillie et encouragée par le NP et le gouvernement. Enfin, «le gouvernement, après avoir accusé l'ANC de vouloir mettre en œuvre l'idéologie communiste, a corrompu Inkatha» (Ottaway, 1993, p.7) pour saboter l'image de l'ANC. Cette dernière action a conduit

Mandela à ne plus considérer de Klerk comme un homme intègre l’accusant ainsi de duplicité.

III. Les changements observés du conflit

Le grand changement observé concernait l'alliance et la stratégie politique de l'ANC et de ses partis affiliés internes. La discussion entre les partis antiapartheid unifiés et le gouvernement aurait pu générer des résolutions fortes pour le nouvel ordre. Cependant, «le Front Démocratique Uni (l'aile militaire de l'ANC non banni) a dû décider de se rallier ou non à l'ANC. Le Congrès panafricaniste d’Azania (PAC, un groupe d’idéologie de la puissance noire) et l’Organisation du peuple azanais (AZAPO) ont tous deux fait face aux mêmes choix. Leurs dirigeants voulaient avoir une prise de position importante pendant le processus de dialogue sur la paix. Cependant, «les objectifs et les intérêts de tous ces différents partis participants étaient trop divergents et l'enjeu trop important pour que des compromis soient élaborés rapidement, voire pas du tout» (Ottaway, 1993, p. 5). Tout ce changement d'attitude avait justifié des violences qui avaient éclaté un peu partout entre les partisans de ces partis. Comme il fallait s'y attendre, «les organisations d'extrémistes blancs de droite ont publié des déclarations militantes et se sont livrées à des actes de sabotage» (Ottaway, 1993, p. 5). Cela avait changé toute la dynamique du conflit. Le conflit  prenaient ainsi des visages multiformes: il n'y avait plus d'ANC unifié assez fort pour équilibrer le pouvoir du NP. Dans certaines régions, la plupart des combats sont devenus des combats ethniques. Cette situation affaiblit de plus en plus l'ANC en tant que représentant des organisations et partis politiques antiapartheid.

 Un autre fait qui avait changé la dynamique de ce conflit était le point de vue de la célébrité de Nelson Mandela. La communauté internationale l'avait dépeint davantage comme une célébrité (un ancien prisonnier des droits de l'homme)  « que comme un chef politique d'une communauté qui luttait pour le partage du pouvoir politique et la reconnaissance de l'identité. Cela signifie que l'ANC n'était alors pas considéré comme une lutte antiapartheid mais comme un mouvement qui défendait encore des idées radicales dépassées. En conséquence, l'ANC avait perdu un peu de son éclat » (Ottaway, 1993, p. 6) à l'époque, pendant que l'approbation internationale de de Klerk augmentait. 

Nonobstant cette offensive stratégique de l’AP à affaiblir le dirigent de l’ANC, la machine de division mise en place par le gouvernement avait été démantelée quand il avait été découvert que «deux membres du cabinet de Klerk avaient corrompu Inkatha dans le but de saboter l'image de l'ANC. Frappant sur cette opportunité, l'ANC avait exigé et réussi à obtenir la révocation de ces deux membres du cabinet. Cette soumission partielle à l'ultimatum de l'ANC » (Ottaway, 1993, p. 7) avait été considérée comme une victoire politique. Elle avait changé la dynamique du conflit global. Ainsi, lentement, le conflit sur l'apartheid s'était dissous en un ensemble de clivages entrecroisés et chevauchants, conduisant à des conflits ouverts.  

IV. Élargissement du conflit

La décision de mettre fin à l'apartheid et la réunion de Groote Schuur et son procès-verbal avaient établi un environnement de travail de confiance entre les parties. Mais la fin de l'apartheid en tant que conflit social est à l'origine d'un autre conflit: le partage du pouvoir, la règle de la majorité contre la règle de la minorité. «Le processus de résolution des conflits lui-même faisait également partie de la génération des conflits» (Ottaway, 1993, p. 3). «La fin prochaine du conflit primaire sur l'apartheid avait stimulé la compétition pour le pouvoir, et donc une série de conflits secondaires au sein et entre les organisations et les groupes partis au conflit» (Ottaway, 1993, p.3).

Au sein du groupe (ANC), il y avait un autre conflit qui devait être résolu: la structure politique en exil et la branche militaire interne (le Front démocratique uni: UDF) d'une part, et le conflit de l'écart de génération entre l'ancienne classe de politiciens et nouvelle génération de politiciens en revanche. Ce dernier conflit au sein de l'ANC avait généré beaucoup de malentendus qui avaient limité la capacité de ses dirigeants à se rassembler et à unifier leur position dans leur entretien avec le gouvernement. Mais l'essentiel était la décision du leader de l'ANC de convertir la philosophie de non-violente en celle de violence. «Les dirigeants de l'ANC se sont sentis obligés, en 1961, d'abandonner le strict respect de la non-violence et de se préparer à la résistance armée. Nelson Mandela avait expliqué dans sa déclaration au tribunal en avril 1964, que "les membres de l'ANC avaient commencé à perdre confiance dans la politique de l'ANC, car cinquante ans de non-violence semblaient n'avoir rien abouti et développaient des idées de terrorisme". Les dirigeants de l'ANC avaient estimé qu'une résistance violente correctement contrôlée, sous la direction de l'ANC, était essentielle pour éviter le danger du terrorisme et faire des progrès » (Reddy, 1986). Cette déclaration indiquait que l'ANC était un allié incontournable dans toute négociation qui devait réussir.

V. Rôles des autres parties.

Des parties internes et externes ont joué un rôle majeur dans le cours de ce conflit car elles ont affecté son issue. De l'intérieur, le conflit qui était considéré au départ comme un conflit entre les populations blanches et noires avait généré d'autres conflits aux multiples facettes. Du côté de l'ANC par exemple, il y avait plusieurs autres partis affiliés qui voulaient être présents à la table des négociations et participer au partage du pouvoir. Ces partis étaient l'aile de l'armée et l'aile de la religion. Ce dernier était strictement nonviolent. Leur «croissance et le développement de la solidarité internationale ont encouragé et permis à des dirigeants comme l'archevêque Desmond Tutu, les révérends Alan Boesak et d'autres hommes d'église de défier les lois à plusieurs reprises et de forcer le régime à se retirer» (Reddy, 1986). En revanche, à l'intérieur du NP, le parti conservateur et la droite extraparlementaire se sont séparés. Ces divisions internes avaient involontairement joué un rôle positif dans le succès du CODESA. «Au début, cette complexité interne et croissante du conflit avait rendu difficile toute négociation possible» (Ottaway, 1993, p.12). Cependant, cela avait obligé le gouvernement et l'ANC à agir en tant qu'acteurs principaux du conflit. La négociation était le seul moyen pour eux d'atteindre leurs objectifs d'origine sans chercher à trouver une solution de compromis avec leurs affiliés internes. L'adoption d'une nouvelle constitution n'avait pas résolu les principaux problèmes. Au contraire, cela les avait aggravés car il avait exclu les Africains du processus politique, et il était donné aux Indiens et aux Colorés des droits limités. Ce qui avait conduit à plus de violence avec l'imposition de l'état d'urgence. 

 L’utilisation continue et accentuée du système répressif par le gouvernement avait fini par être désapprouvée par la communauté internationale conduisant ainsi le pays à un isolement au niveau international plongeant l'économie en état de récession. Toute cette nouvelle évolution de la situation a poussé le gouvernement à chercher à négocier avec l'ANC. Le système politique avait ensuite été réformé. de Klerk, qui avait pris l'initiative de négociation, s'attendait à «changer suffisamment le système pour restaurer la paix sociale et normaliser les relations de l'Afrique du Sud avec le reste du monde, mais éviter un transfert complet du pouvoir aux Noirs, passant à la place à un système appelé 'partage du pouvoir sans domination » (Ottaway, 1993, p.13). L'imposition de «l'état d'urgence en juillet 1985 puis en juin 1986 n'avait pas permis d'établir un semblant de normalité, mais plutôt avait conduit la communauté internationale à resserrer les sanctions. Par exemple, le fait que le Congrès des États-Unis ait approuvé la loi globale contre l'apartheid en octobre 1986» (Ottaway, 1993, p. 93), avait apporté un changement majeur dans la direction que le pays allait prendre.  

VI. L'issue du conflit

Deux facteurs internes et trois facteurs courants externes différaient les objectifs du gouvernement et de l'ANC. Notez tout d'abord que les besoins de négociation ressentis par le gouvernement étaient un acte de désespoir non seulement de son opposition interne à la politique de De Klerk, mais aussi de la pression de la communauté internationale. D'autre part, l'augmentation de la violence avait provoqué une augmentation de l'exil des jeunes noirs qui fuyaient l'oppression policière et l'éventuelle prison. Ils avaient tous rejoint l'ANC et renforcé l'action du parti à l'étranger. En plus de ces deux facteurs, il y avait eu le processus de décolonisation de la plupart des pays du tiers monde. » 

 Le passage de l'autoritarisme à la démocratie dans les pays d'Amérique latine; et la renaissance du nationalisme en Union Soviétique et en Yougoslavie avait également changé la configuration politique de l'Afrique du Sud » (Ottaway, 1993, p.14-15). Le mouvement de libération était un processus irréversible. La formation d'un gouvernement postapartheid n'était qu'un autre jour d'indépendance pour un autre pays africain. L'apartheid était détruit et le pouvoir avait été partagé. La transition avait conduit à la démocratie et à l’économie du marché. Et "parce que l'Afrique du Sud multiethnique devait se briser le long de la ligne ethnique, le processus politique avait été d'instaurer l'exercice du droit à l'autodétermination pour toutes les nations (groupes ethniques), et surtout pour les Afrikaner volk" (Ottaway, 1993, p. 16). C'est une forme de fédéralisme. Les patries seront davantage traitées comme des nations indépendantes sans nécessairement être séparées de l'Afrique du Sud en tant que pays. Cette solution était autrefois une résolution acceptable pour tous parce que la recrudescence du nationalisme ethnique coïncidait avec la décision du Parti national selon laquelle le projet d’accorder l’indépendance aux patries transformerait l’Afrique du Sud en une constellation d’États indépendants. La reconnaissance internationale et un système monétaire indépendant ne faisaient pas partie des faits négociables. Ainsi, «l'ethnicité, autour de laquelle tournait le système d'apartheid mourant, avait été réinjectée dans la transition vers une nouvelle Afrique du Sud par des politiciens noirs ambitieux, et non par le Parti national» (Ottaway, 1993, p.17).

Y avait-il un «gagnant»?

Dans ce cas oui. L'ANC peut être considéré comme ayant gagné la bataille. Tous leurs objectifs avaient été atteints: l'apartheid était démembré et le pouvoir est entre les mains de la majorité. Ils ont réussi à mettre en œuvre le système «un homme, une voix» et à réduire la violence. La dignité humaine avait été en quelque sorte restaurée et la vie intercommunautaire est désormais acceptable. 

Dans l'ensemble, le système de vie démocratique est le plus grand gagnant de tous. Au sein même des groupes, les partis affiliés à l'ANC, par exemple, trouvent leur part ou leurs intérêts satisfaits au sein de leur coalition.

Conclusion

Le pouvoir doit être accepté pour qu'il s'exerce. L'apartheid en tant que système de gouvernance n'a pas été accepté par la majorité des habitants de l'Afrique du Sud. «Le contrôle absolu des institutions formelles n'a pas aidé le Parti national à réprimer la demande noire de droits politiques» (Ottaway, 1993, p. 91). La discrimination, la torture, le non-respect de la dignité humaine, l'intimidation, l'humiliation, l'inégalité du système social et économique sont tous les mauvais attributs de la politique d'apartheid. Cela avait ensuite créé une lutte pour le pouvoir entre différents groupes de Sud-Africains. En particulier, cela avait créé un conflit ouvert entre la population blanche minoritaire et la population noire majoritaire.

Cependant, «le soutien antérieur dont l'ANC avait bénéficié du Parti communiste sud-africain (SACP), bien que le fait qu'il soit resté indépendant dans sa coopération avec l'ANC, avait été considéré par le régime blanc de l'apartheid comme le premier pas de l'ANC vers socialisme » (Ottaway, 1993, pp. 52-54). C'est de ce point de vue que les Noirs étaient perçus non seulement comme des terroristes mais aussi comme des communistes. Leur comportement, même lorsqu'ils se vengeaient ou se défendaient eux-mêmes, était considéré comme un acte terroriste. Ces actions avaient provoqué des réactions disproportionnellement plus élevées. En attendant, «la différence entre le gouvernement qui était composé d'institutions avec une identité claire et de fortes ressources en personnel, en finances et en expérience, mais avec un soutien populaire très limité en dehors de la communauté blanche; et l'establishment de la libération se composait d'organisations peu structurées, souvent avec des frontières extrêmement floues, des ressources financières faibles et très peu d'expertise technique, mais bénéficiant d'un haut degré de soutien au moins parmi la population africaine »(Ottaway, 1993, p. 42). Ce fut le point décisif pour soutenir la négociation (soutenue par le gouvernement) ou les élections (soutenues par les partis d'opposition). La honte internationale créée par l'utilisation de la force coercitive par la puissance supérieure avait conduit à la création de patries dans le but de contenir le groupe racial, en particulier les Noirs.

Nonobstant, la création de Homelands [ou Pays d’origine] n'avait pas aidé le gouvernement à trouver une solution à ces crises car les homelands sont devenus un dépotoir pour la population noire sud-africaine. «De 1960 à 1980, le gouvernement avait forcé 1,75 million de personnes à se rendre dans leur pays d'origine pour nettoyer ce qu'il appelait des « points noirs »- des colonies de squatters dans les zones urbaines et les villages ruraux composés de Noirs dont les contrats de travail dans les fermes blanches avaient été annulés. En conséquence, la densité de population des pays d'origine [homelands] avait augmenté de façon spectaculaire. Des communautés quasi-urbaines ont émergé aux frontières de leur pays d'origine alors que la main-d'œuvre se déplaçant vers les villes voisines, les mines et les industries a augmenté rapidement dans les années 1970. D'autres travailleurs noirs vivaient dans des auberges non mixtes à proximité d'industries trop éloignées du pays d'origine pour les déplacements quotidiens. Le reste de la population noire était limité aux «townships» légalement définis situés en dehors des zones urbaines blanches et était employé dans l'industrie et les mines ou comme ouvriers domestiques » (Percival et Homer-Dixon, 1995).

Il est possible de faire coexister tous les groupes ethniques en Afrique du Sud si seulement un système d'égalité et de dignité humaine est mis en œuvre. La population blanche aurait pu conserver des domaines importants de la vie sociale et économique si seule la population majoritairement noire n'avait pas eu la possibilité de percevoir sa déprivation relative. Même pour résoudre ce conflit, les parties auraient pu utiliser une approche collaborative. Bien entendu, cela aurait pu être possible si les deux parties avaient à l'esprit les intérêts de l'autre et pas seulement leurs intérêts personnels. Une répartition équitable sur le plan social et économique de ressources rares sera toujours l’une des solutions acceptables des conflits sociaux.

 

VIII. Limites de cette étude de cas

Comme toute autre étude sur base d’une méthode qualitative, l’utilisation de la méthode de cas, donne très peu d’occasions de généralisation des résultats ou de ses analyses. Elle donne cependant une possibilité et des pistes d’analyse des cas similaires. Nous pensons ici plus particulièrement au cas des conflits à l’Est de la république démocratique du Congo. Ce conflit devenu « conflit armé » autours de l’exploitation des ressources minières donne lieu à croire en sa mauvaise gestion. Les populations dans les zones de conflit justifient très rapidement leur engagement dans le conflit, par ce qu’elles qualifient de l’absence du pouvoir public dans la satisfaction de leurs besoins (théorie formelle de la déprivation absolue). C’est-à-dire le manque de résolution de ses préoccupations par le pouvoir central. Ce dernier, dans la recherche de recouvrir son pouvoir sur toute l’étendue du territoire national empêche toute activité jugée illégale, sur cette zone minière. Les forces coercitives sont ainsi utilisées pour persuader et rétablir l’ordre édicté par l’État. Ces forces, jugées inacceptables par les populations locales incitent la création et l’utilisation d’une force de réaction dans le chef des populations locales. Voilà ainsi commence la spirale des conflits.

Est-ce que cette analyse de cas sur le conflit Sud-Africain (conflit politique et économique) peut-il inspirer l’utilisation de la théorie formelle des études des conflits ainsi que l’application des méthodes formelles de résolution des conflits à l’Est de la république démocratique du Congo ? Nous encourageons d’autres chercheurs à mener des recherches sur ces conflits pour arriver à la résolution de ces conflits et pour ainsi établir un climat de paix et de prospérité. Ceci permettra le développement social et économique de cette partie du pays.  

 

Bibliographie

  1. Folger, J. P., Poole, M. S., & Stutman, R. K. (2005). Working Through Conflict, strategies for Relationships, Groups, and Organization. Boston: Pearson.. 
  2. Ottaway, M. (1993). South Africa: The straggle for a new order. Washington, DC: The Brookings Institution.
  3. Kasongo, A. (2013). Effetcts of Vertical Market Structures on Human Perception and
  4. Intercommuncal Conflict Escalation: A Case Study of the 1963 Ekonda and Eswe
  5. Conflict in the Decomcratique Republic of the Congo’s Sankuru Region. Fort Lauderdale-Davie: NSU.  
  6. Percival, V., & Homer-Dixon, T. (1995, October). Environmental Scarcity and Violent Conflict. The case of South Africa. Retrieved November 26, 2008, from Environment Population and Security: www.library.utoronto.ca/pcs/eps/south/sa1.htm
  7. Pruitt,G.G. & Kim.S.H. (2004). Social Conflict: Escalation, Stalemate, and Settlemen. mcGraw Hill.
  8. Reddy, E. S. (n.d. 1986). United Nations, India and South Africa's liberation struggle. Retrieved November 20, 2008, from
  9. www.anc.org.za/ancdocs/history/solidarity/artic-bk.html
 

[1] Alphonse Kasongo Djunga, PhD, est Professeur à la Faculté de Psychologie et Sciences de l’Education, Département de Gestion des entreprises, à l’Université de Kinshasa.

Par Alphonse KASONGO DJUNGA, dans RIFRA, Presses Universitaires de Kinshasa, 2024